En bref :
- La demande en eau explose tandis que son offre se raréfie.
- Catastrophe pour les uns, opportunité d'investissement pour les autres.
- Les fonds spéculatifs liés au secteur de l'eau ont fait leur apparition.
L'eau est une ressource naturelle qui semble inépuisable. Cependant, sa qualité, sa quantité et sa disponibilité tendent à diminuer. Ce qui pourrait s'avérer une catastrophe pour les conditions de vie de milliers de personnes est, au contraire, une opportunité pour les investisseurs. Pour eux, la rareté de l'eau aura pour conséquence l'explosion des demandes en vue de réaliser les travaux d'infrastructure pour son extraction, sa distribution, son transport et son recyclage. Le pétrole est passé de mode. Après l'or noir et la vague verte(1), c'est désormais dans le secteur de l'or bleu qu'il faut investir.
La quantité d'eau sur Terre est estimée à 1,400 millions km3. Cependant, 97 % de l’eau est salée, contenue dans les mers et les océans. Le circuit de l'eau est fermé et les quantités devraient donc rester stables, mais il semble que, malgré la régénération, les réserves en eau douce s'amenuisent.
À côté de cette diminution des ressources, la demande augmente de manière vertigineuse. D'après le Fonds des Nations unies pour la population, la consommation mondiale d'eau double tous les vingt ans. En cause, la pression démographique, l'augmentation des besoins des ménages dans les pays émergents, ainsi que les besoins industriels et agricoles qui y sont liés.
Cette tension entre l'offre et la demande amène les investisseurs à considérer le secteur de l'eau comme une opportunité d'investissement. Ce n'est cependant pas avec l'eau en tant que telle que les investisseurs comptent s'enrichir, mais bien avec son marché (les infrastructures et les services qui y sont liés). Ce marché est estimé à 500 milliards de dollars et a connu, en 2010, une très belle croissance (6 à 8 % dans les pays industrialisés et 10 à 15 % dans les pays émergents). L'Organisation mondiale de la santé estime, quant à elle, que chaque dollar investi dans le marché hydraulique rapporte entre 3 $ et 4 $.
Investissement public et/ou privé
Les besoins en investissement sont si importants que le secteur public ne peut les assumer seul. Selon la Banque mondiale, 15 % des infrastructures sont à l’heure actuelle financées par des fonds privés et cette évolution tend à s’accentuer. Les premiers fonds d'investissement thématiques liés au secteur de l'eau se sont développés au cours des dix dernières années. Le premier, Pictet water fund, est né en 2000. Ces fonds investissent à la fois dans des entreprises actives dans la construction d'infrastructures pour le traitement, le transport et les technologies de désalinisation, mais également dans des actions et obligations de services publics de distribution d'eau. Les entreprises présentes dans ces fonds peuvent être d'immenses conglomérats, qui n'ont parfois plus grand-chose à voir avec le secteur de l'eau(2).
Certains de ces fonds prennent en compte des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance, ce qui leur vaut d'être classés dans les fonds éthiques,mais il existe également de nombreux fonds spéculatifs liés au secteur de l'eau (3).
Investissement ou spéculation(4) ?
Les produits dérivés sont venus s'adosser à ces investissements en obligations ou en actions. Il y a une dizaine d'années, sont apparus les ET F (Exhanged traded funds) ou trackers. Il s'agit de fonds indiciels cotés en Bourse qui répliquent la performance d’un indice boursier fondé sur un panier de valeurs : devises, obligations ou matières premières telles que le pétrole, les céréales... ou l’eau. Plusieurs de ces fonds prennent pour référence l’index de Standard & Poor’s (S&P Global Water Index) qui suit les rendements financiers d’une vingtaine de sociétés, parmi lesquelles le géant Veolia. Les ET F présentent plusieurs avantages pour l'investisseur pressé. Ils peuvent répliquer simplement et quasiment parfaitement la performance d'un indice sans devoir acheter des actions de toutes les entreprises qui forment cet indice. Les ET F sont cotés en temps réel, contrairement aux autres fonds qui ne sont cotés qu’en fin de journée. Ils sont donc idéaux pour les investisseurs désireux de faire des bénéfices sur les mouvements à court terme. Enfin, les frais de gestion sont réduits puisqu'il n'y a pas de droit d'entrée à payer. Face à ces avantages, le nombre de trackers par rapport aux autres produits financiers a littéralement explosé. Mais, comme d’autres produits financiers, ces ET F se sont complexifiés au point de devenir de moins en moins transparents. Rien ne permet de dire que les investissements dans les produits dérivés liés au secteur de l'eau aient un impact quelconque sur le prix de l'eau en tant que tel. Cependant, que se passera-t-il si l'investissement dans l'or bleu est la nouvelle bulle spéculative dont l'éclatement entraînera la chute des entreprises actives dans ce secteur ?
Que se passera-t-il si le marché de l'eau passe entièrement aux mains du privé. On peut se demander ce qu'il en sera alors des investissements dans les pays pauvres, où le revenu par habitant est minime. Autant d'éléments qui plaident pour que les pouvoirs publics acquièrent les compétences nécessaires et veillent à contrôler le rôle des investisseurs privés, notamment à travers un cahier des charges stricts.
1. Le secteur des énergies renouvelables.
2. Siemens est souvent présent dans les fonds thématiques liés à l'eau, bien que le pourcentage de son chiffre d'affaires lié à ce secteur soit très faible.
3. À titre d'exemple, le fonds de Pictet vérifie la « politique des entreprises sur la corruption » et exclut « le secteur de l’eau en bouteille pour des raisons éthiques et environnementales. Les bouteilles d’eau minérale sont trop chères pour être une solution de masse dans les pays émergents,et la fabrication et le recyclage des bouteilles ont un impact environnemental problématique. »
4. Plusieurs éléments sont tirés de l'article de Mennig, M., Fonds d’investissement et lobbies de l’or bleu, dans Défis Sud, n 102, août, septembre 2011.
Investir dans l'eau est aujourd'hui indispensable pour tenir les Objectifs du Millénaire et permettre la survie de notre planète. Mais entre investissements durables et indispensables et enrichissement de quelques-uns sur le dos d'un bien commun, où se situe la limite ?