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Rationalité et efficience.
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Théorie classique vs finance comportementale.
Avec Michaël Mangot, conseiller en investissement.
La théorie financière a pour objectif (au sens large) de comprendre et d'expliquer les phénomènes financiers : en somme, elle étudie les marchés et les décisions financières prises par les différents acteurs. Apparue au début du XXe siècle, la théorie néoclassique s'est imposée rapidement comme la vision financière dominante et conditionne, depuis, l'organisation du monde financier. Deux hypothèses y prédominent : la rationalité parfaite des individus (traders, gérants et analystes financiers, entre autres) et l'efficience totale des marchés. Ces postulats sont-ils encore valables ou l'ont-ils, d'ailleurs, jamais été ? Peut-on, à l'heure actuelle, après avoir subi de plein fouet les conséquences ravageuses de la crise économique, appréhender la finance comme rationnelle ? En toute objectivité, non. La finance comportementale, qui adjoint des sciences comme la sociologie ou la psychologie à l'économie apparaît, dans ce sens, davantage connectée à la réalité actuelle.
Le marché a toujours raison
Les règles qui sous-tendent nos marchés financiers sont extrêmement simples. D'abord, il y a l'homme, considéré comme un être parfaitement rationnel, l'homo oeconomicus. Ses émotions ? Elles sont totalement absentes de l'équation. Le financier intègre parfaitement toute l’information à sa disposition et prend des décisions justes. Dans l'hypothèse où tous les agents économiques correspondent à ces caractéristiques et si les marchés sont entièrement libres – c'est-à-dire que les prix sont déterminés par le jeu de l'offre et de la demande – alors ces marchés sont efficients. Par « efficient », il faut entendre que les prix des actifs échangés sur les marchés reflètent à tout moment et instantanément toute l’information disponible sur le marché. Deux conséquences découlent immédiatement de cette hypothèse. D’une part, les prix sur les marchés fournissent la meilleure estimation possible de la valeur fondamentale. Les titres financiers ne sont jamais sur- ou sous-évalués. En somme,le marché a toujours raison. D'autre part, il est impossible pour un investisseur de battre le marché sur le long terme, c'est-à-dire d’afficher pour ses placements une performance supérieure à celle du marché sans prendre un risque supérieur à celui du marché. Il n’y a pas de « free lunch ».
Un modèle irréaliste
Néanmoins « ce modèle théorique est clairement irréaliste. Il y a, en effet, une différence forte entre le postulat de l'économie et de la finance sur la rationalité individuelle et les multiples observations des psychologues sur les erreurs psychologiques dans les décisions humaines. Il fallait réconcilier les deux. C'est là qu'intervient la finance comportementale, explique Michaël Mangot, consultant en finance et auteur notamment du livre Psychologie de l’investisseur et des marchés financiers1. La finance comportementale teste la rationalité des décisions financières à partir d’expériences en laboratoire et de l’étude des transactions réelles passés par les investisseurs.Elle montre que les décisions financières des particuliers et des professionnels comme les autres décisions de la vie courante sont soumises à une multitude de biais psychologiques (l’excès de confiance, le biais de familiarité, le biais de confirmation…). « Le modèle classique a fait comme si les limites de la rationalité humaine s’arrêtaient aux portes des salles de marché. En cela, le modèle est très normatif et très imparfait pour décrire la réalité » poursuit Mangot.
La finance comportementale a aussi ses limites
Tous les modèles économiques sont des simplifications imparfaites de la réalité. La théorie néoclassique n'avait donc aucune raison d'échapper à ce constat. Un modèle financier tenant compte des effets psychologiques sur les investisseurs et professionnels documentés par la finance comportementale permettrait-il de mieux coller à la réalité des marchés ? « C'est là malheureusement la grande limite de la finance comportementale. Nous parlons d'une collection de biais psychologiques qui interviennent à tous les étages de la décision et qui sont difficilement intégrables dans un modèle. Certains biais convergent dans leurs effets et affectent les gens au même moment. Du coup, on sait, par exemple, que sur les marchés, il existe des périodes de sur- et de sous-réaction. Il y a des cycles qui sont un peu prévisibles, mais ça s'arrête là ». Si la modélisation semble compliquée, arrêter d'invoquer la parfaite efficience des marchés serait déjà une avancée. En conférant à la finance et à ses acteurs une précision mathématique, la théorie néoclassique a permis les vagues successives de dérégulation des marchés financiers : si le risque est sous contrôle, pourquoi en effet s’embarrasser de règles freinant l'innovation ? Un marché pour être efficient ne doit pas être entravé. « La théorie néoclassique a donné une légitimité à la dérégulation et l'innovation financière, ce qui a bien servi les intérêts des institutions financières », appuie Mangot. Au point d’offrir une caisse de résonance à l’irrationalité humaine et de donner aux marchés l’aspect d’un énorme casino...
1 Psychologie de l’investisseur et des marchés financiers, Mickaël Mangot, édtions Dunod.
Depuis près d'un siècle, la théorie de la finance s'appuie sur la rationalité des investisseurs et sur l'efficience des marchés financiers. Et si d'autres poids pesaient dans la balance ?