Les premières monnaies locales connurent un grand succès au cours des années ‘30, au moment de la grande dépression, lorsque l’argent commença à manquer. Leur utilisation se basait sur des idées nées quelques années plus tôt. Parmi les théoriciens qui réfléchirent à une utilisation alternative de la monnaie, on peut citer, d’une part, le « Belge » Silvio Gesell et, d’autre part, l’anarchiste Pierre-Joseph Proudhon.
Une monnaie qui perd de sa valeur
Silvio Gesell est l’inventeur de la monnaie franche, une monnaie dite fondante car sa valeur diminue à intervalle fixe (tous les mois par exemple). Silvio Gesell est né en Belgique en 1862 (à Saint Vith exactement qui, à l’époque, était situé en Allemagne). Après avoir développé une affaire d’instruments dentaires en Argentine, il quitta la vie active, revint en Europe et se fixa en Suisse. Depuis ce pays, il développa des théories qu’il a résumées dans son livre L’ordre économique naturel. Ses théories se fondent sur diverses observations.
Tout d’abord, la quantité de monnaie gagée par l’or ne suit pas le rythme de l’accroissement de la production et de la richesse et cette disproportion est la cause principale des désastres économiques. D’autre part, la monnaie est détournée de son véritable emploi pour servir surtout à la thésaurisation, ce qui provoque un ralentissement des échanges et, la quantité de denrées restant la même, cela cause la chute des prix. Contrairement aux marchandises, l’argent ne perd pas de sa valeur. Le détenteur d’argent peut alors attendre que le commerçant baisse ses prix. Quant à ce dernier, il se retrouve obligé de couvrir ses frais par des crédits, sur lesquels il doit payer des intérêts. Celui qui reçoit ces intérêts peut à nouveau les prêter à un autre. On se retrouve donc face à une quantité de plus en plus grande de monnaie qui est extraite du circuit économique.
Pour casser ce cercle « vertueux », Gesell propose que l’argent perde périodiquement de sa valeur, de sorte qu’il devienne inintéressant de le garder et perde ainsi sa position dominante par rapport au travail humain.
L’argent sans intérêt !
L’idée de la monnaie sans intérêt, la monnaie à 0 % est née dans l’esprit de Pierre-Joseph Proudhon. En 1848-1849, il publia Solution du problème social. Dans ce livre, il présenta un programme de coopération financière mutuelle entre travailleurs. Il pensait ainsi transférer vers les travailleurs le contrôle des relations économiques détenu par les capitalistes et financiers. Son projet s’appuyait sur l’établissement d’une « banque d’échange» qui accorderait des crédits à un très faible taux d’intérêt (le taux n’est pas nul en raison des coûts de fonctionnement). Il tente même, au début de l’année 1849 de mettre en place cette banque, qu’il appelle la Banque du Peuple. Mais, malgré l’inscription de plus de 13 000 personnes (surtout des travailleurs) et un capital de 5 millions de francs français de l’époque, cette initiative ne dura pas longtemps.
Plus près de chez nous : le Chiemgauer
Si l’expérience autrichienne semble être sortie d’un autre âge où il était encore possible d’agir localement sur l’économie, il existe pourtant actuellement de nombreuses monnaies locales mises en place à travers le monde. Elles ont comme but de relancer l’économie ou, comme à Prien, quelque part en Bavière, leur vocation est plus directement sociale. L’exemple du Chiemgauer est un exemple de regiogeld (argent local) parmi de nombreux autres.
En 2003, un professeur de lycée, aidé de ses élèves, a décidé de mettre en circulation le Chiemgauer, une monnaie dont la valeur est équivalente à l’euro. Le but de cette monnaie régionale est multiple. D’une part, la stimulation de l’économie locale ; d’autre part, la promotion d’activités culturelles, pédagogiques et environnementales par le soutien fourni à certaines associations et enfin, un renforcement de la solidarité.
Le Chiemgauer a les mêmes caractéristiques que beaucoup de monnaies régionales et suit le principe d’oxydation de l’argent, cher à Gesell. Il perd de sa valeur au fur et à mesure du temps qui passe. Ainsi, après 3 mois, le détenteur du Chiemgauer doit s’acquitter d’une taxe de 2 % de la valeur de la monnaie pour pouvoir la remettre en circulation. Cette perte (minime en réalité) incite le détenteur à dépenser son argent et donc, à le faire circuler tandis que la taxe en question soutient des projets sociaux.
Favoriser l’économie locale au détriment des multinationales
Le Chiemgauer permet de favoriser l’économie locale puisque le consommateur peut acheter son yaourt, par exemple, en Chiemgauer. Le commerçant se sera fourni dans la même monnaie et le fournisseur aura acheté le yaourt ou le lait pour le produire chez l’agriculteur du coin, dans cette même monnaie. Le système fonctionne parce que le Chiemgauer se fonde sur le principe de la solidarité : une majorité de gens de la même région (consommateurs, producteurs et commerçants) acceptent de jouer le jeu.
En 2006, 380 entreprises et 700 consommateurs étaient affiliés au système. Ce chiffre devrait augmenter grâce à l’introduction d’une carte à puce qui permettra de gérer électroniquement les transactions.
L’expérience de Wörgl
Un exemple célèbre est celui de la petite ville autrichienne de Wörgl dans le Tyrol. En 1932, les finances de la ville sont aux abois. Le chômage est élevé et la ville n’a pas d’argent, ni pour aider ses citoyens, ni pour entretenir les infrastructures publiques. Le maire de l’époque opte alors pour une solution osée et met en circulation des « bons-travail ». Une de leur particularité est que, chaque mois, ils perdent 1 % de leur valeur.
Pour conserver la valeur du billet, son détenteur peut aller y faire apposer un cachet à la commune, moyennant le paiement de ce 1 %. Notre maire parie sur le fait que son détenteur préférera toujours dépenser (1) le billet plutôt que de payer. La valeur de ces bons-travail était garantie par une somme équivalente en shillings que la commune avait déposé à la Caisse d’épargne locale. Et le pari fut gagné ! Cette monnaie servit à payer le salaire des ouvriers, les fournitures commandées par la commune et à honorer les factures des travaux, sans jamais toucher aux shillings mis en dépôt ! Tous les commerçants acceptaient l’argent libre (2), au même tarif que la monnaie officielle. De même, si un habitant de Wörgl désirait changer de l’argent fondant contre des shillings autrichiens, il pouvait le faire en s’acquittant d’une taxe de 2 %.
Ce système permit que l’argent reste dans un circuit relativement fermé. En quelques mois, l’argent libre permit d’engendrer pour 100 000 schillings de transactions avec une quantité de bons de départ de 12 000 schillings. C’est ainsi que la pauvre petite ville de Wörgl sortit de la misère dans laquelle elle était plongée. L’expérience s’arrêta en 1934 lorsque l’Etat stoppa le mécanisme, arguant l’interdiction d’imprimer sa propre monnaie.
(1) En effet, si 100 pièces circulent 4 fois par mois, on assistera à 400 transactions. Si 20 de ces pièces sont thésaurisées, on ne verra plus que 320 transactions.
(2) L’argent libre est le terme utilisé par Gesell pour « monnaie fondante ».
Le principe du Chiemgauer
- Les associations achètent 100 Chiemgauers pour 97 € et les revendent 100 € aux consommateurs.
- Les consommateurs utilisent leurs Chiemgauers à leur valeur nominale dans les commerces qui l’acceptent. Ainsi le consommateur fait un don de 3 € aux associations sans effort supplémentaire.
- Les commerces réutilisent ces Chiemgauers pour acheter d’autres produits. Ils peuvent également les changer contre des euros auprès de la fondation qui gère le système mais ne récupéreront que 95 € pour 100 Chiemgauers.
- La fondation fait un bénéfice de 5 €, 3 € servant à financer les associations (qui achètent 100 Chiemgauers pour 97 €) et garde 2 € pour les frais de fonctionnement.
L'idée des systèmes économiques alternatifs n'est pas neuve. Elle trouve son fondement au siècle passé, quand le système économique tel qu'on le connaît actuellement fit naître les premiers signes de la déflation et du chômage. Un Belge fut un des pionniers à réfléchir à un tel système.