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Méthodes informelles
Il existe différentes méthodes informelles pour envoyer de l'argent, des méthodes au sujet desquelles il est difficile de trouver de l'information, car elles se situent dans l’anonymat et échappent aux contrôles officiels. Pour ces mêmes raisons, ces canaux informels sont généralement perçus comme étant aussi les principaux canaux utilisés pour le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cependant, ils constituent souvent la seule alternative valable pour les migrants. Les raisons principales qui poussent les expéditeurs à emprunter les canaux informels sont les coûts de transaction, l’accessibilité géographique, le taux de change et les conditions d’accès juridiques.
Les transferts informels peuvent se faire en espèces, en nature, sous forme de donation à des institutions ou de paiements de services. Le système de porteur est le plus courant : l’argent d’un ou plusieurs membres de la diaspora est transmis à l'un des membres retournant au pays. Ces réseaux informels sont organisés par les migrants eux-mêmes et tissés sur la base des liens familiaux, des solidarités communautaires. Il est aussi possible de faire appel à un porteur spécialisé.
Des structures plus élaborées existent également, parfois anciennes et basées sur des appartenances ethniques ou religieuses (les « hawala » au Moyen-Orient ou « hundi » en Inde), parfois via des commerçants. Elles reposent sur les contacts entre deux agents, l’un dans le pays d’accueil et l’autre dans le pays d’origine. Ce système repose sur la confiance. Les fonds ne transitent pas de façon effective à chaque transaction mais virtuellement, les agents réglant leur solde à intervalles réguliers (système des chambres de compensation). Toutefois, ces systèmes informels n’offrent ni traçabilité, ni couverture du risque (risques de détournement de l’argent, pas de documents écrits), et ne sont pas toujours moins chers.
Une dernière méthode de transfert informelle repose sur l’intervention des ONG ou des missions religieuses. L’expéditeur remet l’argent à une ONG ou à une mission religieuse installée en Belgique. Celle-ci contactera alors des partenaires dans le pays d’origine qui transmettront le montant équivalent au bénéficiaire. Dans ce cas aussi, une petite commission peut être prélevée. Ce système est également utilisé pour faire parvenir de l’argent à des bénéficiaires qui habitent des régions isolées dans lesquelles l’ONG ou la mission religieuse a un partenaire.
Méthodes formelles : des alternatives aux canaux traditionnels
1. Les systèmes financiers décentralisés
Les institutions de microfinance (IMF) et les coopératives d'épargne et de crédit ont un rôle à jouer dans le système des transferts de fonds, en servant d’intermédiaire entre les opérateurs de transfert d’argent et les bénéficiaires. Elles participent à la densification du réseau de distribution et augmentent la concurrence des services de transfert d’argent sur le secteur informel. Le développement du système de microfinance peut ainsi ouvrir de nouvelles perspectives dans l’accès des populations rurales et des personnes disposant d’un faible revenu aux services de transfert de fonds. Les familles de migrants se voient en outre offrir d'autres produits financiers, tels que l'épargne et le crédit.
Problème de taille, toutefois, les IMF ne sont généralement pas autorisées à effectuer des transferts internationaux (en fonction des législations nationales ou transnationales en vigueur), ce qui les oblige à collaborer avec les banques ou les sociétés de transfert d’argent. La mise au point de services de transfert nécessite également des ressources financières, techniques et logistiques que beaucoup de ces organismes ne possèdent pas.
2. Les nouvelles technologies : l’usage du téléphone mobile
Ces dernières années ont vu l’émergence de solutions alternatives de transfert de fonds, comme l'e-banking et, surtout, la technologie du m-banking (mobile banking), qui offre des services bancaires par l’intermédiaire du téléphone mobile et voit s’associer des opérateurs de téléphonie au secteur bancaire : on parle de « banque à distance ».
Dans des endroits (comme l’Afrique) où le taux de bancarisation est faible, où l’accès des populations rurales aux services financiers est réduit et où la pénétration du téléphone mobile est forte, le m-banking constitue un marché prometteur. Il pourrait radicalement abaisser le coût des transferts et accroître leur rapidité et leur fluidité, tout en offrant un accès permanent aux services et la possibilité d’effectuer des transferts d’argent même très faibles de personne à personne.
Le développement de cette technologie a offert aux opérateurs de téléphonie mobile l’opportunité d’intégrer le marché des transferts de fonds, renforçant ainsi la concurrence. Les opérateurs historiques tels que Western Union ne sont, quant à eux, pas en reste et multiplient les partenariats avec des opérateurs de télécommunication afin de commercialiser une offre de transfert par mobile.
Toutefois, si la banque par téléphonie mobile a convaincu des millions de clients dans le monde, il existe encore peu de systèmes à grande échelle de transfert de fonds par téléphonie mobile entre pays et monnaies différents. En Europe, rares sont les services de transferts internationaux par téléphone mobile qui ont été lancés à ce jour : Belgacom, qui a développé à travers ses filiales quelques partenariats en ce sens, est l'un des pionniers.
En Belgique : des partenariats avec Belgacom pour les envois de fonds à destination du Maroc
L’opérateur Belgacom, à travers sa filiale MobiSud, a noué un partenariat avec Maroc Telecom en juillet 2010 afin de proposer le transfert d’argent via le mobile entre la Belgique et le Maroc, la première communauté d’origine étrangère (hors Europe) de Belgique.
Concrètement, ce nouveau service permet de transférer de l'argent d'un téléphone mobile en Belgique vers un téléphone mobile au Maroc. Le service est accessible à tous les titulaires d'un compte PingPing1, la plateforme de paiement mobile de Belgacom, indépendamment de l’opérateur de téléphonie mobile utilisé. Une fois ce compte chargé, il est possible de transférer de l'argent, que ce soit par GSM ou par internet, aux clients de Maroc Telecom ayant souscrit au service MobiCash.
Les tarifs pratiqués sont inférieurs à ceux de certains opérateurs traditionnels, mais, surtout, transférer de l'argent devient également plus pratique, à la fois pour l'expéditeur, qui n'est plus soumis à aucune contrainte de lieu ou de temps, et pour le destinataire, qui voit son compte MobiCash crédité immédiatement. Il peut alors retirer cet argent auprès des agences Maroc Telecom ou d'un distributeur agréé MobiCash, voire même payer certaines factures et certains achats directement à partir de son téléphone mobile.
Récemment, fin septembre 2011, une nouvelle solution de transfert d’argent vers le Maroc au moyen de la téléphonie mobile a été mise en place. Baptisée « Homesend », elle a été lancée par Wafacash (filiale d'Attijariwafa Bank) et BICS (filiale de Belgacom).Les transferts d’argent effectués pourront être récupérés auprès du réseau d’agences de Wafacash au Maroc (500 agences environ). Ils sont facilités par l’interconnexion du module HomeSend de BICS avec la plateforme AlloCash de Wafacash.
Une autre manière d’envoyer de l’argent
1. Les coopératives de transfert d’argent
Les coopératives de transfert de fonds permettent de mutualiser l’épargne afin de réduire les coûts d’envois, tout en améliorant parfois l’utilisation qui en sera faite en attribuant une partie des bénéfices de ces envois au cofinancement de projets de développement.
Contrairement aux opérateurs traditionnels, le regroupement en collectivité permet notamment aux adhérents d'envoyer de faibles sommes à un coût limité, ce qui est d'une grande utilité pour les migrants vivant dans la précarité et qui ont, dès lors, peu d'argent à envoyer. Des systèmes d'épargne solidaire offrent également la possibilité de financer des microprojets dans le pays d'origine.
En Belgique : l'exemple de CODIBU au Burundi de 2001 à 2008
Une initiative intéressante fut celle de la Mutualité des Grands Lacs, issue de la diaspora burundaise, qui a créé une coopérative, la CODIBU2.Moyennant une cotisation mensuelle de 5 euros par membre, l'adhésion à la coopérative supprimait tout frais d'envoi monétaire à destination du Burundi, quel qu'en soit le montant.
Le montant envoyé par l'expéditeur était versé sur un compte en Belgique et la somme des envois était envoyée groupée au Burundi à la fin de chaque semaine, ce qui garantissait des tarifs peu élevés. Entretemps, MUTEC3, le partenaire au Burundi, avançait au bénéficiaire la somme d'argent qui lui était due, dans les deux jours suivant le versement du migrant.
2. Des services à valeur ajoutée
De nombreux migrants se rendent compte que l’argent envoyé n’est pas toujours utilisé pour répondre à l’objectif initial, souvent un besoin bien précis (frais scolaires, santé). Ils cherchent dès lors des moyens pour garantir un emploi utile, efficient, voire durable des fonds envoyés. Des initiatives existent en réponse à ce problème, qui offrent la possibilité pour le migrant de cotiser pour sa famille directement dans des mutuelles de santé ou dans des coopératives alimentaires. L'épargne du migrant peut également permettre l'accès au crédit à un tiers4.
En Belgique : les partenariats avec Moneytrans
Afin de se démarquer de la concurrence, Moneytrans cherche à apporter des services à valeur ajoutée par rapport au produit standard « cash-to-cash » au travers de projets avec des partenaires locaux et internationaux qui partagent un même objectif : répondre à un besoin de la clientèle rarement assouvi, celui de garantir l’utilisation des fonds à la destination.
1. Envoyer l’argent sous forme de chèques : Silver Finance
En partenariat avec la société congolaise Silver Finance, Moneytrans a mis au point en République démocratique du Congo un moyen de transférer l’argent en bons d’achat afin que le migrant puisse déterminer à l’avance l’usage qui sera fait de son envoi par le bénéficiaire à destination.
Concrètement, Moneytrans récolte les fonds et s’occupe du transfert. Une fois l’argent sur place, il se met en contact avec la société locale qui émet des chèques spécifiques (scolarité, alimentation…) pour le bénéficiaire et qui dispose d’un réseau de fournisseurs reconnaissant ces chèques comme moyen de paiement.
2. Combiner services à valeur ajoutée et développement : le Projet Mides de la CAAD
Autre exemple, la CAAD, ONG née au Sénégal et créée en Belgique en 2001, cherche à travers le Projet Mides (en voie de finalisation) à améliorer le système de transfert de fonds vers le Sénégal, en collaboration avec une société de transfert d'argent en Belgique (Money Trans) et une banque africaine.
L'objectif est de fournir une réponse au coût élevé des transferts de fonds et d'offrir au migrant la liberté d’utiliser ses fonds à distance comme il le souhaite, tout en participant au développement économique du pays.
Comment ce système fonctionne-t-il ? Moneytrans collecte les fonds en Europe en tant que société de transfert d’argent et les crédite sur un compte au Sénégal ouvert au nom du client. Cela nécessite un intermédiaire bancaire sur place.
La CAAD intervient alors en fournissant la technologie qui permet à distance une utilisation efficiente des fonds se trouvant sur le compte, grâce à la possibilité offerte au migrant d’utiliser un téléphone mobile pour gérer ses fonds, payer des factures ou des prestataires de services. Le faible coût des envois est lié à une stratégie de réduction des charges de la CAAD : elle possède un seul bureau par pays, l’usage du téléphone mobile permettant un service à distance. Ainsi, le partenariat avec la société de transfert d'argent devrait permettre au migrant client du service de payer un taux réduit (2 % maximum) pour envoyer de l'argent à sa famille.
De plus, une partie de la commission payée par le migrant sera automatiquement ristournée sur un compte de la banque partenaire africaine, fonds qui servira pour la banque de garantie et rendra le migrant bancable, lui permettant l'accès au crédit et à l'investissement. La possibilité est donnée au migrant de participer au fonds afin d'obtenir des possibilités de crédit plus élevées. La CAAD permet ainsi d’épargner une partie des coûts de transfert pour les investir dans un projet futur.
Enfin, devant les coûts élevés des denrées alimentaires, des centrales d'achat et de services (« MIDES Social Market ») sont peu à peu créées dans le pays d'accueil afin d'obtenir des tarifs favorables pour les familles bénéficiaires des transferts d'argent effectués par les migrants. Les bénéfices retirés sont utilisés pour financer des microprojets. De plus, la possibilité est laissée aux migrants et à leur famille d'investir collectivement dans le capital des centrales d'achat, ce qui permet alors à la CAAD de réinvestir cet argent dans de nouvelles centrales.
3. Codéveloppement : les organisations de solidarité internationale issues de la migration (OSIM)
Le codéveloppement consiste à impliquer les migrants dans la coopération au développement en faveur de leur pays d’origine.
Les transferts financiers peuvent créer de la dépendance et, comme nous l'avons vu, les migrants n'ont généralement pas la possibilité de contrôler l'utilisation de l'argent qui sera faite par le bénéficiaire de l'envoi. De plus, on constate que les générations immigrées nées dans le pays d'accueil envoient généralement moins d'argent à leur famille que la première génération de migrants ; ce qui ne les empêche pas d'entretenir des liens étroits avec leur pays d'origine. En réponse à ces constats, une méthode d'expression de la solidarité avec le pays d'origine consiste à s'investir et soutenir des programmes de développement dans le pays d'accueil.
Les OSIM, des organisations créées par des membres des diasporas installées en Belgique, rentrent dans ce cadre. Encore peu connues, elles seraient pourtant environ 300 en Belgique, et contribuent à l'aide au développement, en complément des ONG. Malgré le manque de structures et un fonctionnement généralement bénévole, elles interviennent dans des domaines divers tels que la santé, le développement économique ou culturel. Souvent, elles sont portées par un petit nombre de personnes issues d'une même région et agissent ainsi de manière très localisée. Avec l'avantage qu'elles peuvent, de la sorte, intervenir dans des régions difficilement accessibles aux opérateurs traditionnels.
Certaines organisations tentent peu à peu de quitter le fonctionnement informel et de se professionnaliser, en cherchant du soutien auprès des pouvoirs publics ou en collaborant avec des ONG. Une Coordination générale des migrants pour le développement (CGMD), regroupant environ 130 OSIM, a été fondée, il y a quelques années, afin de faire entendre leur voix.
Conclusion : Quelle méthode privilégier ?
Tout dépend bien sûr des besoins du migrant et de ses attentes par rapport au service : l’argent est-il destiné à sa famille ou au développement de sa communauté ? À la consommation ou à l’investissement ? Quels sont les besoins des bénéficiaires sur place ? Le migrant est-il avant tout intéressé par le coût, l'accessibilité, la qualité du service ? Quelle est la fréquence d’envoi, le montant généralement envoyé ?
D’autre part, la question se pose de savoir si les alternatives proposées sont en état de prendre la relève des opérateurs traditionnels ou si ces derniers sauront adapter leur offre aux nouvelles méthodes étudiées. Ce qui est certain, c’est que le développement des partenariats entre associations de migrants, institutions de microfinance, banques ou encore sociétés de transfert d’argent ne peut qu’être bénéfique au système des transferts de fonds, en augmentant la concurrence sur les marchés, en diminuant les coûts et en offrant au migrant une plus grande variété de choix.
La multitude de moyens utilisés et l’apparition de nouvelles approches garantissent une plus grande liberté au migrant et une plus grande efficience quant à l’utilisation de son argent. Le mot clé est bien celui de liberté. Rien ne sert de chercher à canaliser à tout prix les transferts de fonds vers le développement. En effet, les transferts de fonds constituent au départ une épargne privée pour le migrant et sa famille. De ce fait, l'utilisation de cet argent résulte avant tout d’un choix individuel, et ce n’est qu’en garantissant au migrant la primauté de ce choix, tout en lui offrant une gamme appropriée de services, que l’on pourra allier intérêt individuel et collectif.
La liberté du choix implique de ne pas se limiter essentiellement au coût du transfert, mais également à la disponibilité du service et à sa qualité. Améliorer les transferts de fonds nécessite de travailler sur ces trois fronts en même temps. S’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de service idéal, nous pouvons espérer que la saine concurrence qui doit s’installer entre les opérateurs et le développement des nouvelles technologies permettra à terme de générer une offre optimale pour les migrants et leurs familles.
Arnaud Marchand
Décembre 2011
1 L'ouverture du compte est gratuite.
2 Coopérative de la diaspora burundaise.
3 Mutuelle d’épargne et de crédit.
4 Cf. les systèmes financiers décentralisés.
Devant les prix élevés pratiqués par les opérateurs de transferts de fonds et le manque d'intérêt dont font montre les banques pour ce type de service, d'autres modes opératoires d'acheminement des fonds envoyés par les migrants dans leur pays d'origine se mettent en place. Les services de transferts de fonds sont multiples et variés (méthodes formelles ou moins formelles, transferts liés au développement ou non, tarifs et partenaires variables). Nous recensons ici quelques autres possibilités face aux opérateurs traditionnels en Belgique.