En bref :
- Le DMAE est une entreprise publique de gestion d'eau.
- Il est novateur par le contrôle citoyen, la tarification sociale et les réinvestissements.
- Grâce à lui, 99,9 % des habitants de Porto Alegre ont accès à l'eau.
La ville de Porto Alegre est connue mondialement pour avoir accueilli, en 2001, le premier Forum social mondial réunissant la société civile internationale, en réaction au sommet de Davos, où les plus nantis de notre planète se rassemblent annuellement, moyennant un ticket d'entrée valant de 50 000 € à 120 000 € par personne. Porto Alegre, la dixième ville en importance de population au Brésil, compte environ un million et demi d'habitants dont les 100 % ont accès à l'eau potable(1) et 87,7 % disposent (en 2011) d’une évacuation des eaux usées. Ce taux de couverture exemplaire occulte une réalité bien différente dans les autres grandes villes du Brésil. Son secret : une entreprise publique pour la gestion de l'eau, le DMAE (Département municipal de l'Eau et des Égouts). Ce n'est pas uniquement le caractère public de cette entreprise qui en fait un fleuron au niveau national et international, mais bien des mécanismes de gestion interne, de tarification sociale, de réinvestissement automatique des bénéfices réalisés et de participation démocratique originale.
Un tarif social
Les revenus du DMAE sont basés sur la consommation d'eau et non sur une taxe foncière, ce qui lui garantit une certaine indépendance financière. Sa tarification est sociale, car elle est basée sur la consommation réelle des ménages, dans une logique de subventions croisées. Un tarif social, tout d’abord, destiné à des personnes à faible revenu et qui leur donne droit à 10m³ d'eau pour le prix de 4. Ensuite, trois niveaux de tarification en fonction de la consommation d'eau : pour les ménages qui utilisent l'eau pour leurs besoins essentiels (moins de 20m³ par mois), les tarifs appliqués sont subventionnés par les ménages qui utilisent entre 20 et 1000m3 par mois, suivant un tarif augmentant de manière exponentielle. Au-delà de cette limite de 1000m³ par mois, les tarifs sont extrêmement élevés. Les grandes entreprises, les aéroports ou les très riches, gourmands en eau, se situent donc dans cette fourchette et subventionnent l'accès à l'eau pour les plus démunis. Cela permet, en outre, de dégager un excédent de 15 à 25 % sur le budget annuel, qui est directement affecté à de nouveaux investissements.
L'eau des citoyens
Grâce à son indépendance financière, le DMAE a mis en place, depuis plus de 40 ans, un conseil délibératif. Il s’agit d’un organe de contrôle social composé de nombreux représentants de la société mandatés en qualité de superviseurs. Ce conseil assure la transparence de tous les actes administratifs. L'originalité et le caractère novateur du DMAE se situent dans le processus de prise de décision démocratique, mis en oeuvre notamment par le budget participatif à l'échelle de la ville. C'est ce processus participatif qui a tant influencé le DMAE dans sa gestion interne. Les citoyens de Porto Alegre sont amenés à soumettre et voter des requêtes dans ce qui s'appelle le « budget participatif » de la ville. Chaque année, cette assemblée émet des requêtes pour le budget de la ville à allouer l'année suivante. Les requêtes citoyennes, après étude de leur faisabilité technique, sont incluses dans le budget municipal et le DMAE est chargé d'évaluer tout ce qui concerne les travaux liés à l'eau.
Cela ne s'arrête pas là : pendant la durée des travaux, un groupe de citoyens est désigné pour suivre et superviser les entrepreneurs commissionnés. De cette façon, tout le processus est sous « contrôle social », depuis la prise de décisions jusqu'à la finalisation des projets(2).
Tout cela a profondément modifié le DMAE et le concept même de gestion interne, car le personnel et les employés ont dû se mettre à l'écoute de leurs concitoyens et mettre en oeuvre leurs revendications, ce qui a entraîné un changement profond dans leurs modes de gestion. Dès lors, ce sont à présent les citoyens qui débattent des besoins et des investissements futurs, et, lorsque ces derniers sont techniquement viables, ils sont intégrés au budget de l'année suivante.
L'ombre de la libéralisation plane toujours
La ville s'est opposée de longue date à la privatisation des services liés à l'eau, au grand dam des défenseurs des politiques néolibérales imposées dans tout le pays(3). À plusieurs reprises, les prêts pouvant être consentis au DMAE pour l'investissement nécessaire au développement du réseau étaient soumis à la condition d’une politique de libéralisation de l'entreprise, que le DMAE a systématiquement refusée, avec pour conséquence de ne pas toujours trouver le financement nécessaire. Le DMAE aurait pu étendre davantage son réseau s'il ne lui avait pas été impossible, entre 1997 et 2003, d'obtenir un emprunt auprès des banques nationales du crédit, occupées à promouvoir la privatisation du secteur de l'eau au Brésil. À la fin de l'an 2000, le Congrès brésilien présentait une loi pour la privatisation générale de l'eau dans le pays. Le DMAE a décidé d’entrer en résistance et a entraîné un mouvement national contre ce projet qui, pour l'instant, n'a toujours pas abouti. La suite ? L’histoire nous le dira.
1. Données issues du site internet du DMAE : www2.portoalegre.rs.gov.br/dmae.
2. Plus d'informations sur www.partagedeseaux.info.
3. Si la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, est issue d'un parti de gauche (le parti des Travailleurs), la politique économique du pays n'en reste pas moins libérale.
Porto Alegre offre une très bonne qualité de vie et un des meilleurs indices de développement humain du Brésil. L'accès à l'eau et à son assainissement y jouent certainement un rôle.