BNP Fortis Paribas, Société Générale, Deutsche Bank, Citigroup… quelques exemples de ces méga-banques qui font la pluie et le beau temps à l'ère de l’économie mondiale. À elles seules, elles détiennent plus de capitaux que les PIB nationaux. À tel point qu'on les considère, comme vous l’aurez souvent déjà entendu, « too big to fail » (voir lexique). Depuis la libéralisation des marchés financiers entamée dans les années 80 et actée dans les années 90, les banques ont, en effet, le droit de grossir en taille et en risque via la pratique de deux métiers très différents. Récolter les dépôts citoyens, accorder des crédits et fournir des moyens de paiement, d’un côté ; spéculer sur les marchés financiers, gérer toute une série de produits financiers complexes, de l’autre. Mais rassemblées sous un même toit, ces deux types d’activités deviennent interconnectées : une conséquence qui n'est pas étrangère aux dérives de la finance actuelle. Il suffit de se pencher sur les bilans de ces super-établissements que sont les banques universelles pour constater un déséquilibre criant entre les deux types d'activité. Pour l’ensemble des banques belges, en moyenne 19,5 % de leur actif (seulement) est consacré aux prêts aux ménages et entreprises non-financières1. Mais les 80 % restants, à quoi sont-ils utilisés ? Une répartition aussi disparate justifie-t-elle les milliards d’argent public investi depuis 2008 ?
Des bilans déséquilibrés
Les grandes banques sont donc aujourd’hui très déséquilibrées au niveau bilantaire : les crédits représentent moins d’un tiers de leur actif, alors que plus de la moitié de leur bilan est constitué de titres financiers. Or, les banques bénéficient d'une subvention étatique implicite, leur permettant beaucoup d'excès. D'une part, en cas de problème, l’État préférera les sauver plutôt qu'indemniser les déposants - solution qui serait beaucoup plus coûteuse - et, d'autre part, ce soutien publicest récompensé par les marché financiers, ces derniers octroyant des financements à des taux moins élevés (comparé au taux qui leur serait demandé en cas d’absence de soutien étatique) aux institutions bancaires. Ajoutons à cela des prêts des banques centrales à des taux défiant toute concurrence. Les banques ont donc, en toute logique, fortement développé leurs activités de marché ces vingt dernières années. Un développement quantitatif,bien sûr, lié à une prise de risque proportionnellement accrue. Pour les investisseurs financiers, le jeu est toujours gagnant : soit le risque paie et les profits augmentent, soit la banque subit des pertes importantes et l’État intervient. Exactement ce qu’il s’est passé après la crise de 2008, lorsque les États ont dû s’endetter massivement pour venir au secours des banques, aux dépens du contribuable. Aujourd’hui, tout le monde semble s’accorder pour dire que les contribuables et les finances publiques doivent être protégés d’éventuelles faillites bancaires. Aussi, l’intervention de l’État doit être limitée aux activités vitales à l’économie (dépôt et crédit aux ménages et aux entreprises). Une banque doit pouvoir faire faillite sans mettre en péril toute l’économie entière. C’est pourquoi une réforme du système bancaire est devenue incontournable, mais pas n’importe laquelle.
Séparer vraiment les métiers
Certains pays ont déjà légiféré à ce niveau. L’Union européenne est, pour sa part, dans l’attente d’une proposition législative de la Commission sur la base du rapport Liikanen. En Belgique, le gouvernement planche actuellement sur la question et devrait accoucher d’une réforme début 2014. Parmi les différentes réformes possibles, la plus efficace, selon Finance Watch, une association européenne dont la mission est de remettre la finance au service de la société notamment, est une séparation totale des métiers bancaires. Toutes les activités de marché doivent être logées dans une entité séparée. « Trading is trading », explique Aline Fares, expertise and campaign coordinator pour l'organisation. Une séparation totale est non seulement la solution la plus radicale, mais aussi la plus simple sur le plan juridique parce qu'elle évite toute ambiguïté dans la mise en place de la réforme. Car, si l’on jette un coup d’un œil du côté des lois bancaires française, allemande ou encore américaine récemment présentées, il y a de quoi être déçu. La nouvelle législation française, par exemple, qui prévoit de cantonner certaines activités spéculatives que la banque mène pour son compte propre (et, donc, dans son seul intérêt), ne concernera finalement que 1 % des revenus bancaires ! La séparation est donc minime… et son effet le sera sans doute aussi. Même chose en Allemagne, où la loi, qui devrait entrer en vigueur début 2014, prévoit d’isoler le trading pour compte propre, les prêts à des fonds spéculatifs et le trading à haute fréquence, mais pas la tenue de marché (voir encadré Dépôt vs Affaires). Pas mieux aux États-Unis, avec la réforme Volckers, qui interdit notamment aux banques de s’impliquer dans une activité de spéculation et d’investir dans des fonds spéculatifs et des fonds d’investissement privés, mais le tout assorti d’une multitude de dérogations vidant sur le terrain la loi de l’essentiel de son contenu. Pour ces trois réformes, les critères utilisés afin de déterminer le degré de séparation sont ambigus. Au final, vu l’étendue des activités qui resteront autorisées au sein de la banque commerciale (de dépôt) et leurs similarités structurelles avec les activités qui doivent être cantonnées, les mesures répertoriées atteindront difficilement leur but initial, à savoir protéger les activités bancaires vitales pour la société des activités de trading risquées.
Cela fonctionnait avant
En 1933, le Glass Steagall Act a été mis en place aux États-Unis à la suite de la crise financière de 1929 et a été répliqué un peu partout en Europe. Cette loi a imposé pendant des décennies une séparation hermétique des métiers bancaires. Après son abrogation, dans les années 90, nous en sommes arrivés à la situation que nous connaissons aujourd’hui. Le retour à une séparation radicale est l’option recommandée aujourd’hui par Fairfin, le Réseau Financement Alternatif et le collectif Roosevelt.be. Option logique et efficace, car les activités de marché, basées sur des transactions et construites sur le court terme diffèrent, par leur nature et dans leur gestion, des activités de dépôt. Les deux métiers n’ont donc pas vocation à être menés sous le même toit. À l’inverse, les activités de marché forment un tout. Elles sont de nature similaire et utilisent une infrastructure commune. Séparer les activités de marché entre elles fait perdre des économies d’échelles ; isoler uniquement une partie des activités de marché, économiquement parlant, ce n’est pas logique, renchérit Aline Farès. Enfin, les activités de trading et de dérivés n’ont aucune raison d’être subventionnées par l’État. Elles n’ont en rien un caractère indispensable à la société. Et puis, toujours selon Finance Watch, en isolant les activités de marché, en supprimant un financement non justifié et privilégié à ces activités, celles-ci devraient diminuer naturellement. Sans l’aide de l’État, les banques d’affaires se financeront donc à un coût normal, ce qui pourrait bien s’avérer bénéfique pour tout le monde. À titre d’exemple, seuls 7 % des produits dérivés, qui à l’origine sont là pour protéger les acteurs de l’économie réelle (voir encadré Dépôt vs Affaires)2, échangés par les institutions bancaires, ont une contrepartie non financière ! À l’heure actuelle, c’est au Royaume-Uni qu’on semble avoir approché au plus près une vraie séparation des banques universelles avec la publication du rapport Vickers en 2011. La réforme qui en découle devrait entrer en application début 2019. Ce texte préconise de cloisonner les activités de dépôt au sein d’une filiale ; toutes les autres activités devront être logées en dehors. En Belgique, tout est maintenant à jouer.
1 p 120, http://ec.europa.eu/internal_market/bank/docs/high-level_expert_group/report_fr.pdf, p.120. e Rapport Liikanen ou « Rapport de la commission d’experts européen sur la réforme bancaire » est un ensemble de recommandations publiées en octobre 2012 par un groupe d’experts européens dirigé par Erkki Liikanen,
2 93 % des produits dérivés ne concernent donc pas l'économie réelle !
Le modèle de banque universelle a montré ses limites. Il est temps de séparer (à nouveau) la banque de dépôt traditionnelle et la banque qui spécule sur les marchés. Oui, mais pas n'importe comment.