En bref
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Pas de vraie responsabilité, sans norme minimale.
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L'investissement solidaire, c'est aussi du direct.
La transparence, élément central
En raison d'un manque de transparence et d'information, l'investisseur peut difficilement, aujourd'hui, juger de la qualité éthique des produits socialement responsables. L'analyse des fonds montre également que, finalement, il y a peu de différences au niveau des entreprises présentes dans un fonds socialement responsable et celles qu'on retrouve dans un fonds « classique ». Enfin, la demande en ISR n'est pas encore suffisamment forte pour forcer toutes les entreprises à aller plus loin que le greenwashing. Notre difficulté à trouver des sociétés acceptant d'être interviewées sur le sujet pour ce numéro en est d'ailleurs un signe. Telenet, Delhaize, Colruyt, KBC et Belgacom ont reçu notre questionnaire demandant d'expliciter en détails leur politique RSE et leur intérêt à faire partie d'un fonds ISR. KBC nous a reçus, Belgacom nous a répondu sans nous accorder d'interview, et nos autres demandes sont restées sans réponse.
Une norme minimale, point de départ
Pourtant, ce constat peu réjouissant justifierait-il de jeter le bébé avec l'eau du bain ? Lorsque l'on parle d'ISR, on pense principalement aux fonds de placement composés majoritairement de grandes capitalisations boursières. Mais, même si pour ce type de produit l'investissement socialement responsable est largement perfectible, il n'en est pas pour autant inutile. Pour que l'ISR donne sa pleine mesure, il faudrait d'abord la mise en place d'une norme qui garantirait une qualité minimum légale, plus de transparence de la part des banques et des entreprises, et une approche plus axée sur les résultats que sur les processus en matière de responsabilité sociale. Une offre plus large et de meilleure qualité ainsi qu'une promotion plus active des produits ISR permettrait à l'opinion publique d'en cerner les avantages. De telles actions augmenteraient à coup sûr la demande et, par conséquent, impacteraient davantage le comportement des entreprises.
Investir autrement
L'ISR tel qu'on l'entend plus haut ne profite en rien aux petites et moyennes entreprises de notre pays qui peuvent, pourtant, avoir un impact sociétal positif. Ajoutons que le secteur des PME pèse lourd dans le PIB belge. À l’heure du « capital patient », où les entreprises ont besoin d’un soutien de longue haleine, il parait indispensable que les pouvoirs publics assurent la promotion d’autres formes de placements socialement responsables, en dehors de tout jeu boursier. Mais les particuliers peuvent aussi changer la donne. Quand on dépose son argent sur un compte d'épargne éthique, les risques de perdre du capital sont nuls. En achetant une part ou plusieurs parts d'une coopérative agréée ou à finalité sociale ou des obligations d'ASBL, l'investissement éthique est à la portée de chacun¹. C'est sans doute là que l'ISR prend tout son sens.
1. À titre d'exemple, une part de coopérateur chez Alterfin (coopérative agréée qui octroie des microcrédits dans le Sud) coûte 62,5 € et a rendu un dividende de 3,75 % en 2011.
Entreprises responsables ou pas ?
3 questions à Herwig Peeters, directeur d'Ethibel, agence de notation extra-financière pionnière en Belgique.
Y a-t-il un intérêt de la part des entreprises en Belgique à se retrouver dans l’un de vos labels ISR ?
Il est très difficile de parler de manière générale, mais nous percevons un véritable intérêt, dans le sens où les entreprises reprises dans l'un de nos deux labels veulent le mentionner dans leur rapport annuel ou dans leur rapport de durabilité. En termes d’image, c’est important pour elles. Nous sommes en contact avec ces entreprises 5 à 6 fois par an, nous suivons donc de très près les évolutions.
Et au niveau de l’effort fourni justement ? Quelle est la tendance chez nous ?
Il y a de tout bien sûr. Des entreprises qui font un réel effort, d’autres qui ne s’en préoccupent pas. Il n’y a pas d’obligation légale en Belgique, contrairement à la France, à communiquer sur ses performances ESG¹. L’initiative est toujours volontaire, c’est un problème, bien sûr. Au niveau européen aussi. Par exemple, les lois sociales dans les pays scandinaves sont très développées, les entreprises scandinaves ne mentionnent donc souvent pas ces critères dans leur rapport annuel et peuvent passer pour de mauvais élèves en la matière, alors que c'est généralement le contraire. Vous l'aurez compris, c'est une uniformisation au niveau européen qui est nécessaire. Après vingt années passées chez Ethibel, je peux tout de même témoigner d’une vraie évolution, d’une prise de conscience de la part de bon nombre d'entreprises belges cotées ou non cotées en Bourse. Umicore, géant industriel qui a un passé lourd, pas spécialement une bonne réputation, a par exemple totalement viré de bord en quelques années, modifiant très fortement sa culture d'entreprise pour répondre à des exigences ESG. C’est l'un des plus beaux exemples que je puisse citer à ce jour.
Cette prise de conscience est-elle suffisante ?
Non, mais elle est positive tout de même. Au regard du marché américain par exemple, l’Europe s’en sort mieux. L’ISR vient des États-Unis, mais force est de constater que la réalité sociale et environnementale a très mal évolué là-bas. La crise financière constitue bien sûr un paramètre central, ici et là-bas : les entreprises ont moins d’argent. Changer de comportement, prendre en compte de nouveaux critères est une politique à mettre en place sur le long terme, cela prend plusieurs années surtout lorsque l’on parle de grosses structures. Les changements au niveau du management et de l’organisation sont conséquents et les coûts engendrés également.
1. Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance.
À la lecture des différents articles de ce dossier, on pourrait penser qu'investir dans des produits ISR ne sert à rien tant l'impact sur les entreprises et les États est peu quantifiable. En réalité, tout est dans l'art et la manière.