Pourquoi les paradis fiscaux tuent-ils le développement des pays du Sud ?
Pourquoi une ONG de développement s'intéresse-t-elle à la question des paradis fiscaux ?
Parce-que les paradis fiscaux participent largement au pillage des richesses dans les pays du sud. Chaque année, environ 800 milliards d'euros1 s'échappent des pays du Sud et sont détournés vers les paradis fiscaux, ce qui représente un manque à gagner de 125 milliards d'euros de recettes fiscales qui pourraient être investis dans la santé ou l'éducation. À titre de comparaison, ces 800 milliards d'euros représentent 10 fois le budget alloué pour l'aide au développement des pays riches aux pays pauvres, soit pour un euro qui entre dans les pays du Sud, il y en a 10 qui partent dans les paradis fiscaux.
La lutte contre les paradis fiscaux est donc essentielle pour avancer dans le financement du développement. 125 milliards d'euros, c'est aussi 4 fois le budget estimé par la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture ) pour lutter efficacement contre la faim dans le monde.
Concrètement, comment cet argent part-il ?
Entre 3 et 5% partent via la corruption, entre 30 et 35 % relèvent du blanchiment d'argent (armement, prostitution, traite des êtres humains, ...), et la partie la plus importante, 60-65 %, provient de l'évasion fiscale pratiquée par les multinationales ( il s'agit d'entreprises qui produisent ou exploitent des ressources dans des pays du Sud mais qui n'y déclarent qu'une partie de leurs activités afin d'éviter l'impôt).
L'évasion n'est pas que fiscale, elle est aussi judiciaire ?
Le terme "paradis fiscaux" fait référence au problème de l'évasion fiscale mais ne permet pas de décrire l’ensemble du problème. Pour être complet, on devrait parler de paradis fiscaux, judiciaires et prudentiels. Au-delà de la faiblesse de la fiscalité et de l'opacité des comptes, il y également un manque de coopération manifeste avec les instances juridiques et les instances de régulation internationales.
Qu'est-ce qui a été promis ? Quelle est la situation actuelle ?
Il existait déjà des initiatives de coopération internationale en matière de lutte contre les paradis fiscaux avant la crise, mais de façon très fragmentée. L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) s'occupe de la coopération fiscale, le GAFI (Groupe d'Action Financière Internationale) lutte contre le blanchiment d'argent, et enfin le Forum de stabilité financière s'occupe de l'approche prudentielle. La crise à révélé l'urgence d’articuler le travail de ces trois organisations. Nicolas Sarkozy s'est réjoui un peu trop vite de la fin des paradis fiscaux. L'approche adoptée par le G20 a été de cibler les territoires non coopératifs à partir d'un système de liste. Sur la liste noire les pays qui refusent de coopérer avec les administrations fiscales, sur la liste grise ceux qui s'y sont engagés oralement, et sur la liste blanche ceux qui ont signés des traités avec au moins 12 pays à qui ils promettent de communiquer les renseignements qu'on leur demande en matière fiscale. Le critère pour être blanchi est donc facile à atteindre: il suffit de signer 12 accords bilatéraux de coopération fiscale, ce que la plupart des pays stigmatisés se sont empressés de faire, et parfois les paradis fiscaux ont signé entre eux. Du coup, de nombreux territoires de la liste noire se sont rapidement trouvés sur la liste blanche. Mais concrètement, la situation n’a pas changé pour les pays du Sud et les outils mis en place ne permettront pas de lutter efficacement contre l’évasion fiscale.
Que reste-t-il à faire ?
Il est urgent de mettre fin à l’opacité financière dans les paradis fiscaux en changeant de stratégie et en ciblant maintenant leurs utilisateurs. Nos trois priorités sont de renforcer les exigences de transparence en demandant aux entreprises multinationales de publier les informations sur leur activités pays par pays (liste des filiales, résultats, nombre d'employés, transactions intra-groupes), de créer un registre des structures juridiques opaques dans lequel sera inscrit le nom de leur bénéficiaire effectif, et enfin de renforcer la coopération fiscale et judiciaire au niveau internationale avec des instruments multilatéraux et automatiques pour que les pays du Sud puissent en bénéficier. La directive épargne impose par exemple aux pays de l'union européenne de mettre à disposition des autres pays les informations bancaires sur les clients non résidents (un Français qui a un compte bancaire en Allemagne, la banque Allemagne doit fournir l'information sur ce compte au fisc français). Cette directive pourrait aujourd’hui être étendue à d’autres pays et notamment des pays émergents ou des pays du Sud.
Entretien réalisé par Thibaut Monnier
1 Selon une étude de l'ONG américaine Global Financial Integrity.
Pour répondre à cette question, FINANcité a interrogé Mathilde Dupré, chargée de plaidoyer pour le CCFD - Terre solidaire, ONG française de développement spécialisée dans la lutte contre les paradis fiscaux.