Pour une nouvelle gouvernance de l'eau en France
En bref :
- La remunicipalisation du secteur de l'eau gagne du terrain en France.
- Les bienfaits de ce retour en régie publique commencent à faire leurs effets.
L'arrivée des géants
Comme c'est le cas en Espagne et au Royaume-Uni, c'est après la Deuxième Guerre mondiale que le secteur privé marque son retour en force dans la gestion de l'eau en France. L’émiettement des communes françaises rend les autorités publiques trop faibles pour supporter des services d’eau et d’assainissement. Suez-Ondéo (anciennement la Générale des eaux) et Veolia (anciennement la Lyonnaise des eaux) trouvent ainsi un terrain propice à leur développement sur le sol français. Devenus rapidement les deux leaders mondiaux dans le domaine de l'eau, ils dominent aujourd'hui encore le marché de l'eau en France(1).
Grenoble, Paris et les autres
Les premiers coups portés à l'hégémonie du privé en France commencent dans les années 90. À Grenoble, les mouvements citoyens et écologistes locaux finissent par obtenir en 1999 l’annulation définitive du contrat de délégation qui liait la ville à Suez et la condamnation des responsables politiques et économiques de l’époque. L’eau et l’assainissement sont retournés en régie directe avec baisses de prix et amélioration du service à la clé (les bonnes disponibilités et la qualité de l’eau dans la région permettent à Grenoble d’afficher le prix de l’eau le plus bas de France). Dans la foulée de ce cas emblématique, le mouvement s’est accéléré dans les années 2000. Dès 1997, le syndicat intercommunal Durance-Lubéron (Vaucluse) a mis fin à 42 ans de contrat avec la Lyonnaise des eaux, avec pour conséquence une baisse des prix d’entre un quart et un tiers. Castres a suivi en 2003, Cherbourg et sa communauté urbaine en 2005, et fin 2009 ce fut aussi le cas de l’agglomération de Rouen et de Digne-les-Bains. Des communes du Valde- Marne ont pareillement refusé de renouveler leurs contrats avec Veolia pour l’assainissement. Le Conseil général des Landes a mis en place un système de subventions bonifiées pour les communes privilégiant la régie publique, provoquant une intense bataille juridique avec les grandes entreprises de l’eau. Le cas le plus emblématique après celui de Grenoble demeure toutefois celui de Paris, où le service de l’eau est totalement repassé en régie publique à partir du 1er janvier 2010, après avoir été confié partiellement depuis 1985 à Veolia et à Suez. Ces deux entreprises assuraient la distribution, tandisqu’une société d’économie mixte (SEM), Eau de Paris, assurait la production, le transport et le stockage, et que la Ville était directement responsable du pilotage et du contrôle. La transformation de l’ancienne société d’économie mixte en régie publique à personnalité morale et à autonomie financière, assurant tous les aspects du service, permettra donc aussi de simplifier la situation.
Les bienfaits de la remunicipalisation
Les enquêtes sur le prix de l’eau menées par les associations de défense de consommateurs ont constitué un second facteur de contestation. Elles ont en effet révélé non seulement que le prix de l’eau était en moyenne plus élevé de 30 % lorsque le service était délégué à un opérateur privé par rapport à un service en régie, mais encore de multiples cas d’abus. Par exemple : surfacturation de services assurés par des filiales, hausse de prix justifiée par le besoin de remboursement de la dette et encore appliquée après que la dette soit remboursée, taux de marge astronomiques (près de 60 % à Marseille). Ces dénonciations, cumulées à des évolutions institutionnelles (intercommunalité, commissions consultatives des services publics locaux) et à des alternances politiques intervenues au niveau local, ont contribué à modifier très sensiblement le paysage de l’eau en France.
Les deux principaux obstacles qui s’opposent aux efforts de retour à la régie municipale sont les contraintes financières pesant d’ores et déjà sur les collectivités locales, et aussi la difficulté à réacquérir les compétences techniques et managériales nécessaires après plusieurs décennies de gestion privée.
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1. Le marché de l'eau français se répartit pour l'essentiel entre Veolia, Suez et le groupe SAUR . Le groupe SAUR (Société d’aménagement urbain et rural) est un consortium d'entreprises qui accompagne les collectivités locales et les industriels dans leurs projets d'aménagement liés à l'eau, la propreté, l'énergie, l'ingénierie, les travaux et les activités de loisirs.
La France fait figure d'exception dans le monde en raison de l'omniprésence du secteur privé dans la gestion de l'eau. Plus de deux tiers de la population de l'Hexagone paie sa facture d'eau au secteur industriel. Mécontentes de cette hégémonie, certaines municipalités ont développé leurs propres services.