Comment intégrer des préoccupations éthiques, sociales et environnementales au sein du marché immobilier public et privé belge ?
Dans ce marché dérégulé qu'est l'immobilier, l'acteur public a le rôle primordial d'encadrer le logement pour répondre aux besoins de tous. C'est de lui que doit venir l'initiative, notamment au niveau du logement social et des normes énergétiques mises en place.
L'exclusion immobilière est aussi sociale et économique. Quelles solutions existent pour sortir de cette crise ?
Comme c'est déjà le cas aux Pays-Bas, en France et au Luxembourg, il faut encadrer les loyers en déterminant des critères objectifs pour calculer des prix de référence. L’idée peut se concrétiser en attribuant des points par critère défini (superficie, équipement et environnement dans lequel se situe le logement) et une valeur monétaire au point. À titre d’exemple, la superficie d’une chambre ou d’une salle de bain vaut 1 point par m2 ; la présence d’une douche rapporte 4 points… Cela peut tout à fait se faire sans pénaliser le bailleur. Il suffit pour cela de proposer des incitants fiscaux.
Vous plaidez pour d’autres mesures ?
Également en vigueur chez nos voisins, l’allocation-loyer constitue une solution de pur bon sens. Il s'agit d'un complément financier mensuel accordé par les pouvoirs publics aux populations les plus précarisées pour leur permettre de se payer un logement. De toute façon, pour solvabiliser le locataire, il n’existe que deux solutions : soit on limite ses dépenses en instaurant une régulation des loyers, soit on augmente son pouvoir d’achat via un complément financier mensuel : l’allocation-loyer.
Par ailleurs, il est temps de réfléchir sans tabou à une taxe sur les plus-values immobilières. Si les prix à l'acquisition sont élevés, c'est imputable en partie à des logiques spéculatives qui ne sont, en l'état actuel du droit, guère contrariées par notre système fiscal.
Pourquoi le statut de cohabitant fait-il polémique aujourd’hui en Belgique ?
À l'heure actuelle, les chômeurs qui veulent partager un même toit perdent leur statut d'isolés pour devenir cohabitants. Ce qui signifie une perte de revenus de 200 à 400 euros selon les cas. Des personnes ayant choisi la collocation comme mode de vie se domicilient alors à une adresse fictive pour conserver leur statut de cohabitants. Ce système va à l'encontre de la solidarité et encourage la fraude.
Selon les sources, on compte jusqu'à 143 000 logements inoccupés en Belgique. Comment lutter contre un tel vide ?
Les outils répressifs ont accusé certaines limites, qu’il s’agisse du droit de réquisition fédéral ou du droit de gestion publique régional. En clair, il faut donner aux propriétaires privés les moyens financiers pour mettre fin, avec leur assentiment, au déclassement de leur habitation. Ce qui suppose une certaine dose de cynisme puisque cela conduira en bout de course à récompenser des propriétaires négligents. La Région wallonne a choisi cette voix de l'incitatif. Un subside (qui couvre 100% des travaux, avec un plafond à 52.000 euros) est ainsi accordé au propriétaire qui, après rénovation, délègue la gestion à une agence immobilière sociale pendant neuf ans au minimum.
Le logement d'aujourd'hui est en pleine mutation. L'habitat groupé revient en force, la collocation, les Community Land Trusts... De quoi sera fait le logement de demain ?
Il sera fait des envies de chacun. Il y a autant de types de logements qu'il y a de types de personnes.
Il faut arrêter de faire ce que les pouvoirs publics ont trop longtemps fait, c'est-à-dire du logement en série, situé à cent lieues des besoins de la population. Ce genre d'architecture transforme la cité en ghetto et empêche toute appropriation du lieu de vie par son habitant. Au-delà de la simple mise en commun des frais et charges, la réémergence des habitats collectifs permettra de recréer le tissu social indispensable pour lutter efficacement contre la précarité.
Entretien avec Nicolas Bernard, professeur de droit aux Facultés universitaires Saint-Louis et expert pour la Cellule Logement de la Région de Bruxelles-Capitale. Propos receuillis par Thibaut Monnier.