
En décembre 2022, l’autorité européenne de régulation des marchés (ESMA) a confronté quelque 3000 fonds européens qualifiés de durables aux derniers critères proposés pour l’Ecolabel. Résultat assez décoiffant : seul 0,5 % de l’échantillon avait un ratio de verdissement du portefeuille supérieur au seuil de 50 % proposé par l’Ecolabel.
Pourtant, ce qualificatif de « durable » attribué aux fonds examinés et manifestement usurpé ne tombait pas du ciel mais bien d’un règlement européen, le SFDR, conçu pour harmoniser et renforcer la durabilité dans le secteur financier européen et offrir ainsi aux investisseur·euse·s une vision claire des différentes stratégies d'investissement durable. Ainsi, parmi les fonds étudiés par le régulateur, 2 612 relevaient de l'article 8 de ce SFDR, soit les produits promouvant des caractéristiques environnementales ou sociales en plus des aspects financiers, tandis que 429 autres appartenaient à la classification la plus exigeante, l’article 9, qui concerne spécifiquement les produits ayant un objectif d’investissement durable. Autant dire que cela jetait un doute sur la fiabilité de ce règlement censé améliorer la transparence…
L’année suivante, en 2023, la Commission européenne a lancé deux consultations sur l’efficacité de celui-ci. Le bulletin n’est guère plus brillant : seuls 40 % des répondant·e·s perçoivent une réelle évolution dans les décisions d'investissement et le développement de produits financiers, 72 % pensent que le SFDR ne parvient pas à renforcer efficacement la protection des investisseur·euse·s et 52% contestent son efficacité dans l'orientation des capitaux vers des investissements durables. Un scepticisme que renforceront sans doute les résultats d’une enquête de Mediapart et de ses partenaires : ces fonds d’investissement « durables » vendus en Europe ont, au dernier trimestre 2023, investi 87 milliards d’euros dans 200 entreprises parmi les plus émettrices de CO₂ au monde, en profitant du laxisme de la réglementation européenne.
Une réglementation qui rate à ce point son objectif de transparence est un parfait pousse-au-crime, même si cela ne dédouane bien sûr pas les gestionnaires d’actifs de leur responsabilité. Au point que les trois autorités de supervision financière européennes, l’Autorité bancaire européenne (EBA), l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) et l’ESMA, ont publié, le 18 juin 2024, une opinion commune proposant un nouveau système de classification des fonds durables ainsi qu’un dispositif inédit pour connaître en un coup d’œil le niveau de durabilité du produit, une sorte de nutriscore pour la finance.
Une telle évolution, qui vise à aider les consommateur·rice·s à naviguer dans le monde bigarré des produits durables, est incontestablement nécessaire. Elle est même urgente car les défis comme le réchauffement climatique ne vont évidemment pas attendre patiemment que la nouvelle norme soit établie. Mais ce n’est pas suffisant. Lorsqu’une classification sérieuse aura été établie, l’étape suivante sera d’imposer aux acteurs financiers, non seulement de la transparence, mais aussi des obligations concrètes d’investissements en faveur d’une transition
écologique et sociale ambitieuse.