Nous écrivions il y a quelques mois que le succès populaire impressionnant de la Kiwibank – lancée par la Poste néo-zélandaise début 2002 et totalement épargnée par la crise actuelle car n'ayant pas misé sur le marché spéculatif mondial – d'une part, et la lamentable saga de la CGER – vendue à une banque commerciale que l'État a ensuite dû renflouer pour qu'elle ne tombe pas en faillite – d'autre part, donnent à réfléchir sur le rôle de l'État dans le marché financier.
Ne doit-il pas être plus interventionniste et, aujourd'hui, recréer une banque publique sur les cendres de cette privatisation financière qui, c'est le moins que l'on puisse écrire, ne semble pas s'apparenter à un grand succès ? La question est complexe et recouvre divers aspects qui, sans aucun doute, méritent un examen approfondi. Ceci ne nous dispense pas de la poser et de la débattre de toute urgence, notamment au regard des expériences passées1.
Cette question a été relancée en ce début d'année à l'occasion de la proposition de la FGTB de créer une banque publique qui pourrait irriguer le système économique et conduire à la création d’emplois nouveaux et durables2. Quelques semaines plus tard paraissait le livre de Marco Van Hees, Banques qui pillent... Banques qui pleurent, qui charge le capitalisme financier et propose également la création d'une banque publique3.
Cette question a encore rebondi fin mars à l'occasion de la décision du Labour britannique, en précampagne électorale, de créer une « banque du peuple » basée dans les 11 500 bureaux de poste du royaume. L'objectif est d'y proposer un plus grand nombre de produits financiers, d'y encourager l'épargne et de faciliter l'accès au crédit approprié pour les particuliers à bas revenus4. Cette décision fait suite à la publication des résultats d'une consultation sur les activités financières des bureaux de poste, à l'occasion de laquelle le secrétaire d'État Lord Mandelson a déclaré : « Since the banking crisis, we have set about reinventing the financial services industry piece-by-piece, building a system that is fairer, trusted and more reliable. » (« Depuis la crise bancaire, nous nous sommes mis à réinventer l'industrie des services financiers morceau par morceau, construisant un système qui soit équitable, de confiance et plus fiable. »)a href="#sdfootnote5sym">5
La contrainte juridique
Encore faut-il vérifier dans quelles conditions les pouvoirs publics peuvent créer une banque publique compte tenu des contraintes juridiques auxquel les ils doivent se soumettre.
C’est en effet à partir de la fin des années 1970 qu’a été amorcée l’intégration ou la libéralisation du marché bancaire. Les deux premières directives bancaires européennes ont été adoptées respectivement le 12 décembre 1977 et le 15 décembre 1989. Pour regrouper et codifier ces deux directives et d’autres adoptées depuis lors, une nouvelle directive a été adoptée le 20 mars 2000, qui a été elle-même modifiée de façon substantielle à plusieurs reprises. Le 14 juin 2006 enfin, à l'occasion de nouvelles modifications de ladite directive, le législateur européen a, dans un souci de clarté, procédé à une refonte de celle-ci.
Ces directives bancaires ont gommé autant que possible les différences entre les banques commerciales et les banques de développement. Toutes les particularités qu’avaient ces dernières, comme des avantages fiscaux, des garanties publiques..., qui leur permettaient de remplir leurs fonctions de développement local, ont en grande partie disparu. Une série de banques avaient droit à une exemption dans la première directive bancaire – il s’agissait surtout des organismes publics. La liste nominative de ces banques s’est réduite au fil du temps, l’objectif de la Commission européenne étant de faire disparaître toute distorsion de concurrence entre les différents types de banques. Cette liste est à présent fermée puisqu’a été supprimée la faculté, qui était encore prévue dans la directive de 2000, que le Conseil, sur proposition de la Commission, modifie cette liste d’exemptions6.
Il n'est donc pas formellement interdit aux pouvoirs publics de créer ou de maintenir des banques publiques, mais, si celles-ci ne figurent pas dans la liste d'exemption, elles doivent être mises sur un strict pied d'égalité avec les banques privées :
- Les relations financières entre le propriétaire public et l'établissement public de crédit ne diffèrent pas d'une relation commerciale normale de propriété régie par les principes de l'économie de marché, à l'instar de la relation existant entre un actionnaire privé et une société anonyme.
- Toute obligation du propriétaire public d'accorder un soutien économique à l'établissement public de crédit et tout mécanisme automatique de soutien économique du propriétaire à l'établissement public de crédit est exclu. Il ne peut y avoir responsabilité illimitée du propriétaire pour les engagements de l'établissement public de crédit. Il ne peut y avoir ni déclaration d'intention ni garantie concernant l'existence de l'établissement public de crédit (exclusion de toute "bestandsgarantie").
- Les établissements publics de crédit sont soumis aux mêmes règles d'insolvabilité que les établissements privés, leurs créanciers étant ainsi placés dans la même situation que les créanciers des établissements privés.
- Ces principes sont sans préjudice de la possibilité pour le propriétaire d'accorder un soutien économique dans le respect des règles du traité CE concernant les aides d'État.
Les principes qui précèdent ont été dégagés dans le cadre d'un accord conclu entre l'Allemagne et la Commission sur les garanties d'État en faveur des Landesbanken et des banques d'épargne. Les Landesbanken sont des établissements publics de crédit régionaux, comparables aux caisses d'épargne françaises. Elles bénéficiaient d'apports financiers et d'une garantie illimitée de la part des Länder allemands, qui leur permettaient de se refinancer sur le marché à des conditions avantageuses. Les banques privées allemandes, se considérant victimes d'une distorsion de concurrence, ont déposé plainte auprès de la Commission européenne.
Au mois de juillet 1999, celle-ci a engagé des procédures d'enquête contre six Landesbanken et demandé à celle contrôlée par la Rhénanie du Nord-Westphalie de rembourser à sa région de tutelle 808 milliards d'euros, au titre d'un apport d'actifs considéré comme une aide d'État. Refusant d'obtempérer, le Land concerné et le gouvernement fédéral allemand ont porté l'affaire devant la Cour de justice, au mois de mai 2000. La Fédération bancaire européenne (FBE) s'est à son tour jetée dans la bataille et a porté plainte auprès de la Commission, au mois de juillet 2000, contre le régime des garanties accordées aux Landesbanken, s'attirant en retour les foudres des Caisses d'épargne européennes. Au final, l'accord précité a pu être dégagé7.
Conclusions
Aucun avantage particulier ne peut donc être offert à une banque publique, auquel une banque privée n'aurait pas accès. Mais tant l'un que l'autre peuvent bénéficier d'un soutien économique dans le respect des règles du traité CE concernant les aides d'État.
La question se pose dès lors de savoir quand et à quelles conditions il est indiqué, voire nécessaire, de créer une banque publique. Pour y répondre, deux ordres de considérations nous paraissent devoir être distingués. D'abord, il faut déterminer quelles sont les missions d'intérêt économique général qui doivent être assumées par le secteur financier dans son ensemble ou par certains opérateurs en particulier. On pense notamment à l'irrigation du système économique, pour reprendre les termes de la FGTB, ou à la nécessité d'éradiquer l'exclusion financière8. Et il convient de vérifier si ces services sont correctement assumés et, à défaut, de créer les incitants qui permettent qu'ils le soient 9. Ensuite, si aucune institution existante n'a la volonté ou la capacité d'assumer ces missions, il conviendra effectivement de combler cette lacune en créant un organisme public adéquat.
Si la banque publique peut donc certainement constituer un outil précieux de politique publique en matière financière, sa mise en place nous paraît devoir être précédée d'une définition claire des missions d'intérêt économique général qui doivent être assumées par le secteur financier. Sans doute une telle définition aurait-elle d'ailleurs permis d'éviter les crises à répétition dont la planète finance nous a gratifiés ces dernières années. Des incitants, comme une compensation financière entre opérateurs, peuvent alors être prévus pour éviter toute distorsion de concurrence au détriment de ceux qui assument de telles missions.
Si aucun opérateur privé n'assume celles-ci, les pouvoirs publics devront pallier cette carence en créant une institution publique qui pourra, du reste, obtenir auprès de ses concurrents privés une juste compensation pour assumer ses missions d'intérêt économique général.
Bernard Bayot
mai 2010