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Avoir un compte bancaire
Y a-t-il une réponse collective possible face à un risque individuel d'exclusion bancaire?
Banques et concurrence : « comment ça marche pas »
Les tenants de la pensée néoclassique, libérale, placent le libre marché comme l'unique approche possible pour qu'offre et demande se rencontrent et fixent un prix juste pour la clientèle solvable. Alors que l'on s'intéresse depuis plusieurs années à la question de l'inclusion bancaire, comment se fait-il que la concurrence ne permette pas que tout un chacun accède aux services dont il a besoin ?
Introduction
Certains mythes ont la peau dure... Il n'est pas rare d'entendre des décideurs politiques, de simples citoyens, des entrepreneurs ou des chercheurs s'étonner de l'inefficacité du marché et de la concurrence lorsqu’il s’agit de faire se rencontrer adéquatement l'offre et la demande.
Comment se fait-il qu'il faille intervenir ? Que certains publics soient délaissés ? Que la régulation mène parfois à un marché plus fluide ?
Afin d'ouvrir un peu plus grand les yeux sur ce qui garantit en théorie un bon fonctionnement du marché et de mesurer la distance qui sépare la théorie... du marché bancaire réel, voici une présentation synthétique des fondements du marché concurrentiel... Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur « la loi du marché » appliquée au secteur de la banque et du crédit.
Les conditions d'un marché parfait... et à quoi elles sont censées servir
Pour que le marché puisse avoir les vertus qu'on lui prête – c'est-à-dire qu'il permette une affectation efficace des ressources et, surtout, la fixation d'un prix qui soit le plus bas possible tout en permettant la rentabilité –, une série de conditions doivent être réunies.
- L’atomicité des acteurs : le nombre d’acheteurs et de vendeurs sont tous de taille relative infinitésimale. Ils sont suffisamment nombreux pour que, leurs ventes ou leurs achats individuels ne puissent pas provoquer de changement perceptible sur l'offre ou la demande globale. En d'autres termes, cela signifie qu'aucun acteur n'a le pouvoir, à lui seul, d'influencer le prix du marché dans un sens ou dans l'autre.
Or, dans son vade-mecum du secteur bancaire(1), l'Association belge des banques nous apprend que, fin 2005, la Belgique comptait 104 banques. Parmi ces dernières, quatre représentaient 84,3 % du total de bilan de l'ensemble (soit 946,7 milliards d’euros sur les 1123,4 milliards d'euros du total).
Inutile d'insister sur le fait que cette première condition n'est dès lors pas du tout garantie en ce qui concerne l'offre. Quatre des opérateurs sont de taille totalement disproportionnée par rapport aux autres, et dominent très largement le marché et les tendances qu'on y observe.
- L’homogénéité des produits :pour chacun des marchés considérés, les biens échangés doivent être identiques en qualité et en caractéristiques – consommer l'un ou l'autre bien ou service est donc indifférent pour le consommateur. En revanche, dès que les qualités du produit changent suffisamment pour introduire un changement dans le choix des consommateurs, il est nécessaire de considérer qu'il s'agit d'un autre marché.
Le caractère « interchangeable » du produit ou du service est nécessaire pour que la moindre modification du prix offert entraîne un changement dans le choix du consommateur, qui donne toujours la priorité à la meilleure offre du marché. Sans cette caractéristique, la rationalité du consommateur n'est pas censée pouvoir s'exprimer à plein.
- Compte bancaire : compte à vue et compte d'épargne
Ces produits, assez simples en apparence, sont toutefois, à l’intérieur de leur catégorie, déjà suffisamment différenciés pour qu’une comparaison objective des produits proposés – prestations offertes au regard des coûts – soit loin d'être évidente pour le consommateur.
Pour les comptes à vue, les coûts peuvent inclure des prestations limitées ou illimitées en fonction des supports utilisés (guichet classique, guichet électronique, phone ou internet banking…), mais aussi en fonction de l’usage que l’on en fait.
Avec les comptes d'épargne, dont le point principal de comparaison se concentre plus directement sur la rémunération des montants placés, la tâche est à peine plus simple. Les comparaisons sont compliquées par un mécanisme, proposé par nos banquiers, qui distingue un taux, qualifié « de base », et une prime « d'accroissement » ou « de fidélité », laquelle, dans certains cas, et après un laps de temps variable, vient s’ajouter à la rémunération garantie au taux de base. Ceci rend de facto beaucoup plus complexe le travail de comparaison... puisqu'il dépend de l'horizon temporel envisagé, et que ce dernier est, pour nombre d'épargnants, une inconnue.
- Crédit :
En matière de crédit, les choses se passent autrement, puisqu'il en existe de différents types, avec des fonctions différentes, et dont l'accès prend également en compte des paramètres propres aux consommateurs. Ces derniers n'obtenant du reste pas forcément le crédit qu'ils auraient souhaité.
Certains produits (carte de crédit, ouverture de crédit/crédit revolving) sont relativement standardisés et il est aisé d’en connaître les conditions dès que l’on souhaite « faire son marché », à tout le moins en théorie. Encore faut-il qu'une fois identifié le crédit le plus intéressant, le prêteur vous l'accorde ! Mais force est de constater que ces crédits, lorsqu'ils sont vendus par des intermédiaires, sont rarement refusés.
Pour les prêts personnels (prêts à tempérament), l'approche la plus pragmatique est de solliciter des simulations auprès d'un panel de prêteurs pour pouvoir choisir le crédit le plus favorable. Une telle démarche prend cependant du temps et nécessite un minimum de connaissances pour pouvoir discerner les meilleures conditions.
En ce qui concerne les prêts hypothécaires, les critères de choix (taux, durée, niveau de garantie, assurance…) sont assez nombreux et rendent par conséquent une comparaison stricte difficile, voire impossible, et ce, malgré la mise en place du TAEG, le taux annuel effectif global, qui inclut en théorie tous les coûts liés au crédit (taux d'intérêt, frais de dossier, assurance quand elle est obligatoirement prise chez le prêteur...).
En effet, il reste, dans de nombreux cas, difficile de savoir si le TAEG comprend ou non les assurances, car sans que ces dernières soient présentées comme obligatoires, il est parfois clairement conseillé de les souscrire chez le prêteur afin d'obtenir de meilleures conditions de crédit... Dans ce cas, le plus souvent, le TAEG comprenant l'assurance « non obligatoire » n'est donc pas calculé, ce qui, CQFD, rend le TAEG nettement moins efficace comme outil de comparaison.
La transparence de l'information : l’information parfaite de tous les participants (acheteurs et vendeurs) sur tous les autres acteurs et sur le bien échangé suppose une information gratuite et immédiate.
La transparenced e l'information est une condition en miroir, complémentaire à la rationalité économique des acteurs. Ces derniers doivent pouvoir recevoir la même information (pas de délit d'initié – qui en est le parfait contre-exemple) pour que cette rationalité opère dans le sens d'un ajustement vers un équilibre efficace.
On a compris, plus haut, en abordant la question de l’homogénéité théorique des produits, que le secteur de la banque et du crédit pousse le plus possible la différenciation de ses produits et services, ce qui rend d'autant plus laborieuse la recherche de l'information indispensable à un choix économiquement rationnel. La recherche de l'information n'est pas gratuite, car, à tout le moins, la collecte auprès des vendeurs et l'analyse des informations reçues demandent du temps. Inutile de revenir sur le niveau de compétence requis pour comprendre les informations ainsi collectées et en dégager le choix le plus avantageux... On est donc loin de la prémisse d'origine.
Ce qui s'en rapprocherait le plus serait la mise en ligne d'un « comparateur » qui intégrerait l'information relative aux crédits proposés sur le marché et à leurs conditions et qui permettrait d'identifier, selon le profil de consommateur encodé, d'identifier les produits les plus avantageux.
À cheval tant sur l'homogénéité des produits que sur la transparence de l'information viennent se greffer des pratiques de commerce qui rendent toujours plus difficile un choix objectivé. Parmi celles qui se développent en ce moment, pointons en particulier l'offre conjointe de produits et services. En donnant droit à des avantages ou conditions plus favorables, mais dans le cadre d’une offre globale, elle complique d'autant la comparaison au moment du choix.
La libre entrée sur le marché et la libre sortie du marché, tant du côté des acteurs de l'offre que du côté des acteurs de la demande.
Côté offre
La libre entrée sur le marché n’est pas applicable aux organismes bancaires. Il existe des conditions à la création d'une banque. Celles-ci sont relativement exigeantes et contrôlées par la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). La situation est beaucoup plus souple en matière d'octroi de crédit : les prêteurs et les intermédiaires de crédit doivent certes réunir des conditions pour être autorisés à démarrer leur activité, mais ces conditions sont bien moins sévères que celles qui sont imposées au secteur bancaire et leur contrôle est assuré par le SPF Économie.
Côté demande
Changer de banque, pour un consommateur, peut demander pas mal de démarches, qui sont autant de freins à mettre une telle décision en oeuvre : ouverture d'un autre compte, résiliation puis renouvellement des ordres permanents et domiciliations, information des tiers du changement de compte...
En matière de crédit, changer de contrat implique la clôture du contrat en cours, qui est rendue possible par un remboursement anticipé, lequel entraîne le paiement d'une indemnité. La loi encadre le montant maximal de l'indemnité à verser au prêteur dans ce cas(2) afin de limiter le frein que cette dernière génère en termes de mobilité du consommateur.
Lorsqu'un emprunt hypothécaire est en cours, la possibilité de changer de prêteur est rendue plus difficile encore. D'une part, parce qu'il est souvent contractuellement obligatoire de maintenir le versement du revenu sur le compte en banque que le consommateur avait ouvert chez son prêteur. D’autre part, et il s’agit là du frein qui demeure le plus important à ce jour, parce que l'inscription hypothécaire n'est pas attachée au contrat de crédit, mais au prêteur. Changer de prêteur pour profiter de meilleures conditions implique donc une nouvelle inscription hypothécaire, et c'est une opération coûteuse. Dès lors, le consommateur doit y réfléchir à deux fois et ne fera le pas que lorsque le différentiel d'intérêt sera suffisamment important pour compenser les frais générés par le changement.
La libre circulation des facteurs de production (le capital et le travail) : la main-d’œuvre et les capitaux se dirigent spontanément vers les marchés où la demande est supérieure à l’offre, car dans ce cas, la rareté provoque une hausse de son prix et donc... de sa valeur d'échange.
Ce qui se cache derrière cette condition est assez abstrait : l'idée est que l'économie se compose de l'ensemble des marchés. Ces derniers se composent de clients, qui constituent la demande, et de fournisseurs, qui représentent l'offre. Tant que l'offre est supérieure à la demande, un prix relativement élevé est fixé qui rend l'activité plus rentable que d'autres. Cela doit avoir comme conséquence un attrait pour que de nouveaux fournisseurs se lancent sur ce marché... ce mouvement se poursuivra jusqu'à ce que, au prix atteint sur le marché, tout nouveau fournisseur ne puisse plus vendre sans porter atteinte à sa rentabilité (car l'offre devenant plus importante que la demande, les prix vont diminuer en deçà du seuil de rentabilité).
L'économie doit donc permettre une libre circulation des capitaux et des travailleurs pour permettre à chacun d’être actif dans les secteurs où les rentabilités sont les plus élevées. Chacun cherchant son profit maximum, la fluidité des capitaux et du travail implique que chacun arbitre en permanence pour se diriger vers les marchés les plus rentables. Ce mouvement entraîne une réduction progressive de la marge bénéficiaire (l'offre augmentant en volume, le point d'équilibre avec la demande pousse le prix à la baisse). Une fois que le prix atteint sur le marché ne permet plus de dégager de marge, on considère que l'équilibre est atteint. Les capitaux iront donc chercher d'autres opportunités... sur d'autres marchés.
Ceci est bien entendu une pure vue de l'esprit... L'information n'étant pas parfaite, nul ne connait réellement les marges bénéficiaires de l'ensemble des marchés et nul n’est donc en mesure de savoir avec certitude où placer ses capitaux pour en obtenir la meilleure rentabilité. Si les Bourses nationales offrent des espaces d'échange de l'information, on sait depuis longtemps que la valeur d'échange en Bourse ne se base pas uniquement sur les potentiels de marges bénéficiaires restant à dégager. On a malheureusement dû observer que la spéculation biaise cette valeur d'échange et entraîne des mouvements de capitaux déconnectés de cette réalité productive. L'affectation des capitaux ne se comporte dès lors pas comme dans la théorie. À cela s'ajoute le fait qu'un volume important de capitaux ne transite pas par la Bourse et que les arbitrages relatifs aux entreprises non cotées reposent sur des niveaux d'information encore plus limités que lorsqu'ils sont faits en Bourse.
La fluidité du travail est tout aussi théorique : le marché parfait ne tient pas compte des compétences et des préférences professionnelles individuelles qui limitent d'autant la mobilité professionnelle inter-sectorielle. Selon le modèle, les gens ne chercheraient qu'à gagner au plus selon leur niveau de compétences, en faisant fi de toute dimension qualitative ou affective. Les principes de spécialisation, de carrière, d'inertie dans un domaine sont donc perçus comme autant d'obstacles au bon fonctionnement du marché.
Tous les acteurs sont rationnels économiquement : ils cherchent la satisfaction maximale de leur consommation (ou de leur investissement) pour un coût (ou un risque) minimum.
C'est tout le génie du modèle, sa pierre angulaire. En effet, la main invisible, c'est précisément cette force égoïste qui pousse tous les acteurs à chercher leur enrichissement économique maximum... et qui, par miracle et pour le bonheur de tous, fait que les marchés s'équilibrent, que les positions dominantes sont amenées à disparaître au profit d’une répartition harmonieuse des ressources.
La concurrence parfaite était donc un mythe
Si l'on se rapporte à la première définition disponible, à savoir celle que l'on trouve en ligne sur Wikipédia, le mythe se définit ainsi :
« Un mythe est un récit qui se veut explicatif et fondateur d'une pratique sociale. Il est porté à l'origine par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui véhicule ces mythes :
- la création du monde ;
- les phénomènes naturels ;
- le statut de l'être humain, et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature, avec les autres individus (d'un autre sexe, d'un autre groupe), etc. ;
- la genèse d'une société humaine et ses relations avec les autres sociétés.
Le terme mythe est souvent employé pour désigner une croyance manifestement erronée au premier abord, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique et partagée par un nombre significatif de personnes. »
Ainsi en est-il du marché parfait, censé nous assurer l'efficacité économique et réconcilier les égoïsmes individuels en un bien commun : il n'est pas de ce monde. Son pouvoir d'attraction tient sans doute dans cette résolution quelque peu contradictoire et magique : nos égoïsmes servent le bien commun... Oui, ça marche, en effet… dans les conditions du mythe.
Dans le monde réel, force est de constater qu'il est nécessaire de compenser la distance qui sépare la réalité du mythe par divers dispositifs, dont la régulation n'est pas la moindre. Et faut-il éprouver de la nostalgie à abandonner un mythe qui conçoit l'altruisme, la gratuité économique comme source de perturbation des lois économiques naturelles ?
Conclusions
Le secteur bancaire et le secteur du crédit sont très loin, tant au niveau des acteurs de l'offre que ceux de la demande, de ce qui permettrait au marché de fonctionner de manière fluide, harmonieuse, sans besoin d'intervention extérieure.
On peut également constater, et de manière d'autant plus marquée depuis la crise financière de 2008, que ce sont les marchés les moins régulés (marchés anglo-saxons) et les secteurs les moins contrôlés (subprime) qui ont été les plus touchés par la crise. Les vertus qui naîtraient des égoïsmes individuels cumulés ne doivent plus être attendues, la responsabilité d'un marché harmonieux revient, non plus à la main invisible, mais à la société tout entière, qui doit, par ses structures politiques, déterminer les limites dans lesquelles il est acceptable de poser des actes économiques.
Olivier Jérusalmy
décembre 2010
1 Vade-mecum statistique du secteur bancaire 2005 », ASPECTS ET DOCUMENTS 227, page 30 http://www.febelfin.be/export/sites/default/febelfin/pdf/fr/publications...
2 SPF Economie, PME, Classes moyennes et énergie,« LOI DU 12 JUIN 1991 RELATIVE AU CRÉDIT À LA CONSOMMATION »; texte administratif coordonné jusqu'au 1décembre 2010, p. 38 - http://statbel.fgov.be/fr/binaries/Loi_Wet_13_jun_2010_quater_coord_tcm3...
Retail Banking in Europe The Way Forward
Executive summary - 9 Who is ESBG? - 17 Part 1 - The financial and economic crisis: ESBG key-messages and contributions - 23 Part 2 - European retail banking market integration: core parameters for a reality-based approach - 43 Part 3 - EU retail banking policy: ESBG contributions and recommandations - 69 Concluding remarks - 179
Les institutions d'épargne et Europe et en France : le secteur public et mutualiste
Partie 1 : Les institutions d'épargne en Europe : le secteur public et mutualiste Chap 1 : Les pays à secteur mutualiste et public fort et autonome p.21 Chap 2 : Les pays à secteur mutualiste et publics'intégrant au secteur privé p. 81 Chap 3 : Les pays en situation intermédiaire p.121 Partie 2 : Les institutions d'épargne publiques et mutualistes en France : les caisses d'épargne et la caisse des dépôts et consignation Chap 1 : Situation d'ensemble du système bancaire français p. 231 Chap 2 : La métamorphose des caisses d'épargne p. 241 Chap 3 : l'activité du Groupe Caisse d'épargne : une banque au services des particuliers et du développement local p. 255 Chap 4 : Deux défis à relever : réussir pleinement la réforme et améliorer la rentabilité du réseau p. 267 Chap 5 : La Caisse des dépôts et consignation : partenaire stratégique p.275 Chap 6 : L'alliance : vers un troisième grand pôle bancaire français p.295 Conclusion p.303
Créer une banque publique ?
Nous écrivions il y a quelques mois que le succès populaire impressionnant de la Kiwibank – lancée par la Poste néo-zélandaise début 2002 et totalement épargnée par la crise actuelle car n'ayant pas misé sur le marché spéculatif mondial – d'une part, et la lamentable saga de la CGER – vendue à une banque commerciale que l'État a ensuite dû renflouer pour qu'elle ne tombe pas en faillite – d'autre part, donnent à réfléchir sur le rôle de l'État dans le marché financier.
Ne doit-il pas être plus interventionniste et, aujourd'hui, recréer une banque publique sur les cendres de cette privatisation financière qui, c'est le moins que l'on puisse écrire, ne semble pas s'apparenter à un grand succès ? La question est complexe et recouvre divers aspects qui, sans aucun doute, méritent un examen approfondi. Ceci ne nous dispense pas de la poser et de la débattre de toute urgence, notamment au regard des expériences passées1.
Cette question a été relancée en ce début d'année à l'occasion de la proposition de la FGTB de créer une banque publique qui pourrait irriguer le système économique et conduire à la création d’emplois nouveaux et durables2. Quelques semaines plus tard paraissait le livre de Marco Van Hees, Banques qui pillent... Banques qui pleurent, qui charge le capitalisme financier et propose également la création d'une banque publique3.
Cette question a encore rebondi fin mars à l'occasion de la décision du Labour britannique, en précampagne électorale, de créer une « banque du peuple » basée dans les 11 500 bureaux de poste du royaume. L'objectif est d'y proposer un plus grand nombre de produits financiers, d'y encourager l'épargne et de faciliter l'accès au crédit approprié pour les particuliers à bas revenus4. Cette décision fait suite à la publication des résultats d'une consultation sur les activités financières des bureaux de poste, à l'occasion de laquelle le secrétaire d'État Lord Mandelson a déclaré : « Since the banking crisis, we have set about reinventing the financial services industry piece-by-piece, building a system that is fairer, trusted and more reliable. » (« Depuis la crise bancaire, nous nous sommes mis à réinventer l'industrie des services financiers morceau par morceau, construisant un système qui soit équitable, de confiance et plus fiable. »)a href="#sdfootnote5sym">5
La contrainte juridique
Encore faut-il vérifier dans quelles conditions les pouvoirs publics peuvent créer une banque publique compte tenu des contraintes juridiques auxquel les ils doivent se soumettre.
C’est en effet à partir de la fin des années 1970 qu’a été amorcée l’intégration ou la libéralisation du marché bancaire. Les deux premières directives bancaires européennes ont été adoptées respectivement le 12 décembre 1977 et le 15 décembre 1989. Pour regrouper et codifier ces deux directives et d’autres adoptées depuis lors, une nouvelle directive a été adoptée le 20 mars 2000, qui a été elle-même modifiée de façon substantielle à plusieurs reprises. Le 14 juin 2006 enfin, à l'occasion de nouvelles modifications de ladite directive, le législateur européen a, dans un souci de clarté, procédé à une refonte de celle-ci.
Ces directives bancaires ont gommé autant que possible les différences entre les banques commerciales et les banques de développement. Toutes les particularités qu’avaient ces dernières, comme des avantages fiscaux, des garanties publiques..., qui leur permettaient de remplir leurs fonctions de développement local, ont en grande partie disparu. Une série de banques avaient droit à une exemption dans la première directive bancaire – il s’agissait surtout des organismes publics. La liste nominative de ces banques s’est réduite au fil du temps, l’objectif de la Commission européenne étant de faire disparaître toute distorsion de concurrence entre les différents types de banques. Cette liste est à présent fermée puisqu’a été supprimée la faculté, qui était encore prévue dans la directive de 2000, que le Conseil, sur proposition de la Commission, modifie cette liste d’exemptions6.
Il n'est donc pas formellement interdit aux pouvoirs publics de créer ou de maintenir des banques publiques, mais, si celles-ci ne figurent pas dans la liste d'exemption, elles doivent être mises sur un strict pied d'égalité avec les banques privées :
- Les relations financières entre le propriétaire public et l'établissement public de crédit ne diffèrent pas d'une relation commerciale normale de propriété régie par les principes de l'économie de marché, à l'instar de la relation existant entre un actionnaire privé et une société anonyme.
- Toute obligation du propriétaire public d'accorder un soutien économique à l'établissement public de crédit et tout mécanisme automatique de soutien économique du propriétaire à l'établissement public de crédit est exclu. Il ne peut y avoir responsabilité illimitée du propriétaire pour les engagements de l'établissement public de crédit. Il ne peut y avoir ni déclaration d'intention ni garantie concernant l'existence de l'établissement public de crédit (exclusion de toute "bestandsgarantie").
- Les établissements publics de crédit sont soumis aux mêmes règles d'insolvabilité que les établissements privés, leurs créanciers étant ainsi placés dans la même situation que les créanciers des établissements privés.
- Ces principes sont sans préjudice de la possibilité pour le propriétaire d'accorder un soutien économique dans le respect des règles du traité CE concernant les aides d'État.
Les principes qui précèdent ont été dégagés dans le cadre d'un accord conclu entre l'Allemagne et la Commission sur les garanties d'État en faveur des Landesbanken et des banques d'épargne. Les Landesbanken sont des établissements publics de crédit régionaux, comparables aux caisses d'épargne françaises. Elles bénéficiaient d'apports financiers et d'une garantie illimitée de la part des Länder allemands, qui leur permettaient de se refinancer sur le marché à des conditions avantageuses. Les banques privées allemandes, se considérant victimes d'une distorsion de concurrence, ont déposé plainte auprès de la Commission européenne.
Au mois de juillet 1999, celle-ci a engagé des procédures d'enquête contre six Landesbanken et demandé à celle contrôlée par la Rhénanie du Nord-Westphalie de rembourser à sa région de tutelle 808 milliards d'euros, au titre d'un apport d'actifs considéré comme une aide d'État. Refusant d'obtempérer, le Land concerné et le gouvernement fédéral allemand ont porté l'affaire devant la Cour de justice, au mois de mai 2000. La Fédération bancaire européenne (FBE) s'est à son tour jetée dans la bataille et a porté plainte auprès de la Commission, au mois de juillet 2000, contre le régime des garanties accordées aux Landesbanken, s'attirant en retour les foudres des Caisses d'épargne européennes. Au final, l'accord précité a pu être dégagé7.
Conclusions
Aucun avantage particulier ne peut donc être offert à une banque publique, auquel une banque privée n'aurait pas accès. Mais tant l'un que l'autre peuvent bénéficier d'un soutien économique dans le respect des règles du traité CE concernant les aides d'État.
La question se pose dès lors de savoir quand et à quelles conditions il est indiqué, voire nécessaire, de créer une banque publique. Pour y répondre, deux ordres de considérations nous paraissent devoir être distingués. D'abord, il faut déterminer quelles sont les missions d'intérêt économique général qui doivent être assumées par le secteur financier dans son ensemble ou par certains opérateurs en particulier. On pense notamment à l'irrigation du système économique, pour reprendre les termes de la FGTB, ou à la nécessité d'éradiquer l'exclusion financière8. Et il convient de vérifier si ces services sont correctement assumés et, à défaut, de créer les incitants qui permettent qu'ils le soient 9. Ensuite, si aucune institution existante n'a la volonté ou la capacité d'assumer ces missions, il conviendra effectivement de combler cette lacune en créant un organisme public adéquat.
Si la banque publique peut donc certainement constituer un outil précieux de politique publique en matière financière, sa mise en place nous paraît devoir être précédée d'une définition claire des missions d'intérêt économique général qui doivent être assumées par le secteur financier. Sans doute une telle définition aurait-elle d'ailleurs permis d'éviter les crises à répétition dont la planète finance nous a gratifiés ces dernières années. Des incitants, comme une compensation financière entre opérateurs, peuvent alors être prévus pour éviter toute distorsion de concurrence au détriment de ceux qui assument de telles missions.
Si aucun opérateur privé n'assume celles-ci, les pouvoirs publics devront pallier cette carence en créant une institution publique qui pourra, du reste, obtenir auprès de ses concurrents privés une juste compensation pour assumer ses missions d'intérêt économique général.
Bernard Bayot
mai 2010
1 « L'interventionnisme public dans la finance », dans FINANcité Cahier, nº 15, Réseau Financement Alternatif, octobre 2009, page 91.
2 Bernard Demonty, « La FGTB exige une relance », dans Le Soir, 7 janvier 2010 ; Henri Simons, « Quel avenir pour la Banque de la Poste ? », dans Le Soir, 12 janvier 2010 ; Martine Vandemeulebroucke et Dominique Berns, « Qui veut d’une banque publique ? », dans Le Soir, 14 janvier 2010.
3 Éditions Aden, février 2010.
4 Jill Treanor, “Post Office told to cut Bank of Ireland ties as it expands banking services”, in The Guardian, 29 mars 2010.
5 Department for Business, Innovation and Skills, Post Office Banking Government Response to Consultation, mars 2010.
6 Bernard Bayot, « L'Europe réglemente l'activité des banques », dans FINANcité Cahier, nº 3, Réseau Financement Alternatif, octobre 2006, page 2.
7 « L'Allemagne accepte la mise en oeuvre de l'accord conclu avec la Commission sur les garanties d'État en faveur des Landesbanken et des banques d'épargne », IP/02/343, 28 février 2002 ; Hubert HAENEL, Rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur les services d’intérêt général en Europe, Annexe au procès-verbal de la séance du 16 novembre 2000, Sénat de France, session ordinaire de 2000-2001, nº 82.
8 On parle d'exclusion financière « lorsqu'une personne qui s'adresse aux principaux opérateurs présents sur le marché rencontre des difficultés à utiliser ou à accéder à des produits ou services financiers appropriés qui lui permettent de vivre une vie sociale normale dans la société à laquelle elle appartient » ( Commission européenne, Offre de services financiers et prévention de l’exclusion financière, VC/2006/0183).
9 Bernard Bayot, La banque de base, Réseau Financement Alternatif, avril 2009, https://www.financite.be/s-in-former/bibliotheque,fr,11,3,2,1,2004.html.
Evaluatie van de wet van 24 maart 2003 tot instelling van de basis bankdienst
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