En bref
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Fonds ISR et fonds classiques, même combat ?
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Les méthodologies ISR sont nombreuses.
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Le gestionnaire est celui qui décide.
L’investisseur socialement responsable place la priorité dans le soutien des entreprises et des États qui agissent positivement pour l’homme et pour la planète. Un fonds de placement ISR devrait donc privilégier ces institutions. En poussant la logique au plus loin, une différence significative devrait apparaître entre les portefeuilles des fonds durables et ceux des sicav classiques. Il n’en est rien.
Une qualité toute relative
Pour mesurer l’ampleur du problème, il faut d’abord appréhender la grande disparité du marché actuel de l’ISR : d’un produit à l’autre, la qualité varie du tout au tout¹, sans que l’investisseur, lui, ne puisse réellement faire la différence. L’étiquette « durable », « responsable », « solidaire », « éthique », etc. est auto-apposée par le gestionnaire d’un fonds et ne dit finalement pas grand chose sur sa qualité éthique. Pour pouvoir en juger, l’investisseur devra examiner la méthode que le gestionnaire privilégie et la manière dont il l'applique. Actuellement, il existe quatre approches ISR. Pour composer un univers d’investissement, c.-à-d. l’ensemble des entreprises et des États qui en font partie de son portefeuille, le gestionnaire en choisira une ou en combinera plusieurs. Si son portefeuille est concentré sur un secteur en particulier, les énergies renouvelables par ex., on parlera de « fonds thématiques ». Cette méthode, prise isolément, ne garantit en rien la qualité des actifs sélectionnés. Le gestionnaire aura également la possibilité d’appliquer à sa sélection des critères négatifs en excluant des secteurs d’activités qu’il juge dommageables, p. ex., le pétrole, le nucléaire, les armes, etc. S’offre également à lui l’option de l’activisme actionnarial : à travers les actions présentes dans son fonds, le gestionnaire détient une partie du capital d'une entreprise et peut faire passer, lors des assemblées générales, des motions en vue d’améliorer la responsabilité sociale de l’entreprise en question. En réalité, ce pouvoir à contraindre les entreprises à modifier certains points de leur gestion est très peu appliqué en Belgique². Enfin, la sélection du portefeuille peut se faire en décidant de critères positifs pour les entreprises et les États, la plupart du temps suivant une méthode dite « best in class ». Le gestionnaire – ou une agence de notation extra-financière à qui il délègue le travail – note chaque entreprise sur ses performances sociales, environnementales et de bonne gouvernance. Les notes de chaque critère sont pondérées suivant le secteur – une banque pollue forcément moins qu'une entreprise pétrochimique ! – ainsi que suivant l'importance que le gestionnaire lui accorde. En d'autres termes, c'est le gestionnaire qui décide si un critère spécifique, comme la formation des travailleurs ou la production de CO2, est important pour juger de la qualité d'une entreprise. On le voit, la latitude est totale. La méthode « best in class » qui, force est de le constater, est la plus privilégiée par le marché actuel de l’ISR, met la priorité sur les entreprises de la classe les moins mauvaises au sein d'un même secteur. Et permet ainsi de répondre facilement à des objectifs financiers classiques : diversification, baisse des risques financiers, rentabilité...
Le paradoxe
Mais, en sélectionnant les entreprises les « moins pires » et en cherchant à se diversifier au maximum – plus un portefeuille est large, moins les risques sont élevés -, les gestionnaires de fonds ISR confrontent l'investisseur à de gros paradoxes. Prenons les titres d'institutions financières : la majorité des produits offerts par une banque ne sont pas éthiques (fonds de placement classiques, comptes d'épargne classiques...). Les revenus de ces produits sont donc alloués à des entreprises non durables. Ce qui n'empêche pas de retrouver des titres d'institutions financières dans quasi tous les fonds ISR ! Est-il vraiment logique de financer, via un placement responsable, une entreprise qui, elle-même, ne tient pas compte de ces critères dans ses propres investissements ? Autre cas de figure : les magnats pétroliers, qui font parfois figure de modèles en matière de gouvernance sont repris dans plusieurs fonds ISR, mais également responsables d’une marée noire de temps en temps... Ces différents exemples montrent que les critères positifs d'évaluation et la manière dont ils sont appliqués restent toujours des critères de surface et ne permettent que difficilement – par manque de transparence également – de juger de la qualité sociétale d'une entreprise ou d'un État.
Pas d'innovation
Au-delà de ce premier paradoxe, le manque de diversité est évident : la composition des portefeuilles ISR offrant peu de nouveautés par rapport aux fonds classiques, composés uniquement de grosses capitalisations boursières. Un fonds de placement doit en effet être composé au minimum de 90 % d'entreprises cotées en Bourse ; et le marché préfère, par nature, les grosses capitalisations, plus liquides (qui peuvent s'échanger plus facilement sur les marchés) aux petites. Petites capitalisations et PME sont donc quasiment exclues de l'univers d'investissement ISR ! Pour donner un exemple concret, prenons un indice boursier classique, le CAC 40 et le premier indice boursier ISR, l'ASPI Eurozone : 80 % des entreprises composant les deux indices sont identiques³. L'offre ISR est donc très fortement restrictive, ce qui pose problème. Historiquement, la preuve en a déjà été faite : lorsqu'une banque décide d'assortir sa stratégie ISR d'une stratégie commerciale, les résultats sont efficients. Au vu d'une certaine prise de conscience citoyenne et des pouvoirs publics, on pourrait imaginer que ce type de placements soit de plus en plus encouragé. Or, c'est actuellement le contraire qui s'opère sur les marchés. Dans la stratégie globale d'une banque, l'approche ISR reste minime, sinon inexistante.
1. Sur le site www.financite.be, dans la rubrique « investir », le lecteur trouvera tous les produits ISR commercialisés en Belgique avec pour chacun d'eux une « note éthique » de 0 à 4 étoiles.
2. CAYROL, A., Engagement actionnarial, quels outils ? et Engagement actionnarial : une démarche intéressante mais un reporting à améliorer, RFA, mars 2012.
3. HERNALSTEEN, M., « Le "Best-in-class" : favoriser les meilleures pratiques de responsabilité sociétales des entreprises (RSE) », avril 2012, RFA.
En 2012, 66 % des capitaux investis en ISR l'étaient dans des fonds de placement. Pourtant, les portefeuilles durables diffèrent peu des fonds classiques : ils sont quasi intégralement composés de grosses capitalisations, rarement responsables sur tous les tableaux.