Déposer et disposer de son argent : vers le droit à un service bancaire universel
Elaboration d'un service bancaire universel - 2ème partie : l'accès au crédit et l'exemple du Community Reinvestment Act
Elaboration d'un service bancaire universel - 1ère partie : l'accès ou le maintien d'un compte bancaire
Rassemblement contre la spéculation alimentaire : texte de base
« Tirez avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires ! » C'est le slogan employé par la KBC pour vanter les mérites d'un produit financier qui investit dans six denrées alimentaires. La pénurie d'eau et de terres agricoles exploitables ayant pour conséquence une pénurie de produits alimentaires et une hausse du prix des denrées alimentaires, y est présentée comme une opportunité...
Le service bancaire universel : histoire
Depuis les années 90, le thème de l'exclusion bancaire est évoqué en Belgique, avec toujours davantage d'insistance. Un service bancaire de base a été instauré et le Réseau Financement Alternatif poursuit ses recherches et études sur le sujet, dans le cadre du réseau européen Fininc.
- En 1994, le Rapport général sur la pauvreté a souligné que "les personnes pauvres ont aussi droit aux services bancaires ; il faut certes veiller à éviter les abus mais sait-on que certaines banques refusent déjà d'ouvrir un compte aux ayants droit au minimex ".
- En septembre 1996, le Centre coopératif de la consommation a réalisé une étude qui a montré la réalité du phénomène de l'exclusion bancaire : " Des personnes à revenus modestes n'ont pas accès à un compte bancaire ou se voient refuser l'ouverture d'un compte. La majorité des services sociaux ont attesté de ces situations, en indiquant que le nombre de cas s'accroissait ces dernières années. (...) Au vu des réponses des services sociaux, dire que des dizaines de milliers de personnes connaissent les situations examinées n'apparaît pas exagéré ".
- Le 20 décembre 1996, le Comité de direction de l'Association belge des banques (A.B.B) a adopté une "Charte relative au service bancaire de base " : " Le principe du service de base n'est valable que pour le compte à vue d'un client particulier. Les trois opérations de base qui y sont liées sont : les virements, les dépôts et les retraits ainsi que l'obtention des extraits. La banque doit veiller à ce que les opérations de base visées restent accessibles à quiconque possède un domicile légal en Belgique. La banque qui a souscrit à la Charte s'engage à garantir ce service bancaire de base ".
- Le 3 juin 1999, le Conseil de la consommation, dont les membres représentent les organisations de consommateurs, de la production, de la distribution et des classes moyennes, a approuvé l'avis suivant: "le Conseil constate que la situation s'est améliorée sur le plan de l'exclusion bancaire. Le phénomène est en recul depuis qu'il a été pris en considération par les acteurs concernés ". L'optimisme de cet avis tranchait avec un faisceau d'éléments convergents qui ont mis en évidence les difficultés encore rencontrées par certaines personnes à faibles revenus pour obtenir tantôt l'ouverture d'un compte, tantôt le maintien de celui-ci.
- Le 19 décembre 2001 une étude du RESEAU FINANCEMENT ALTERNATIF révélait notamment que l'exclusion bancaire, qu'elle se traduise par une absence de compte en banque ou par l'impossibilité d'en utiliser un, touchait alors en Belgique plusieurs dizaines de milliers de personnes avec un seuil minimum de 40.000 personnes, que le nombre de cas d'exclusion était en forte croissance depuis 1996 et que la nécessité de disposer d'un compte bancaire allait continuer à croître en sorte que, si l'offre de compte émanant des banques ne devenait pas moins restrictive, l'exclusion bancaire allait augmenter.
- Les 28 mars et 4 décembre 2002, le Conseil de la consommation a rendu deux autres avis sur le service bancaire de base, révélant un consensus sur divers points soulevés par l'étude du RESEAU FINANCEMENT ALTERNATIF.
- Le 24 mars 2003 a été adoptée la loi instaurant un service bancaire de base. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2003.
- En 2006, le RESEAU FINANCEMENT ALTERNATIF a été chargé d'examiner la loi sur le service bancaire de base et de vérifier si elle avait permis d’éradiquer l'exclusion bancaire. Bien que les résultats engendrés par la loi soient encourageants, le Réseau a identifié plusieurs difficultés d’application et a émis sept recommandations pour y remédier. A la suite de cette étude, le gouvernement a proposé trois mesures correctives de la loi, jugées bénéfiques mais insuffisantes par le RESEAU.
Histoire des recherches et progrès légistiques pour l'accès au service bancaire universel.
Un cadre juridique cohérent pour les investissements
L'exemple norvégien
Une source d'inspiration pourrait être à cet égard la Norvège. Celle-ci a créé en 1990 le Norwegian Government Petroleum Fund, qui rassemble une partie des revenus tirés de l’exploitation et de l’exportation des ressources pétrolières norvégiennes. En novembre 2003, le gouvernement norvégien a défini, pour ce fonds, des directives éthiques en matière d’investissement, fondées sur les critères d’exclusion suivants :
- les pires formes de travail des enfants et d’autres formes d’exploitation des enfants ;
- les atteintes graves aux droits individuels dans des situations de guerre ou de conflit ;
- la dégradation sévère de l’environnement ;
- la corruption massive ;
- d’autres violations particulièrement sérieuses des normes éthiques fondamentales.1
En Belgique aussi, une loi-cadre pourrait interdire les pires formes de bénéfices s’opérant au détriment d’autrui ou de la nature, et fixer, sur la base de critères sociaux et environnementaux, des objectifs et des limites aux gains autorisés. Le respect des accords internationaux signés par les autorités, qui expriment un consensus de la société belge, peut constituer le point de départ pour l’élaboration de cette loi-cadre.
Celle-ci pourrait guider les investissements publics, mais aussi privés. Cette approche a d'ailleurs déjà été adoptée puisque la Belgique a fait oeuvre de pionnier en interdisant le financement des entreprises dont l'activité consiste en la fabrication, l'utilisation, la réparation, l'exposition en vente, la vente, la distribution, l'importation ou l'exportation, l'entreposage ou le transport de mines antipersonnel et/ou de sous-munitions (loi du 20 mars 2007 interdisant le financement de la fabrication, de l'utilisation ou de la détention de mines antipersonnel et de sous-munitions).
Est-ce que les pires violations des droits de l'homme, les atteintes aux droits sociaux fondamentaux, les dégradations intolérables de l'environnement ne justifient pas, elles aussi, une stricte interdiction de financer les entreprises et les États qui s'en rendent coupables ?
Qui va s'occuper de la « black list »?
Adopter une loi-cadre qui interdise les pires formes de bénéfices s’opérant au détriment d’autrui ou de la nature, c'est bien. Encore faut-il ensuite déterminer avec précision quels sont les entreprises et les États qu'il est interdit de financer au motif qu'ils violent les normes fondamentales qui auront été retenues en matière de droits de l'homme, de droits sociaux fondamentaux ou de dégradations intolérables de l'environnement. La question se pose déjà aujourd'hui.
Le 20 mars 2007, notre pays adoptait une loi interdisant le financement de la fabrication, de l'utilisation ou de la détention de mines antipersonnel et de sous-munitions. L’article deux de cette loi prévoit qu’« à cette fin, le Roi publiera, au plus tard le premier jour du treizième mois suivant le mois de la publication de la loi, une liste publique » des entreprises concernées. Comme cette loi est entrée en vigueur le 26 avril 2007, la liste en question doit être publiée au plus tard le 1er mai 2008.
En janvier 2008, répondant à une question parlementaire du sénateur Philippe Mahoux, le ministre des Finances, Didier Reynders, a précisé son intention à ce propos : il entend publier uniquement les noms des entreprises condamnées par un tribunal sur la base des dispositions de la loi du 20 mars 2007.
Cette interprétation est, pour le moins, restrictive : la loi ne prévoit pas, en effet, de n'inscrire dans la liste noire que les seules entreprises condamnées. Pire, elle revient à vider la loi de sa substance : les entreprises qui fabriquent des mines antipersonnel ou des bombes à sous-munitions ou celles qui soutiennent leurs activités ou traitent avec elles sont précisément basées à l'étranger, en particulier dans des pays qui ne connaissent pas de législation interdisant ce type d'activités.
Comment, dès lors, procéder pour établir cette liste noire ?
Proposition : un Conseil de l'investissement socialement responsable
Comme évoqué ci-dessus, le gouvernement norvégien a défini des directives éthiques fondées sur des critères d’exclusion en matière d'investissement. Il a ensuite institué un comité d'éthique au sein du Norwegian Government Petroleum Fund, chargé de mettre ces directives en oeuvre. Pour ce faire, le comité établit une liste d'entreprises qui répondent à ces critères d'exclusion et dans lesquelles le fonds ne peut dès lors investir.
Pourquoi ne pas s'inspirer de ce modèle et créer en Belgique un « Conseil de l'investissement socialement responsable » ? Celui-ci serait chargé d'établir la liste des entreprises et des États qui violent les principes édictés dans la loi-cadre qui interdit les pires formes de bénéfices s’opérant au détriment d’autrui ou de la nature. La proposition de créer un tel conseil, chargé notamment de définir un standard minimum pour pouvoir qualifier un investissement d'éthique, avait été déposée par le sénateur Mahoux sous la précédente législature. Ce conseil pourrait se voir confier cette tâche supplémentaire.
Pour ce faire, il aurait égard aux rapports des agences de notation sociétale des entreprises et des États. Ces rapports font évidemment référence aux éventuelles condamnations encourues mais aussi à toute autre information fournie par les parties prenantes. Dans le cas d'une entreprise, il s'agit non seulement de la direction mais aussi des travailleurs et de leurs syndicats, des clients et de leurs associations, des ONG de droits humains et d'environnement ... Le conseil, sur la base de ces rapports et de toute autre information qu'il aura collectée, établirait alors une liste noire en respectant deux éléments essentiels : le principe de précaution et le droit de recours.
La précaution élémentaire consiste en effet à ne pas financer une entreprise ou un État à propos duquel existent des indices sérieux de violation des critères retenus. En vertu de ce principe de précaution, devraient figurer dans la liste, non seulement les entreprises et les États pour lesquels il existe une vérité judiciaire quant à la violation des critères retenus, mais également ceux pour lesquels il existe de simples indices de culpabilité, pour autant qu'ils soient sérieux. A l'inverse, les entreprises et États repris disposeraient d'un recours pour contester la décision de les placer dans la liste noire.
Bernard Bayot - Mars 2008
La Belgique a signé et ratifié nombre de textes internationaux qui visent à la défense et à la promotion des droits humains et de l'environnement. Fort bien ! Mais elle pourrait aller plus loin en développant une politique cohérente en matière d'investissement public, mais aussi privé.
L'uranium appauvri, semence mortelle
La Belgique est le premier pays au monde à instaurer une interdiction quant à la production, l’utilisation, le stockage, l’achat, la vente, la livraison et le transport d’armes à uranium. L’interdiction des armes à uranium entraîne également des questions sur les institutions financières qui contribuent à la production de ces armes controversées.
Toxicité
L’uranium appauvri (UA) est un résidu du processus d’enrichissement du minerai d’uranium permettant son utilisation dans des armes et réacteurs nucléaires. Comme d’autres métaux lourds, l’uranium appauvri est chimiquement toxique, mais il s’agit surtout d’un émetteur de particules alpha d’une demivie radioactive de 4,5 milliards d’années.
Pour l’industrie de l’armement, il présente l’avantage d’être dense, pyrophore, bon marché et disponible en quantité. Selon ses opposants, l’uranium appauvri est le cheval de Troie de la guerre nucléaire : il continue d’irradier et de tuer après les combats.
Il est impossible de s’en débarrasser, il agit ainsi comme une bombe radiologique. Il se désintègre par 14 réactions successives en plomb 206Pb qui est stable. Après la campagne du Kosovo en 1999, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a réclamé l’interdiction de la fabrication, des essais, de l’utilisation et de la vente d’armes à l’uranium appauvri afin de préserver les générations présentes et futures (Conseil de l’Europe 24/01/2001).
Aux termes de la loi fédérale américaine, titre 50, chapitre 40, article 2302, les armes à uranium appauvri correspondent à la définition des armes de destruction massive pour deux de leurs trois critères.
La production d’armes à uranium a lieu aux États-Unis, en R ussie, en France et au Pakistan.
La contamination radioactive et toxique résultant de l’uranium appauvri entraîne, encore longtemps après le conflit armé, cancers, malformations à la naissance et autres problèmes de santé graves.
Entreprises impliquées
Alliant Techsystems (ATK) est le plus grand fabricant de munitions au monde, tant en matière d’applications militaires que pour les services de police, les armes de sport et de chasse. ATK emploie 16 500 travailleurs et est actif dans 21 États des États-Unis. L’entreprise se profile de plus en plus sur le marché de l’aérospatiale et des systèmes de propulsion. Outre toutes sortes de munitions, de moteurs de missiles et d’armes nucléaires, ATK fabrique différents produits contenant de l’uranium appauvri qui sont utilisés dans des tanks, des véhicules blindés, des avions et des Houwitzers américains. L’un d’entre eux – le 30 mm PGU-14 – est un projectile qui a été utilisé lors des bombardements aériens en ex-Yougoslavie. D’autres projectiles d’ATK contenant de l’uranium appauvri (notamment le M-829) ont été utilisés lors de l’opération Tempête du Désert en Irak.
En février 2006, l’armée américaine a encore passé une commande d’une valeur de 38 millions de dollars pour la nouvelle version de cette arme. Les armes à uranium d’ATK sont exportées vers la Grèce, la Corée du Sud, la Turquie, la Thaïlande et le Koweït.
GenCorp est un important fabricant américain d’armes, spécialisé dans les systèmes de propulsion pour l’aéronautique, les systèmes tactiques d’armement et les munitions. Gencorp, dont le siège central est situé en Californie, emploie 3 000 personnes.
Aerojet Ordnance Tennessee (AOT), une filiale de GenCorp, fabrique les ‘penetrators’ – la partie de la munition fabriquée à partir d’uranium appauvri – pour des projectiles de gros et de moyen calibre.
General Dynamics fabrique, entre autres, pour l’armée américaine des tanks équipés de blindage composé d’uranium appauvri. Les munitions à uranium de General Dynamics ont été utilisées pendant la guerre en Irak en 2003. Pendant la première guerre du Golfe, l’équivalent de 10 tonnes d’uranium appauvri a été utilisé sous la forme de munitions produites par General Dynamics.
Des armes à uranium de General Dynamics ont été exportées vers le Bahrein, Israël, la Jordanie, le Pakistan, l’Arabie saoudite et la Turquie.
Interdire le financement des armes à uranium appauvri et des armes nucléaires
Le droit international humanitaire (DIH ) est un ensemble de règles qui, pour des raisons humanitaires, cherchent à limiter les effets des conflits armés. Il protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux combats et restreint les moyens et méthodes de guerre.
Il comprend de nombreux traités internationaux ratifiés par la Belgique, parmi lesquels :
- le Traité de non-prolifération nucléaire du 1er juillet 1968 ;
- la Convention sur l’interdiction des armes biologiques du 16 décembre 1971 ;
- la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques du 10 octobre 1980 ;
- la Convention sur l’interdiction des armes chimiques du 13 janvier 1993 ;
- la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel signée le 3 décembre 1997
De manière cohérente, la Belgique a interdit le financement des entreprises dont l’activité des entreprises dont l’activité consiste en la fabrication, l’utilisation, la réparation, l’exposition en vente, la vente, la distribution, l’importation ou l’exportation, l’entreposage ou le transport de mines antipersonnel et/ou de sous-munitions (1).
Le Norwegian Government Petroleum Fund a été plus loin en excluant de son portefeuille toutes les entreprises liées à des atteintes graves aux droits individuels dans des situations de guerre ou de conflit. Son comité d’éthique se base à cet effet sur le droit international humanitaire et, notamment, les cinq traités dont il est question ci-dessus.
Résultat : ont été exclus des investissements consentis par le fonds, des entreprises comme Singapore Technologies Engineering, Alliant TechSystems Inc. (US), EADS Co (Hol.), EADS Finance BV (Hol.), General Dynamics Corporation (US), L3 Communications Holdings Inc. (US), Lockheed Martin Corp. (US), Raytheon Co. (US), Thales SA. (Fr.), BAE Systems Plc. (UK), Boeing Co. (US), Finmeccanica Sp.A. (It.), Honeywell International Inc. (US), Northrop Grumman Corp. (US), United Technologies Corp. (US), Safran SA (Fr.)
Ces entreprises sont en effet convaincues de développer et de produire, qui des mines antipersonnel, qui des bombes à fragmentation, qui des armements nucléaires. La Belgique ne pourrait-elle emboîter le pas et élargir notamment aux armes à uranium appauvri et aux armes nucléaires l’interdiction de financement actuellement prévue à l’encontre des entreprises dont l’activité est liée aux mines antipersonnel et/ou aux sousmunitions ?
(1) Loi du 20 mars 2007 interdisant le financement de la fabrication, de l’utilisation ou de la détention de mines antipersonnel et de sous-munitions
En juin 2007, la Belgique a voté une loi interdisant les armes à uranium. Pourquoi dès lors ne pas interdire leur financement?
L'État et les banques : je t'aime moi non plus !

Intervention, retrait... Oscillation inéluctable ?
Septembre 2008
Ping : les États-Unis refusent de sauver Lehman Brothers qui annonce dès lors son placement sous la protection de la loi sur les faillites. Cet événement déclenche un effet domino qui entraîne de nombreuses banques, réputées inébranlables, dans la tourmente.
Octobre 2008
Pong : certaines banques sont sauvées grâce à l’intervention des pouvoirs publics. Rien qu’en Belgique, plus de 20 milliards d’euros sont consacrés à renflouer le secteur bancaire.
Score final : l’État, qui a abandonné progressivement son rôle et ses prérogatives en matière de régulation financière, accordant une confiance aveugle à la main invisible du marché, réapparaît tout à coup comme le dernier rempart des marchés financiers. Jusqu’au prochain match ?
Le modèle « banque publique »
Pourquoi ne pas pérenniser le rôle de l’État en recréant des banques publiques centrées sur leur métier de base ? Cette idée n’est ni neuve... ni vieille, comme en attestent deux exemples : celui de la Caisse générale d’épargne et de retraite (C.G.E.R) et celui de la Kiwibank néo-zélandaise.
L’histoire d’une banque publique belge : la C.G.E.R.
8 mai 1850
L’État belge vote une loi instituant une caisse générale de retraite, afin de permettre aux personnes prévoyantes de constituer une petite pension pour leurs vieux jours, au moyen de versements volontaires, sous garantie de l’État. À cette époque, la Belgique connaît une grave crise économique, agricole et sociale, au point que le nombre de pauvres obligés de faire appel aux associations publiques de bienfaisance s’élève à 941 326 personnes sur un total de 4 350 000 habitants. La dite loi ne donne guère de résultats significatifs parce que les salaires sont trop bas. Quelques années plus tard, cette Caisse de retraite est annexée à la Caisse générale d’épargne...
16 mars 1865
La Caisse générale d’épargne et de retraite est officiellement créée. Les libéraux de l’époque, tel Frère-Orban, défendent cette mesure interventionniste critiquée par les catholiques, en avançant des arguments d’ordre idéologique, politique, financier et économique : il s’agit, selon eux, de créer un climat propice aux in investissements par l’élargissement du crédit, au profit de la bourgeoisie.
Pour ce faire, Frère-Orban préconise l’intervention gouvernementale, la garantie d’État, la diversification des investissements et l’accès accordé à toutes les classes sociales.
Jusqu’en 1950, la CGER jouit d’un quasi-monopole de fait dans la collecte de la petite épargne. Puis les techniques de gestion se modernisent : les réseaux de terminaux bancaires qui regroupent les informations dans des bases de données permettent aux agences bancaires de fournir un meilleur service, d’où leur expansion. À cela s’ajoute une croissance économique qui voit s’accroître le niveau de vie de la population.
Ce sont les golden sixties. Les banques s’intéressent de plus près aux petits épargnants, constituant un marché plein de potentialités.
La concurrence s’exacerbe, d’une part entre les banques privées et la CGER., d’autre part entre la CGER et d’autres institutions publiques, tel le Crédit communal.
Les années 90... Vues depuis l’an 9
La C.G.E.R. est acquise par le groupe Fortis entre 1993 (50 %), 1997 (75 %) et 1999 (100 %). Le Crédit à l’industrie est, lui, englobé par cegroupe en 1995, puis vient le tour de Mees-Pierson en 1997 et de la Générale de banque en 1999.
Neuf ans plus tard, l’État belge se retrouve à devoir injecter, via la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), quelque 4,8 milliards d’euros au capital de l’entité bancaire belge (Fortis Banque SA), dont il a ainsi acquis 49 % – les États néerlandais et luxembourgeois intervenant eux aussi au capital des branches néerlandaise et luxembourgeoise du groupe. Au total, l’argent public injecté atteint la somme de 7 milliards.
Avec le recul, on se demande pourquoi la caisse d’épargne publique a été vendue à une société commerciale… que l’État doit renflouer 15 ans plus tard afin d’éviter la faillite. La question se pose sur le plan social – qu’en est-il de l’accès pour tous à des services financiers de qualité ? –, mais aussi sur le plan de la rationalité économique. Une banque publique est-elle concevable dans un environnement concurrentiel ? L’exemple récent de la Kiwibank
néo-zélandaise semble prouver que oui.
La Kiwibank en Nouvelle-Zélande
1987-1993
En 1987, en Nouvelle-Zélande, une réforme postale fait disparaître les services financiers postaux. Cinq ans plus tard, en 1992-1993, la Poste néo zélandaise décide de redéployer des points de vente, pour ses propres services et pour des services financiers tiers. Ce dispositif conquiert rapidement une part importante du marché du traitement et du paiement des factures au guichet. Entre-temps, cinq grandes banques (ANZ, ASB, National Bank, Westpac, BNZ), toutes étrangères, sont parvenues à dominer le marché bancaire en Nouvelle- Zélande.
2002-2003
Dans ce contexte concurrentiel, la Poste néozélandaise lance la Kiwibank, investissant 80 millions de NZ$ (31,8 millions e), et réintroduit ainsi des services financiers dans les communautés rurales et les banlieues délaissées par les banques privées. La Kiwibank a deux actionnaires principaux, la Poste et The Crown (l’État).
Fin 2003, la Kiwibank compte 287 succursales (plus que toute autre banque dans le pays), dont 220 sont ouvertes le samedi et 29 le dimanche. Seule banque présente dans de nombreuses petites villes, elle a conquis 150 000 clients en moins de deux ans (elle en attendait 165 000 au bout de trois ans). La Kiwibank détient désormais 450 millions de NZ$ (178,6 millions €) de dépôts à vue et 500 millions de NZ$ (198,5 millions e) de crédits immobiliers. Ses clients se recrutent parmi les familles et les jeunes.
Le « credo » de la Kiwibank : banque de détail pour les particuliers, elle mise sur la proximité, les tarifs et la transparence, comme d’autres banques postales. Mais elle apporte aussi son soutien à l’économie locale en conservant ses profits sur place. Forte de son leitmotiv, « nous ne traitons pas les gens comme des numéros, mais comme des personnes, avec lesquelles il faut négocier », la Kiwibank combine accessibilité et qualité de l’information délivrée aux clients. Elle pratique des tarifs imbattables, jusqu’à 50 % inférieurs à ceux de la concurrence : pas de frais d’ouverture de compte ni de taxe de tenue de compte ; pas de frais de dépôts et de virements ; pas de frais supplémentaires pour faire tenir sa comptabilité par la banque...
Divers avantages tarifaires sont également accordés aux clients qui reçoivent des subsides des pouvoirs publics, aux moins de 18 ans, aux étudiants et aux détenteurs d’un compte « Jeune », ainsi qu’aux détenteurs d’un prêt à la Kiwibank. La Kiwibank effectue pour les entreprises publiques et les ministères des transactions pour lesquelles elle est rémunérée, ainsi que des transactions de compensation pour le compte des banques « enregistrées » par la Banque centrale.
Juin 2006
La Kiwibank investit NZ$ 8 m (3,1 millions €) dans New Zealand Home Loans, un prêteur de prêts immobiliers se spécialisant dans la réduction de dette, dont elle devient ainsi l’actionnaire majoritaire.
En 2006, 2007, et 2008, la Kiwibank gagne les trois premiers Sunday Star Times/ Cannex banking awards qui récompensent la qualité de sa gamme de produits. Son taux de satisfaction de la clientèle est plus élevé que celui des quatre grandes banques commerciales australiennes. Son taux élevé de nouveaux clients (plus de 600 000 clients en 2009) dénote dans un marché dont les parts varient annuellement de 0,2 % seulement.
Janvier 2008
La Kiwibank annonce une croissance de son bénéfice de plus de 32,35% en un an. La Kiwibank représente 5 à 6 % de tous les dépôts au détail, 3 % du marché hypothécaire résidentiel et 5 % du marché de carte de crédit. La faiblesse de ses tarifs et sa politique de taux attractive sont rendus possibles à la fois par une aspiration modérée à réaliser des bénéfices, des coûts inférieurs et le fait que, jusqu’à présent, la banque ne doit pas emprunter sur les marchés monétaires étrangers, qui sont devenus coûteux depuis la crise des subprimes qui a secoué le monde. Enfin, la Kiwibank, n’ayant pas misé sur le marché spéculatif mondial, est totalement épargnée par la crise financière. Son succès inspire diverses initiatives, notamment en Belgique...
L’idée d’une banq ue publique ressurgit en Belgique !
Février 2008
On comprend que l’exemple néo-zélandais soit volontiers évoqué dans le monde postal pour souligner le caractère irremplaçable des services financiers postaux, pour les Postes elles-mêmes et plus encore pour la clientèle de leurs services financiers.
C’est ainsi que, le 2 février 2008, une pétition sous la bannière « Sauvons la Poste » est mise en ligne en Belgique (http ://petitions. agora.eu.org/sauvonslaposte/index.html). Émanant du parti communiste, elle convainc rapidement d’autres partis, centrales syndicales et mouvements d’éducation permanente.
Un an plus tard, cette pétition est soutenue par 7902 signatures.
Décembre 2008
Quelques jours avant Noël, une agence de la « Banque publique régionale » (BPR) ouvre ses portes dans une rue commerçante de Liège. Elle n’y restera ouverte que deux jours, le temps de sensibiliser plus largement l’opinion publique à l’idée qu’une banque publique pourrait bien exister à nouveau en Belgique, soit via le rachat de la banque de la Poste, soit via la nationalisation des activités bancaires de Fortis ou Dexia, par le biais d’une nouvelle structure 100 % publique ou en poussant plus loin la logique du gouvernement wallon qui annonce la création d’une banque d’investissement.
Cette initiative de la « Coordination D’autres Mondes », fédérant une soixantaine d’associations, s’appuie sur une pétition en ligne, http ://banque-publique.be, qui a atteint en un mois près de 700 signatures.
Cette pétition, adressée aux autorités fédérales et régionales wallonnes, prône une banque publique de proximité sur le modèle de la Kiwibank.
Comme le soulignent ses auteurs, « parallèlement à la récente crise, on constate avec la disparition progressive (fusions, privatisations…) des banques publiques et coopératives, une baisse du service rendu à la population. Les petites agences ferment, le coût des services financiers augmente (+ 13 % depuis 2004). Le petit client n’est plus une priorité... »
Cette pétition ne se prononce pas sur la faisabilité des divers scénarii avancés, mais soutient que « certaines activités économiques vitales pour la population doivent échapper aux lois du marché ».
Ces initiatives, plébiscitées par les représentants de la société civile et du monde du travail, permettent de relancer le débat sur l’opportunité de recréer en Belgique une banque publique sur les cendres de cette privatisation financière qui, c’est le moins que l’on puisse écrire, ne s’apparente pas à un grand succès !
L’État, un actionn aire responsable ?
Janvier 2009
À défaut de créer de nouvelles banques publiques, les États ont en tout cas nationalisé en tout ou en partie des banques existantes dans lesquelles ils ont investi des milliards d’euros, sous forme de participations. Les voilà avec une nouvelle responsabilité sur les bras, celle de l’actionnaire ! À ce titre, il leur faut veiller à la gestion responsable de ces entreprises. Mais ceux qui y représentent l’État ont aussi le droit de voter aux assemblées générales, et de soumettre à celles-ci des résolutions à caractère sociétal. C’est ce qu’on appelle « l’activisme actionnarial », un formidable levier pour permettre aux pouvoirs publics, garants de l’intérêt général, de jouer un rôle d’exemple en dotant les institutions financières dont ils sont actionnaires de directives éthiques dans leur politique d’investissement.
À ce titre, ils peuvent empêcher celles-ci de financer des entreprises et des États coupables d’actes prohibés par les conventions internationales ratifiées par la Belgique en matière de droit humanitaire, droits sociaux, droits civils, environnement et gestion durable. C’est, peu ou prou, ce qu’a fait l’État norvégien en définissant, en novembre 2003, des directives éthiques en matière d’investissement pour le Norwegian Government Petroleum Fund, qui rassemble une partie des revenus tirés de l’exploitation et de l’exportation des ressources pétrolières norvégiennes.
En Belgique, le Réseau Financement Alternatif a formulé une proposition, largement soutenue par la société civile, de norme légale définissant a minima l’investissement socialement responsable, afin d’en assurer la qualité et la promotion (voir p. 2-3). Libre aux actionnaires publics de s’en emparer. Qu’il agisse par le biais d’une banque publique ou en tant qu’actionnaire, l’État a en tout cas la possibilité de reprendre la main à l’égard d’un système financier qui a, ces dernières années, tenu davantage du casino que de l’outil économique. Et de remettre celui-ci en phase avec la réalité, en se préoccupant de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux. Bref, de remettre la politique, c’est-à-dire l’organisation de la Cité, au centre du jeu.
Bernard Bayot
Les pouvoirs publics, dernier rempart de nos économies ? On a réappris ces derniers mois que leur intervention dans le secteur financier est parfois indispensable. Mais doit-elle se borner au rôle de pompier en cas d'incendie ? N'est-il pas temps de redonner aux États un rôle d'acteur prépondérant dans la régulation économique ? Un peu d'histoire et de géographie apportent à ce débat un éclairage utile.
L'investissement socialement responsable en Belgique
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