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Droits fondamentaux : les partenariats entre secteurs public, privé et la société civile constituent-ils la panacée ?

Soumis par Anonyme le
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Réseau Financité
Sommaire

Le Réseau Financement Alternatif vient d’organiser une conférence sur les partenariats ‘public privé’ (PPP) pour la promotion des droits fondamentaux: l’occasion de poser un regard critique sur ces formes de collaboration entre acteurs souvent considérés comme antagonistes.

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2005
Date d'édition
12/2005
Mois d'édition
Décembre

Les alternatives financières dans le secteur de la distribution

Soumis par Anonyme le

Le secteur de la distribution est largement aux mains de grands groupes qui développent leurs activités dans des zones géographiques de plus en plus vastes, avec pour conséquence un éloignement des préoccupations de ses parties prenantes, que sont ses travailleurs et ses clients. À l'occasion de l'annonce d'une vague de licenciements par la direction de Carrefour, en février dernier, s'est ainsi posée la question de l'existence d'une stratégie adéquate de développement commercial durable et respectueuse des travailleurs. Des alternatives sont possibles, basées sur les échanges de proximité.

Les accorderies

Quand on évoque les échanges de proximité, on pense aux systèmes d’échange local (SEL), dont le premier a été créé à Vancouver en 1983. Les SEL sont des réseaux dont les membres, une personneisolée ou une famille complète, sont mis en contact les uns avec les autres et s’échangent des services non professionnels ou des biens et du savoir(-faire). Le grand principe des SEL est que les échanges qu’on y fait ne sont pas payés en monnaie sonnante et trébuchante. Ils sont comptabilisés en unités dont les noms varient d’un SEL à l’autre.

Proximité n'est pas synonyme d'égalité et des interrogations se sont fait jour sur le point de savoir si les SEL sont aussi nettement favorables aux démunis qu’on le prétend généralement et s'ils ne pourraient avoir au contraire pour effet pervers de creuser les inégalités, étant plus favorables aux classes moyennes1.

La volonté d’éviter cet écueil est en tout cas clairement au cœur du projet de l'Accorderie de Québec qui a été fondée en 2002 par la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation St-Roch de Québec. Ces deux organismes souhaitaient en effet répondre aux besoins des ersonnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale tout en favorisant l’organisation de nouvelles formes de solidarité. Il s'agit d'un système d’échange de services qui regroupe toutes les personnes intéressées à échanger entre elles différents services tels que du dépannage informatique, de la traduction de texte, du transport, des formations, de l’aide pour remplir une déclaration d’impôts, etc. Outre à Québec, des accorderies se sont aujourd'hui développées à Montréal et Trois-Rivières et on attend pour bientôt celle de Shawinigan.

Les membres d’une accorderie, les accordeurs, ont accès aux services des membres de « leur » accorderie locale, ainsi qu’aux services offerts dans n’importe quelle accorderie implantée ailleurs au Québec. De plus, en devenant accordeur, une personne a accès aux activités collectives d’échange offertes par son accorderie locale, soit à des services d’intérêt général qui s’adressent à l’ensemble des accordeurs. Ces activités peuvent prendre différentes formes. À Québec, par exemple, un service d’achat regroupé de produits alimentaires et un système de crédit solidaire ont été mis en place.

Chaque accordeur met à la disposition des autres ses compétences et savoir-faire sous la forme d’offres de services. À peu près n’importe quel service peut être offert : des conseils pour cuisiner, la restauration de meubles, l’apprentissage d’un sport, la garde d’animaux, etc. Chaque offre apparaît sur la page web de l’accorderie locale dont la personne est devenue membre et dans un bottin imprimé pour les accordeurs qui n’ont pas accès à Internet. Dans l’Espace membre du site Internet et dans le bottin, les accordeurs ont accès aux coordonnées des personnes qui offrent les services. Ils peuvent donc entrer en contact directement avec celles-ci pour s’entendre sur le service désiré et le moment de l’échange. Chaque échange de services est comptabilisé dans une banque de temps sur la base des heures échangées, selon le principe qu’« une heure de service rendu égale une heure de service reçu ». Tous les services sont ainsi mis sur un pied d’égalité.

Dans la banque de temps, chaque accordeur dispose d’un compte Temps où sont inscrites les heures données et reçues, comme dans un « vrai » compte. La comptabilité se fait à partir de chèques temps que les accordeurs reçoivent lorsque des services sont rendus. Lorsqu’une personne devient accordeur, 15 heures sont déposées sur son compte, ce qui lui permet d’échanger des services immédiatement.

Le système d’échange s'opère donc à trois niveaux. Tout d’abord, le niveau d’échange individuel qui comprend les échanges de temps entre accordeurs. Ces échanges s’apparentent fortement à ceux des SEL. Ensuite, le niveau d’échange collectif qui correspond aux activités du groupement d’achat et du crédit solidaire. Ces deux services collectifs font la singularité de l’accorderie. En effet, le couplage microcrédit-monnaie sociale n’apparaît que rarement dans les autres dispositifs, sauf dans le cas particulier de Fortaleza au Brésil. L’objectif de ces services collectifs est double : donner un accès au crédit à des personnes qui ne peuvent y accéder par ailleurs et offrir un accès à des produits de qualité (biologiques, équitables ou locaux) qui deviennent accessibles grâce à un coût plus faible compte tenu de l’achat groupé.

Enfin, troisième niveau, le niveau d’échange associatif c'est-à-dire les services qui vont être achetés par l’accorderie aux accordeurs pour les besoins de son organisation et son fonctionnement. En effet, à l’accorderie, il n’y a pas de bénévolat, toute heure effectuée au service de l’association, ou dans le cadre des services collectifs donne droit à un crédit en temps. Il peut s’agir d’accueillir les nouveaux membres, de distribuer le courrier ou d’organiser les activités collectives. Par exemple, dans le cadre du groupement d’achat, les accordeurs sont chargés de l’animation du « souper mensuel », de la commande aux fournisseurs, de la réception et du partage de la commande et de la comptabilité. Pour le crédit solidaire, les accordeurs doivent rencontrer l’accordeur demandant un prêt, participer au comité de prêt, faire signer le contrat de prêt et s’assurer du suivi. Ainsi, l’accorderie sert d’intermédiaire : elle verse aux accordeurs chargés des activités collectives des heures et elle les facture en contrepartie aux accordeurs qui ont bénéficié du service collectif. L’accorderie pose aussi un strict principe d’équité, c'est-à-dire qu’une heure est égale à une heure quelle que soit l’activité fournie et le statut social de la personne2.

Les SEL sont donc, à proprement parler, des réseaux de troc de crédits permettant de confronter l’offre et la demande de biens et de services. Ils se situent à mi-chemin entre le simple troc bilatéral et une économie monétaire complète et autonome. En toute hypothèse, une des limites des SEL consiste dans le fait que les « crédits de service » ne circulent pas librement, car l’offre et la demande doivent y être confrontées. Pour contourner cette difficulté, ont été imaginées les monnaies locales qui sont, par leur structure et leur mode de fonctionnement, plus proches d’un véritable système monétaire que les SEL. La notion d’étalon de valeur de substitution n'est pas nouvelle, elle est évoquée depuis longtemps par les auteurs socialistes égalitaristes, mais on doit la version moderne des « time dollars » à Edgar Cahn, professeur de droit à Washington, qui se prit à l’imaginer dès 19863.

Les « Ithaca Hours »

Les « Ithaca Hours », lancées en 1991 dans la ville d’Ithaca (30 000 habitants) dans l’État de New York, constitue l’un des exemples les plus connus de monnaie locale.

Le système a été organisé par un groupe d’activistes locaux, qui visent à défendre les intérêts des petits commerces locaux contre ceux des grandes enseignes nationales, comme Wal Mart. En 1991, Paul Glover, ancien publicitaire et journaliste, diplômé en gestion municipale, observe les mouvements de l'argent dans sa ville et constate les dégâts classiques du capitalisme : de grandes sociétés multinationales et des chaînes de magasins envahissent le marché, pompent l'argent local et le réinvestissent ailleurs, menaçant ainsi la production et les emplois locaux. Paul Glover, tenant d'un nouvel ordre économique basé sur les échanges de proximité, et écologiste jusqu'au bout des doigts, se rend compte alors que le seul moyen de permettre à l'économie locale de bénéficier de l'argent local est de créer une unité monétaire que l'on ne pourrait gagner et dépenser que dans la ville. Il passe alors de la réflexion à l'action et imprime lui-même des billets dont la valeur unitaire est l'Ithaca Hour. « Le billet de base, l’Ithaca Hour, vaut 10 dollars, ce qui représente en gros le salaire moyen horaire payé dans cette ville, explique Paul Glover. Prenons maintenant un fermier qui vend pour 20 dollars de fromage. À la place de la monnaie nationale, il reçoit donc deux heures de travail gratuit. Avec ce petit capital, il achète par exemple les services d’un menuisier, qui lui-même fait appel au savoir-faire d’un mécanicien, lequel utilise ces heures pour payer son chiropraticien, qui se sert de ces billets pour s’offrir quatre places de cinéma, et ainsi de suite. C’est un système sans fin qui grandit de lui-même, une économie écologique, en vase clos, qui s’écarte du dollar et où le temps de travail réel remplace les liquidités abstraites. »4

Dans sa forme originale – et respectant l’idée de monnaie à taux zéro –, elle permet aux commerçants de se préfinancer. Ils achètent des biens ou des services avec la monnaie locale et remboursent ensuite leurs achats en acceptant cette monnaie locale dans leur propre établissement. Plus de 900 participants acceptent publiquement les Ithaca Hours pour les biens et services dans un périmètre de 50 miles (80 kilomètres). Certains employeurs locaux et leurs employés acceptent de payer et de recevoir une partie du salaire en Ithaca Hours. Celles-ci sont acceptées en outre par l'hôpital de la ville ainsi que par une Community Development Financial Institution (CDFI) appelée Alternatives Federal Credit Union, qui offre des comptes courants à taux zéro en Ithaca Hours5. En 1996, elle avait déjà servi à financer des transactions pour de 1,5 milliard de dollars6.

Ce modèle favorise en effet la proximité. Mais il ne reproduit pas les inégalités observées dans l’économie officielle « dans la mesure où toutes les heures travaillées... ont la même valeur ». Il faut, pour qu’il en soit ainsi, qu’une autorité ait créé un espace monétaire en y imposant une monnaie de compte et un étalon de valeur égalitariste et non marchand, soit en vertu d’un consensus, soit par la force ou grâce aux deux moyens à la fois. Ce n'est pas le cas des Ithaca Hours où chaque unité a une valeur de 10 dollars. Comme on le voit à Montpelier (capitale de l’État du Vermont, aux États-Unis), les avocats facturent cinq « Ithaca Hours » l’heure travaillée et les baby-sitters, une demie7.

Conclusions

Comme on le voit, des alternatives à la grande distribution existent. Mais les modalités de leur mise en œuvre déterminent le bonheur avec lequel elles atteignent les objectifs qu'elles se sont fixés. Ainsi, celui de remplacer les « liquidités abstraites » par du temps de travail n'a pas été concrétisé par les Ithaca Hours. Certes cette monnaie a perdu un peu de son abstraction de par le fait qu'elle n'a de valeur que dans une zone limitée, favorisant en cela, de manière mécanique, les échanges au niveau local. En revanche, elle demeure suffisamment abstraite pour permettre à ses détenteurs de facturer une heure de travail entre une demie et cinq fois l'unité monétaire. Aucune autorité extérieure aux parties prenantes à l'échange, ni aucun sentiment suffisamment fort de solidarité ne pousse ceux-ci à respecter l'égalité de valeur entre les heures de travail.

Pour atteindre un tel objectif égalitaire, sans doute est-il nécessaire de restreindre la libre circulation des crédits de service, à l'instar de ce qui se pratique dans un SEL. C'est ce que l'on fait dans les accorderies, dont la version québécoise développe en outre des services collectifs qui permettent une réelle mixité sociale au sein des participants, évitant de la sorte l'écueil auquel se heurtent bien des SEL et qui consiste à ne finalement générer de l'égalité qu'au sein d'une même caste, souvent bien nantie. Le sentiment d'appartenance à un club, aux règles claires et précises, fondées sur l'égalité et l'entraide, et l'offre de services collectifs pour les moins favorisés, semble être la double condition pour le développement d'échanges égalitaires et solidaires.

Quoi qu'il en soit, ces mécanismes citoyens permettent d'éviter les travers de la grande distribution et de développer les échanges locaux, voire de leur donner en outre un tour égalitaire et solidaire.

 

Bernard Bayot
mai 2010

 

1 Boyle, D., Funny Money: In search of Alternative Cash, Harper Collins, London, 1999; Geoffrey Ingham, “De nouveaux espaces monétaires ?”, in L’Avenir de l’argent, OCDE, 2002.

2Marie Fare, L’Accorderie, un dispositif québécois de monnaie sociale basé sur le temps, 7 avril 2010, http://www.alpesolidaires.org/l-accorderie-un-dispositif-quebecois-de-mo....

3 Boyle, D., op. cit.; Geoffrey Ingham, op. cit.

4 Jean-Paul Dubois, « Le dollar est mort à Ithaca », dans Le Nouvel Observateur, 5 décembre 1996; Frédéric Hontschoote, Les monnaies locales : Création et rentabilité d’un capital social. Analyse comparative de l’Ithaca Hour et du SEL de Paris, Université de Paris VII Jussieu, juin 2000.

5 Http://www.alternatives.org/ithacahours.html ; les CDFI sont des institutions financières dont l'objectif principal est de fournir (directement ou indirectement) des financements (prêts ou investissements), accompagnés ou non d’une activité de conseil, aux entreprises engagées dans les communautés défavorisées.

6 Wall Street Journal, 27 juin 1996; Geoffrey Ingham, op. cit.

7 Bowring F., « LETS : An Eco-Socialist Alternative ? », dans New Left Review, 232, 1998, pp. 91-111 ; The Economist, 28 juin 1997, p. 65 ; Geoffrey Ingham, op. cit.

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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MO-BAYO2010-4
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2010
Date d'édition
05/2010
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Mai