Mécanismes de flexibilité
Les scientifiques sont formels, nous sommes en grande partie responsables des changements climatiques actuels! La principale cause : les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), principalement dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d'azote, que nous rejetons dans l'atmosphère en quantité exponentielle depuis la révolution industrielle. Mais comment faire pour endiguer cette tendance ? Le protocole de Kyoto, adopté en 1997 et entré en vigueur en février 2005 suite à sa ratification par la Russie, tente d'y remédier en contraignant les pays industrialisés signataires de réduire le total de leurs émissions de GES de 5,2 % par rapport à 1990, pour la période 2008-2012.
Pratiquement, le protocole de Kyoto alloue des quotas d'émission aux pays signataires. Pour faire simple, un quota représente un droit d'émettre 1 tonne d'équivalent CO2, soit une quantité fixe de gaz à effet de serre qui peut être rejetée annuellement par le pays en question dans la période 2008-2012.
La Belgique par exemple devra réduire pour 2008-2012 ses émissions de GES de 7,5 % par rapport à 1990, c'est-à-dire qu'elle aura le droit durant cette période d'émettre annuellement 92,5 % de ses émissions au niveau de 1990. Comme la Belgique émettait 146 millions de tonnes de CO2 en 1990 (transports aérien et maritime exclus), elle recevra 146*0,925= 135 millions de quotas chaque année entre 2008-2012.
Pour réaliser leur engagement, les pays ont le choix des instruments : soit via des "actions domestiques", soit en recourant aux puits de carbone, soit en utilisant les mécanismes de flexibilité prévus dans le protocole de Kyoto (PK). Car l'un des objectifs du protocole est de réduire les concentrations de GES, tout en permettant que le développement économique puisse se poursuivre de manière durable.
Toutefois, il est clairement stipulé que les actions domestiques doivent constituer une part significative de l'effort fourni. Le recours aux mécanismes flexibles vient donc en complément.
Attardons-nous sur les trois mécanismes de flexibilité proposés: la Mise en Oeuvre Conjointe – Joint Implementation Mechanism, le Mécanisme de Développement Propre – Clean Development Mechanism et les droits d'émission négociables – Emission Trading.
La Mise en Œuvre Conjointe et le Mécanisme de Développement Propre consistent à mettre en œuvre des mesures de réduction d'émission dans un autre pays que le sien. Soit dans un pays développé (repris à l'annexe I du protocole), on parlera, dans ce cas, d'un projet de mise en œuvre conjointe; soit dans un pays dit en voie de développement et l'on parlera, alors, d'un projet de développement propre.
L'objectif est double. D'une part, stimuler le transfert de technologies respectueuses du climat ainsi que les connaissances y afférentes et de contribuer ainsi à la lutte contre le changement climatique tout en soutenant le développement des pays les moins favorisés. Et, d'autre part, réaliser les réductions d'émissions là où elles coûtent le moins cher, c'est-à-dire là où, par exemple, se trouvent les installations industrielles les moins performantes sur le plan énergétique.
Ces deux mécanismes permettent au pays initiateur et investisseur du projet d'obtenir des crédits d'émission.
Un exemple : la firme anglaise Rolls Royce qui a conçu un projet permettant de produire de l'électricité à partir de cosses de riz en Thaïlande. L'électricité produite au moyen de cette biomasse permet d'éviter le rejet de 83 000 tonnes de CO2 en moyenne par an. Rolls Royce recevra un crédit d'émission équivalent aux réductions d'émission engendrées par le projet. Intérêt pour Rolls Royce ? Réaliser une réduction équivalente chez elle aurait été plus onéreux, de plus cela permettra à Rolls Royce de compenser l'éventuel dépassement de son quota d'émission sur le territoire national. Intérêt pour la Thaïlande ? Bénéficier d'un transfert de technologie et d’un impact environnemental positif[1].
Bien entendu, ces mécanismes de projet sont réglementés, encadrés et contrôlés par des entités indépendantes et par un organe de contrôle de la Convention climat. Néanmoins, si l'intégrité environnementale du projet est scrupuleusement garantie par le Comité exécutif des Nations Unies, l'objectif de contribuer au développement durable du pays hôte ne fait pas à ce stade l'objet d'un contrôle ou d'une vérification à proprement parler. Elle est laissée à l'initiative de l'autorité nationale du pays hôte. Une simple attestation de sa part suffit.
Le troisième mécanisme concerne, quant à lui, l'échange des droits d'émission négociables. Le protocole de Kyoto prévoit dans son article 17 la mise en place d'un marché international de droits d'émission de gaz à effet de serre qui doit débuter à partir de 2008. Ce marché, qui fonctionnera comme n'importe quelle bourse aux matières premières, permettra l'achat/vente des permis d'émission entre les pays visés à l'Annexe B aux fins de remplir leurs engagements Kyoto.
Le protocole de Kyoto autorise donc les pays à échanger entre eux leurs quotas d'émission en spécifiant toutefois que cette mesure vient en complément des mesures prises au niveau national.
Système européen d’échange de quotas d’émission
Pour s'y préparer l’Union européenne (UE) a ouvert, au 1er janvier 2005, au sein de l'Europe des 25 son propre marché domestique de quotas d'émission (EU ETS – European Union Emissions Trading Scheme- système d'échange de quotas d'émission). L'objectif de l’UE par ce projet interne est clairement de respecter ses engagements Kyoto tout en nuisant le moins possible au développement économique et à l'emploi des Etats membres.
Ce système organise, en effet, l'échange des émissions entre les entreprises[2] issues des cinq secteurs industriels les plus polluants de l'Union européenne (électricité, fer et acier, verre, ciment, papier). Il vise à aider les entreprises à atteindre leurs normes d'émissions de la façon la plus souple et la moins chère qui soit. Ces dernières ont le choix entre réduire leurs propres rejets en investissant dans l'innovation et les technologies plus propres ou en achetant des "droits de polluer" à d'autres entreprises de l'UE ou de pays en voie de développement. Les entreprises devront donc optimiser leur choix en comparant la proportion entre les frais d'investissements et le prix du marché des droits d'émission établi en fonction de l'offre et de la demande.
Que penser de ce marché européen d'échange de droits d'émission ?
Dans son principe, ce système offre aux industriels un maximum de flexibilité et leur permet de réduire leurs émissions à un moindre coût, ce qui, en soi, est favorable et incite à la mise en œuvre d’un comportement climatique responsable, bénéfique pour tous et à tout point de vue à long terme.
Néanmoins ce système d'échange a déjà montré certaines limites et certaines actions ont déjà été envisagées afin de le rendre efficace.
Citons comme préoccupation principale l'allocation des quotas d'émission aux entreprises. En effet, les entreprises se sont vues allouer un surplus de quotas d'émission de CO2 pour la période 2005-2007, ce qui a entraîné la chute des prix du carbone mettant ainsi en péril la crédibilité et l'efficacité du système. Les prix sont passés de 11 à 14 €/t en février 2004 à 7 €/t deux mois plus tard, suite à l'annonce des plans nationaux d'allocation des quotas. Aujourd'hui, le prix oscille autour de 6 €/t. Cette chute de prix n'incite en rien les entreprises à s'orienter davantage vers l'innovation et l'investissement en nouvelles technologies propres. Il faut donc impérativement que le marché donne un prix significatif au carbone. Pour cela une limitation de l'offre en allouant des quotas d'émission plus exigeants s'impose.
Autre préoccupation, les quotas d'émission ont été alloués gratuitement aux entreprises. Ce système d'allocation leur a permis d'accumuler des bénéfices considérables, grâce d'une part à la vente de leur surplus de crédit mais grâce également au fait que les entreprises répercutent le coût de la pollution sur le consommateur final, empochant ainsi un double pactole. Exemple en Allemagne, où l'électricité, en grande partie produite à partir du charbon, a vu ses prix d'électricité durant les heures creuses doublés en deux ans.
Troisièmement, il faudrait inclure dans ce système d'échange d'autres secteurs d'activités économiques, tel que le secteur de la chimie ou celui des transports par exemple, qui est l’un des plus grands responsables des rejets de CO2 dans l'atmosphère.
Terminons en soulignant la problématique de l'échéancier court terme de Kyoto 2008-2012. En effet, de par cet échéancier, à l'heure actuelle ce sont les projets à court terme et les plus rentables qui rencontrent l'intérêt des spéculateurs, et ce au détriment de projets aux perspectives à plus long terme tel l'investissement dans les énergies renouvelables.
Néanmoins, ce système a le mérite d'apporter un début de solution à la problématique extrêmement vaste, complexe et mondiale qu'est le changement climatique. Malgré certaines lacunes, il permet des avancées intéressantes par le biais d'investissement dans la recherche de technologies plus propres, par le transfert de technologies et d'aides à la réduction d'émissions de CO2 dans les pays en voie de développement et en pleine phase de croissance économique. Ce n'est peut-être encore qu'une faible part mais c'est un début! Il faudra néanmoins garder bien à l'œil que ces mécanismes de flexibilité de Kyoto ne peuvent être qu'une aide complémentaire pour atteindre des engagements et ne peuvent en aucun cas supplanter les actions domestiques à mettre en œuvre, dans le cas contraire il faudrait revoir drastiquement les mécanismes de flexibilité dans leur ensemble.
Alexandra Demoustiez,février 2007
Références
§ Mechanisms, Emissions Trading – Kyoto Portocol, http://unfccc.int
§ Le Système Européen d’Echange de quotas d’émission, février 2007, http://www.euractiv.com/fr/developpement-durable/systeme-europeen-echange-quotas-emissions-ets/article-133881
§ Directive 2003/87/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 Octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.
§ Emissions Trading directive a significant step forward, says, NGO’s, CAN, WWF, Greenpeace, RSPB, Friends of the Earth, juillet 2006
§ « Analyse du RAC-F sur le fonctionnement du marché européen de quotas d’émission. L’exemple du laxiste Plan National d’Allocation de Quotas français et propositions de réformes pour l’avenir », RAC-F, septembre 2005
§ « Les économistes européens et le WWF exigent un système d’échange de droits d’émissions plus rigoureux, climat », WWF, novembre 2006
§ « Action 24 : une meilleure solidarité : recourir aux mécanismes flexibles », plan fédéral de développement durable 2004-2008
§ « La grande foire des permis de polluer », extraits the Economist, Courrier International hors-série, octobre, novembre, décembre 2006
[1] IRES- « Le mécanisme pour un développement propre, ou comment faire d’une pierre deux coups », Regards Economiques, janvier 2005, numéro 27.
[2]Pour rappel, Kyoto concerne les pays.
Le protocole de Kyoto prévoit différents mécanismes dits ‘flexibles' afin de permettre aux pays signataires de réaliser leurs engagements à moindre coût économique. Que penser des marchés de permis de polluer ?