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Soumis par Anonyme le

Notion de responsabilité sociétale des entreprises 

Avec l’évolution des mentalités sur la croissance économique mondiale, un acteur clef commence à se rendre compte de son rôle à jouer. L’entreprise, moteur de l’économie, influence par son comportement toute possibilité de démarche intégrée de développement durable.

Telle que définie par le Livre vert « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » de la Commission européenne, la RSE est : « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes » [2]. Autrement dit, au-delà de sa raison d’être — faire des bénéfices — l’entreprise génère des impacts sur l’environnement comme sur la société qui l’entoure et doit donc en assumer la responsabilité. En termes économiques, on peut le comprendre comme des externalités, négatives ou positives, d’une entreprise sur son entourage humain et naturel.

Archie Carroll — chercheur spécialiste de la RSE à l’Université de Géorgie — attribue à l’économiste américain Howard Bowen la paternité du concept « moderne » de RSE en management en faisant référence à son ouvrage de 1953 intitulé Social Responsibilities of the Businessman[3]. On estime que c’est avec la conscientisation des opérateurs économiques dans le courant des années 1980 sous l’effet de la mondialisation et de l’accroissement des échanges, mais aussi et surtout sous l’effet de la pression des militants et de l’opinion publique, que les firmes ont commencé à reconnaître l’importance de cette notion. La démarche est motivée, selon les entreprises, par une réelle volonté d’engagement ou par le simple souci d’améliorer l’image de marque. Éric Persais — chercheur à l’Université de Poitiers —, auteur sur le sujet, le résume ainsi : « On peut aujourd’hui admettre que la plupart des firmes inscrivent (à des degrés divers) leur action dans le cadre du développement durable défini dans le Rapport Brundtland ». Il invite à la réflexion sur les deux principes de la responsabilité sociétale selon lui : « En tant qu’institution, l’entreprise reconnaît sa capacité à agir et admet que les conséquences de ses actes dépassent largement la sphère de l’économique. Elle se reconnaît donc des obligations vis-à-vis d’un ensemble de parties prenantes – ces obligations, dépassant le stade des obligations légales ou fiduciaires, concernent les domaines de l’éthique et de la citoyenneté »[4].

Si éthique et citoyenneté sont éloignées de la sémantique entrepreneuriale, la mise à l’agenda des enjeux de raréfaction des ressources et du changement climatique semble engendrer un changement de mentalité. Changement qui facilite la mise en place et le respect de nouveaux mécanismes juridiques, tels que le principe de pollueur-payeur, le principe de prévention ou même le principe de précaution. D’autant que certaines entreprises adoptent une démarche proactive, en faisant évoluer leur manière de travailler, autrement dit leur « gouvernance ». Elles rendent des comptes dans divers domaines, tout en reconnaissant et en impliquant leurs parties prenantes.

Comme d’autres opérateurs économiques, les institutions bancaires sont sujettes à ce processus. Elles peuvent rationaliser leur consommation énergétique, réduire leur production de déchets et intensifier leur recyclage de manière à réduire leurs impacts environnementaux. Tout comme il est important qu’elles veillent aux conditions sociales de leurs salariés, sur le plan, notamment, de l’égalité homme-femme, du dialogue social ou de la formation[5].

Toutefois, les banques se singularisent, dans le monde de l’entreprise, du fait qu’elles sont le centre nerveux des flux financiers. Cette position centrale leur confère une puissance d’influence sans pareil. En effet, l’institution bancaire, en tant que bailleur de fonds sur de multiples projets, peut engendrer des effets indirects importants. Sa politique RSE sur les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance devient alors décisive pour mesurer l’ampleur de son impact sur son entourage. Voyons brièvement le cheminement éthique du secteur bancaire.

Bref historique de l’éthique bancaire

L’éthique bancaire ou l’éthique de l’argent est une idée plutôt ancienne et qui paraît être d’origine religieuse. Elle proviendrait de l’époque où les règles sociales étaient principalement dictées par les dieux[6]. En réalité, les trois grandes religions monothéistes prônent toutes une certaine éthique dans le rapport à l’argent. Par exemple, comme le précise le journaliste économique au quotidien Le Soir, Bernard Demonty[7], dès 640, la morale islamique ne permettait d’investir que dans les activités respectant la « Charî’a ». Ces investissements doivent permettre des activités de long terme en faveur du bien-être commun, avec pour objectif de lutter contre la pauvreté, la faim et l’analphabétisme.

Aux États-Unis, on retrouve ces principes dans la pensée capitaliste, après le krach boursier de 1929 et la crise de confiance qui secoue le monde de la finance. Le président Roosevelt déclare à l’époque : « On savait déjà que la poursuite aveugle du profit donnait mauvaise morale. Nous savons maintenant que cela donne aussi une mauvaise économie »[8]. De ces années folles naît un mouvement, soucieux de créer un système bancaire avec des valeurs plus éthiques. Ce sont en particulier les congrégations religieuses protestantes qui se joignent à cette impulsion et créent des fonds qui évitent les actions de firmes touchant aux domaines de l’alcool, du jeu de hasard, du tabac et de l’armement. Ces actions sont déclarées comme des « actions du péché ».

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, période de la mondialisation des échanges par excellence, deux autres évènements favorisent l’apparition de nouveaux épargnants éthiques, tendant à renforcer l’implication, dans le secteur, d’acteurs non exclusivement religieux. Tout d’abord, dans les années 1960, des étudiants liés au mouvement pacifiste se sensibilisent à la question du devenir de leurs économies pendant la guerre au Vietnam. Puis, dans le courant de la décennie suivante, la réaction populaire contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud sensibilise l’opinion publique sur un refus d’investir dans les fonds soutenant ce régime. Les fonds éthiques nés aux États-Unis traversent l’Atlantique et s’installent au Royaume-Uni.

En Belgique, le mouvement se déploie dans les années 1980, sous le coup du mouvement d’opinion contre l’apartheid. Naît alors la coopérative Crédal[9]. Initiative parmi d’autres, elle regroupe des « coopérateurs » qui, par leur épargne, financent des projets à vocation sociale[10]. Lentement, les consciences s’éveillent et les clients des institutions bancaires réalisent que placer de l’argent n’est pas un geste neutre. Cette dynamique ne va cesser de se renforcer dans le courant des années 1990, et une autre dimension est apportée à l’investissement éthique. Il ne s’agit plus simplement d’exclure des entreprises en fonction de leurs activités, mais bien de mieux décortiquer leurs modes de fonctionnement afin d’encourager les meilleures de chacun des secteurs. Les firmes sont comparées entre elles sur différents indicateurs – système de « best-in-class[11] » —, puis sélectionnées en vertu de leur engagement envers la société.

On constate donc que, si à l’origine l’investissement éthique était une manière de boycotter certaines activités, actuellement il s’agit plus d’un instrument pour tendre vers un développement durable de la société dans son ensemble. Cependant, parallèlement aux efforts des institutions bancaires, la financiarisation de l’économie a des effets structurels puissants. Privilégiant la valeur du capital plutôt que la valeur du travail, elle sape l’économie réelle ; à l’image de la crise financière de l’automne 2008 qui a fait entrer l’économie mondiale dans une des crises les plus importantes de son histoire, obligeant les gouvernements des pays capitalistes les plus avancés et les institutions internationales à repenser la structure du système financier mondial.

« Un mal pour un bien ? » : la crise comme opportunité de changement vers un développement économique plus durable ?

Depuis le début de la crise des « subprimes »[12] un échec de la supervision, un échec de la régulation, un échec de la croyance que le marché peut se régler tout seul »[13]. L’univers bancaire est mis en accusation. Le libre marché n’a pas su s’autoréguler, et les autorités publiques sont contraintes de garantir les actifs, voire même de recapitaliser des pans entiers du secteur bancaire traditionnel. Comme l’explique sans détour Dominique Strauss-Kahn, président du Fonds monétaire international, la crise montre : «

Avoir recours à l’argent du contribuable pour renflouer un secteur entier de l’économie, qui plus est, supposément dédié au financement de l’ensemble du système, faisant de lui le centre de la logique capitalistique, pose des questions de justice sociale. Des questionnements légitimes apparaissent autour de la répartition et de l’utilisation des richesses et, plus fondamentalement peut-être, autour de la viabilité du système dans son ensemble. Ainsi, un meilleur contrôle des entités bancaires pour assurer une plus grande responsabilité de ce secteur semble d’une urgente nécessité.

 

Effectivement, si, comme on l’a vu, la RSE est apparue dans le monde académique voici une cinquantaine d’années, et si elle semble avoir été revendiquée et appliquée par les grandes institutions bancaires depuis environ une décennie, alors comment comprendre qu’aujourd’hui le système dans son ensemble faillisse? Au risque d’être simpliste, on pourrait répondre que le développement durable prôné par la RSE des institutions bancaires n’a été, en grande partie, que verdurisation de leurs comportements — green washing —. La « main invisible » du marché n’ayant pas rempli son devoir, se pose donc avec acuité la question de la régulation publique.

En attendant, la tempête financière est en train de s’abattre sur l’économie classique. Le problème est que, même si les entreprises — cotées en Bourse et se retrouvant donc dans des portefeuilles d’actions – souhaitent agir en respectant l’environnemental et le social, elles risquent de se retrouver bloquées par les exigences de rentabilité à court terme des actionnaires. Ces dernières années ont vu des retours sur investissements (ROI) mirobolants, frôlant les 20-30 %, basés sur des spéculations dépendant des humeurs de la Bourse. Ceci a eu le double effet de faire croire que de tels rendements sont possibles sans effets de boomerang et de discréditer les investissements à long terme ancrés dans l’économie réelle, mais aux rendements « réels » et plus durables.

Il est clair que pour obtenir des ROI si élevés certaines externalités négatives doivent être imputées à d’autres acteurs que l’entreprise en question. Par exemple, l’enjeu de la responsabilité sociétale menace d’être rapidement « oublié ». On en revient à dire à nouveau que le régulateur devrait intervenir afin de mieux valoriser les efforts d’amélioration des entreprises en termes de gestion sociale et environnementale.

Dans ces conditions, on peut conclure que cette crise, dont l’ampleur ne cesse de grandir, aura peut-être des aspects positifs tels que la relégitimation de la régulation publique. Reste que cette régulation à venir devra être suffisamment empreinte des préceptes du développement durable. Dès à présent, a minima, elle permet d’ouvrir le débat quant à la transparence et à la politique d’investissement des banques. Une démarche qui pourrait certainement être facilitée par une consultation des associations : Netwerk Vlaanderen, le Réseau Financement Alternatif, ainsi que les agences de rating extra-financier, comme Vigéo ou EIRIS – acteurs qui prônent une conciliation de l’éthique et de la finance, et l’importance de la solidarité et de l’éthique dans le monde financier.

 

Annika Cayrol, novembre 2008

 


 


 

[1] Pour plus d’informations, lire l’analyse de RADERMACHER, Françoise, « Éthique et solidarité : jusqu’où les institutions financières sont-elles prêtes à s’engager ? », disponible sur Internet : https://www.financite.be/publications/mes-articles/ethique-et-solidarite-jusqu-ou-les-institutions-financieres-sont-elles-pretes-a-s-engager,fr,209.html, novembre 2005

[2] Livre vert publié par la Commission en 2001 : « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », COM(2001)366 Final. Disponible sur Internet : http://ec.europa.eu/enterprise/csr/index_fr.htm

[3] Cité par GOND Jean-Pascal,Université Nottingham,dans « Les fondements théoriques de la Responsabilité Sociale des Entreprises », disponible sur Internet : www.seminar.hec.ulg.ac.be/docs/Sem06.03.10_jpgond-presentation.ppt

[4] PERSAIS Éric, « Entreprise et développement durable : vers une relation symbiotique ? » sous la direction de MATAGNE Patrick, Les enjeux du développement durable, Paris, éd. L’Harmattan, 2005 (p.97).

[5] Par ailleurs, pour mesurer et comparer ces actions, il existe des indicateurs mis en avant par l’organisme des Global Reporting Initiatives (entité qui a pour mission de développer des directives applicables globalement pour rendre compte des performances économiques, environnementales, et sociales). Ces indicateurs sont exposés en général dans les rapports annuels et montrent, entre autres, les efforts internes consacrés au développement durable par l’entreprise. Voir site http://www.globalreporting.org/Home

[6] Lire à ce sujet, BAYOT Bernard, « L’investissement socialement responsable et la religion », janvier 2005, disponible sur Internet : https://www.financite.be/publications/mes-articles/l-investissement-socialement-responsable-et-la-religion,fr,188.html

[7] DEMONTY Bernard, Banquier, où places-tu mes valeurs?, Bruxelles, éd. Luc Pire, 1999

[8] Ibidem.

[9] Pour plus d’informations, voir le site Internet de CREDAL : http://www.credal.be/credal/p11_credit_alternatif.html

[10] Historique basé en partie sur « Ethisch beleggen, naar een doorbraak? », Tim BENIJTS, Gerrit DE VYLDER et Wim LAGAE, éd. Garant, 1998 traduit et résumé dans « Banquier, où places-tu mes valeurs ? ».

[11] « Méthode de sélection qui consiste à ne retenir, dans le portefeuille d'investissement d'un produit financier éthique et solidaire et pour un secteur donné, que les entreprises les plus avancées sur le plan de la responsabilité sociale. », disponible sur Internet : https://www.financite.be/publications/lexique,fr,218.html

[12] Les « surprimes » sont des crédits hypothécaires à taux variables accordés à une clientèle peu solvable (aux États-Unis). Traduction française du terme « surprime » : prêt à haut risque. Pour plus d’information, lire BAYOT, Bernard, « Le profit peut nuire gravement à votre économie ! », octobre 2008, disponible sur Internet : https://www.financite.be/publications/mes-articles/le-profit-peut-nuire-gravement-a-votre-economie,fr,402.html

[13] Le Point.fr, Crise financière : pour Strauss-Kahn, « il faut changer les règles du jeu », 10/10/2008, http://www.lepoint.fr/actualites-economie/crise-financiere-pour-strauss-kahn-il-faut-changer-les-regles-du/916/0/281034

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Le développement durable adapté aux entreprises peut se comprendre comme la responsabilité sociétale des entreprises[1](RSE). Les banques s'y intéressent d'autant plus que le contexte les y incite. Cet article revient sur la notion de RSE et propose un bref historique de l'éthique bancaire afin de mettre en perspective les transformations tant attendues d'un secteur au centre de tous les questionnements...

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