156 labels ISR attribués par Novethic : la transparence progresse
FINANcité Magazine n° 22 : Argent public... éthique ?
La Communauté française montre l'exemple
En bref :
- Les résultats de l'analyse extrafinancière de la Communauté française sont flatteurs.
- Cette évaluation doit permettre aux investisseurs d'apprécier ;sa performance en matière de développement durable.
Compétente en matière d'enseignement, de culture, de sport, de jeunesse, de santé..., la Communauté française emploie des milliers de personnes et est responsable de centaines de projets de société en Belgique francophone. Son budget annuel se chiffre en milliards d'euros. La Communauté française a demandé à l'agence extrafinancière Vigéo (1) d'analyser sa responsabilité sociale. Par là, elle s'engage indéniablement sur la voie du développement durable à grande échelle. Mais pas seulement...
Un accès à de nouveaux marchés ?
Pour augmenter ses moyens financiers, la Communauté française émet des obligations. Une obligation est une part d’emprunt contractée par les entreprises, par les États, par les collectivités locales ou par les gouvernements auprès d'investisseurs publics ou privés. Cette formule permet d'emprunter à un taux inférieur à celui proposé habituellement par les banques. Grâce aux bons résultats de l'analyse de Vigeo, les emprunts réalisés par la
C ommunauté française devraient pouvoir être considérés par les investisseurs qui y souscrivent comme des ISR, ce qui lui donnera accès à de nouveaux marchés, comme celui des fonds de placements éthiques. En étant présente dans de tels fonds, l'institution espère attirer de nouveaux créanciers. Une manière responsable d'accéder à de nouvelles opportunités d'emprunts, de diversifier sa base d'investisseurs, mais également un acte politique
fort au regard du (encore) faible intérêt que représente aujourd'hui l'ISR auprès des investisseurs (voir article p. 5). Une telle analyse devrait enfin permettre à la Communauté française ;de mettre le doigt sur ses forces et ses faiblesses en matière de responsabilité sociale et de s'améliorer en conséquence.
Sous toutes les coutures ?
L'agence européenne Vigeo a basé son analyse sur la façon dont sont pris en compte, au quotidien, tous les éléments qui impactent le développement durable de l'institution. Il s'agit des ressources humaines, des droits humains, de la commande publique, du développement des solidarités, de la bonne gouvernance et de l’environnement. Chacun de ces six domaines a été étudié en fonction de sous-critères. Ainsi, l'analyse environnementale de Vigeo a tenu compte de la gestion des émissions de gaz à effet de serre de la Communauté française, mais aussi de la gestion de ses ressources en eau... Les ressources humaines ont été étudiées suivant la qualitédes systèmes de rémunération, l'amélioration des conditions de sécurité et de santé... Le résultat obtenu par la Communauté française est jugé flatteur par Vigeo, qui classe l'institution en deuxième position sur un panel de 26 collectivités publiques qu’elle a eu l’occasion d’analyser, collectivités originaires ;d’Allemagne, de France, d’Espagne, d’Italie et – désormais – de Belgique.
1. Vigeo évalue l’engagement des organisations (entreprises, administrations, collectivités…) sur les objectifde responsabilité sociale, c’est-à-dire en matière environnementale, sociale/sociétale et de gouvernance. L'agence identifie les risques extrafinanciers auxquels les entreprises et autres organisations sont exposées, et leur niveau de maîtrise par le système managérial.
La Communauté française est la première institution publique belge francophone à faire évaluer sa responsabilité sociale. Une belle manière de se remettre en question, de s'engager sur la voie du développement durable et d'attirer de nouveaux investisseurs.
Communes en action !
Philippe Lauwers, échevin des Finances de Rixensart
Depuis avril 2011, Rixensart innove en faisant du placement à court terme chez Triodos.
FINANcité : Pourquoi avoir choisi de placer une partie de la trésorerie à court terme de la commune de Rixensart chez Triodos ?
Il s'agit là d'un signal de diversification de nos placements lancé à Dexia (qui gère déjà les fonds de pension de nos mandataires pour un montant de 600 000 euros dans un fonds éthique). De plus, la plupart des communes, lorsqu'elles investissent en ISR, le font via des placements à long terme. Il est important pour nous de s'inscrire dans cette démarche responsable sur le court terme aussi.
Comment s'assurer du caractère éthique de vos placements ?
En ce qui concerne Dexia, je dois bien reconnaître que nous n'avons pas vraiment d'instrument de contrôle. Nous devons lui faire confiance. Sur le plan éthique, les choses sont beaucoup plus claires chez Triodos, qui nous a fourni une liste détaillée de la façon dont est géré notre argent sur le plan social et environnemental. Cette transparence nous permet de vérifier très facilement si les critères éthiques sont respectés.
Pourquoi ne pas faire plus ?
Les banques traditionnelles offrent des aides à la gestion. Elles sont présentes dans toutes les communes et connaissent bien les spécificités des investissements de chacune d'entre elles. Forcément, avec toutes ces facilités mises à disposition, changer d'opérateur est peu motivant. Les banques éthiques n'offrent pas de tels services à l'heure actuelle. Du reste, je pense que des initiatives comme « Ça passe par ma commune » (voir p.7) peuvent jouer un rôle important dans l'évolution de l'ISR en interpellant leurs élus communaux.
Aurélie Naud, échevine des Finances de Braine-l'Alleud
Les fonds de pension de la commune de Braine-l'Alleud sont investis en placements éthiques à hauteur de 140 000 euros par an via Dexia.
FINANcité : Quels types de banques répondent à vos marchés publics ?
Dès qu'il y a des opportunités de marché, les banques traditionnelles sont là pour nous expliquer leurs produits. Dans le cas de la gestion des fonds de pension de nos mandataires, c'est la banque Dexia qui est venue à nous. Et elle s'est présentée avec une offre sur mesure. On est par contre très peu approchés par des institutions dont le corebusiness est d'investir dans l'éthique. On se rabat donc sur ce qu'on connaît et sur les produits avec lesquels on a l'habitude de travailler.
Quelle importance représente votre fonds de pension éthique aujourd'hui ?
Il représente le paiement d'une prime unique d'environ 125 000 euros par an ainsi que l'alimentation annuelle du fonds à concurrence de 37,77 % de la masse salariale de nos mandataires, soit actuellement près de 140 000 euros par an. Ce n'est pas énorme, mais ce montant augmente d'année en année. En 2035, le montant total investi devrait avoisiner les quatre millions d'euros par an.
Cela a-t-il été difficile de convaincre le Collège communal ?
Oui et non. « O ui » car il faut composer avec les aspirations des différents partis autour de la table et car il y a moins d'avantages financiers à placer ses billes dans des produits éthiques (NDLR : en réalité, ce ne sont pas les investissements qui sont moins rentables, mais les produits proposés qui sont moins variés) . Et « non » car nous étions tous d'accord sur le fait qu'il faut encourager ce type de démarche. C'est une question de volonté politique.
David dâ Camara Gomes, échevin des Finances d'Ottignies- Louvain-la-Neuve
La commune d'Ottignies-Louvain-la-Neuve participe à un système de production d'énergie 100% verte depuis 2007.
FINANcité : Comment un tel système de distribution d'énergie verte s'est-il mis en place ?
Les communes du Brabant wallon se sont entendues pour créer une centrale d'achat d'énergie verte, via l'intercommunale d'Ottignies- Louvain-la-Neuve. Grâce à l'achat groupé, nous avons ainsi pu accéder à des prix intéressants auprès du fournisseur et nous avons équipé tous les toits bien orientés des communes en panneaux solaires. L'intercommunale, qui fonctionne comme tiers investisseur, préfinance l'achat sur huit ans, période
après laquelle la commune devient propriétaire.
Y a-t-il d'autres initiatives prises par votre commune en matière d'ISR ?
Environ 200 000 euros transitent chaque année sur un compte courant et un compte de placement à la banque Triodos. C'est peu par rapport à une trésorerie de 12 millions, mais c'est pour l'instant le mieux qu'on puisse faire.
Nous avons également pensé à entrer dans le financement de Crédal, mais nous ne sommes pas tombés d'accord avec le receveur.
Le receveur est-il un frein aux placements en ISR ?
Le receveur cherche une facilité de placement. Son rôle est de placer la trésorerie de la commune de manière à assurer un rendement suffisant. Nous ne pouvons pas interférer dans ses choix, mais nous pouvons les juger. En même temps, le receveur reste attentif à ce que ses placements conviennent à la majorité politique du moment, voire à la majorité politique suivante. Il s'agit donc d'une question de bonnes relations entre le receveur et le Collège. Tant qu'il n'y aura pas de loi qui permette au Collège communal d'orienter les choix du receveur, les choses ne changeront pas.
FINANcité à interviewé trois échevin(e)s de communes qui sont passées à l'action en matière d'ISR.
Gand n'y va pas de main morte !
La ville de Gand est la première à réagir contre le retour à la pratique des bonus, plus précisément ceux octroyés par les banques Dexia et KBC à leurs dirigeants respectifs. Et la ville le fait là où ça fait mal, en retirant plus de 30 millions d'euros de ces deux institutions financières ! La décision de la ville de Gand est sans aucun doute un signal fort : elle vise d'une part à influer sur les pratiques généralisées des bonus et, d'autre part, à rassurer les contribuables en s'insurgeant contre ces pratiques très peu éthiques en ces temps difficiles. Nous ne disons pas seulement que ce n’est pas éthique, nous agissons aussi. C’est toute la force du consommateur d'agir avec le langage de l’argent, ajoutait l’échevin des Finances de la ville de Gand, M. Peeters. La ville de Gand, espérons-le, ne sera pas la seule à se lancer dans un tel bras de fer. Une prise de position forte, côté wallon, serait vivement souhaitable aussi.
Antoine Attout,
juin 2011
Fausses idées et mode d'emploi à l'intention des communes
- Les investissements socialement responsables ne sont pas plus risqués (il peut s'agir de fonds obligataires, de produits à capital garanti...), ni moins rentables que les produits classiques.
- La différence réside dans le fait qu'ils intègrent dans leur choix d'entreprises des critères sociaux (prise en compte des conditions salariales, syndicales, de l'intérêt des populations locales où le projet est implanté...) et environnementaux (politique des déchets, préoccupation de l'écosystème où le projet est créé, réduction des gaz à effets de serre...).
- L'argent peut être placé à court ou moyen terme sur des comptes à terme éthiques et solidaires.
- Dans le cadre de produits plus particuliers, la commune peut insérer dans les marchés publics financiers des clauses sociales et environnementales, obligeant le gestionnaire à n'investir que dans des États ou des entreprises à propos desquels il n'existe pas d'indices sérieux et concordants qui les rendent coupables comme auteur, coauteur ou complice d'actes prohibés par les conventions internationales ratifiées par la Belgique.
Laurence Roland,
juin 2011
Éthique : communément vôtre ?
En bref :
- L'investissement socialement responsable au niveau des communes est faible.
- Les responsables communaux méconnaissent les produits.
Le cycle de l'argent communal
Les communes gèrent l'argent des contribuables en « bons pères de famille ». Elles doivent réaliser des placements sûrs et les plus rentables possible. Leurs recettes proviennent de trois sources : des dotations de la Région, des subsides pour la réalisation de projets spécifiques et, bien sûr, des taxes et impôts qu'elles perçoivent auprès de leurs habitants. La commune utilise ces recettes pour gérer ce dont elle a la compétence (l'hygiène des voiries, la sécurité, les bâtiments scolaires, le logement, l'action sociale...). Une partie de cet argent doit être mobilisable à court ou moyen terme (pour payer des factures, des salaires...) tandis qu'une autre peut être investie à plus ou moins long terme. Dans tous les cas, cela peut se faire dans des produits financiers socialement responsables. Pourtant, sur les 589 communes que compte la Belgique, seules 8 % d'entre elles placent (ou voudraient placer) une partie de leurs avoirs dans des produits socialement responsables. Lorsque c'est le cas, le plus souvent,les sommes placées ne dépassent pas 5 à 10 % des avoirs selon une étude menée en 2009 par le Réseau Financement Alternatif et Netwerk Vlaanderen (1). Jusqu'à présent, les communes perçoivent mal l'importance d'investir l'argent public dans des activités qui ne soient pas nuisibles à l'homme et à son environnement. Les notions de « bon père de famille » et d'« investisseur responsable » n'ont pas encore dépassé le niveau du seul argument économique.
De bonnes et de mauvaises raisons
Si l'on ne tient pas compte des communes qui estiment ne pas avoir d'argent à placer, la raison principale pour laquelle elles ne placent pas leurs avoirs de manière socialement responsable est qu'elles ignorent qu'elles peuvent le faire ! Soit elles ignorent que cela existe, soit l'information reçue des promoteurs leur paraît insuffisante, soit encore, elles se sentent mal à l'aise avec de tels produits (les trouvant peu adaptés à leurs besoins, moins rentables, trop risqués...). Au contraire, lorsque l'on se penche sur les raisons qui amènent une commune à placer une partie de ses avoirs en ISR, on constate qu'elles reposent d'abord sur la volonté de combiner rentabilité économique et sociétale ou de montrer le bon exemple. On est donc bien loin de l'obligation pourtant légale (en tout cas en Région bruxelloise, de placer au minimum 10 % des avoirs en tenant compte de critères sociaux et environnementaux). Enfin, pour certains, le receveur (le trésorier) – qui gère les dépenses et recettes communales à court terme – ne doit pas baser sa stratégie d'investissement sur la volonté du Collège, soumis, lui, au changement de législature. Les investissements socialement responsables ne peuvent donc se faire que dans le cadre des investissements à long terme décidés par le Collège des échevins.
Des communes irresponsables ?
Certaines ont créé des fonds de pension socialement responsables pour les mandataires ou les employés communaux, en choisissant elles-mêmes les critères de sélection ou, le plus souvent, en acceptant ceux proposés par la banque. D'autres considèrent que leurs investissements, notamment dans des coopératives éoliennes ou à travers des subsides ou des aides ponctuelles dans des associations sont déjà des actes socialement responsables. On le voit, si les mandataires communaux investissent peu en ISR, c'est avant tout qu'il leur manque un cadre. Une définition légale de l'investissement socialement responsable, des produits ISR simples adaptés aux communes et à leurs besoins, une obligation réelle et univoque de placer l'argent des contribuables dans des produits éthiques sont autant d’éléments qui permettraient aux communes d'investir de manière socialement responsable sans tenir le rôle de pionnier obligé d’ouvrir seul toutes les portes.
Laurence Roland,
juin 2011
1. BAYOT, B., CAYROL, A., DEMOUSTIEZ, A., WEY N, L., Évaluation de la gestion des fonds publics selon des critères sociaux,environnementaux et éthiques, 2009.
Entre réglementations, bonnes intentions et réalisations, où le bât blesse-t-il au niveau de nos communes ?
ISR, c'est quoi ?
Investir de manière socialement responsable (ISR ), c'est donc investir dans des entreprises ou des États, dans des paniers d'entreprises ou d'États (comme pour les fonds de placement) ou sur des comptes d'épargne (qui eux-mêmes réinvestissent sous forme de crédits aux particuliers ou aux professionnels) qui respectent un certain nombre de règles tant sur le plan financier qu’extrafinancier. L’investissement doit être rentable mais doit également être respectueux de l'homme et de son environnement, à travers l'activité qu'il permet. Il peut s'agir d'un investissement dans une petite coopérative locale qui cultive des légumes bio comme d'un investissement dans une multinationale cotée en Bourse. Les méthodes pour sélectionner les entreprises et les États diffère d'un produit à l'autre. De manière générale, le gestionnaire exclut certains secteurs (par exemple, les fabricants d'armes controversées) ou certains types d'activités
au sein d'un secteur. Ensuite, il analyse les entreprises sur la base de critères sociaux (le respect des normes de l'Organisation internationale du travail, la politique de formation, de mobilité, salariale...), environnementaux (les rejets CO 2, la politique de réduction des déchets...), de bonne gouvernance (le risque de corruption, les méthodes de décision au sein de l'entreprise...) et, enfin, financiers. Il ne garde alors dans son « univers d'investissement » dans lequel il puise les entreprises pour composer son fonds que celles qui ont obtenu le meilleur score.
Laurence Roland,
juin 2011
Les entreprises présentes dans les fonds ISR sont-elles socialement responsables ?
Ainsi, il n'est pas rare que des entreprises ou des Etats se retrouvent dans des fonds ISR malgré qu'ils soient blacklistés en raison de leur violation des droits environnementaux, sociaux, humains, civils...
Pourquoi ? En tout premier lieu, la méthodologie de sélection et les résultats appliqués aux entreprises, en l'absence de contrôle externe, sont difficilement accessibles. Deuxièmement, les critères de sélection sont variables d'un gestionnaire à l'autre et rendent la comparaison difficile. Enfin, certaines entreprisesnéfastes (comme BP qui vient de provoquer une des plus graves marées noires ou France Telecom, pointée du doigt pour les conditions sociales « difficiles ») ne sont pas sur les listes noires et figurent dans la plupart des fonds d'investissement socialement responsable. Ceci plaide pour une définition légale de ce qu'est l'ISR et pour un renforcement des critères de sélection des entreprises, mais aussi pour une obligation de transparence plus forte de la part de celles-ci.
Laurence Roland,
juin 2011
En 2010, nos voisins du Grand-Duché du Luxembourg découvraient avec effroi qu'une partie de l'argent placé dans un fonds de pension pour leurs retraites avait été investi dans l'industrie de l'armement et dans l'énergie nucléaire.
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