Trois questions à Pascal Canfin, député européen et vice-président de la Commission spéciale Crise financière et économique
FINANcité D’où vient cette idée de « Greenpeace de la finance » ?
Nous déplorons qu’en matière financière il n’existe pas de contre-pouvoirs tels qu’il en existe en matière environnementale ou sociale.
Les banquiers sont les seuls à faire entendre leurs arguments auprès des députés qui sont amenés à voter des lois sur la régulation
du monde financier. Nous pensons que cela peut être dangereux pour la démocratie.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
Nous sommes 21 eurodéputés chargés de la régulation financière à avoir pris l’initiative. Aujourd’hui, 150 autres députés nationaux et
européens nous ont rejoints. En septembre, nous organiserons trois tables de travail auxquelles les syndicats et les ON G seront
invités. Le but de ces tables est de donner corps à l’idée. Idéalement, nous voudrions engager 5 ou 6 personnes expertes. Leur rôle
serait, d’une part, de suivre les textes des directives actuellement en préparation ou dont la sortie est prévue en septembre et en janvier
et, d’autre part, de fournir une véritable contre-expertise pour mener un vrai travail de lobby auprès des législateurs européens.
Il faudrait également engager 2 ou 3 personnes pour faire de la communication et rendre compréhensibles des textes hautement
techniques, mais aussi pour être le relais des experts vers les banques et exiger d’elles qu’elles se comportent de manière
responsable.
Quelle est la suite ?
Les rencontres de septembre vont permettre de se mettre d’accord sur la démarche à entreprendre. Comment concrètement allonsnous
organiser ce Greenpeace de la finance ? Il reste notamment la question du financement de ces personnes amenées à y travailler.
Est-ce aux législateurs qu’il revient de financer ce contre-pouvoir ?
Plus d’infos sur www.finance-watch.org
NDLR : Aux USA, American for financial reform est un lobby de la société civile visant à réformer le système bancaire américain.
(http://ourfinancialsecurity.org)
Le crédit à visage humain
En 1960, pour la population noire d’Afrique du Sud, la coupe est pleine. Le régime de l’apartheid, centré sur la ségrégation raciale, doit s’arrêter. À Sharpeville, une foule compacte scande des slogans contre le gouvernement. Ils sont entre 3000 et... 20 000 ! Tous noirs. La police, arrivée d’urgence sur les lieux, abat 69 personnes et en blesse 186. Le monde commence à réaliser qu’il faut remédier à la situation en Afrique du Sud. (1)
Le mouvement anti-apartheid appelle la communauté internationale à retirer ses investissements des entreprises présentes en Afrique du Sud. En Belgique, ce boycott lance la réflexion sur l’usage de l’épargne et la solidarité financière.
La croissance par le social
C’est dans ce contexte qu’en 1984, les associations Justice et Paix et Vivre ensemble créent la coopérative Crédal (pour crédit alternatif). En y plaçant leur argent, les coopérateurs choisissent un rendement moral, social et non financier puisque les intérêts sont faibles, voire nuls. Crédal soutient uniquement, par des prêts à taux très modérés, des initiatives luttant contre l’exclusion sociale (avec priorité à l’emploi) et participant à une société plus solidaire. Elle accorde son premier crédit en 1985.
Ça marche !
Investir ou épargner, emprunter ou simplement être conseillé. L’activité de Crédal est multiple et s’adresse tant aux particuliers, qu’aux indépendants, aux ASBL et aux entreprises. Depuis 2005, Crédal dispose également d’un service répondant aux besoins des femmes entrepreneures. En 2009, Crédal a octroyé près de 700 crédits. Ses clients représentent 4130 travailleurs et le crédit aux particuliers a permis la création ou l’accès à l’emploi pour 279 personnes ! Vingt-cinq ans après son premier prêt, Crédal, loin de la logique
de la croissance par la croissance, est la preuve que l’argent peut servir la société au lieu de la soumettre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes...
1. Lacroix Patricia, Biographie de Crédal, avril 2009, p. 3.
Repenser le système financier ensemble !
En bref
- La société civile ne laisse pas la finance à la dérive.
- Elle lance les états généraux de la finance responsable et solidaire.
Pendant des années, l’inaction de la société civile a laissé le champ libre au développement de modèles affairistes nourris par l’exaltation du profit et du chacun-pour-soi. C’est que changer de système implique également que l’on change de comportement. Le grand mot d’ordre actuellement est « régulation ». Les gouvernements, soumis au système financier dominant, sont contraints d’agir sur le court terme. Et jusqu’à présent, les États ne proposent pas de changements mais des évolutions du système. C’est pourquoi, fin 2008, le Réseau Financement Alternatif a proposé au monde associatif, aux coopératives et autres sociétés à finalité sociale, aux mutuelles, aux grands mouvements religieux et philosophiques, et aux syndicats de rassembler leurs forces pour réfléchir à un modèle financier alternatif, fondé sur la responsabilité et la solidarité.
Les gens sont prêts à agir
Beaucoup font de la finance solidaire sans le savoir ! Il suffit d’ouvrir les pages d’un magazine pour se rendre compte de l’intérêt croissant pour un système plus participatif. Cette prise de conscience s’inscrit dans le champ plus large de la démocratie participative, de la mobilité douce, de la vague bio, du commerce équitable, des circuits courts... Mais aussi les systèmes d’échanges locaux (SEL),
les groupes d’achats collectifs, les projets éoliens citoyens, les créations de coopératives pour gérer de manière plus démocratique
l’accès aux produits et aux services. Autant d’initiatives qui, bien que marginales face au poids de la finance mondiale, montrent que
le terrain est mûr pour faire émerger de nouvelles initiatives sociales.
Les défis
La finance solidaire, c’est quoi ? L’éducation est le premier défi à relever pour sortir du discours unique. Il s’agit d’outiller et de former le monde éducatif pour que tous comprennent les tenants et aboutissants de la finance solidaire.
Où trouver les bons produits ? L’accès aux investissements éthiques et solidaires est encore très flou pour le grand public. Faciliter cet accès est une étape essentielle pour permettre au citoyen qui le souhaite de modifier ses comportements en matière d’investissement.
Comment avoir confiance ? Il s’agit de lancer un plaidoyer citoyen pour le contrôle de l’argent que nous confions à des tiers via les produits d’épargne/investissement, mais aussi via les produits d’assurance ou l’impôt. L’objectif est d’éviter que le moindre euro soit encore investi dans des activités nuisibles pour l’homme ou l’environnement et, ainsi, favoriser, au travers de l’activité financière, une plus grande responsabilité sociale et environnementale des entreprises et des États.
Quelles garanties légales pour l’ISR ? La loi doit encadrer l’investissement socialement responsable, il en va de l’intérêt de tous. L’ISR pour tous ? Trop de Belges n’ont toujours pas accès aux services bancaires de base. Il s’agit de permettre à chacun d’accéder à et d’utiliser des services et produits financiers, disponibles sur le marché classique, qui soient adaptés à ses besoins et qui lui permettent
de mener une vie sociale normale.
La finance dans tous ses états
Les états généraux de la finance responsable et solidaire veulent dégager des actions concrètes. Ils seront rythmés par des animations
visant à faire comprendre aux participants à quoi sert l’argent solidaire, par des réflexions d’experts autour de l’économie et de l’intérêt général, par l’intervention des syndicats et des principaux partis politiques belges et par la présentation d’un manifeste sur la finance solidaire.
À part les banques et l'État (encore que...), tout le monde est conscient de la nécessité de repenser le système financier. Il faut maintenant se mettre d'accord sur la façon de le faire. C'est toute la motivation politique d'un événement tel que les états généraux de la finance responsable et solidaire.
Un jus de finance pressée s.v.p. !
En bref
- Lobbies de la société civile versus lobbies du secteur privé.
- Un registre des lobbies existe.
- La société civile parle de ce registre comme d’un échec.
Aujourd’hui, en moyenne 30 à 40 % de l’ensemble des lois nationales en vigueur au sein des 27 États membres de l’Union européenne sont issues de la législation européenne (1). C’est à la Commission qu’il appartient de proposer et de développer ces nouvelles législations qui seront votées au Parlement européen.
Au fil du temps, la Commission européenne s’est entourée de plus de 1000 groupes d’experts appelés à la conseiller dans l’élaboration des directives. Parmi ceux-ci, 21 groupes la conseillent directement sur la régulation des finances. Neuf de ces comités sont issus de l’industrie financière, huit des États membres, un de la société civile, et un du
corps académique. Mais il reste deux groupes dont la composition n’a toujours pas été divulguée par la Commission (2). Tous ont pour
point commun de faire du lobby, c’est-à-dire de chercher à influencer les législateurs dans leur travail. La Commission européenne, le
Conseil des ministres et le Parlement européen sont leurs cibles privilégiées. Ces lobbyistes accèdent au grade d’expert lorsque la Commission le décide.
L’expertise à sens unique
La Commission choisit des représentants du secteur privé en argumentant que la finance est un domaine qui requiert une expertise particulière, que le secteur bancaire est seul à pouvoir apporter, explique Natacha Cingotti, collaboratrice pour la coalition Alter-EU (Alliance pour la transparence du lobbying et des pratiques d’éthique en Europe). Cette ONG regroupant 160 groupes de la société civile, syndicats et universités combat depuis 2006 l’influence croissante exercée par les lobbyistes du monde des affaires sur les décisions politiques dans l’Union européenne. Elle dénonce ainsi la législation sur la supervision
financière en cours d’adoption : cette législation, initialement prévue pour sortir la population européenne de la crise financière de 2008, a été rédigée par ceux-là mêmes qui sont en grande partie responsables de la crise. Jacques de La Rosière, bras droit du PDG de PNB Paribas est à la tête de ce groupe, accompagné de 7 experts dont 3 viennent du secteur privé (Lehman Brothers, Goldman Sachs, Citigroup).
Qui influence qui ? Avec quels moyens ?
En 2008, sous la pression de la société civile, la Commission européenne décide de lancer un registre censé identifier l’activité des
lobbies. Ce registre (3) classe les inscrits selon quatre catégories : les consultants professionnels et les cabinets d’avocats ;
les lobbyistes internes et les associations commerciales ; les ONG et les think thanks et « A utres ». Deux ans plus tard, la Commission
présente ce registre comme une réussite pour la transparence du secteur. Du côté de la société civile, on parle plutôt d’échec : ce
registre a été créé pour identifier qui influence qui et avec quels moyens. Le problème est qu’il n’est pas obligatoire. Conséquence : très
peu de lobbies l’ont signé. De plus, il n’existe aucun mécanisme de vérification des données contenues, et les dernières informations disponibles remontent pour la plupart à 2008. La Fédération européenne des banques a ainsi déclaré le plafond maximum déclarable, soit
1 million d’euros. Qui nous dit que si le plafond était de 2 millions, elle n’en aurait pas déclaré autant ? La Commission offre la possibilité de porter plainte contre un lobby dont on peut prouver que le budget est excessif. Mais ce mécanisme a pour seul effet d’exclure le lobby poursuivi du registre de la Commission.
1. Haar Kenneth, Vassalos Yiorgos, Rowell Andy, Spinwatch, « B anking on the bankers – regulation and the financial crisis », Bursting the Brussels Bubble, Alter-EU, 2010, p. 88.
2. William Dinan, Spinwatch and Erik Wesselius, « B russels – a lobbying paradise ? », Bursting the Brussels Bubble, Alter-EU, 2010.
3. Le registre et le mécanisme de plainte sont accessibles sur le site de la Commission européenne (http://europa.eu/
lobbyists/interest_representative_registers/index_en.html.
Les dernières victoires des lobbies industriels Aux États-Unis, la réforme du secteur financier votée ce 15 juillet par le sénat aurait pu légitimement être plus musclée a déclaré John Taylor, président de l’organisation National Community Reinvestment Coalition, qui défend les intérêts des citoyens face au lobby bancaire. Tout d’abord, la taxe qui aurait permis de lever 19 milliards de dollars pour garantir un fonds de liquidation a été supprimée. Ensuite, la loi prévoyait initialement que les banques ne puissent plus investir leurs fonds propres dans des marchés à risque. Les banques ont finalement obtenu de pouvoir investir jusqu’à 3 % de leurs fonds propres dans ces activités. Aux États-Unis toujours, le puissant lobby des armes, la National Rifle Association, a félicité le 28 juin dernier la Cour suprême pour son choix de limiter les restrictions à la possession des armes à feu. Une aberration pour la Bradly Campaign qui milite à l’inverse pour un durcissement des limitations et selon laquelle plus de 200 millions d’armes à feu sont en circulation pour 300 millions |
Ils sont omniprésents, ont un carnet d'adresses bien rempli et auraient le pouvoir de changer les lois. Pourtant, personne ne sait vraiment qui ils sont ni pour qui ils travaillent...
Aux larmes citoyens !
[ Sur la base d’un entretien avec Jean Puissant, écrivain et ancien professeur d’histoire à l’Université libre de Bruxelles.]
En bref
- Les mouvements citoyens comblent le vide laissé par l’État.
- Ils se construisent autour d’un projet politique, d’une autonomie financière, et d’une émotion partagée.
Plus les sociétés se sont institutionnalisées, plus les mouvements citoyens se sont développés. Au sens propre du terme, ce sont les révolutions française et américaine de la fin du XVIIIe siècle qui traduisent la notion de citoyenneté. À dater de ces événements, les individus existent juridiquement et sont égaux devant la loi.
Combler le vide
L’apparition des sociétés parlementaires et représentatives devait permettre aux citoyens d’exprimer leur volonté au travers des
institutions politiques. Une liberté relative puisque, dans tous les cas, la représentativité des élus (députés et sénateurs) est restreinte
à un nombre limité de citoyens. Le mouvement citoyen réunit donc des individus qui ne se sentent pas correctement représentés au niveau politique. En Belgique, les partis politiques sont les premiers à se constituer en mouvements citoyens en réaction à la nouvelle monarchie constitutionnelle et représentative. Le XIXe et le XXe siècle voient les libéraux et les catholiques s’affronter au sujet de la place de l’Église au sein de l’État et sur la question scolaire. Les questions de l’universalité des droits (rappelons que les femmes n’accèdent
au suffrage législatif qu’à partir de 1948 !) et des conditions de travail sont essentiellement portées par les socialistes. L’ensemble des interrogations qui traversent la société belge se pose avec, en toile de fond, la question des langues et de l’émancipation féminine.
Une balle dans le pied ?
Le mouvement citoyen veut s’exprimer en dehors de toute institution (juridique, militaire, ou ecclésiastique). La réalité démontre que
l’État a tendance à l’encadrer. S’ils sont devenus de véritables institutions d’un point de vue social, les partis politiques ne le sont pas d’un
point de vue juridique. Ils n’existent que par les subventions qui leur sont accordées et sont aujourd’hui encore absents de la Constitution. Les organisations non gouvernementales (ONG) font leur apparition à la fin du XIXe siècle. Elles sont également subventionnées, pour la plupart, par l’État. La Croix Rouge de Belgique, qui était au départ (1864) indépendante, est depuis 1981 auxiliaire des pouvoirs publics et perçoit à ce titre des subsides des entités fédérale et fédérées. D’autres associations, parmi les plus contestataires, cherchent à obtenir des subventions de ceux qu’ils contestent pour développer leurs activités. Un paradoxe qui explique en partie que les mouvements citoyens soient moins présents dans les pays autoritaires où l’État ne comprend pas comment un pouvoir peut subventionner sa propre critique.
De l’argent,de la politique et de l’émotion
Parallèlement aux partis politiques, les syndicats, mutuelles et associations prennent part aux revendications sociales. Dès 1906, la première convention collective belge est signée dans le secteur du textile. Si les périodes suivant les deux guerres mondiales renforcent la cohésion des citoyens, l’internationalisation des échanges financiers, les migrations politiques, les bouleversements climatiques mais aussi les exigences nationales (économiques et démographiques) font naître des revendications nouvelles (1). En 1961, Amnesty International entame le combat contre les atteintes aux droits humains, Greenpeace naît dix ans plus tard d’une protestation contre les essais nucléaires du gouvernement américain en Alaska, le mouvement altermondialiste se développe dans les années 1980 avec comme objectif premier la lutte contre la dette du tiers-monde. En 1996 à Bruxelles, la Marche blanche à la suite de l’affaire Dutroux remet en cause toutes les institutions politiques et judiciaires du pays. Mobilisation citoyenne historique de par son nombre de participants, elle rapelle que le facteur émotif est nécessaire pour réunir mais ne suffit pas pour perdurer. De fait, si l’indignation nationale permit de réunir 300 000 personnes en une fois, le mouvement issu de la Marche blanche disparut sitôt l’émotion retombée. Le mouvement prend sens lorsqu’il s’organise sur le plan financier et politique, et qu’il réussit à canaliser les frustrations et motivations des uns et des autres vers une avancée collective.
1. Gubin Éliane, Étude approfondie d’histoire politique de la Belgique contemporaine, Presses Universitaires de Bruxelles, 6e édition, 2005, p. 94.
L'internationalisation des échanges financiers, les bouleversements climatiques, les migrations et renversements politiques feront naître de nouveaux mouvements citoyens.
Du mouvement citoyen à la décision politique
En bref
- Des initiatives éthiques et solidaires existent depuis longtemps.
- Elles doivent maintenant être reconnues juridiquement.
Il existe une finance réelle, soumise à l’intérêt général qui voudrait traiter tout produit financier non plus uniquement sous l’angle de la rentabilité financière mais en y adjoignant des considérations éthiques et de solidarité.
De l’éthique...
Ces notions d’éthique et de solidarité appliquées à la finance ne datent pas d’hier. Historiquement, l’éthique est d’abord essentiellement
religieuse. Après la crise de 1929, des congrégations religieuses protestantes ont créé des fonds exempts d’actions de firmes touchant aux domaines de l’alcool, des jeux de hasard, du tabac et de l’armement. Ces actions étaient qualifiées d’« actions du péché ». Plus tard, les mouvements citoyens des années 1970 ont donné naissance à une véritable conscience publique au sujet des problèmes sociaux, environnementaux et économiques.
… à la solidarité
La composante solidaire est née au XIXe siècle. Des ouvriers se sont associés en coopératives pour avoir accès à des biens de première nécessité tels que le pain, qu’ils voulaient acheter de qualité et à un prix juste. En Allemagne, le bourgmestre Raiffeisen crée
une coopérative pour aider les agriculteurs à conserver leurs biens. Au tout début, l’association achète le bétail nécessaire pour le
céder ensuite aux exploitants sur plusieurs années et à un taux modéré. Ce modèle va évoluer jusqu’à devenir une caisse de crédit
où les débiteurs doivent devenir membres de l’association pour emprunter. La deuxième forme de crédit populaire est davantage urbaine. Dès 1864, apparaissent en Belgique des banques populaires et des associations de crédit mutuel, puis des sociétés d’assurance et d’épargne. Elles ont comme objectif de permettre l’accès au crédit des couches sociales moyennes ou populaires,
restées étrangères au développement de la banque dans le deuxième tiers du XIXe siècle. La Prévoyance sociale, Coop-Dépôts (CODEP ), les Assurances populaires, la Coopérative ouvrière de banque (COB ), qui deviendra ensuite la BACOB, en sont quelques exemples. En 1850, les pouvoirs publics créent une caisse générale de retraite (2), auprès de laquelle des personnes prévoyantes peuvent se constituer une petite pension pour leurs vieux jours, au moyen de versements volontaires, sous garantie de l’État.
Aujourd’hui
Les banques publiques ont disparu en Belgique, notamment sous l’impulsion de la Commission européenne qui souhaitait davantage de concurrence au sein du secteur financier. La BACOB a disparu en 1997, rachetée par Paribas Belgique. La CGER a été absorbée par
Fortis puis par BNP Paribas Fortis... À la suite de la disparition des banques publiques, l’inclusion financière ne pouvant plus être garantie, la loi sur les services bancaires de base a été votée en 2003. Elle interdit à toute banque – sauf dans quelques cas restrictifs –
de refuser l’ouverture d’un compte bancaire à un client. Depuis 2009, un Belge qui investit dans une organisation de microfinance à le droit de déduire son investissement de ses impôts.
En matière d’investissement socialement responsable, la loi interdit l’investissement direct ou indirect dans les mines antipersonnel,
les armes à sous-munitions et à uranium appauvri. Une proposition bien plus large est sur la table, celle de la norme légale en ISR.
Elle prévoit qu’un produit financier ne pourra être qualifié d’« éthique » ou de tout autre qualitatif du genre que s’il n’investit pas dans des
États ou des entreprises qui ne respectent pas les conventions internationales auxquelles la Belgique adhère. Mais le gouvernement n’a
toujours pas donné suite.
Des avancées législatives sont nées en matière de finance éthique et solidaire, mais elles restent minces face à l’ampleur du chantier. Preuve s’il en est que le citoyen, soutenu par la force du nombre, a encore de nombreux domaines d’action à investir.
1. D’après Bayot Bernard, « Finance : l’éthique et la solidarité en prime », dans Démocratie, 15 décembre 2009.
2. Elle deviendra quelques années plus tard la Caisse générale d’épargne et de retraite (CGER).
L'idée que la finance doit être éthique et solidaire devient une évidence, mais peu d'initiatives citoyennes ont obtenu aujourd'hui un cadre légal.
FINANcité Magazine n°19 : La démocratie sous influence
L'agriculture paysanne à portée de main
En bref
- Les circuits courts évitent les intermédiaires.
- Aubaine pour les agriculteurs et les consommateurs.
Interview d’Alexandre Dewez, coordinateur du réseau bruxellois des groupes d’achat solidaires de l’agriculture paysanne (GASAP), de l’asbl Le Début des Haricots.
FINANcité Magazine : D’où provient le modèle des groupes d’achat solidaire et quelle est leur finalité ?
Alexandre Dewez : Les GASAP sont des groupes d’achat solidaire de l’agriculture paysanne. C’est le modèle de l’agriculture contractuelle de proximité. Ce modèle a été développé dans les années 70 aux États-Unis et au Canada. C’est donc un modèle d’agriculture soutenue par la communauté. Actuellement, il existe au niveau bruxellois un réseau composé de 30 groupes d’environ 20 ménages chacun. Ce réseau est né en 2006 avec le premier GASAP. À la base, il s’agit d’un réseau informel, bénévole et citoyen qui entend soutenir le modèle d’agriculture paysanne. On parle ici de circuit court car les intermédiaires sont supprimés entre le producteur et le consommateur.
Quel type de contrat lie les consommateurs aux producteurs ?
Un contrat d’engagement de solidarité est écrit entre les consommateurs et le producteur. Ce contrat, d’une durée minimum d’un an, stipule qu’un consommateur s’engage à acheter un certain volume de production pour au moins quatre saisons. Cette production sera donc composée de légumes de saison locaux. Ce contrat de solidarité implique également un partage des risques. Si le producteur se
trouve dans l’incapacité d’assurer la livraison du volume alimentaire convenu, le consommateur paiera quand même la somme due. Inversement, si le consommateur n’est plus en mesure de payer la production prévue par le contrat, il ne la paiera pas et recevra quand même ses produits. Il s’agit donc d’un préfinancement pour les producteurs. Certains d’ailleurs refusent ce préfinancement, car ils se sentent redevables. D’autres producteurs le préfèrent, car cela leur permet de réinvestir plus facilement dans l’exploitation agricole. Ce financement relève davantage du symbolique, c’est une preuve d’engagement, de confiance accordée aux producteurs.
Quels en sont les avantages directs ?
Le premier avantage direct est la suppression de l’intermédiaire. Le bénéfice est partagé entre le producteur et le consommateur : le consommateur va pouvoir accéder à des produits artisanaux de très haute qualité issus de l’agriculture biologique à un prix moins élevé que dans un supermarché ou chez un autre distributeur. Le producteur y gagnera également puisque, ne passant plus par un grossiste ou par un distributeur (supermarché ou épicier), il récupèrera la marge bénéficiaire du ou des intermédiaires. Autre avantage de taille pour le producteur : la garantie de vendre un certain volume de production pendant au moins un an. En établissant une relation de confiance, le producteur pourra également fidéliser sa clientèle.
Quelles différences avec la grande distribution?
Elle imposera des prix de base peu avantageux pour le producteur pour dégager le bénéfice nécessaire pour rétribuer ses actionnaires et couvrir ses frais de fonctionnement interne. De plus, la grande distribution ne garantit pas qu’elle va continuer à acheter au même prix et de manière régulière. Il y a donc une précarité dans la collaboration avec la grande distribution.
Les circuits courts sont-ils un modèle durable ?
À partir de deux hectares en culture maraichère bio, une famille peut vivre correctement sans subvention. La plupart des agriculteurs belges exploitent 80 hectares et ne s’en sortent pas alors qu’ils reçoivent des subventions. Il est évident que les États européens auraient grandement intérêt à mettre en place un système de politique agricole paysanne avec de petites exploitations. De l’emploi serait créé, cela protègerait l’environnement, relancerait l’économie et stabiliserait complètement le système.
Alors que les emplois de la grande distribution sont précaires, le modèle des circuits courts solidaires apporte une sécurité aux futurs producteurs locaux en leur offrant des garanties d’avenir. Il a fallu 50 ans pour détruire ce modèle agricole paysan. Le remettre en place prendra donc de nombreuses années.
Plus d’infos sur cette alternative ou pour trouver un GASAP,rendez-vous sur www.haricots.org/gas ou www.gasap.be
Les accordeurs du QuébecLes systèmes d’échange locaux (SEL) se développent de plus en plus dans notre pays. Ils permettent à des personnes de s’échanger des services. Le moyen de paiement n’est pas l’argent mais le temps. Ainsi, consacrer une heure de son temps à donner un cours de piano permettra d’être crédité d’une heure qui pourra à son tour être utilisé pour un autre service. Ces SEL sont de beaux exemples de solidarité entre personnes mais on leur reproche parfois d’échapper à la mixité sociale. Rares sont les personnes à bas revenus qui les fréquentent. Les Québécois ont déjoué cet écueil en créant les Accorderies. Le projet qui s’apparente à un SEL classique est complété par des services d’intérêt général dont peuvent profiter l’ensemble des Accordeurs. A Québec, il s’agit d’un service d’achat groupé de produits alimentaires bio et d’un système de crédit solidaire. Ces services permettent notamment aux personnes défavorisées d’obtenir des crédits qu’elles ne peuvent obtenir par ailleurs et d’avoir accès à des produits de qualité moins chers grâce à l’achat groupé. Enfin, il n’y a pas de bénévolat au sein de ces Accorderies. Tout travail effectué au sein de l’association est rémunéré en crédit temps et est « facturé » à ceux qui bénéficient du service collectif. |
Privilégier les circuits courts offre une stabilité économique aux agriculteurs et des produits de qualité à des prix abordables aux consommateurs.
Le commerce équitable est-il la solution ?
Interview croisée : 3 questions à
LAURENT VEREYLESONNE
FINANcité : Les producteurs labellisés Max Havelaar ressentent-ils la pression que la grande distribution fait subir à ses producteurs ?
C’est tout le but du commerce équitable que d’éviter cette dérive. Notre but est que la pression de l’économie de marché n’écrase pas les producteurs et les fournisseurs. Qu’ils soient vendus ou non en grande surface, les produits Max Havelaar garantissent ce respect.
Avez-vous vendu votre âme au diable en acceptant de vous plier aux règles commerciales de la grande distribution ?
Nous voulons changer l’économie, mais nous voulons le faire avec les acteurs existants. Les producteurs du Sud nous demandent d’avoir un accès le plus large possible aux consommateurs. Comme nous voulons changer le commerce à grande échelle et faire en sorte que le commerce équitable devienne une norme minimum du commerce international, la collaboration avec la grande distribution est nécessaire.
Quel regard portez-vous sur les circuits courts ?
Le fait de consommer des produits issus du local est positif. Si les gens veulent encourager les circuits courts et aller dans des boutiques spécialisées, c’est bien entendu tout à leur honneur. Le fait est que la majorité n’y va pas. C’est pourquoi nous avons intégré les rayons des grandes surfaces.
CHRISTIAN JACQUIAU
FINANcité : Que reprochez-vous à la grande distribution ?
Je lui reproche son évolution. Au départ, en 1945, la grande distribution avait pour vocation de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs. Aujourd’hui, les intermédiaires ont disparu et les centrales d’achat sont devenues libres de dicter leurs règles. On est passé d’un modèle de commerçant à un modèle de spéculateur. Certains produits labellisés « équitables » se trouvent aujourd’hui en grandes surfaces.
Qu’en pensez-vous ?
Au départ, les produits du commerce équitable sont arrivés par des pétitions d’organisations exigeant les produits équitables dans les supermarchés. La démarche était politique et citoyenne. Le but était de contaminer les autres produits pour arriver in fine à ce que tous les produits soient équitables. La grande distribution à d’abord refusé. Puis, elle s’est rendu compte qu’il y avait un marché. Du coup, elle a introduit les produits du commerce équitable.
Que préconisez-vous pour responsabiliser la grande distribution ?
La grande distribution fonctionne selon un système ultralibéral. Le but est de faire de l’argent à court terme. Il n’est pas question de responsabiliser la grande distribution. Ce n’est pas son objet. Ce qu’il faut, c’est encourager les alternatives à la grande distribution et aller vers des circuits courts.
Trois questions : à Laurent Vereylesonne, manager du commerce de détail chez Max Havelaar à Christian Jacquiau, économiste français auteur de « Les coulisses du commerce équitable », aux éditions Milles et une nuits, paru en 2006.
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