Eléments de définition – étendue de la matière
Sous le vocable d'éducation financière se retrouvent aujourd'hui encore des éléments très disparates et une définition claire, synthétique, largement partagée, n'est pas encore de mise.
Une vision toutefois assez éclairante nous est inspirée d'auteurs finlandais2, dont une publication traite précisément de la compétence financière des consommateurs et d'autres concepts qui lui sont liés.
Leur approche considère la compétence financière des consommateurs comme une matière relative et évolutive par essence. Relative puisqu'elle dépend de la position du consommateur dans son cycle de vie, mais aussi de son niveau d'éducation, de revenu et des circonstances de vie qu'il rencontre. Relative également puisqu'elle dépend du contexte culturel dans lequel le consommateur s'insère.
Au sein des multiples compétences qu'un consommateur acquiert dans sa vie, la compétence financière, lorsqu'elle se traduit par une gestion adaptée, contribue à atteindre l'équilibre budgétaire et, par conséquent, participe à son bien-être général.
L'émancipation des consommateurs sur ces matières nécessite des formations et des informations sur mesure, ciblées, qui puissent atteindre la diversité croissante de leur mode de vie et de consommation et s'adapter à leur propre langage.
Quant aux contenus concernés, nous avons choisi de les classer en trois grandes familles :
- a) le savoir : apprendre à compter, à gérer un budget, à lire un contrat de crédit,... ;
- b) le savoir-faire : identifier le crédit ou le placement qui répond à son besoin, mesurer le risque, comparer des propositions d'assurances,... ;
- c) le savoir-être : différencier désirs, envies et besoins, gérer les frustrations, apprendre à différer, à choisir, poser des choix éthiques et solidaires,...
Cette présentation illustre à quel point la matière est riche, touche une gamme très large de savoirs, dont la transmission nécessite une gamme tout aussi large de méthodes, d'outils et d'intervenants.
Education financière : principes identifiés et commentaires 3
L'enquête menée dans le cadre du projet européen cité en introduction4 a permis d'identifier et de conforter un corpus commun de principes. Nous les passerons tour à tour en revue en les commentant. Lorsque cela est possible, nous citerons pour chacun d'eux des exemples concrets d'applications :
Premier principe
Il est nécessaire de mesurer, sur une base régulière, le niveau de connaissance financière du public afin de réaliser un état des lieux préalable, d'évaluer l'efficacité des mesures prises et d'identifier de nouveaux besoins.
Commentaire
La construction d'une structure d'enquête devrait prendre en considération :
Application
- l'âge du répondant et le niveau des savoirs et compétences qui lui sont nécessaires pour pouvoir agir en citoyen responsable et en consommateur averti;
- la nécessité d'une mise en oeuvre régulière et, idéalement, sur un échantillon représentatif, afin de mesurer les progrès accomplis et d'adapter les programmes en conséquence.
- Au Royaume-Uni, c'est la « Financial Services Authority » (FSA) qui mène des enquêtes régulières ayant pour objectif de mesurer le niveau de connaissance financière du public et d'évaluer l'efficacité des mesures prises. Cette institution, mandatée par le gouvernement, organise par ailleurs la coordination des parties prenantes1 (principe décrit au paragraphe suivant).
Deuxième principe
L'éducation financière du public est un objectif de long terme qui doit s'articuler tout au long de la vie des citoyens et s'adapter aux circonstances particulières des étapes traversées : l'enfance et la gestion des envies et des besoins ; l'adolescence et la construction de l'identité, les liens d'appartenance ; la vie de jeune adulte, le premier budget à gérer, la découverte de l'autonomie, le premier salaire ; la vie de couple, le premier enfant, la perte d'emploi,...
Commentaire
Si ce principe renforce le précédent quant à l'articulation des actions des divers acteurs impliqués, il sous-entend également qu'une didactique et une pédagogie particulière doivent être développées afin de rencontrer les besoins et s'adapter au public ciblé: on n'aborde pas la question des pulsions d'achat de la même manière que le choix d'un produit d'épargne pension ou encore la manière de retrouver l'équilibre financier lorsque l'on est surendetté ou précarisé.
Application
Des associations se sont spécialisées dans le développement de supports et d'actions pédagogiques qui ciblent des publics particuliers, soit en les contactant en direct, soit en formant les professionnels avec lesquels ces publics sont en contact (enfants, adolescents, travailleurs, personnes handicapées...)
Deux sites particulièrement bien fournis, néerlandais et suisse, exposent un nombre substantiel d'outils et de campagnes « prêt-à-l'emploi »:
- Nibud – Nationaal Instituut voor Budgetvoorlichting - www.nibud.nl
- Centre social protestant Berne-Jura - www.maxmoney.ch/fr
Troisième principe
L'éducation financière doit construire sa propre didactique. L'objectif doit permettre de rencontrer le public et de s'adapter à ses spécificités.
Commentaire
Dans cette dimension, s'ajoute également la nécessité de construire un lexique et un vocabulaire qui permettent de rompre avec la complexité croissante des produits et services financiers.
En effet, cette complexité voue à l'échec une éducation financière qui chercherait à transmettre la totalité des termes techniques utilisés par les professionnels. Non seulement ce vocabulaire est en pleine expansion, mais sa complexité intrinsèque le rend à tout jamais incompréhensible pour une partie de la population. Dès lors, on peut envisager plus pragmatiquement de construire une présentation « simplifiée et standardisée » des produits financiers, qui comporterait une cotation de plusieurs critères, ce qui permettrait d'informer le consommateur sur leurs principales caractéristiques : durée, risque, rémunération/rendement, coût, responsabilités engagées et garanties mobilisées. Le consommateur ainsi informé sur les principaux éléments participant à sa décision verrait cette dernière non seulement facilitée, mais aussi basée sur des éléments objectifs et comparables (par critère, on pourrait utiliser un code couleur pour la cotation, comme ce qui est mis en oeuvre pour les consommations énergétiques des appareils électroménagers).
Une « présentation standardisée» des produits et services financiers aurait pour autres avantages :
- de simplifier le contenu des matières relatives à la compréhension et au choix de consommation de produits financiers ;
- d'accroitre la durée de vie des contenus pédagogiques, car elle ne serait pas limitée à celle, parfois brève, des produits disponibles sur le marché;
- de faciliter l'évaluation à moyen et long termes des connaissances du public.
Application
En tant que tel, il existe de nombreux projets pédagogiques parfaitement adaptés dans leur didactique et leur pédagogie aux publics ciblés; en revanche, nous n'avons pas identifié d'exemple de « présentation standardisée de produits financiers ».
Parmi les nombreux projets pédagogiques développés, citons notamment :
- Association des Banquiers Canadiens (CA): www.votreargent.cba.ca
- Institut National des Consommateurs (FR) : www.ctaconso.fr
En Belgique, pas de portail unique en tant que tel, mais de nombreuses initiatives développées : pour un premier recensement, voir l'Observatoire du Crédit et de l'Endettement qui travaille sur ces matières6.
Quatrième principe
L'éducation financière fait partie d'un tout, qui participe à la recherche de l'épanouissement des citoyens. Si une approche spécialisée et directe peut être appropriée dans certaines circonstances : conseils en placements, produits d'épargne,..., une approche globale est souvent nécessaire dans d'autres cas : surendettement, consommation compulsive,...
Commentaire
L'enquête menée au niveau européen auprès d'experts relève que tous considèrent comme fondamental l'intégration d'éléments d'éducation financière dans le cadre scolaire, dès le plus jeune âge.
Il est également utile d'imaginer la démultiplication de l'information à travers d'autres médias, notamment dans les activités de loisirs : jeux télévisés, débats, témoignages, forums Internet, presse,...
Cette multiplication aura comme autre effet positif de faciliter la prise de parole sur ces questions qui peuvent parfois se révéler particulièrement taboues et sources de souffrance (on pense en particulier aux situations de surendettement).
Application
Un projet d'envergure nationale dans les écoles secondaires est mis en place au Royaume-Uni, qui doit se déployer d'ici 2011. Intitulé « Learning Money Matters », il est mis en oeuvre par l'organisation Personal Finance Education Group (www.pfeg.org).
Cinquième principe
L'éducation financière n'a pas pour objectif de rendre économiquement rationnel le consommateur, dont les comportements répondent le plus souvent à d'autres types de considérations (sentiments, émotions, symboles,...). Face à des produits financiers tels que les crédits ou certains placements spéculatifs, il n'est d'ailleurs pas rare que ces considérations poussent un consommateur à agir dans une logique de très court terme, en sachant que le choix posé a toutes les chances d'aggraver sa situation à plus long terme. Face à cette réalité, force est de constater que seule la protection du consommateur et la consolidation des pratiques commerciales responsables peuvent apporter une réponse adéquate.
Commentaire
Les politiques en matière d'éducation financière ne peuvent avoir pour objectif d’autoriser la dérégulation du marché des produits et services financiers mais doivent, au contraire, viser une plus grande confiance des consommateurs actifs sur le marché, notamment par une plus grande symétrie d'information entre eux et les producteurs.
Application
Le cadre législatif belge en matière de protection du consommateur et de responsabilisation du prêteur dans la phase précontractuelle est relativement poussé au regard de la moyenne européenne (obligation d'information et de conseil des prêteurs, Centrale des Crédits aux Particuliers – fichiers négatif et positif, Fonds de Traitement du Surendettement, loi sur le crédit à la consommation et sur le règlement collectif de dettes, ..., pour n'en citer que quelques exemples).
Et la Belgique ?
Comme nous venons de l'indiquer, la Belgique dispose, d'une part, d'un cadre législatif performant et, d'autre part, de nombreuses structures qui agissent d'ores et déjà en matière d'éducation financière. Elles pourraient à terme agir de manière coordonnée et efficace dans la mise en place d'une stratégie globale d'éducation financière. Des syndicats aux prêteurs, en passant par des organismes d'éducation permanente ou les Centres de références7, les actions se multiplient et la prise de conscience du caractère inéluctable d'un tel développement fait son chemin.
Il est utile de garder à l'esprit que les motivations qui insufflent ces initiatives ne sont pas toutes de même nature. Si certaines ont clairement pour objectif une meilleure protection du consommateur et une plus grande symétrie d'information entre les consommateurs et les producteurs, d'autres visent très clairement la dérégulation progressive du marché des produits et services financiers. Ces derniers considèrent qu'un consommateur « informé » n'a plus à être considéré comme « l'usager faible » dans les relations contractuelles qu'il entretient avec son banquier ou son organisme de prêt. Cette approche pourrait, dans les pays où la protection du consommateur est élevée et efficace, à l'instar de la Belgique, se révéler dommageable pour le consommateur.
Conclusions
S'il fallait indiquer l'une ou l'autre priorité, avec comme prisme l'efficacité à court et moyen termes, nous pensons que l'ensemble des parties prenantes auraient tout à gagner à se rencontrer sur une base régulière dans le cadre d'une coordination. Sur ce point, il sera intéressant de suivre le développement que prendra l'étude mise en oeuvre par la CBFA.
Le second point serait sans doute de construire un outil efficace de mesure des connaissances du public (des publics), qui permettrait de définir les besoins les plus fondamentaux (quelles matières, concepts, savoirs sont les moins maîtrisés?) et d'identifier les publics les plus fragilisés afin de construire de manière coordonnée des stratégies d'action.
Le dernier point pourrait être l'élaboration d'un plan opérationnel d'éducation financière dans l'enseignement obligatoire, qui pourrait, le cas échéant, valoriser et utiliser au mieux les nombreux supports pédagogiques développés, en particulier par les Centres de références (mallette pédagogique, journée pédagogique,...). L'école semble en effet le meilleur moyen de toucher de manière large les enfants dès le plus jeune âge, ce qui, nous le rappelons ici, a été identifié par de nombreux professionnels comme un des principaux gages d'efficacité.
Olivier Jérusalmy, octobre 2007
Références
- http://static.twoday.net/fes/files/FES_FinEd_Finland_lifecycleapproach.pdf
Consumer Financial Capability – A life cycle approach 04.11.2005
Johanna Leskinen, Ph.D.; Head of research, National Consumer Research Centre & Anu Raijas, Ph.D.; Senior Lecturer in Consumer Economics, University of Helsinki - http://fes.twoday.net
- « Education Financière » ASB Schuldnerberatungen GmbH, publication issue du projet européen FES « Education financière et meilleur accès à des services financiers adéquats », 2005-2007
- En cours de rédaction au moment de la réalisation de cette analyse : une fiche thématique réalisée par l'Observatoire du crédit et de l'Endettement : “Education financière : concept under construction”
1 Le projet intitulé « Better Access to Financial Services & Financial Education » a été cofinancé par la Commission européenne, DG Emploi, Affaires sociales et Egalité des chances. Le responsable du projet est ASB Schuldnerberatungen GmbH, acteur principal en Autriche de la médiation de dettes.
2 http://static.twoday.net/fes/files/FES_FinEd_Finland_lifecycleapproach.pdf, Consumer Financial Capability – A life cycle approach 04.11.2005, Johanna Leskinen, Ph.D.; Head of research, National Consumer Research Centre & Anu Raijas, Ph.D.; Senior Lecturer in Consumer Economics, University of Helsinki
4« Education Financière » ASB Schuldnerberatungen GmbH, publication issue du projet européen FES « Education financière et meilleur accès à des services financiers adéquats », 2005-2007, téléchargeable sur le site indiqué en note 2.
7 Les Centres de référence sont en charge, en Wallonie, d'un support en expertise pour les services de médiation de dettes le la province et de la prévention au surendettement. Trois Centres sont opérationnels à ce jour : Province du Luxembourg : Groupe Action Surendettement : gas.prevention@skynet.be, tél: 063.60 20 86 ; Province du Hainaut : Centre de Référence : centreref@hotmail.com, tél:064.84 22 91 ; Province de Liège (germanophone) : Verbraucherschutzzentrale asbl : viviane.leffin@vsz.be, tél: 087.59 18 50.
Identification de bonnes pratiques européennes en matière d'éducation financière : quels enseignements pour les parties prenantes en Belgique ?