Aller au contenu principal

Pouvoir bancaire et Problèmes Ethiques

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
Association Oecuménique pour l'Eglise et Société

Mots-clés liés

Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-BARD1981-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
1981
Date d'édition
11/1981
Mois d'édition
Novembre

L'euro pour l'Europe - Des monnaies nationales à la monnaie européenne

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
De Boeck Université
ISBN
2804131572
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-ASSO1999-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
1999
Date d'édition
1999

Le tour de l'économie en dix étapes

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
La boîte à culture
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-CHER2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
10/2010
Mois d'édition
Octobre

Système d'échange local (SEL) : Une monnaie pour les bobos ?

Soumis par Anonyme le

Alors qu'on reconnait aux monnaies alternatives le mérite de repenser la monnaie et ses fondements, on leur reproche souvent de ne s'adresser qu'à un certain public, qui, au fond, vivrait très bien sans. Les systèmes d'échange local n'attirent-ils que des personnes favorisées ? Quelques éléments de réponse...

Introduction

Le SEL ne vise pas, en principe, à toucher un certain public. Au contraire, il cherche plutôt à être ouvert à tous les profils afin « de contribuer par là au renforcement d'un tissu social local qui ne reproduit ni les rapports sociaux ni la hiérarchie des qualifications »(1). Seulement, cette bonne intention n'implique pas pour autant que tout le monde se reconnaisse dans une telle organisation.

Afin d'éclaircir la question, cette analyse dresse en premier lieu un profil, à plusieurs niveaux, de l'utilisateur des SEL. Dans la seconde partie, nous verrons ce qui peut motiver des personnes à y adhérer et pourquoi certains groupes peuvent être, plus que d'autres, tentés par cette expérience.

Un profil des utilisateurs

Les différentes études sur les SEL semblent a priori contradictoires au sujet du profil des utilisateurs. Ainsi, une source2 affirme en 1999 que « l'on compte en moyenne, selon les SEL, entre 40 et 60 % de personnes en situation précaire », tandis que Jérôme Blanc, qui a longtemps étudié ces systèmes, rappelle que « de façon générale, les personnes qui recourent à ces systèmes sont plutôt bien insérées dans des réseaux de sociabilité [...] et, si leurs revenus ne sont pas très élevés, ils ne sont pas dans une situation de stress quotidien pour la survie matérielle »3, ce qui entretient un certain flou sur la question.

L'enquête nationale sur les SEL réalisée en France en 20044 – sans équivalent en Belgique à notre connaissance – apporte un éclairage utile. Cette enquête a permis d’interroger 270 utilisateurs dans 72 SEL, ce qui offre une vision assez générale de la situation des SEL dans ce pays. D'autres enquêtes, réalisées dans des banques de temps (à peu près équivalentes aux SEL), réalisées dans d'autres pays, sont également très instructives et confirment souvent les résultats de l'enquête sur les SEL français.

À la ville ou à la campagne ?

En France, les membres des SEL sont majoritairement urbains : 51 % d'entre eux vivent dans un environnement « relativement urbain », tandis que 29 % habitent dans un environnement « très urbain ». En fait, ceci traduit une évolution assez forte, car, à l'origine, les SEL français étaient situés dans des régions rurales, voire très rurales (le premier SEL est né en Ariège, dans le Massif central). Or, aujourd'hui comme hier, ces SEL ruraux sont en grande majorité composés de... « néo-ruraux ». Tant au niveau géographique que sociologique, le phénomène touche donc désormais en majorité des personnes qui vivent ou ont vécu en ville. Des éléments d'explication à ce sujet seront fournis dans la suite de cette analyse.

Notons qu'en Belgique, les SEL belges francophones sont répartis sur à peu près tout le territoire, à l'exception des régions situées au sud du sillon Sambre-et-Meuse dans les provinces de Namur, Liège et Luxembourg, où la densité de SEL par habitant est plus faible5.

Travailleurs, sans-emplois ou précaires ?

L'enquête sur les SEL français révèle que 23 % des personnes ayant répondu au questionnaire sont sans emploi. Ceci ne veut pas dire que 23 % de tous les utilisateurs (qui sont à peu près 30 000) le soient, mais la proportion est tout de même assez forte et en tout cas au-dessus des statistiques nationales sur le chômage. En deuxième rang se retrouvent les retraités (18 %) et les travailleurs à temps partiel (17 %), ce qui porte à « seulement » 36 % les « sélistes »6 qui travaillent à temps plein.

La question des revenus n'a pas été posée. On peut néanmoins postuler que les sans-emplois, ainsi que les travailleurs à temps partiel et les retraités ne gagnent pas des sommes mirobolantes. Une enquête similaire réalisée aux États-Unis a révélé que le revenu des utilisateurs était plus bas que la moyenne. Savoir si leur situation est précaire est, en revanche, plus difficile à définir, car cette situation tient non seulement compte du statut des personnes concernées, de leurs revenus, mais aussi de la stabilité de leur situation, on se gardera donc d’émettre une hypothèse à ce sujet.

Un public averti

Un trait qui frappe quand on s'intéresse au profil des utilisateurs des SEL est certainement le fait qu'il s'agit majoritairement d'un public « averti », en ce sens qu'il est fort éduqué, mais aussi cultivé et sensible aux questions politiques. Une enquête sur le profil des utilisateurs de banques du temps aux États-Unis montre que 45 % des personnes interrogées sont titulaires d’un diplôme de l'enseignement supérieur.

La forte sensibilisation politique est rapportée par l'enquête sur les SEL français, qui note que c'est un trait courant aux associations de retrouver une prédominance de « profils politiques ». On peut constater aussi que le fait d'être militant est souvent corrélé au niveau du diplôme obtenu7.

En résumé

Une illusion se dissipe donc : les SEL ne sont pas qu'un refuge de nantis, qui pourraient se permettre d'explorer d'autres modes d'échanges parce qu’ils en ont les moyens. A contrario, les SEL ne sont pas non plus, comme certains ont voulu le croire, un refuge destiné aux pauvres et aux exclus de la société qui développeraient une économie de survie via les SEL. Il est en revanche important de noter que les SEL semblent bien s'adresser à un public favorisé lorsqu'on se place du point de vue de l'éducation. D'un point de vue plus sociologique, on pourra dire que les utilisateurs ont un « capital culturel » plus élevé que la moyenne. Ce capital peut être associé à des revenus plus faibles, par exemple lorsqu'on est professeur, militant dans le milieu associatif ou encore sans emploi.

Pourquoi adhérer à un SEL ?

L'enquête sur les SEL français offre une indication assez claire : parmi les répondants, 36 % sont venus dans un SEL en premier lieu pour « défendre une autre vision de la société ». Ils sont ensuite 29 % à déclarer que leur motivation première est d'y « créer des liens » et enfin 13 % disent vouloir avant tout « y faire des échanges ». On pourrait donc dire que la motivation politique prime sur la motivation sociale, laquelle prime sur la motivation économique. Nous allons développer ces différents aspects, ainsi qu'un quatrième point qui nous semble également pertinent : le mode de consommation.

Une volonté politique : défendre une autre vision de la société

Comme expliqué dans une analyse précédente sur les SEL8, la volonté de promouvoir une autre vision de la société et de l'économie via les échanges au sein d'un SEL est assez forte. Pour rappel, on pourrait la résumer en trois grands principes : le premier est de promouvoir des échanges qui soient enrichissants pour les personnes, plutôt que le creuset de conflits d'intérêts entre le producteur et le consommateur. Le second est de promouvoir la démocratie dans le système économique. Le troisième enfin est de chercher à ce que les citoyens soient sur un pied d'égalité dans le cadre de leurs échanges. Le SEL est un moyen opportun de concrétiser ces idéaux lorsqu'on cherche des alternatives au système dominant. En effet, il s'agit réellement de recréer une communauté qui fonctionne selon ces principes. Pour reprendre le titre d'un livre de Smaïn Laacher, à cet égard, les SEL peuvent être qualifiés d'« utopie anticapitaliste en pratique »9. Comme nous l'avons dit, cet engagement militant ne se retrouve pas de manière uniforme dans toutes les couches de la société et, si l'on y trouve des chômeurs ou des personnes en situation difficile, il s'agit en fait des « moins dominés des catégories les plus dominées »10.

Une volonté sociale : créer des liens

Par son fonctionnement11, le SEL offre beaucoup d’occasions de rencontres et de contacts, que ce soit dans le cadre de l'échange d'un bien ou d'un service, ou au cours des réunions régulières. Comme la dimension réciprocitaire est fortement mise en avant dans le SEL (on reste redevable aux autres membres, même si l'on « paie »), ces moments de contacts peuvent facilement se prolonger. Le SEL n'est alors plus seulement l'occasion de faire des échanges, mais aussi de voir certaines personnes. Il devient un cadre propice au développement d'une solidarité entre les membres. Celle-ci peut dépasser le cadre des échanges, les membres s'aidant de manière plus régulière ou sans comptabiliser leurs échanges. Ce rapprochement peut également être vu sous un mode plus relationnel, recréant alors de la convivialité entre les membres. Cette solidarité et cette convivialité offrent à l'adhérent la possibilité de reconstituer un réseau de relations, qu'il avait peut-être perdu. Il trouve également par là une certaine valorisation de sa personne, de ses activités ou de ses compétences, surtout s'il n’est pas actif sur le marché du travail. Tous ces effets combinés facilitent l'insertion des membres dans le groupe, ce qui peut constituer un levier d'insertion dans la société.

Cette création de nouvelles relations peut être vue sous un angle plus théorique, celui du capital social. Ce concept a été développé par Bourdieu (1980) qui a, pour la première fois, établi cette distinction entre capital économique et capital social. Le capital économique réfère logiquement au niveau de richesse matérielle dont dispose un individu. Le capital social exprime, lui, l'ensemble des relations, contacts, réseaux sociaux dans lesquels chacun se trouve. Ce capital peut être mobilisé pour obtenir un service, une aide, une embauche. Tout comme le capital économique, le capital social peut s'accumuler.

Deux chercheurs12 ont ainsi analysé les relations qui se créent dans un SEL et une banque du temps. Ils ont, assez logiquement, conclu que ces systèmes étaient des structures très « productives » en termes de capital social. En effet, chaque échange provoque une nouvelle rencontre, qui est l'occasion de faire la connaissance d'une nouvelle personne. Cette rencontre est d'autant plus « fructueuse » qu'il ne s'agit pas simplement de venir payer pour un service, mais bien de s'accorder ensemble sur la nature du service et sur la valeur de l'échange. Ce qui peut apparaitre au départ comme une contrainte devient alors l'élément provocateur de cette rencontre. Des évènements réunissant tous les membres permettent aussi de développer des contacts et un réseau, en lien avec la création d'une certaine solidarité, évoquée plus haut. Ces contacts ne débouchent pas nécessairement (en fait, plutôt rarement) sur des relations d’amitié, mais le capital social n'en est pas diminué pour autant. En effet, un autre chercheur13 a montré que dans un réseau de relations, ce sont souvent les personnes les plus éloignées du réseau habituel, fréquentant justement d'autres réseaux, qui offrent le plus de nouvelles opportunités. Le SEL réunissant souvent quelques dizaines ou centaines de membres, qui se croisent mais gardent chacun un réseau personnel, correspond très bien à cette description.

Cet aspect fortement social est peut-être celui qui permet d'expliquer pourquoi tant d'utilisateurs des SEL vivent dans un environnement urbain ou en proviennent : le SEL permet de rencontrer des gens. Ce besoin est souvent plus grand en ville où les liens sociaux sont distendus entre les habitants. Dans beaucoup de villages, ces liens sociaux sont encore présents entre les habitants, mais ce réseau s'ouvre assez difficilement aux néo-ruraux qui font face à la même solitude que les urbains. Ceci pousserait donc chacun d'entre eux à rechercher, via le SEL, la constitution d'un nouveau réseau.

Une volonté économique : augmenter son bien-être matériel

Au-delà des aspects politiques et sociaux, il reste tout de même des avantages matériels à utiliser le SEL. Cet avantage peut se traduire en termes de substitution de consommation (« J'achète ma nourriture via le SEL au lieu de l'acheter au magasin »), mais bien plus souvent en termes de complément de consommation (« Grâce au SEL, j'ai pu trouver quelqu'un pour tailler ma haie »). Les utilisateurs peuvent, en effet, s'offrir des biens et services indisponibles ailleurs, soit parce qu'ils seraient trop chers (c'est particulièrement le cas pour les services), soit parce qu'ils sont peu ou pas disponibles dans le circuit conventionnel (on pense ici à des pratiques anciennes, artisanales, trop peu rentables, ou les trois à la fois).

La substitution permet bien de diminuer les dépenses, donc d'épargner de l'argent. Mais l'effet à ce niveau est certainement très faible, car les biens disponibles dans le SEL sont souvent limités et une grande partie des achats doit encore se faire à l'extérieur : c'est le cas du logement, de l'énergie, des transports... En revanche, le complément se traduit par une comptabilité personnelle inchangée : on ne dépense pas moins, mais une plus grande palette de biens et services est disponible. Ces avantages sont mesurés davantage en termes de bien-être : on peut vivre mieux avec le même revenu.

Retenons donc simplement qu'un utilisateur peut potentiellement trouver un avantage économique, mais que cet avantage est obligatoirement limité. Ceci explique peut-être en partie pourquoi si peu d'utilisateurs du SEL cherchent avant tout à réaliser des échanges en y adhérant.

Une autre manière de consommer ?

Le SEL n'engage pas ses adhérents à consommer de manière plus responsable ou écologique. Chacun restant évidemment libre de faire des choix de consommation personnels. Il n'existe pas non plus, à notre connaissance, d'études empiriques visant à déterminer l'impact de l'adhésion à un SEL sur les modes de consommation. On peut malgré tout relever que, par le système qu'il met en place, le SEL promeut de fait certaines habitudes particulières de consommation. Nous pouvons en relever trois.

La première est la promotion de circuits d'échange courts, tant au niveau de la distance qu'au niveau du nombre d'intermédiaires : les échanges se font souvent dans un espace assez réduit et il y a moins souvent un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. La seconde est le développement de pratiques de réparation, de réutilisation, de réemploi ou de fabrication par soi-même. En effet, peu d'utilisateurs trouveront de l'intérêt à acheter une tarte provenant du magasin via le SEL alors qu'il est très courant de proposer des plats qu'on a préparés soi-même. De même, il existe de nombreuses offres de petits travaux (réparation de vélo, petite menuiserie, artisanat), de cours ou d'artisanat. Par là, le consommateur apprend aussi à sortir de son rôle habituel, pour se rapprocher de celui du producteur... jusqu'à devenir lui-même producteur d'autres biens. Les rôles se croisent et chacun prend conscience de la situation de l'autre, ce qui aide à fixer un prix juste entre les deux personnes. La troisième manière de consommer, enfin, est l'absence totale de publicité dans le système. Celle-ci est non seulement interdite, mais elle se révélerait inefficace tant elle est contraire à la logique qui sous-tend le SEL : on n'achète pas quelque chose pour rivaliser avec son voisin, mais bien pour faire vivre la communauté et développer les échanges entre les utilisateurs.

Conclusion

Différents profils peuvent se rencontrer au sein d'un SEL : tant celui du chômeur, que celui du travailleur. Que l'un soit plus pauvre que l'autre, cela importe finalement peu et le SEL permet justement à ces gens de se rencontrer sur un pied d'égalité. Il reste que le phénomène semble cantonné à des personnes plus sensibles aux enjeux sociaux et politiques et majoritairement urbaines. Le fait que le SEL soit aussi un mouvement militant n'y est certainement pas étranger. La possibilité d'y retrouver une convivialité et une solidarité disparues, non plus. Le SEL saura-t-il à l'avenir garder ses principes tout en attirant un public plus large et en l'intéressant à d'autres formes d'échanges ? C'est un défi, qu'il doit en tout cas, selon nous, relever.

 

Julien Didier
Décembre 2010

 

1 Modèle de Charte pour un SEL, http://lesel.be/

2 Servet (1999).

3 Blanc (2006).

4 Lenzi (2004).

6 Nom donné aux utilisateurs des SEL.

7 Mathieu (2004).

8 Julien Didier, Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, janvier 2010.

9 Laacher(2003).

10 Lenzi (2004).

11 Ce paragraphe est issu de l'analyse précédente sur les SEL : Julien Didier, Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, janvier 2010.

12 Hontschoote (2001) et Ozanne (2010).

13 Granovetter (1973).

Bibliographie

BLANC J., (2006), « Introduction générale. Les monnaies sociales : un outil et ses limites », in BLANC J., (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris : Économica, 547 p., disponible en ligne sur http://ideas.repec.org/p/hal/journl/halshs-00085784_v1.html

BLANC J., (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

COLLOM E., (2007), « The Motivations, Engagement, Satisfaction, Outcomes, and Demographics of Time Bank Participants: Survey Findings from a U.S. System », International Journal of Community Currency Research, Vol. 11, pp. 36-83.

GRANOVETTER M., (1973). « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, Vol. 78/6, pp. 1360-1380.

HONTSCHOOTE F., (2001), Les monnaies locales : Création et rentabilité d’un capital social. Analyse comparative de l’Ithaca Hour et du SEL de Paris, Thèse de DEA de sociologie du pouvoir, Université de Paris VII Jussieu.

LAACHER S., (2003), Les SEL. Une utopie anticapitaliste en pratique, Paris, La Dispute, Coll. Comptoir de la politique.

LENZI C.,(2004), « L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse », in BLANC J., (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris, Économica, disponible en ligne sur http://clenzi.free.fr/spip.php?article2

MATHIEU L., (2004), Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, coll. La discorde.

OZANNE L., (2010), « Learning to exchange time : benefits and obstacles to time banking », International Journal of Community Currency Research, Vol. 14, pp. 1-16.

SERVET J.-M., (dir.), (1999), Une économie sans argent : les systèmes d’échange local, Paris, Le Seuil.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
AC-DIDI2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
12/2010
Mois d'édition
Décembre

Système d'échange local (SEL) : Un autre monde est-il possible ?

Soumis par Anonyme le

Ce système propose à ses adhérents d'échanger au jour le jour des biens et des services sur de nouvelles bases, en réinventant l'argent. Cette nouvelle approche fait rêver certains : les SEL ne seraient-ils pas la voie rêvée vers une société plus juste ? Cette dernière d'une série de quatre (1), explore les possibilités de cette monnaie, mais aussi ses limites.

Introduction

Dès les premières expériences de LETS (ancêtre anglo-saxon des SEL) au Canada, beaucoup ont voulu croire dans le potentiel formidable que pouvait représenter cette nouvelle forme de monnaie. On lui a attribué tour à tour un rôle de lutte contre la pauvreté, contre le chômage ou, plus dernièrement, contre l'exclusion. Un système citoyen qui revendique de telles qualités peut, dès lors, laisser rêveur et même donner des idées : alors que le budget de l'État est au plus bas, ces systèmes ne peuvent-il pas jouer un rôle social, à moindre coût ?

Avant de conclure à l'existence d'une panacée dans ce domaine, il semble pertinent de s'attarder sur ce que peuvent vraiment faire les SEL, mais aussi sur leurs limites. Nous tenterons donc, en premier lieu, d'analyser l'impact que le SEL peut avoir dans certaines situations : la pauvreté, le chômage ou l'exclusion. Nous analyserons ensuite les potentialités qu'il présente en tant que facteur de transition : le SEL peut-il constituer un des moyens d'accéder à une autre société ?

Un outil de lutte contre la pauvreté ? 

Certaines monnaies sociales, principalement dans les pays du Sud, ont pour objectif affiché de lutter contre la pauvreté2. Les SEL n'annoncent pas aussi clairement ce but, ils se situent plus sur un terrain politique et social3. Mais, par l'égalité et la démocratie qu'ils promeuvent, ne peuvent-ils pas « rendre du pouvoir » aux pauvres, ce qui les aiderait à sortir de la pauvreté ?

La réponse dépend en fait de la définition qui sera donnée à la lutte contre la pauvreté. Si on pense que celle-ci doit passer par une augmentation de revenus pour les plus pauvres, les SEL ne constituent pas un bon moyen. En effet, beaucoup d'utilisateurs ne se servent pas du SEL comme d’un moyen de substitution, mais comme un complément. Par ailleurs, les biens disponibles sont limités dans le système. En particulier, les biens les plus chers, comme le logement, les transports ou l'énergie, sont très rarement proposés (même si le cas d'utilisateurs payant leur loyer ou recevant leur salaire via le SEL a été relaté4).

Si l'on envisage le problème autrement, une réponse différente est néanmoins possible : si le SEL ne résout pas la pauvreté, en augmentant les revenus disponibles, il peut néanmoins la rendre plus douce, moins honteuse et moins dépendante. Ainsi, les premiers SEL créés en France étaient composés d'une grande partie de personnes sans emploi (qui en cherchaient un ou non) et qui compensaient leur pauvreté matérielle et leur faible insertion professionnelle par une richesse relationnelle, culturelle ou associative et par l'échange de petits travaux. Le SEL a pu être d'une grande utilité à ces personnes, car il leur a permis d'avoir une certaine activité et des avantages matériels. Les contacts développés grâce au SEL fournissent aussi un réseau de solidarité sur lequel s'appuyer. Le SEL peut dès lors aider à sortir d'une relation d'assistance, à sentir qu'on reprend la main sur le cours de sa vie.

Les membres de ces premiers SEL ont ainsi pu passer d'une pauvreté « subie » à une pauvreté plus « assumée », moins stigmatisante et moins pénible à vivre au quotidien.

Un outil de lutte contre le chômage ?

Le chômage est, selon les pays et les systèmes sociaux, toujours plus ou moins lié à la pauvreté, il n'en est en tout cas jamais totalement indépendant. La question de l'impact potentiel du SEL sur ce phénomène est donc tout à fait légitime : dans la mesure où il est adopté par des chômeurs, mais aussi par des personnes ayant un emploi, le SEL ne pourrait-il pas, directement ou indirectement, favoriser la reprise d'emploi ?

Le SEL ne crée pas d'emplois directement, car il se destine exclusivement à des activités privées et non professionnelles. Cela veut dire qu'un professionnel ne peut y adhérer pour exercer son métier. Est-il néanmoins possible de créer une activité professionnelle ou semi-professionnelle à l'intérieur du système ? C'est difficile, car les unités gagnées via le SEL ne peuvent être dépensées qu'à l'intérieur du système et, comme nous l'avons précisé plus haut, beaucoup de biens ne sont pas disponibles dans un SEL : cela dépend de ce que les adhérents proposent et il faudrait que beaucoup de professionnels adhèrent au système pour que cela devienne avantageux. La taille des SEL, qui se limitent souvent à quelques dizaines d'adhérents, est aussi un frein.

Malgré cela, certaines personnes peuvent se servir du SEL comme point de départ vers une reprise d'activité. Celle-ci est nécessairement très variée et reste peu enviable en comparaison avec la situation d’un travailleur salarié. Cependant, s'il n'offre pas les avantages d'un emploi stable, ce travail permet à tout le moins de retrouver une dynamique d'activité valorisante, car reconnue et appréciée par les membres du SEL.

En fait, tant en ce qui concerne le chômage que la pauvreté, on voit que le SEL n'apporte pas de réponses directes. Les voies qu'il offre sont indirectes. En premier lieu, parce qu’elles proposent des pistes en dehors du cadre strict de la pauvreté et du chômage, ce qui nous amène à nous intéresser au cadre, plus large, de l'exclusion sociale. En second lieu, parce qu’elles ne se situent pas dans la logique économique dominante, dans laquelle le capital social est nettement moins pris en compte.

Exclusion et insertion

Le phénomène de l'exclusion sociale touche bien sûr, avant tout, des pauvres et des sans-emplois, mais l’exclusion concerne aussi des travailleurs isolés, des mères au foyer ou des retraités. Ce qui caractérise ces personnes, au-delà de difficultés matérielles rencontrées pour certaines, c'est l’insuffisance de moyens de socialisation. Ce manque entraine le manque d'autres moyens, comme des moyens de locomotion, des opportunités pour « s'en sortir » ou même l'estime de soi nécessaire à la vie en société ce qui accentue encore l'exclusion.

Comme déjà évoqué dans une précédente5 le SEL offre beaucoup d'opportunités de rencontres et de contacts, que ce soit à l’occasion de l'échange d'un bien ou d'un service ou dans le cadre des réunions régulières. Comme la réciprocité est fortement mise en avant dans le SEL (on reste redevable aux autres membres, même si on les « paye »), ces moments de contacts peuvent facilement se prolonger. Le SEL n'est dès lors plus seulement le moyen de faire des échanges, il se fait aussi lieu de rencontres. Il devient un cadre propice au développement d'une solidarité entre les membres. Celle-ci peut dépasser le cadre des échanges, les membres s'aidant de manière plus régulière ou sans comptabiliser leurs échanges. Ce rapprochement peut également être vu sous un angle plus relationnel, eu égard à la convivialité qu’il crée entre les membres. Cette solidarité et cette convivialité offrent à l'adhérent la possibilité de reconstituer un réseau de relations, qu'il avait peut-être perdu auparavant. Il trouve également par là une certaine valorisation de sa personne, de ses activités ou de ses compétences, surtout s'il est inactif sur le marché du travail. Tous ces effets combinés facilitent l'insertion des membres dans le groupe et peuvent constituer un levier d'insertion au niveau plus général de la société.

Une réserve doit être toutefois émise : les SEL sont un bon moyen de prévention contre l'exclusion, dans le sens où ils permettent à des personnes seules de ne pas se couper définitivement du reste de la société. Il ne sont, en revanche, pas du tout l'outil approprié lorsqu'il s'agit de réinsérer des personnes déjà exclues au point de ne plus arriver à réintégrer d'elles-mêmes un groupe6. Ces personnes requièrent un suivi personnalisé afin de retrouver le chemin vers l'intégration, ce que le SEL ne peut offrir.

Un SEL plutôt économique ou plutôt social ?

Pour rappel, les SEL ont pu fournir à des inactifs, des chômeurs ou des pauvres l’occasion de trouver des moyens pour compenser les conséquences négatives de leur condition. C'est donc principalement par le biais d'un réseau de solidarité et de convivialité qu'ils ont pu rassembler ces moyens, ce qui leur a permis aussi de se réinsérer, de trouver une place dans la société.

Il faut néanmoins savoir que cette qualité « inclusive » est très dépendante de l'approche que les membres du SEL développent. Les SEL présentant cette qualité sont, en effet, fort orientés vers une approche pratique de fourniture de biens et des services aux meilleures conditions. En ce sens, ils s’apparentent au modèle anglo-saxon des Local Exchange Trading Systems (LETS), qui affichent clairement ce but de service économique7.

Or, comme le signale une enquête sur les SEL en France, c'est un autre type de SEL, plus axé encore sur la réciprocité dans les échanges et la recherche d'une alternative, qui s'y est surtout développé – et c'est également le cas en Belgique. Jérôme Blanc8 résume bien ce glissement : « On lutte moins contre la pauvreté (absence de pouvoir d'achat) que contre l'exclusion (coupure de lien social avec un groupe donné) [...] Plus précisément, on lutte contre une exclusion pour promouvoir, au travers d'une nouvelle inclusion, des comportements différents. » Il y a donc la volonté de réintégrer ces échanges dans une nouvelle logique, hors de la logique dominante. Cette recherche a poussé les SEL à se détourner d'une fonction économique pour se centrer sur une fonction politique (recherche de la démocratie, de l'égalité et d'une autre forme d'échange) et de socialisation.

Seulement, cette transition s'est inévitablement accompagnée d'un glissement du profil des adhérents, les SEL devenant de plus en plus réservés à des profils militants. Ceci n'empêche pas un public défavorisé d'y adhérer, mais, comme nous l'avons précisé dans une autre analyse sur les SEL9, il existe une corrélation entre le niveau de politisation et le niveau d'instruction10, lui-même corrélé à l'origine sociale. Si les SEL comprennent toujours une certaine « proportion » de personnes défavorisées, il s'agit en fait des « [personnes les] moins dominées des catégories les plus dominées »11. La recherche de solidarité et d'égalité reste toujours présente, mais, simplement, elle concerne un public moins diversifié, ce qui amoindrit certainement la force d'action sociale des SEL.

Vers une société plus égalitaire et plus solidaire ?

On peut donc se demander à quel point les SEL sont en mesure de réaliser une réelle transition. Ils semblent en effet bloqué entre deux alternatives :

Il existe, on l'a vu, des exemples où le SEL peut être un outil d'insertion sociale, via la solidarité qu'il crée entre ses membres, et que cette insertion peut compenser, sous certains aspects, les affects personnels dûs au chômage et à la pauvreté. Or, il a été également montré que cette aptitude du SEL à s'orienter vers un public défavorisé (tant au niveau des revenus, que du capital social et que de l'éducation) est assez dépendante de l'orientation qu'il prend. Les exemples les plus tangibles d'insertion sont en effet constatés là où les principes marchands sont les moins rejetés12 : c'est-à-dire les SEL qui assument leur volonté de toucher un public défavorisé par des avantages pratiques. Souvent cette volonté implique d'assouplir le système des SEL : la monnaie devient convertible et, par exemple, les professionnels et les magasins peuvent être inclus. Seulement, ce type de système est aussi plus propice à la reproduction des inégalités sociales13. Il se pose plutôt en complément et non en alternative au système économique actuel.

Les SEL qui parviendraient à réaliser une transtion sociale réuniraient, selon nous, deux conditions : l'insertion sociale de personnes moins favorisées et la concrétisation de principes plus égalitaires dans l'économie. Or, il semble que la réalisation conjointe de ces deux buts soit difficile. Chaque SEL est donc devant le dilemme suivant : doit-on chercher à faire accéder des individus à un certain niveau de bien-être matériel dans un système qui risque de les rendre à nouveau dominés, voire de les exclure à nouveau ? Ou doit-on, au contraire, chercher à réaliser l'intégration de personnes dans un cadre novateur et plus égalitaire ? Ceci quitte à ce que moins de gens, et en premier lieu ceux qui disposent déjà de plus de ressources, bénéficient de cette action.

Une troisième voie ? L'exemple de l'accorderie

Une piste d'évolution peut toutefois être suggérée afin de résoudre ce dilemme. Il s'agit de l'exemple de systèmes similaires au Québec : les accorderies, qui allient des mécanismes égalitaires à une action d'insertion sociale. Elles combinent en fait un système d'échange en monnaie interne complètement égalitaire14 à des systèmes d'échange collectifs en dollars (achats groupés, prêts solidaires) qui présentent des avantages plus directement pratiques. L'accorderie, enfin, rémunère en monnaie interne les personnes qui rendent service à l'association. Il n'y a pas de bénévolat, car celui-ci peut être une source d'inégalité entre des personnes qui n'auraient pas besoin d'argent et d'autres.

L'idée est en fait de rassembler, dans une même organisation, des services pratiques, destinés à tout le monde et un système de monnaie interne égalitaire. L'accorderie espère ainsi faciliter les échanges entre les personnes utilisant les différents services, chacune profitant en partie des avantages des deux systèmes.

Conclusion

Le constat est donc le suivant : malgré une perspective novatrice et une réelle recherche de justice, les SEL ne parviennent pas à résoudre l'équation suivante : comment toucher un public défavorisé, qui pourrait bénéficier de l'apport du SEL, tout en gardant l'âme des SEL, c'est-à-dire une volonté de démocratie, d'égalité et de convivialité ? La réponse est peut-être simplement que le SEL n'est pas l'outil approprié pour enclencher une transition sociale de cette envergure. Il peut être un moyen parmi d'autres, certainement, mais aux perspectives limitées.

Ceci doit aussi nous amener à conclure que d'autres acteurs, comme l'État, gardent leur place. Il est illusoire de penser qu'une initiative purement citoyenne, fût-elle novatrice et pleine de bonnes intentions, puisse engendrer des changements significatifs dans la société. L'État doit prendre conscience de son rôle et ne pas simplement compter sur la force associative de ses citoyens pour assumer ses missions. Et ce, d’autant plus en période de crise économique et budgétaire, lorsque la tentation se fait la plus grande d'oublier ce genre de responsabilités.

 

Julien Didier
Décembre 2010

 

1 Julien Didier, Système d'échange local : une monnaie, mais différente ; Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes ; Système d'échange local : une monnaie pour les bobos ?, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

2 Voir notamment le cas de la banque Palmas au Brésil.

3 Voir Julien Didier, Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

4 Servet (1999)

5 Julien Didier, Système d'échange local : une monnaie pour les bobos ?, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010

6 Servet (1999)

7 Mais qui sont également ceux qui, suite à une logique plus marchande, constatent plus d'inégalités dans les échanges.

8 Économiste qui a fait des monnaies complémentaires sa spécialité, Blanc (2000)

9 Julien Didier, Systèmes d'échange local : une monnaie pour les bobos ?, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

10 Mathieu (2004)

11 Lenzi (2004)

12 Servet (1999)

13 Bowring (2000)

14 La monnaie n'est pas convertible et une heure de travail est payée au prix d'une autre heure de travail, quel que soit le travail réalisé.

Bibliographie

BLANC J., (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

BOULIANNE M., (2008), L’Accorderie de Québec, Résultats de l’enquête par questionnaire réalisée auprès des membres du réseau à l’hiver 2008 dans le cadre du projet de recherche, Université de Laval, Département d'anthropologie, disponible en ligne sur http://www.accorderie.ca/spip.php?article119

BOWRING F., (1998), LETS: An Eco-Socialist Initiative?, New Left Review, Vol 232, pp. 91-111.

LENZI C.,(2004), « L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse », in BLANC J., (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris : Économica, disponible en ligne sur http://clenzi.free.fr/spip.php?article2

MATHIEU L., (2004), Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, coll. La discorde.

SERVET J.-M., (dir.), (1999), Une économie sans argent : les systèmes d’échange local, Paris, Le Seuil.

SIMONSON M., (2006), Étude d'un système d'échange de services sans argent, Mémoire de sociologie. Promoteur : BASTENIER A., Université Catholique de Louvain, Département des sciences politiques et sociales.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-DIDI2010-3
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
12/2010
Mois d'édition
Décembre

Système d'échange local (SEL) : À quoi ça sert ? Objectifs et principes

Soumis par Anonyme le

Quels sont les objectifs de la monnaie nationale ? Favoriser les échanges, permettre des prêts, des emprunts, des achats..., faire de l'argent. Un peu court, non ? Surtout quand d'autres monnaies se targuent de promouvoir la démocratie, la rencontre entre les gens, l'égalité. Utopique ? Ou pas ?

Introduction

Faisant suite à l'analyse sur le fonctionnement des systèmes d'échanges local (SEL)(1), cette analyse s'attache à définir les principaux objectifs poursuivis par ces systèmes. Nous nous attarderons également sur les différents moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, qui s’apparentent parfois à des idéaux inaccessibles, mais qui permettent de nourrir une réflexion utile sur le rôle de la monnaie. Cette analyse reprendra trois fonctions accomplies par les SEL, ainsi que trois principes qui fondent l'idéal de cette monnaie très particulière.

Les fonctions économiques des SEL

Jérôme Blanc2 attribue au système des SEL les trois fonctions économiques suivantes : localiser les échanges, dynamiser les échanges locaux et promouvoir d'autres formes d'échange. Les deux premières sont en fait secondaires dans le cas des SEL et sont plus caractéristiques d'autres monnaies alternatives. La troisième fonction est, elle, centrale dans les SEL.

La relocalisation des échanges découle assez naturellement de la structure des SEL : la monnaie interne est inconvertible, ce qui signifie que les membres sont obligés de la dépenser à l'intérieur de la communauté des membres. Cette communauté étant souvent localisée sur un territoire restreint, les échanges réalisés via le SEL sont automatiquement locaux.

La dynamisation des échanges au sein de cet espace est également favorisée par les SEL. Ceux-ci permettent en effet à des personnes, qui ne se connaissaient pas avant, de rentrer en contact. Grâce au mécanisme de dette et de créance, ces personnes se sentent également plus libres de solliciter un service. La peur de paraitre pressant ou intrusif empêche en effet souvent des voisins de se demander de l'aide, surtout dans des milieux urbains où les liens sociaux sont distendus.

La volonté de promouvoir d'autres formes d'échange est, quant à elle, réellement centrale dans les SEL. Seulement, il convient avant tout de préciser ce que l’on entend par « d’autres formes d’échange ». Bien souvent, dans le chef d’adhérents des SEL, est ainsi visé le système dominant, ressenti comme néfaste parce que trop « marchand » ou trop « capitaliste ». Une fois défini cet « ennemi » ou, en tout cas, le système duquel on veut se démarquer, il reste à savoir comment se positionner par rapport à lui.

Il existe, a priori, des divergences assez fortes entre les SEL à ce sujet. Certains veulent inclure le SEL dans le système économique, mais comme complément adapté à certains biens et services, tandis que d'autres voient le SEL comme porteur d'une alternative au système : « le SEL est surtout un acte de résistance constructive, de militantisme, contre la mondialisation »3. Les derniers vont jusqu'à définir le SEL comme uniquement social et non économique et ne souhaitent pas : « être des acteurs de la réforme économique, ni écologique, ni politique »4, aspirant simplement à recréer des endroits de partage et de sociabilité.

Ces approches semblent contradictoires, mais nous allons voir qu'elles sont en fait sous-tendues par des principes communs. Nous en avons retenu trois qui seront développés ici : accorder de la valeur à l'échange, promouvoir la démocratie dans le système économique et rendre les rapports plus égalitaires.

L'échange à sa juste valeur

Ce premier principe se focalise sur la place qui est donnée à l'échange de biens ou de services entre deux personnes. Très souvent, on considère l'échange comme un moyen utilisé par les agents économiques pour maximiser leur bien-être matériel, c'est-à-dire, pour avoir plus et plus de choix. Cette idée est à ce point dominante dans la société qu'une très grande partie de l'économie, du supermarché au taxi, est organisée sur cette base.

Au contraire, les utilisateurs du SEL cherchent à démontrer que l'échange a de la valeur en soi et qu'il doit aussi être pensé comme une fin – pas seulement comme un moyen. L'échange a de la valeur car il permet de créer du lien entre les personnes et, partant, de renforcer le tissu social. Ainsi, les utilisateurs du SEL estiment que, si les structures économiques ne cherchaient plus à nous mettre en compétition par le prix, mais nous amenaient plutôt à coopérer et à nous rencontrer par l'échange, les citoyens ne s'en porteraient pas plus mal. Le système économique serait, quant à lui, construit sur de meilleures bases. Les SEL se sont donc mis en tête de construire eux-mêmes ces nouvelles bases.

Cette volonté est confirmée par une enquête nationale sur les SEL en France, réalisée en 20045,

de laquelle il ressort que la première motivation qui pousse les adhérents à choisir la forme d'échange promue par le SEL est de « défendre une autre vision de la société » (36 %), suivie par celle de « créer des liens » (29 %)6.

Cette manière de concevoir l'échange n’est pas si farfelue qu’il y paraît. Elle se rapproche en fait très fort de théories alternatives en économie qui mettent en avant un mode d'échange différent du mode marchand : la réciprocité. Ce concept de réciprocité est inspiré des travaux de Karl Polanyi, économiste, et de Marcel Mauss, anthropologue, sur l'importance du don entre les individus dans les sociétés dites « primitives ». Le don renvoie à une logique d'échange dans laquelle deux individus sont mutuellement liés par l'obligation de donner, recevoir et rendre. Un exemple actuel pourrait être l'obligation (sociale, non juridique évidemment) que chacun ressent d'accepter une invitation faite par un ami ou une connaissance (à moins d'avoir un réel empêchement). On se sent donc obligé de recevoir ce don et, par la suite, on se sent redevable envers la personne qui nous a invités, ce qui donnera souvent lieu à une nouvelle invitation et ainsi de suite. Toute la société se trouve alors liée, de proche en proche, par ces mécanismes de réciprocité et c'est ce qui constitue notre tissu social.

Mauss et Polanyi affirment que ce don revêt toujours une importance majeure dans les sociétés modernes, via la logique réciprocitaire. Ils estiment en revanche que les structures économiques, trop tournées vers le marché, détruisent petit à petit cette logique et qu'elles détricotent en même temps le tissu social : la solidarité, la proximité, la convivialité sont autant de valeurs associées à cette logique de réciprocité qui semblent de moins en moins présentes dans les sociétés modernes.

Les SEL cherchent en fait à recréer cette logique réciprocitaire7 en valorisant l'échange et le lien qu'il crée entre ses membres. La solidarité et la convivialité que l'échange apporte sont le tissu social qui permet de renforcer les liens entre les utilisateurs

En ce sens, on dit souvent des SEL qu'ils sont un système de réciprocité multilatérale. La réciprocité « classique » engage une personne par rapport à une autre et ce que la personne reçoit, elle le rendra à celle qui lui a donné quelque chose. Dans un SEL en revanche, le service rendu ou le bien échangé n'engage pas le bénéficiaire par rapport au donateur précisément, mais bien par rapport à l'ensemble de la communauté des adhérents. Il pourra en effet rembourser sa dette à n'importe quel autre membre. Cette innovation permet ainsi de passer de la relation entre deux personnes à un mécanisme plus large où les échanges circulent de manière multilatérale et où tout le monde est redevable envers la communauté.

À la lumière de ces éléments, on comprend que le rôle du prix dans le SEL est central. Celui-ci devient un révélateur de la valeur que chacun accorde à l'échange, voire à la personne avec qui l'échange est réalisé. L'objectif n'est donc pas de tout faire pour obtenir le prix le plus bas, mais plutôt de s'accorder sur un prix, qui refléterait tant le travail réalisé que la satisfaction de l'acheteur et que le plaisir pris par les deux parties à échanger entre elles.

La démocratie dans le système économique

Ce principe part du constat que le système économique ne fonctionne pas selon des bases démocratiques. En effet, même si les rapports économiques sont censés se faire sous le contrôle de l'État, qui fixe les règles dans un cadre démocratique, les acteurs des SEL perçoivent que les grandes décisions économiques (et particulièrement celles qui concernent la monnaie) sont prises dans des cénacles fermés. Ceux-ci sont, en effet, composés d'un petit groupe de décideurs, au pouvoir bien plus étendu que le simple citoyen, du fait de leur expertise ou de leur pouvoir économique. Pour (ré)instaurer la démocratie dans les décisions économiques, il faudrait notamment que l'État dispose d'une plus grande étendue régulatrice et que les décideurs économiques soient responsables devant la population, y compris au sein des entreprises.

Ce programme semble évidemment vaste et peut-être même trop flou, mais on peut pourtant définir certaines lignes directrices.

En ce qui concerne les SEL, on pourrait dire qu'il faut respecter deux conditions. La première est que le SEL obtienne le pouvoir de décision concernant sa monnaie et la seconde est que, à l'intérieur même du SEL, les décisions soient prises de manière démocratique. Si les deux conditions sont remplies, alors on peut parler d'un « processus de réintroduction de la monnaie dans la sphère démocratique, ou, pour le dire autrement, [d’]une réappropriation citoyenne de la monnaie »8.

En ce qui concerne le pouvoir de décision du SEL, le jeu est assez clair : si la monnaie interne est inconvertible et que son cours est détaché de celui de la monnaie officielle, comme c'est très majoritairement le cas, le SEL dispose en théorie de toute liberté pour fixer les modalités (taux d'intérêt, masse monétaire, crédits...) de cette monnaie.

La deuxième condition, celle d'une démocratisation interne au SEL demande par contre une attention particulière. Le problème est que, souvent, la démocratie dans les groupes humains se limite à des déclarations de bonnes intentions (« Oui, on va l'installer, mais c'est difficile vous savez ») ou à une illusion optimiste (« Les gens chez moi ont l'air content, je leur parle souvent avant de prendre une décision »). Les SEL eux-mêmes en sont conscients et ont développé, à cet égard un certain nombre de bonnes pratiques et de principes.

Le cadre classique est bien sûr celui de l'ASBL, censé garantir l'absence de but lucratif et un certain contrôle démocratique de la part des membres envers les gestionnaires. Il formalise l'existence d'une assemblée générale réunissant tous les membres, qui décide des orientations de l'association et élit le conseil d'administration. Ce dernier, responsable de ses actes devant l'assemblée générale, est chargé de la gestion quotidienne et de l'exécution des décisions prises par l'ensemble des membres. Cependant, comme nous l'apprennent beaucoup d'expériences en économie sociale, ce cadre est loin de garantir l'existence réelle de pratiques démocratiques.

En raison de cette faiblesse, mais aussi de la forme de démocratie qu'il promeut, ce statut d'ASBL est rejeté par beaucoup de SEL. La démocratie en ASBL est en effet représentative, forme jugée trop institutionnalisée et trop peu démocratique par ces SEL, qui cherchent le moyen d'exercer une démocratie plus participative ou plus radicale9. Ainsi, comme le montre l'enquête nationale sur les SEL (2004), si 70 % des SEL français sont des associations de loi 190110, 40 % d'entre eux n'ont pas mis de bureau en place, lui préférant des « pratiques participatives ». Le constat est similaire en Belgique où les SEL préfèrent souvent la possibilité de constituer une association de fait à l'ASBL.

Les SEL ne nient pas la fonction de représentant, ni celle de coordinateur, mais essayent de trouver des formes plus horizontales et participatives qui concrétisent ces fonctions. Ainsi, conscients de la nécessité de formaliser certaines règles, ils rédigent souvent, avec tous les membres intéressés, une charte propre au SEL. Cette charte fixe les modalités monétaires développées plus haut, comme la fixation du prix, les limitations du montant crédité ou débité, mais aussi le processus de décision interne.

Une autre pratique mise en place est la formation de groupes par thèmes (communication, fêtes, web, coordination...). Chaque adhérent est tenu d'être membre passif d'au moins un des groupes et la participation active est fort conseillée. Les efforts sont également réalisés au niveau de l'assemblée des adhérents, que les coordinateurs, quand il y en a, essayent de faire vivre.

Seulement, ce n'est pas parce que les SEL refusent le cadre établi des ASBL et leur préfèrent des pratiques plus innovantes, qu'ils évitent tous les problèmes auxquels font face beaucoup d'associations. Plusieurs chercheurs11 ont ainsi décrit les difficultés à mettre en place ce processus démocratique dans les SEL, dès le stade de leur création. Ils observent un engagement très inégal selon les membres ; le retrait de compétences à des représentants se traduit par un allongement des discussions en séance plénière, ce qui a pour effet de décourager certains membres ; l'équilibre entre l'autorégulation et l'excès de règles se révèle difficile à trouver ; le risque de dérive autoritaire autour d'un leader charismatique, enfin, ne peut pas toujours être évité.

En résumé, les SEL, en créant une monnaie différente, n'ont pas de problème à être indépendants pour la gestion de cette monnaie. Et la volonté d'installer la démocratie à l'intérieur du SEL est sincère, mais parfois plus difficile à mettre en œuvre qu'on ne le pensait.

Des rapports plus égalitaires

Si la question de l'égalité des rapports économiques et sociaux est à ce point importante dans les SEL, c'est qu'elle représente une réponse possible aux inégalités engendrées par le système économique et ressenties comme profondément injustes. Une plus grande égalité entre les citoyens constitue également un corollaire presque indispensable à l'idéal de démocratie. En effet, des inégalités fortes menacent inévitablement le principe démocratique qui voudrait qu'un homme égale une voix. C'est pourquoi la volonté de restaurer cette égalité est invariablement exprimée dans les chartes des différents SEL.

Il s'agit d'un objectif très ambitieux car, pour garantir l'égalité au sein du SEL, il ne s'agit pas, dans une perspective réductrice, d'accorder les mêmes droits à tout adhérent. Il faut surtout empêcher que le système offre la possibilité de reproduire les inégalités existantes. En d'autres mots, le chef d'entreprise doit pouvoir échanger avec le chômeur, qui doit pouvoir échanger avec le professeur d'université, d'égal à égal.

C'est en partie cette ambition qui justifie que les SEL adoptent strictement la règle de non-convertibilité de leur monnaie et la liberté de cours de celle-ci. L'inconvertibilité empêche un adhérent fortuné de se fournir en monnaie interne en grande quantité et de profiter davantage du système qu'une personne à faibles revenus. La liberté du cours permet de libérer le prix des conventions officielles et de rémunérer les biens ou les services « à leur juste valeur », c'est-à-dire à la valeur de l'échange réalisé. Si ceci n'empêche pas les adhérents de réfléchir eux-mêmes à la valeur marchande des biens ou des services, on peut s'attendre à ce que la différence de prix entre biens luxueux et biens de base diminue.

La liberté du cours de la monnaie implique aussi qu'il est possible de décider que le prix de l'heure de travail échangée est unique. C'est-à-dire qu'un utilisateur payera le même prix, que ce soit pour une heure de baby-sitting, de cours de cuisine ou de réparation de plomberie. Cette approche permet de résoudre les inégalités de qualification, mais ne résout quand même pas le problème de la pénibilité12 : une heure de baby-sitting ne demande pas le même effort qu'une heure de taille de haie. Comme nous l'avons expliqué dans l'analyse précédente, cette règle ne peut pas non plus s'appliquer pour l'échange des biens. À moins de le fabriquer soi-même (ce qui ne tient pas encore compte du prix de la matière première), on ne peut pas calculer le temps que « vaut » un objet. Ceci pousse certains SEL à ne plus autoriser que les échanges de services.

Ces règles peuvent paraître très strictes et assez peu justifiées, mais l'expérience tend à donner raison aux SEL. Une étude13 a en effet montré que lorsqu’une monnaie complémentaire devient partiellement ou totalement convertible14 et que son cours suit davantage le cours de la monnaie officielle, les inégalités présentes dans la société ont tendance à se reproduire à l'intérieur même du système. Pire, étant donné le caractère informel et peu contrôlé de ces systèmes, cela peut parfois constituer une occasion d'employer des travailleurs à moindres frais et hors du cadre du droit social.

Conclusion

Le principal objectif des SEL est donc de promouvoir des échanges qui se baseraient sur des principes nouveaux : au lieu d'échanger pour simplement avoir plus, nous pourrions échanger pour rencontrer des gens et faire vivre l'esprit de la communauté ; au lieu de voir notre monnaie gérée par des institutions aussi floues que lointaines, nous pourrions discuter ensemble du rôle que nous voulons lui donner ; enfin, au lieu de faire rentrer en compétition des gens qui ne partent pas sur la même ligne de départ, nous pourrions les faire coopérer sur un pied d'égalité. En fait, tout ceci existe déjà et porte un nom : il s'agit de chercher à construire une économie solidaire15. C'est certainement un idéal lointain, mais rien qu'en cherchant à l'atteindre, les SEL participent déjà à sa construction.

 

Julien Didier
Décembre 2010

 

1 Julien Didier, Système d'échange local (SEL) : une monnaie, mais différente, Réseau Financement Alternatif, janvier 2010.

2 Blanc (2000)

5 Lenzi (2004)

6 Ce qui n'empêche pas la plupart des adhérents de trouver des avantages pratiques au SEL ; la motivation « faire des échanges » était d'ailleurs la troisième citée.

7 Blanc (2000).

8 Blanc (2006).

9 Neamtan (2003).

10 Statut français d'association, équivalent, sous beaucoup d'aspects au statut belge d'ASBL.

11 Liatard (2005) et Hubaud (2002).

12 Servet (1999)

13 Bowring (2000)

14 Comme en Angleterre, où les SEL sont habituellement plus orientés vers les rapports marchands.

15 Laville (2008)

Bibliographie

BLANC J., (2006), « Les enjeux démocratiques des dispositifs de monnaies sociales », IVth International Conference PEKEA, « Democracy and Economy », Université de Rennes 2, 4-6 novembre 2005, disponible en ligne sur http://ideas.repec.org/p/hal/journl/halshs-00078575_v1.html#provider

BLANC J. (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

HUBAUD M., (2002), Une expérience associative dans un système d'échange local, Connexions, Vol. 77/1, pp. 77-88.

LENZI C.,(2004), « L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse », in, BLANC J., dir., Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris : Économica, disponible en ligne sur http://clenzi.free.fr/spip.php?article2

LIATARD B. et LAPON D., (2005), « Un SEL entre idéal démocratique et esprit du capitalisme », Revue du MAUSS, Vol. 26/2; pp. 317-338.

NEAMTAN N., (2003), « L'économie solidaire comme radicalisation de la démocratie », Revue du MAUSS, Vol. 21/1, pp. 128-134.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-DIDI2010-2
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
12/2010
Mois d'édition
Décembre

Système d'échange local (SEL) : Une monnaie, mais différente.

Soumis par Anonyme le

Marre de l’euro ! Marre de l’argent géré par des banques qui spéculent ! Marre d’en être dépendant ! En réaction à ce ras-le-bol, des citoyens ont inventé une monnaie alternative, dont la particularité est de fonctionner... sans argent. Première d’une série de quatre analyses sur les systèmes d’échange local (SEL), cette analyse présente le système ainsi que son fonctionnement et ses implications sur les mécanismes de la monnaie.

Introduction

Le SEL fait partie des monnaies alternatives. Celles-ci ont pour caractéristique de fonctionner parallèlement à la monnaie officielle ou conventionnelle, au sein d’un groupe de personnes, d’une ville ou d’une région. Les monnaies alternatives peuvent revêtir des formes très diverses et chacune tente, à sa manière, d’apporter des solutions aux problèmes qu’engendre la monnaie officielle : l’inflation, l’anonymat des échanges, la délocalisation de l’économie vers les grandes villes... Parmi ces monnaies, le SEL occupe une place particulière, car il s’agit du système qui s’éloigne le plus de la conception que nous avons d’une monnaie. Organisé en groupes de petite taille, c’est aussi le système qui fonctionne le plus simplement, d’un point de vue technique. En voici une première présentation.

Historique et état des lieux

Le SEL, arrivé en France en 1994, s’inspire directement d’un système inventé au Canada, le Local Exchange Trading System (LETS). L’idée est assez simple : organiser un système d’échange de biens et de services entre les participants, un peu comme le troc, mais un troc amélioré et plus pratique. L’objectif à l’origine de cette initiative1 était de pallier les effets de la crise, dans une région particulièrement touchée par celle-ci. L’arrivée en Belgique francophone se fait quant à elle en 1996 avec la création du BruSEL2. Ce système a, depuis lors, connu une évolution très rapide puisqu’aujourd’hui on compte pas moins de 416 SEL en France3 et 55 en Belgique francophone4.

Des modèles équivalents aux SEL existent en Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis sous la dénomination de « banques du temps ». Il existe aussi, sous la dénomination « LETS », comme au Canada, des équivalents de nos SEL en Flandre, mais ceux-ci sont davantage inspirés par le mouvement anglo-saxon, dont les orientations diffèrent sensiblement sur des aspects à la fois techniques et idéologiques. Nous ne les inclurons donc pas dans cette étude.

Comment ça marche ?

Le SEL est donc un instrument d’échange de biens et de services au sein d’une communauté d’adhérents. C’est cette communauté qui définit les « contours » du SEL puisqu’il faut être adhérent pour y participer. Le SEL reste aussi localisé dans un espace, souvent celui d’une commune (p. ex., SEL à Amay), d’une ville (p. ex., BruSEL), ou d’un territoire plus grand (p. ex., SEL « Coup d’pouce » couvrant Villers-la-Ville, Sombreffe, Chastre, Court-St-Etienne et L.-L.-N.).

Les adhérents pratiquent l’échange au moyen d’une unité de compte interne – une « Fleur », un « Bonheur », un « Truc » ou encore un « Nœud » – et c’est via cette unité que se fixe le prix des biens et services qui sont échangés. Afin que tout le monde sache ce qui peut être échangé, chacun établit, au préalable, une liste des biens et services qu’il est prêt à offrir ou désire recevoir. Les personnes prennent contact les unes avec les autres, fixent le prix (nous verrons comment) et réalisent l’échange. Chaque participant dispose d’un compte géré par le SEL. Comme il n’y a pas de billets ni de pièces, chacun communique au SEL l’opération qui a été réalisée, avec, pour effet, le débit ou le crédit du nombre correspondant de Trucs ou de Nœuds. En pratique, plusieurs cas de figure existent. Souvent, les adhérents ont des bons à trois coupons. Le montant de la transaction, ainsi que le nom des membres, sont inscrits sur les trois coupons ; chacune des deux parties en prend un et le troisième est transmis au système de comptabilisation central. Le prix doit évidemment être le même sur les trois coupons.

Les caractéristiques de la monnaie dans les SEL

La monnaie utilisée au sein des SEL est très différente de la monnaie officielle, c’est d’ailleurs ce qu’ont recherché les fondateurs du système. Ces différences peuvent être résumées en trois caractéristiques techniques. La première est que cette monnaie est totalement inconvertible en monnaie conventionnelle. Il n’est donc possible ni d’acheter ni de vendre des unités en payant avec des euros ; le seul moyen de gagner des unités est de réaliser un échange dans le SEL. La seconde caractéristique est un corollaire de la première : le cours de la monnaie interne n’est en rien lié au cours de la monnaie officielle. Certaines monnaies alternatives ont un taux de change fixe avec leur monnaie officielle, mais ici, chaque unité est définie uniquement à l’intérieur du système. La troisième caractéristique enfin, est que cette monnaie est scripturale, c’est-à-dire qu’elle n’existe pas sous forme papier, mais uniquement sur le compte de chacun des membres. Ces trois caractéristiques entraînent beaucoup d’autres phénomènes, qui font que la monnaie à l’intérieur d’un SEL ne respecte pas les mêmes logiques que la monnaie officielle, ce que nous allons développer ici.

Y a-t-il des crédits ?

Comme il vient d’être précisé, la monnaie utilisée dans les SEL est inconvertible, non liée à une monnaie officielle, et scripturale. La première implication de ces caractéristiques est que l’usage du crédit est automatique et presque libre. Chaque nouvel adhérent démarre en effet avec un compte à zéro et, en l’absence de billets, il n’y a pas d’émission monétaire au préalable. L’adhérent est du coup obligé de s’endetter ou de vendre un bien ou un service, ce qui endettera un autre membre. Chaque échange donne en somme lieu à la création simultanée d’une dette et d’une créance égales, il n’est donc pas possible d’échanger sans que l’une des deux parties ne s’endette. Cet endettement est libre dans le sens où le SEL ne doit pas autoriser cette création de dette. Ce n’est pas non plus une source de problème puisqu’il assez simple de rembourser sa dette : il suffit de proposer des biens ou des services.

Afin d’éviter que certains membres soient en surendettement (ou amassent trop d’argent) la plupart des SEL ont néanmoins établi des limites. En effet, le compte des adhérents ne peut pas dépasser un montant fixé, en négatif ou en positif. Le SEL s’impose donc une responsabilité financière assez forte, contrairement aux acteurs du monde financier classique !

Dans la pratique, quelques SEL créditent le compte de tout nouvel adhérent d’un certain montant pour favoriser les premiers échanges. Certains membres sont en effet réticents à s’endetter dès le début. La liberté du crédit ne s’en trouve néanmoins pas affectée et le constat général est que cette pratique ne fragilise pas l’équilibre entre dettes et créances.

Comment se fixent les prix ?

Une deuxième implication des caractéristiques citées plus haut concerne la fixation des prix. En effet, la monnaie est inconvertible et son cours n’est pas fixé en fonction d’une autre monnaie. Les SEL retrouvent le pouvoir de fixer eux-mêmes les prix au départ de rien, ils peuvent, en quelque sorte, refixer les priorités dans l’économie ! Mais cet avantage peut vite devenir un casse-tête : comment décider de la valeur du travail de quelqu’un ou du prix d’une tarte fabriquée soi-même ? D’autant plus que le SEL ne peut contrôler tous les échanges et que la règle doit donc être acceptée (et comprise) par tout le monde.

Plusieurs pratiques, fort différentes, existent selon les SEL. Le groupe peut ainsi décider, malgré l’inconvertibilité, de fixer son cours sur celui de la monnaie nationale. Cette pratique est souvent rencontrée à la naissance d’un SEL pour offrir des repères aux utilisateurs. Elle apparait néanmoins peu satisfaisante à la plupart des SEL qui essayent de s’affranchir de l’emprise de l’économie conventionnelle et cherchent précisément d’autres possibilités. L’une d’entre elles est de fixer le prix d’une heure de travail à un certain nombre d’unités, faisant valoir l’égalité des membres dans le SEL : tout travail se vaut et il n’y a pas de petit métier. C’est d’ailleurs de ce principe que vient le nom des « banques du temps » italiennes, britanniques ou américaines. Cette approche est bien adaptée à l’échange de services, mais elle ne règle pas le problème de l’échange de biens. La plupart des SEL adoptent dès lors le principe d’une libre négociation : le prix du bien est négocié entre les deux parties, avec tout de même certaines balises. En pratique, beaucoup de SEL mêlent différents principes, tentant de trouver le bon équilibre entre régulation et libéralisation.

Un certain nombre de SEL en Belgique francophone, sous la dénomination « SEL à caractère social »5, ont tranché ce problème en décidant de ne plus accepter que des échanges de services ou de savoirs. Cette approche leur permet d’adopter comme règle unique et formelle celle d’une heure de travail à prix fixe. Certains autres SEL adoptent des principes plus radicaux, qu’ils soient régulateurs (une unité de compte par échange, quel qu’il soit) ou libéraux (possibilité de fixer un prix différent pour les deux parties, ce qui déséquilibre alors le système de dettes et de créances).

La diversité prévaut donc largement dans ce domaine et les discussions peuvent être intenses à ce sujet au sein des SEL. En fait, nous le verrons dans une autre analyse6, cet aspect revêt une importance particulière puisqu’il influence le fonctionnement du SEL, mais surtout parce qu’il reflète un choix politique : celui de la valeur qu’on accorde au prix et à l’échange entre deux personnes.

Taux d’intérêt, inflation, etc.

La combinaison du caractère inconvertible de la monnaie et d’un cours libre a une autre implication : les SEL peuvent choisir le taux d’intérêt de leur monnaie, c’est-à-dire ce que rapporte la monnaie à ceux qui l’épargnent et ce qu’elle coûte à ceux qui l’empruntent. Dans les faits, presque tous les SEL décident de ne pas pratiquer de taux d’intérêt ou, autrement dit, de le fixer à 0 %. Ceci veut dire que les utilisateurs qui sont endettés dans le système ne doivent pas payer d’intérêts.

Puisque, comme nous l’avons dit, il n’y a pas de création – ni d’émission – monétaire et que le montant des dettes est égal au montant des créances, un taux d’intérêt nul signifie également que la « masse monétaire » totale est en permanence nulle : si tout le monde égalisait son compte, il n’y aurait plus de monnaie interne du tout. Or, une masse monétaire qui augmente au cours du temps, comme c’est le cas dans le système économique7, amène de l’inflation : il y a toujours plus d’argent, donc les prix augmentent. Ce phénomène est totalement absent des SEL : les prix n’augmentent pas. Il se peut néanmoins que les prix augmentent indirectement si les membres évaluent les biens en fonction des prix en monnaie officielle, qui, eux, augmentent constamment.

Certains SEL, développés dans la lignée de l’économiste Silvio Gesell8, pratiquent même un taux d’intérêt négatif, ce qui signifie que l’argent perd de sa valeur lorsqu’on ne l’utilise pas. Ceci a pour but de favoriser d’autant plus les échanges. En effet, les utilisateurs n’ont aucun intérêt à amasser une monnaie qui perd constamment de la valeur !

Toutes les implications développées dans cette analyse, au départ des trois caractéristiques de la monnaie des SEL, sont résumées dans le schéma suivant :

Conclusion 

On le voit donc, par la reconstruction d’un système simple d’échange, les SEL parviennent à déconstruire toute la logique monétaire dominante et à annuler, voire à inverser, ses effets perçus comme néfastes : l’inflation, le surendettement, le taux d’intérêt, la grande mobilité des capitaux... Ceci grâce à la volonté de citoyens de reconstruire un système économique sur des bases sociales. Cela ne veut pas pour autant dire que les SEL sont la solution directe à tous les problèmes, car, si leurs innovations sont très intéressantes, ces systèmes sont évidemment limités. Toutes ces questions feront l’objet de trois analyses ultérieures.

 

Julien Didier

Décembre 2010

1 Les objectifs actuels du SEL seront détaillés dans une analyse distincte.

2 SIMONSON M., (2006), Étude d'un système d'échange de services sans argent, Mémoire de sociologie. Promoteur : BASTENIER A., Université Catholique de Louvain, Département des sciences politiques et sociales.

6 Julien Didier, Système d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

7 Les banques créent en permanence de l'argent en prêtant, à intérêt, de l'argent qu'elles n'ont pas.

8 BLANC J. (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-DIDI2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
12/2010
Mois d'édition
Décembre

L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Auteur(s)
Lieux

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
AR-LENZ2005-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2005
Date d'édition
2005

Finance et religions

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
Association d'économie financière
Lieux

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
OC-RAPP2005-1/6
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2005
Date d'édition
03/2005
Mois d'édition
Mars
 

REJOIGNEZ NOTRE MOUVEMENT 

Comme nous, voys croyez qu'une autre finance est possible ? Joignez votre voix aux 4000 membres de notre mouvement (coopératives,asbl,citoyen·ne·s engagé·e·s) et soutenons la finance de demain.