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Soumis par Anonyme le

En bref

  • Les nouvelles agences de notation sociale manquent d'indépendance.

  • La définition de la responsabilité sociale des entreprises est trop laxiste.

Selon vous, l'ISR a été détourné de son propos initial...

La finance éthique, à l'heure actuelle, est un oxymore. Elle a effectivement été détournée de son sens originel, victime de son succès. Elle n'a pas su proposer d'alternatives crédibles aux dérives de la spéculation et à la cupidité du système bancaire. L'ISR part d'une bonne intention, mais la finance éthique s'est mise à parler le langage du monde financier et a, du coup, récupéré ses mauvaises habitudes.

Vous montrez du doigt notamment les agences de notation sociale. Pourquoi ?

Il y a eu trois grandes évolutions au niveau de ce type d'agences. Les premières sont nées dans les années 80, fruit d'un mouvement social, de militants, loin des professionnels de la finance. Cette première génération était réellement éthique. On s'y intéressait à l'impact des entreprises sur le bien-être social et environnemental des communautés concernées. Ces premières agences ont quasi disparu, victimes d'une concentration du secteur et, surtout, d'une transformation plus générale. Dans les années 90, on entre dans l'ère du développement durable, on commence à parler de « responsabilité sociale des entreprises ». Avoir une image responsable devient important pour les entreprises, le patronat s'en rend compte et soutient le développement de nouvelles agences. L'indépendance de ces agences est très compromise dans le sens où elles sont financées par les entreprises qu'elles notent et par les institutions financières elles-mêmes. Puis la vague financière arrive dans les années 2000, le marché se concentre, davantage aux États-Unis que chez nous, mais cette concentration est le reflet d’une tendance plus générale : l'analyse financière prend le dessus sur l'éthique. Le monde de l'ISR se met à parler de risques extra-financiers, on assiste à un glissement rhétorique important. Les compromis sociaux, les critères environnementaux passent au second plan.

Qu'est que cela implique au niveau de l'analyse extra- financière ?

L'assimilation de la culture « Wall Street ». Les agences de notation extra-financière établissent des classements d'entreprises par secteur. Les gestionnaires de fonds veulent des portefeuilles plurisectoriels pour limiter les risques. Ce qui permet, par exemple, de voir apparaître dans un portefeuille ISR une entreprise pétrolière parce qu'elle est la meilleure de son secteur. Même si son département énergies renouvelables pèse moins de 3 % de son chiffre d’affaires. L'approche financière, celle qui prend le dessus sur l'éthique, permet ce genre de dérapage.

Vous parlez également d'un problème au niveau de la responsabilité sociale des entreprises ?

La définition établie par la Commission européenne est celle qui prime encore aujourd'hui. Or cette définition parle d'autorégulation : elle est centrée sur « le process », sur la transparence et non sur les résultats. Les entreprises sont libres de prendre les mesures qu'elles souhaitent, mais souvent se limitent au strict minimum. Il faut comprendre qu'une entreprise est conditionnée : le monde financier pense « court terme ». Le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises sont des valeurs sur le long terme, le très long terme. C'est un antagonisme même.

Quelle est la solution selon vous ?

Pour les particuliers : changer de banque et opter pour une institution éthique, tournée vers l’économie sociale et solidaire ou privilégier les investissements directs. Pour les grands investisseurs, le besoin de financement est là, les fonds ISR sont nécessaires, mais pas sans régulation. 


L'avis d'un gestionnaire de fonds

KBC est leader du marché ISR en Belgique. Nous avons demandé à Geert Heunicks, Head CSR Department chez KBC, quelle était la politique de la banque en la matière.

Comment KBC définit-il son univers d’investissement ?

Nous utilisons une méthodologie « best in class » combinée à des critères d'exclusion. Cette analyse est réalisée en externe. Plusieurs secteurs (les armes, les paris, etc.) et comportements sont strictement exclus de notre univers d’investissement. D'autres banques en excluent d'autres, car l’éthique est « personnelle ». Je vais vous donner un exemple concret : prenez une entreprise pétrolière ou minière, n'importe laquelle. Il est quasi impossible de trouver une entreprise de ces secteurs qui sera parfaite sous les angles sociaux ou environnementaux. Doit-on pour autant exclure strictement le secteur des matières premières d’un produit ISR, alors que ce secteur est essentiel au fonctionnement de notre société ? Non, pas selon KBC. Par contre, si nous apprenons qu'une entreprise a enfreint des normes que nous nous sommes imposées, nous l'excluons directement¹ ! Ce que nous avons fait avec Total ou Apple, par exemple. Pour composer le portefeuille, le gestionnaire du fonds se charge de puiser dans les entreprises durables sélectionnées par KBC en répliquant le « benchmark » du marché. Ce que nous promettons à l'investisseur durable c'est une offre de qualité, pas une offre parfaite.

C'est l'une des limites de l'ISR, selon vous, que de ne pas pouvoir proposer une offre parfaite ?

L'ISR marie deux secteurs complètement différents. C'est un outil tout à fait unique. Il utilise l'instrument le plus capitaliste au monde, les marchés financiers, pour améliorer les pratiques plus responsables des entreprises, pour encourager les meilleurs acteurs au niveau environnemental, social, et de bonne gouvernance. L'ISR crée un nouveau dialogue avec les entreprises, encourage leur développement sociétal, je pense que, dans ce sens, il est primordial de continuer dans cette voie.

Cette année, vous n'avez pas proposé de nouveaux produits ISR ? Les parts de marché et l'encours du secteur chute en conséquence. Pourquoi ?

Nous restons toujours leader du marché, c’est important. Mais il est vrai que nous n'avons pas eu de demande spécifique pour créer de nouveaux produits ISR cette année. Il ne faut pas non plus chercher trop loin : la demande en produits de placement est très faible de manière générale actuellement, c'est donc une conséquence de marché. Les produits à rendement fixe ont, par exemple, plus de succès. Un véritable intérêt pour l’ISR s'exprime, mais il y a moins d'argent à investir. Nous continuons de travailler à l'amélioration de notre méthodologie, nous restons très attentifs à intégrer toutes les nouvelles données. Si nous recevons de nouvelles demandes, nous créerons de nouveaux produits.

1. Sauf pour les produits structurés dont le panier d'actions est à rendement fixe. Le RFA a choisi de coter à zéro ce type de produits. Ce type de fonds se construisant sur une réalité temporelle : le panier d'actions correspond à des États et des entreprises bien notés sur des aspects extra-financiers à la création du fonds mais, si ces entreprises ou ces Etats ne tiennent pas leur promesse pendant la durée de vie du produit, aucune modification ne sera apportée.

Type de support
Type de document
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Sommaire

Avant d'écrire « Finance éthique : le grand malentendu », Gaëtan Mortier comptait parmi les 15 meilleurs analystes ISR au monde selon Thomson-Reuters. Son ouvrage pointe deux gros bémols au monde de la finance solidaire.

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Année d'édition
2013
Date d'édition
2013