Introduction
Les institutions financières multiplient, depuis quelques années, les initiatives volontaires afin d'améliorer leur responsabilité sociale et environnementale. Aujourd'hui, on peut en dénombrer sept principales, allant de l'élaboration de lignes directrices en termes de lutte contre le blanchiment d'argent, la corruption et le financement du terrorisme – Wolfsberg Principles – à une standardisation des bonnes pratiques en matière de transparence – Global Reporting Initiative – ou à une collecte d'information sur l'empreinte écologique des entreprises détenues en portefeuille – Carbon Disclosure Project. Comme nous le verrons en détail par la suite, les domaines sont donc vastes, variés et complexes. Toutes ces initiatives, louables en soi, nécessitent, pour devenir réellement efficaces et espérer déboucher sur un changement significatif, un réel engagement en interne et la mise en place de sérieuses procédures de suivi de la part de l'institution bancaire. Et c'est malheureusement là que très souvent le bât blesse.
L'objectif de cette analyse est de réaliser un état des lieux des sept principales initiatives bancaires en termes de responsabilité sociétale, de porter un regard critique sur leur efficacité pour amener in fine le débat à la question : initiative volontaire ou réglementation du marché financier ?
État des lieux
Global Reporting Initiative (GRI)
Créé en 1997, le Global Reporting Initiative, comme son nom l’indique, poursuit l’objectif de standardiser les bonnes pratiques en matière de transparence et de reporting. Il s’est donné pour mission de développer, en partenariat avec différents groupes d’acteurs et d’experts, un référentiel en matière de reporting social et environnemental– Sustainability Reporting. Le GRI définit les principes et indicateurs qu’une organisation (entreprise privée ou publique, ONG, association, sprl...) peut utiliser pour mesurer et rendre compte de ses performances économiques, sociales et environnementales. En 2006, le GRI a édité sa troisième version de lignes directrices dénommée G3 Guidelines.
En développant un référentiel en matière de reporting économique, social et environnemental, le GRI permet de stimuler la demande pour de l’information « durable » (sustainable development), d’accroître la qualité de l’information ainsi que de faciliter les comparaisons intersectorielles.
Carbon Disclosure Project (CDP)
Lancé en 2000, le Carbon Disclosure Project (projet de publication volontaire des émissions de dioxine de carbone – CO2) regroupe, aujourd'hui, plus de 300 investisseurs institutionnels qui gèrent, au total, plus de 40 milliards de dollars d'actifs. L'objectif du projet est de fournir à ses membres des informations essentielles et souvent difficiles à obtenir concernant la stratégie en matière de changements climatiques et d'émissions de gaz à effet de serre des entreprises dans lesquelles ils investissent, et ce, afin de leur permettre d'évaluer les risques et opportunités liés aux changements climatiques. Pour récolter ces informations, le CDP, par le biais de ses membres, mène chaque année une enquête sur la base d'un questionnaire en dix points. La première édition, menée en 2000, portait sur les 500 premières entreprises mondiales (FT500). Depuis, le taux de réponse n'a cessé d'augmenter et l'univers de s'élargir pour arriver aujourd'hui à plus de 2000 entreprises interrogées.
L'atout de cette initiative : conscientiser le secteur bancaire et le monde des entreprises aux changements climatiques et encourager les entreprises à calculer et réduire leur empreinte écologique.
Ses limites : plus de 20 % des premières entreprises mondiales par capitalisation boursière (FT500) refusent toujours de publier leurs émissions de gaz à effet de serre. Se pose également une question de crédibilité étant donné qu'aucun organisme indépendant ne valide ni ne certifie les données récoltées.
Les principes de l'Équateur (Equator Principles - EP)
Les principes de l’Équateur sont un ensemble de dix principes calqués sur les standards environnementaux et sociaux de l'International Finance Corporation visant à permettre aux institutions financières une gestion saine des problèmes sociaux et environnementaux liés au financement de projets.
L'objectif des EP, pour les établissements financiers signataires, consiste à s'assurer que les projets qu'ils financent, et particulièrement ceux qu'ils financent dans les pays et marchés émergents, sont réalisés en tenant compte de critères sociaux et environnementaux.
Ils servent de base pour la mise en œuvre, par chaque institution financière signataire, de ses propres politiques, procédures, normes internes. Depuis le lancement en 2003, les EP sont adoptées à ce jour par plus de cinquante institutions financières internationales.
L'atout de cette initiative : rationaliser, de par la création de ce réseau international, la gestion de risque social et environnemental ainsi qu'harmoniser les exigences sociales et environnementales en termes de financement de projets.
Ses principales limites : la question de la gestion et de la bonne gouvernance des « banques d'Équateur ». Une des faiblesses souvent évoquées à l’égard des EP réside dans le fait que les banques d’Équateur ne disposent pas, d’une part, d’un réel mécanisme de gouvernance et, d’autre part, ne constituent pas un consortium solide. La mise en place d’un mécanisme de gouvernance, via une fonction de coordination appuyée par des politiques et des critères, permettrait à tout le moins de garantir l’intégrité de l’initiative volontaire de chaque banque signataire, de maintenir ainsi un contrôle de qualité minimum et d’assurer le développement des EP à terme.
United Nations Global Compact (ou le Pacte mondial)
Il s’agit d’un ensemble de dix principes qui engagent, sur base volontaire, les entreprises signataires à respecter et promouvoir, dans leurs stratégies et opérations, le respect des droits de l’Homme, les normes du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption.
« En termes de droits de l’homme : (1) elles sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’homme dans leur sphère d’influence ; et (2) à veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de violations des droits de l’homme. En termes de droit du travail : elles se doivent de respecter (3) la liberté d’association et le droit de négociation collective, (4) l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, (5) l’abolition effective du travail des enfants ; et (6) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Sur le plan environnemental, elles sont invitées à (7) appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement, (8) à entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité en matière d’environnement, ainsi qu’à (9) favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement. En matière de lutte contre la corruption, elles sont invitées (10) à agir contre la corruption sous toutes ses formes, y compris l’extorsion de fonds et les pots de vin. »
Depuis son lancement officiel, le 26 juillet 2000, l’initiative concerne actuellement plus de 5 600 signataires répartis dans 120 pays. Elle s’adresse aux entreprises et organisations les plus diverses, et souhaite favoriser, de par sa structure volontaire et en réseau, la participation au processus de diverses parties prenantes de la société civile et promouvoir ainsi l’interaction et l’échange de bonnes pratiques. Plusieurs mécanismes tels que la concertation, l’apprentissage, la mise en place de réseaux locaux et les partenariats sont proposés en vue de faciliter la mise en pratique du pacte.
Les critiques les plus souvent émises à l’égard de l’initiative proviennent principalement de la faiblesse de son système de reporting ; de sa pénétration limitée sur le marché, essentiellement auprès des grandes compagnies d’Europe de l’Ouest ; et de la nécessité de définir des critères plus précis, moins amples, afin de pouvoir, d’une part, les appliquer concrètement, et, d’autre part, initier un réel changement des comportements entrepreneuriaux.
Les Principes Wolfsberg
Fondé en 2000, le Wolfsberg Groupe est une association de onze établissements financiers d’importance internationale qui se sont accordés sur un ensemble de directives mondiales pour la lutte contre le blanchiment d’argent, la corruption et la répression du financement du terrorisme. Leur volonté est de développer des normes et des références adéquates pour les institutions financières.
La première directive définie concerne les directives mondiales anti-blanchiment pour les services bancaires privés, dont l’objectif est de prévenir l’utilisation de leurs opérations internationales à des fins illicites, via, entre autres, des procédures de vérification internes dans l’acceptation du client. Ces directives ont ensuite été traduites pour les banques correspondantes.
En matière de prévention contre le terrorisme, la Déclaration de Wolfsberg sur la répression du financement du terrorisme de 2002 définit, quant à elle, des lignes de conduite aux institutions financières qui, par le biais de la prévention, de la détection et du partage des informations, peuvent aider les gouvernements et organismes publics à lutter contre le terrorisme.
Tous ces textes reconnaissent la nécessité d’un contrôle approprié des transactions et des clients mais ne traitent nullement des questions relatives à l’élaboration et à la mise en place de telles procédures. C’est chose faite, via la Déclaration sur la surveillance, le filtrage et la recherche qui aborde ce point en déterminant les questions à aborder afin d’être en mesure de développer de telles procédures.
Ces mesures volontaires sont certainement utiles pour pallier des déficiences dans des domaines régis par des législateurs ou régulateurs. Néanmoins, en Europe, la directive du 4 décembre 2001 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux assure une réglementation stricte en la matière.
Initiative de transparence des industries extractives - Extractive Industries Transparency Initiative (EITI)
Initiative lancée en 2002 au sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg par le premier Ministre britannique Tony Blair et largement soutenue par le G8, elle vise à accroître la transparence des paiements des industries extractives (Pétrole, Gaz, industries minières) effectués auprès des gouvernements des pays riches en ressources naturelles. L’exploitation de ces ressources minières par les compagnies génère des revenus sous formes de royalties, taxes, primes à la signature des contrats d’exploitation et d’autres formes de paiements auprès des gouvernements locaux. Ces revenus devraient contribuer à la croissance économique et au développement social de ces pays. Malheureusement, le manque de transparence lors des transactions financières peut exacerber des pratiques de mauvaise gouvernance et aboutir à des cas de corruption, de conflit ainsi que de pauvreté.
Le mécanisme est simple : encourager la publication, par les Etats, des recettes perçues au titre de l’exploitation de ces ressources naturelles et, par les entreprises, des paiements effectués aux Etats. Parallèlement, la mise en place d’un mécanisme de réconciliation de ces données permet de s’assurer de la concordance entre les recettes perçues par les Etats et les paiements effectués par les entreprises.
Les institutions financières et investisseurs institutionnels peuvent encourager cette initiative en adhérant à la Déclaration des investisseurs sur la transparence dans le secteur de l’extraction. Par cette adhésion, les institutions financières s’engagent à soutenir les principes de transparence de l’EITI en demandant aux entreprises dans lesquelles elles investissent de soutenir et de promouvoir activement les principes de l’EITI.
La coalition internationale « Publiez ce que vous payez » souligne l’importance de cette initiative et les développements encourageants qu’elle entraine auprès d’institutions financières internationales telles que le FMI, la Banque Mondiale et la BERD. Néanmoins, elle relève deux points critiques d’importance : D’une part, la question de l’approche tripartite de l’EITI entre le gouvernement, l’industrie et la société civile et qu’il serait plus judicieux que l’entreprise divulgue individuellement l’information concernant leurs paiements afin de permettre un contrôle efficace de la publication des données et éviter ainsi les pressions exercées par le gouvernement. D’autre part, la question de l’approche volontaire, pays par pays, car l’initiative risque de ne pas s’appliquer aux pays qui ont le plus besoin de transparence en la matière. Les élites au pouvoir profitant de la gestion secrète des revenus provenant des ressources naturelles sont peu susceptibles de s’engager sur base volontaire.
Principes pour l’Investissement Responsable - United Nations Principles for Responsible Investment (PRI)
Lancé en 2006 sous l’égide de l’UNEP-FI et du Global Compact, les Principes pour l’Investissement Responsable visent à intégrer les problématiques environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) dans la gestion des portefeuilles d’investissement.
Le PRI est composé de 6 principes, déclinés en une série de 35 actions concrètes possibles pour guider les investisseurs à mettre les principes en place. Ils consistent à (1) intégrer les problématiques ESG dans l’analyse et les décisions d’investissement ; (2) devenir investisseur actif et prendre en compte les questions ESG dans les politiques et pratiques actionnariales – via la politique des droits de vote par exemple ; (3) demander aux entités dans lesquelles elles investissent de publier des informations appropriées sur les questions ESG ; (4) favoriser l’acceptation et l’application des principes dans le secteur de l’investissement ; (5) travailler ensemble afin d’accroître l’efficacité dans la mise en application de ces principes ; (6) rendre compte à titre individuel des activités et des progrès réalisés dans l’application de ces principes.
Les PRI, comme toutes les initiatives mentionnées ci-dessus, relèvent d’un engagement volontaire, non obligatoire de la part des institutions financières et certes la question de l’efficacité, du suivi, du contrôle et de l’impact réel se pose à nouveau. Néanmoins, l’atout de ces principes réside essentiellement dans le fait qu’ils fournissent une reconnaissance officielle aux questions ESG dans le secteur financier et qu’ils concernent la totalité des actifs financiers au-delà du champ de l’Investissement Socialement Responsable.
Social Investment Organisation (SIO), un organisation qui promeut l’Investissement Socialement Responsable au Canada souligne que « sans la pression des actionnaires les principes n’aboutiront pas in fine à de grands changements. Le PRI étant basé sur les procédures plutôt que sur les revenus proprement dits, il laisse la porte ouverte aux investisseurs de les signer sans devoir changer d’un dollar leurs portefeuilles d’investissement, donnant ainsi l’impression de changement, plutôt qu’un réel changement ».
Conclusion
Au regard de l’ensemble de ces initiatives volontaires, il est incontestable que la question de la responsabilité sociale et environnementale ne peut plus être et n’est plus ignorée par le monde financier. Elles démontrent la prise de conscience du rôle des institutions financières vis-à-vis de la société actuelle et future et apporte une reconnaissance officielle aux questions environnementales, sociales et de gouvernance. Cet élément justifie à lui seul pleinement leur existence.
Le mouvement est donc initié. Néanmoins après le lancement de la première initiative il y a 11 ans, n’est-il pas temps de se poser la question de leur efficacité ? Et d’ouvrir à nouveau le débat sur la question : initiative volontaire ou réglementation du marché financier ? Les associations et organisations non gouvernementales actives en la matière portent un regard de plus en plus sceptique quant à l’efficacité des démarches volontaires. Celles-ci se multiplient mais les résultats sont faibles et les changements peu perceptibles. Souvent instrumentalisées à des fins de communication, peu contraignantes, elles passent fréquemment à la trappe face aux obligations de rendement et autres obligations financières. L’adage n’est-il pas : Chassez le naturel, il revient au galop. Pour qu’une démarche volontaire mène à un réel changement, l’initiative nécessite un engagement, et ce à tous les niveaux en interne. Elle doit s’intégrer dans le core business de l’institution, être acceptée, assimilée, acquise par tous et non circonscrite à un département extra-financier qui s’occupe des questions de responsabilité sociale et environnementale. De sérieuses procédures de contrôle et de suivi se doivent d’être mises en place. Or très souvent elles sont absentes. Un rapport de l’OCDE sur la question des approches volontaires pour les politiques environnementales concluait que l’efficacité environnementale des approches volontaires est bien souvent questionnable et leur efficacité économique généralement faible.
Carbon Disclosure project 2006, Enquête menée auprès des entreprises du SBF120, p.17.
Pour plus d'information sur les principes de l'Équateur, se reporter à l'analyse " Les principes de l'Équateur", Alexandra DEMOUSTIEZ, Réseau Financement Alternatif, septembre 2007.
Par financement de projet, on entend un « mode de financement dans lequel le prêteur considère avant tout les revenus générés par un projet à la fois comme source de remboursement de son prêt et comme sûreté attachée à son exposition. Ce type de financement concerne donc généralement de vastes projets complexes et onéreux tels que centrales électriques, usines chimiques, mines, infrastructures de transport, environnement et télécommunications. » (Source : Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres – Dispositif révisé(« Bâle II »), novembre 2005, http://www.bis.org/publ/bcbs107fre.pdf).
Les dix principes sont issus des conventions internationales suivantes : Déclaration universelle des droits de l’homme, Déclaration de l’Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, conventions des Nations unies contre la corruption.
Nom de la localité suisse où s’est tenue la séance de travail visant à définir ces directives.
Banco Santander, Bank of Tokyo-Mitsubishi, Barclays, Citigroup, Crédit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, HSBC, J.P. Morgan Chase, Société Générale, UBS.
Par « banques correspondantes », on entend : les banques, maisons de courtage, fonds mutuels, sociétés d’investissement à capital variable, fonds de pension, sociétés de financement des ventes à tempérament, etc.
France Diplomatie – l’initiative pour la transparence dans les industries extractives – juin 2007
Publish what you pay – est une coalition internationale regroupant plus de 200 ONG et qui appel à l’entière transparence des paiements des compagnies minières, pétrolières et gazières de tous les gouvernements nationaux. www.publishwhatyoupay.org
UNEP-FI : unité du PNUE visant à encourager l’adoption de meilleures pratiques environnementales par les professionnels de la finance. www.unepfi.org
Ethical Corporation – North America: The Principles of Responsible Investment: Time to step up to the mark. http://www.ethicalcorp.com/content.asp?ContentID=4354
Les institutions financières de par le monde adoptent, sur base volontaire, une série d'initiatives en vue d'améliorer leur responsabilité sociale et environnementale.