Banques Centrales: indépendance ou soumission
La dette publique : petite leçon de démocratie
Nos États auraient-ils pu simplement décider de ne pas rembourser leurs dettes ? "Inconcevable", pensent certains ! Cela mènerait à des scénarios d'horreur, comme l'évoque le gouverneur de la Banque de France. Pourtant, c'est le choix qu'ont fait certains pays comme l'Équateur et l'Islande. Comment ces deux États en sont-ils arrivés à choisir délibérément de ne pas honorer certaines de leurs dettes ? Sur quels fondements juridiques se sont-ils basés pour justifier ce défaut de paiement ? Avec quelles conséquences pour la population, et quelles réactions des créanciers ? Quelles leçons pourrions-nous en tirer en Belgique ?
Pourquoi les États n'empruntent pas à la Banque centrale ?
S'il y a bien une question qui fait couler de l'encre en cette période de crise, c'est celle de la dette des États et de la manière dont ceux-ci devraient/pourraient sortir de la crise en obtenant des financements directs de la Banque centrale européenne. Ce fut d'ailleurs l'une des problématiques largement abordées par 8 des 10 candidats à la présidentielle française en cette année 2012. Seuls deux candidats, Sarkozy et Hollande, n'ont presque jamais fait référence à ce fameux traité de Maastricht, et plus spécifiquement à l'article 101, qui interdit aux banques centrales nationales de prêter directement aux États.
Les taxes sur les transactions finanières : une utopie réaliste
Bâle, troisième !
« Nous devons instaurer une réforme complète de la régulation et combler les lacunes existantes en matière de contrôle.» L'appel, lancé le 24 mars 2009 par le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, devant la Chambre des représentants, répond à un constat sur lequel tout le monde s'accorde : la supervision a fait défaut depuis le début de la crise financière. Pour apporter une solution au moins partielle à ce constat, un nouvel accord, dit de Bâle III, a été trouvé au mois de septembre 2010.
Surveillance et régulation bancaire
Trois organes internationaux de surveillance et de régulation bancaire existent : le Comité de Bâle, le Forum de stabilité financière (FSF) et le Fonds monétaire internationaI (FMI). Le premier a une fonction de renforcement de la régulation prudentielle, c'est-à-dire une surveillance de l'activité financière fondée sur la prudence. Le second est une sorte d'institution tiroir, chargée de « promouvoir la stabilité financière», où se regroupent pays du G7, organisations internationales et autorités nationales de marché. Quant au FMI, il use de son pouvoir de surveillance essentiellement dans le domaine monétaire et très peu sur les marchés financiers.
Voyons de plus près le premier d'entre eux. Le Comité de Bâle ou Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (en anglais Basel Committee on Banking Supervision, BCBS) est un forum où sont traités de manière régulière (quatre fois par an) les sujets relatifs à la supervision bancaire. Il est hébergé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) qui est une organisation internationale qui regroupe les banques centrales ou autorités monétaires de cinquante pays ou territoires et qui a pour mission de stimuler la coopération des banques centrales et d'autres agences dans la poursuite de la stabilité monétaire et financière.
Le Comité de Bâle a été instauré en décembre 1974 pour améliorer la coopération entre autorités de contrôle des banques. Il coordonne le partage des responsabilités prudentielles entre autorités nationales, dans le but d’assurer une surveillance efficace de l’activité bancaire à l’échelle mondiale.
Bâle I
En 1988, il a formulé des recommandations appelées accord de Bâle sur les fonds propres ou encore accord de Bâle I, en vue de parvenir à une convergence internationale de la mesure des fonds propres des banques et de fixer des exigences minimales.
De quoi s'agit-il ? Les fonds propres désignent ce que l'entreprise, ici la banque, possède (bâtiments, terrains, machines, trésorerie) moins ce qu'elle doit (ses dettes). Le principal avantage des fonds propres est de représenter un matelas de sécurité pour les créanciers de l'entreprise. En cas de grave difficultés financières, les chances de survie de l'entreprise sont proportionnelles à l'importance de ses fonds propres, beaucoup plus qu'à sa taille. Une très grande entreprise ayant trop peu de fonds propres peut disparaître très rapidement. L'utilité des fonds propres est donc d'assurer que l'entreprise soit solvable, c'est-à-dire en capacité de payer ses dettes sur le court, moyen et long terme.
Le pivot de l’accord de Bâle I est la mise en place d'un ratio minimal de fonds propres par rapport à l'ensemble des crédits accordés, le ratio Cooke, qui prévoit que le rapport des deux valeurs ne doit pas être inférieur à 8 %. En d'autres termes, si on a 8 de fonds propres, on peut prêter 100, mais pas davantage, avec les dépôts reçus des clients. La grande limite du ratio Cooke, et donc des réglementations issues des premiers accords de Bâle, est liée à la définition des engagements de crédit. La principale variable prise en compte était le montant du crédit distribué. À la lumière de la théorie financière moderne, il est apparu qu'était négligée la dimension essentielle de la qualité de l'emprunteur, et donc du risque de crédit qu'il représente réellement.
Bâle II
Le Comité de Bâle a donc publié le 15 juillet 2004 la recommandation « Bâle II »1 dans laquelle est définie une mesure plus pertinente du risque de crédit, avec en particulier la prise en compte de la qualité de l'emprunteur, y compris par l'intermédiaire d'un système de notation interne propre à chaque établissement (dénommé IRB, Internal Rating Based). Le nouveau ratio de solvabilité est le ratio McDonough.
En fait, les recommandations de Bâle II s'appuient sur trois piliers (terme employé explicitement dans le texte des accords) :
- l'exigence de fonds propres (ratio de solvabilité McDonough) ;
- la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres ;
- la discipline du marché (transparence dans la communication des établissements).
Le premier pilier, l'exigence de fonds propres, affine l'accord de 1988 et cherche à rendre les fonds propres cohérents avec les risques réellement encourus par les établissements financiers. Parmi les nouveautés, signalons la prise en compte des risques opérationnels (fraude et pannes de système) et des risques de marché, en complément du risque de crédit ou de contrepartie. Pour le risque de crédit, les banques peuvent employer différents mécanismes d'évaluation. La méthode dite standard consiste à utiliser des systèmes de notation fournis par des organismes externes. Les méthodes plus sophistiquées (méthodes IRB) impliquent des méthodologies internes et propres à l'établissement financier d'évaluation de cotes ou de notes, afin de peser le risque relatif du crédit. Les différentes mesures ont une incidence directe sur la capitalisation requise.
Pour ce qui est du deuxième pilier, la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres, comme les stratégies des banques peuvent varier quant à la composition de l'actif et la prise de risques, les banques centrales auront plus de liberté dans l'établissement de normes face aux banques, pouvant hausser les exigences de capital là où elles le jugeront nécessaires...
Enfin, dans le troisième pilier, la discipline de marché, des règles de transparence sont établies quant à l'information mise à la disposition du public sur l'actif, les risques et leur gestion.2
Bâle III
Au mois de septembre 2010, un nouvel accord, dit de Bâle III, a été trouvé. Il porte sur un vaste plan de réforme du secteur bancaire, prévoyant un relèvement des fonds propres des établissements financiers. C'est que la crise de 2007-2008 a vu de nombreuses banques et non des moindres ne devoir leur survie qu'à l'intervention musclée des pouvoirs publics. Sans celle-ci, elles seraient tombées en faillite, entrainant sans aucun doute dans leur chute d'autres banques et des pans entiers de l'économie.
L'idée est donc de rendre les banques moins vulnérables et d'éviter qu'elles ne recourent aux fonds publics en cas de nouvelle crise financière. Pour ce faire, les nouveaux accords prévoient que les fonds propres « durs », c'est à dire composés uniquement d'actions et de bénéfices mis en réserve, devront représenter 7% des activités de marché ou de crédit des banques, contre 4 % dans les accords de Bâle II. L'augmentation de ce ratio vise à contribuer à limiter l'incitation à la prise de risque. Est-ce assez, est-ce trop ?
Pour Simon Johnson, l'ancien directeur des études du FMI, le ratio aurait dû être de 15% : le meilleur moyen d’instaurer un système plus sûr consiste à imposer des ratios de fonds propres très élevés et robustes, fixés par la législation et difficilement contournables ou révisables. En portant à 15 ou 25 % le ratio de fonds propres — ce qui reviendrait à renouer avec les ratios capital/actifs en vigueur aux États-Unis avant la création de la Réserve fédérale en 1913 — et en fixant par précaution des ratios de fonds propres trop élevés pour les instruments dérivés3 et autres structures financières complexes, nous mettrons en place un système beaucoup plus sûr avec des règles plus difficiles à détourner.4
Pour les banques, le ratio de 7 % est trop élevé : si elles doivent « geler » plus de fonds propres, il y aura moins de ressources pour le crédit. La régulation pèsera inévitablement sur le financement de l'économie et notamment le volume et le coût du crédit, a ainsi prévenu la Fédération bancaire française. Une conséquence d'autant plus dommageable pour l'économie européenne que 80% de son financement est assuré par les banques, quand les grandes entreprises américaines misent essentiellement sur le marché.5
Et les banques éthiques ?
Nous avions déjà relevé que, pour ce qui est de l’évaluation du risque, les plus grandes banques sont avantagées dans l’utilisation de l’évaluation interne ou externe des crédits pour désigner les taux de risque à appliquer. Les plus petites banques recourant à une approche standardisée sur la base de la structure de risque existant doivent utiliser l’évaluation de risque proposée dans la directive européenne qui a transcrit les accords de Bâle II6 ou avoir recours à des agences d’évaluation des risques de crédit. Celles-ci sont toutefois coûteuses et, en outre, il leur est difficile de comprendre l’économie bancaire sociale sans analyser les transactions financières sur plusieurs années. Il est par conséquent fort peu probable que les banques d'économie sociale soient capables de sortir de l’approche standardisée des risques avant plusieurs années.7
Il faut également relever des divergences dans les coefficients de risques appliqués dans les différents États membres de l'Union européenne. Ainsi, les entreprises sociales, les organisations non reconnues et les associations sans but lucratif se voient attribuer un coefficient de risque de 100 % en Italie, contre seulement 75 % pour les particuliers, alors même que les statistiques de défaillances des premières sont inférieures à celles des seconds. Dès lors, une banque comme la Banca Etica, spécialisée dans le crédit à de telles institutions est injustement pénalisée. Cela est d'autant plus étrange que, à l'inverse, dans un pays comme la Pologne, les prêts inférieurs à 1 million d'euros sont toujours affectés d'un coefficient de risque de 75 %, quelle que soit la qualité du client concerné.8 Harmonisation, quand tu nous tiens !
Conclusions
Nous sommes sans doute encore loin d'avoir instauré une réforme complète de la régulation et comblé les lacunes existantes en matière de contrôle, comme le souhaitait Timothy Geithner. Par certains aspects, le nouvel accord de Bâle III peut paraître timide et insuffisant pour contenir les effets d'une nouvelle crise sur les institutions financières. Au moins sur celles qui développent une activité fondée sur la prise inconsidérée de risque.
On peut sûrement se demander à cet égard s'il ne faut pas, d'abord, adopter des mesures plus fondamentales qui anticipent les risques plutôt que de tenter de les contrôler. Notamment limiter et contrôler les mouvements purement spéculatifs de capitaux.
Et, ensuite, différencier davantage les exigences de solvabilité selon la nature des institutions financières et les activités, plus ou moins spéculatives, qu'elles développent. De façon à ce que les prises de risques de certaines ne préjudicient pas à d'autres qui se voient, de ce fait, contraintes d'augmenter leur capitalisation. Il faut demander plus de garantie à ceux qui prennent plus de risque et pas à ceux qui, comment les banques éthiques, financent l'économie réelle en exerçant le métier de base du banquier : recueillir des dépôts pour fournir du crédit.
Bernard Bayot,
février 2011
1Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres, dispositif révisé, juin 2004, http://www.bis.org/publ/bcbs107fre.pdf.
2 Bernard Bayot, L'Europe réglemente les fonds propres des banques, Réseau Financement Alternatif, juillet 2006.
3 Contrat entre deux parties qui prévoit un échange (un achat par exemple) dans le futur à des conditions fixées au préalable. Normalement, il sert à couvrir le risque mais est de plus en plus utilisé à des fins spéculatives.
4 Les bonus et le «cycle apocalyptique», Finances & Développement, mars 2010, page 43.
5 Laura Raim, La réforme bancaire de Bâle 3 pour les nuls, L'Expansion, 13 septembre 2010.
6 Directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit, JO L 177 du 30.6.2006, p. 201–255.
7 Bernard bayot, op ; cit.
8 Alessia Vinci, Banca Etica, tra regole vecchie e nuove, Valori, décembre 2010, page 32.
Final Report
U.S. Households Access to and Use of Electronic Banking, 19892007
Toward Supervisory Convergence in Europe: A National perspective
Pour une prévention renforcée des risques systémiques
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