En bref :
- La tontine permet une épargne forcée.
- Ce système comporte des inconvénients mais permet d'accorder les petits crédits refusés par la banque.
Nous sommes à Matonge, le quartier africain d’Ixelles. Alinka participe à une tontine avec cinq autres participants. Tous les mois, elle verse dans la cagnotte une somme fixe dont chaque participant, tour à tour, bénéficiera. Ainsi, en versant 50 euros mensuellement, elle récupérera, lorsque son tour sera venu, 300 euros. Avec cet argent, Alinka pourra acheter des meubles, des bijoux ou financer une partie de son billet d’avion pour rendre visite à sa famille restée en Afrique.
Dans la forme la plus élémentaire de la tontine, chaque participant s'engage à verser une somme prédéterminée à une fréquence donnée. Cette somme constitue la cagnotte, qui leur sera versée, tour à tour, jusqu’à ce que tous aient pu en bénéficier. L’ordre des levées est généralement tiré au sort, mais peut aussi bien faire l’objet d’une entente entre les participants. Pour le premier bénéficiaire, la tontine s'apparente à un crédit. Les tontines sont très répandues en Amérique latine et en Afrique. Elles y constituent un palliatif lorsque le système bancaire est peu (ou pas) accessible aux populations défavorisées ou géographiquement plus reculées, ou lorsque le circuit traditionnel, défaillant, n’inspire pas suffisamment confiance aux candidats à l’épargne.
Lorsque le système bancaire traditionnel est faible, les tontines peuvent aussi offrir d’autres services financiers tels que le crédit et l’assurance. Dans ce cas, les fonds collectés ne sont pas automatiquement distribués. Ils sont octroyés aux membres sous forme de crédits que ceux-ci remboursent avec intérêts. Les crédits étant souvent courts avec des intérêts relativement élevés, les fonds disponibles s'accroissent rapidement, ce qui permet aux membres d'emprunter plus, plus longtemps, et d’ainsi faire prospérer progressivement leur épargne. Ces tontines peuvent en outre offrir des services d'assurance à leurs membres, en cas d'accident, de maladie, de décès d'un proche, etc. Elles prennent alors la forme de cotisations exceptionnelles ou de crédits d'urgence, sans intérêt et avec une souplesse dans les modalités de remboursement.
Et en Belgique ?
Les tontines existent aussi en Belgique, où les communautés immigrées ont importé ce système d’épargne. Beaucoup d’Africains perpétuent le système de la tontine et mettent parfois ainsi des sommes importantes de côté. Ils optent pour la tontine plutôt que pour le compte d'épargne bancaire parce que, pour eux, la tontine constitue un moyen sûr d’épargner. D'une part, une fois qu’ils ont commencé, les épargnants sont « moralement » obligés de continuer sous peine de mettre à mal l’équilibre de la tontine. D’autre part, la tontine présente pour eux un avantage sur l’épargne bancaire leur argent est inaccessible tant : que ce n’est pas leur tour d’en bénéficier. Gertrude Kafuka, sociologue de formation et médiatrice à la commune d’Ixelles, tempère cependant le succès des tontines. Pour moi, c’est un échec en Belgique, parce qu’il n’y a pas de plus-value économique. L’argent que les membres de la tontine perçoivent est généralement dépensé pour des besoins de consommation directe. Cet argent n'est pas réinvesti en Belgique. Beaucoup d’Africains immigrés en Belgique viennent de pays où le système est déstructuré et où ils ont eu l’habitude de vivre au jour le jour. La tontine répond à ce manque de structure, notamment à travers l'obligation morale de continuer à épargner une fois qu’on a commencé. Nos parents et grands-parents épargnaient en Afrique. Les jeunes générations ont perdu cette habitude parce qu’elles ont dû vivre dans l’urgence. La capacité à épargner n'est donc pas culturelle mais liée aux manques du système, poursuit G.Kafuka. En Belgique, la tontine demeure cependant une des seules manières d'obtenir un petit crédit – parfois indispensable pour l'achat de meubles, d’appareils électroménagers de base – que la banque refuse systématiquement.
Vous aussi ?
L'épargne n'est pas toujours une chose acquise d'emblée. Nombre de personnes pensent qu'elles n'ont pas assez de ressources pour pouvoir mettre de l'argent de côté, n'en perçoivent pas l'intérêt immédiat, ou encore n'arrivent pas à ne pas y toucher. Plusieurs études montrent que, dans la plupart des cas, il est possible d'épargner et, qu'en outre, l'épargne, pour les personnes précarisées, sert véritablement de filet de sécurité en cas de coups durs ou d'imprévus. Le Réseau Financement Alternatif a mené un projet de micro-épargne dans le cadre duquel les participants étaient invités à épargner chaque mois sur un compte différent du leur. S'ils épargnaient de manière régulière, ils recevaient au bout d'un an leur épargne majorée d'une prime de 50 %. Les premiers résultats de ce programme montrent que les personnes ont pu épargner, qu'elles sont heureuses et fières d'avoir pu le faire et qu'elles jugent très positivement le fait que leur argent soit plus difficilement accessible. Nombre d'entre elles sont d'ailleurs prêtes à continuer à épargner, même sans bonification.
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Les tontines viennent du Sud, mais existent au Nord depuis que les populations immigrées les y ont importées. Sont-elles vraiment efficaces pour se constituer une épargne ?