Aux larmes citoyens !
[ Sur la base d’un entretien avec Jean Puissant, écrivain et ancien professeur d’histoire à l’Université libre de Bruxelles.]
En bref
- Les mouvements citoyens comblent le vide laissé par l’État.
- Ils se construisent autour d’un projet politique, d’une autonomie financière, et d’une émotion partagée.
Plus les sociétés se sont institutionnalisées, plus les mouvements citoyens se sont développés. Au sens propre du terme, ce sont les révolutions française et américaine de la fin du XVIIIe siècle qui traduisent la notion de citoyenneté. À dater de ces événements, les individus existent juridiquement et sont égaux devant la loi.
Combler le vide
L’apparition des sociétés parlementaires et représentatives devait permettre aux citoyens d’exprimer leur volonté au travers des
institutions politiques. Une liberté relative puisque, dans tous les cas, la représentativité des élus (députés et sénateurs) est restreinte
à un nombre limité de citoyens. Le mouvement citoyen réunit donc des individus qui ne se sentent pas correctement représentés au niveau politique. En Belgique, les partis politiques sont les premiers à se constituer en mouvements citoyens en réaction à la nouvelle monarchie constitutionnelle et représentative. Le XIXe et le XXe siècle voient les libéraux et les catholiques s’affronter au sujet de la place de l’Église au sein de l’État et sur la question scolaire. Les questions de l’universalité des droits (rappelons que les femmes n’accèdent
au suffrage législatif qu’à partir de 1948 !) et des conditions de travail sont essentiellement portées par les socialistes. L’ensemble des interrogations qui traversent la société belge se pose avec, en toile de fond, la question des langues et de l’émancipation féminine.
Une balle dans le pied ?
Le mouvement citoyen veut s’exprimer en dehors de toute institution (juridique, militaire, ou ecclésiastique). La réalité démontre que
l’État a tendance à l’encadrer. S’ils sont devenus de véritables institutions d’un point de vue social, les partis politiques ne le sont pas d’un
point de vue juridique. Ils n’existent que par les subventions qui leur sont accordées et sont aujourd’hui encore absents de la Constitution. Les organisations non gouvernementales (ONG) font leur apparition à la fin du XIXe siècle. Elles sont également subventionnées, pour la plupart, par l’État. La Croix Rouge de Belgique, qui était au départ (1864) indépendante, est depuis 1981 auxiliaire des pouvoirs publics et perçoit à ce titre des subsides des entités fédérale et fédérées. D’autres associations, parmi les plus contestataires, cherchent à obtenir des subventions de ceux qu’ils contestent pour développer leurs activités. Un paradoxe qui explique en partie que les mouvements citoyens soient moins présents dans les pays autoritaires où l’État ne comprend pas comment un pouvoir peut subventionner sa propre critique.
De l’argent,de la politique et de l’émotion
Parallèlement aux partis politiques, les syndicats, mutuelles et associations prennent part aux revendications sociales. Dès 1906, la première convention collective belge est signée dans le secteur du textile. Si les périodes suivant les deux guerres mondiales renforcent la cohésion des citoyens, l’internationalisation des échanges financiers, les migrations politiques, les bouleversements climatiques mais aussi les exigences nationales (économiques et démographiques) font naître des revendications nouvelles (1). En 1961, Amnesty International entame le combat contre les atteintes aux droits humains, Greenpeace naît dix ans plus tard d’une protestation contre les essais nucléaires du gouvernement américain en Alaska, le mouvement altermondialiste se développe dans les années 1980 avec comme objectif premier la lutte contre la dette du tiers-monde. En 1996 à Bruxelles, la Marche blanche à la suite de l’affaire Dutroux remet en cause toutes les institutions politiques et judiciaires du pays. Mobilisation citoyenne historique de par son nombre de participants, elle rapelle que le facteur émotif est nécessaire pour réunir mais ne suffit pas pour perdurer. De fait, si l’indignation nationale permit de réunir 300 000 personnes en une fois, le mouvement issu de la Marche blanche disparut sitôt l’émotion retombée. Le mouvement prend sens lorsqu’il s’organise sur le plan financier et politique, et qu’il réussit à canaliser les frustrations et motivations des uns et des autres vers une avancée collective.
1. Gubin Éliane, Étude approfondie d’histoire politique de la Belgique contemporaine, Presses Universitaires de Bruxelles, 6e édition, 2005, p. 94.
L'internationalisation des échanges financiers, les bouleversements climatiques, les migrations et renversements politiques feront naître de nouveaux mouvements citoyens.