Autre réalité, autre logique syndicale
En matière de pensions, la priorité des syndicats est de défendre le « premier pilier » (cf. encadré) géré par l’État. D’un pays à l’autre, la situation diffère, mais, en tout état de cause, les syndicats belges et français sont peu enclins à se mêler du fonctionnement des fonds de pension, considérant comme un piège leur implication dans un système privatisé, fût-ce pour l’améliorer. Les détracteurs des fonds de pension soulignent ce point commun entre
la répartition des cotisations (1er pilier) et la capitalisation (2e et 3e piliers) : comme les retraites, les rentes sont toujours prélevées, au cours d’une année, sur les richesses produites et disponibles au cours de cette même année. Les retraites privées sont donc aussi aléatoires que les retraites publiques ! Dans les pays anglo-saxons et en Amérique latine, les syndicats ont dû faire face, dès les années 80, à la privatisation des pensions orchestrée
par leurs gouvernements. Il s’agissait donc de défendre l’intérêt des travailleurs pour que les gestionnaires des fonds gérant leur future retraite prennent réellement en compte l’intérêt de ces millions d’actionnaires. L’établissement, en 1999, du Comité pour la coopération internationale en matière de capital des travailleurs (CWC) fut un premier pas vers la construction d’une « internationale » des travailleurs actionnaires. Un pas plus
décisif encore fut franchi en 2003, quand le Trade Union Congress anglais (communément appelé le TUC) publia « Working capital », véritable petit livre rouge de l’investissement socialement responsable à l’usage des trustees représentant les travailleurs et leurs organisations syndicales dans les conseils d’administration des fonds de pension.
La boîte à outils du parfait trustee
« Working capital » plaide pour l’intérêt du travailleur actionnaire investissant dans un fonds de pension comme pour l’intérêt du travailleur de l’entreprise financée par ledit fond. Ceci sur la base d’études démontrant que le travail décent améliore la productivité, et que l’intérêt à long terme des « propriétaires de l’argent » implique un « capital patient », investi dans des entreprises durables. Ce manuel préconise aussi de s’engager aux côtés des entreprises financées pour améliorer leur gouvernance et de réserver l’exclusion d’entreprises problématiques au dernier recours. Il propose une méthode de travail avec les gestionnaires de fonds, amenés à voter dans les assemblées générales des entreprises financées. Il s’agit donc de contrôler leur activité. Les trustees affiliés au TUC sont invités à s’allier avec d’autres actionnaires activistes pour faire voter des motions dans les assemblées générales des entreprises, à suivre des formations et à former un réseau.
L’internationale de l’argent pour demain
En 2009, ce réseau de trustees britanniques s’est pérennisé. Il collabore au niveau international avec le CWC. Le site www.workerscapital.org, décline lui aussi une véritable « boîte à outils », disponible notamment en français : activisme coordonné d’actionnaires, campagnes de votes par procuration, méthodes coordonnées pour venir à bout d’irrégularités persistantes au sein des transnationales, investissements ciblés en fonction de besoins prioritaires de l’activité économique.
Via les fonds de pension, les travailleurs sont aussi des actionnaires. A ce titre, ils peuvent agir aussi ! En bref : Petit à petit, à l'échelle globale, les syndicats ont développé une méthode pour orienter les fonds de pension vers des investissements socialement responsables.