New York Law school Public law and legal theory : Research paper series 04/05#14
Beginner CRA manual
Enforcing the community reinvestment act
CRA's 25th Anniversary: The Past, Present, and Future
Banques et cohésion sociale
Banques et Territoires
INTRODUCTION HISTORIQUE DU CRA AUX ETATS-UNIS Le CRA au sein d'un dispositif légal en évolution Le fonctionnement du CRA : une innovation en régulation bancaire LES RESULTATS DU CRA AUX ETATS-UNIS RETOUR VERS LES OBJECTIFS ET PRINCIPES DE LA LOI Quatre fausses vérités qui circulent sur le CRA et les subprimes Mieux exploiter l'épargne locale pour promouvoir la croissance locale Instaurer un dialogue local sur la performance des banques LA FRANCE A-T-ELLE BESOIN D'UNE LOI ? Accroître la responsabilité sociale des banques Améliorer la distribution de crédit bancaire sur nos territoires ? Eléments pour un débat en France
Elaboration d'un service bancaire universel - 2ème partie : l'accès au crédit et l'exemple du Community Reinvestment Act
Pour apporter une réponse au surendettement, l'Europe peut-elle importer le modèle américain du Community Reinvestment Act?
Les exclus du système socio-économique sont nombreux au sein de l’Union européenne : chômeurs, femmes, immigrés, gens du voyage, jeunes universitaires sans emploi, etc. Pour répondre à des besoins de première nécessité tels que l’achat de mobilier, les réparations des installations sanitaires, des soins dentaires, l’achat de lunettes, ou encore l’obtention du permis de conduire, ces personnes doivent faire appel au crédit.
Or, pour octroyer ou non des crédits, les banques se basent sur un credit scoring, tenant compte de la situation financière du demandeur. Les personnes les plus démunies se voient, dès lors, le plus souvent refuser l’accès au crédit dans les banques traditionnelles. Lesquelles prétendent, ce faisant, agir de façon responsable en évitant à leurs clients la spirale du surendettement. Voire. Elles agissent plus certainement dans l’intérêt de leurs résultats, en se concentrant sur les produits les plus rentables. Quant aux emprunteurs potentiels, ils sont généralement contraints de frapper à la porte des prêteurs sur gage, augmentant alors, de facto, le risque de surendettement.
Pour lutter contre ce problème, à l’instar de ce qui se fait aux Etats-Unis depuis près de 30 ans, les banques européennes pourraient être appelées à s’engager dans un marché qu’elles ne connaissent pas encore : celui des personnes à revenu faible ou modéré.
Community Reinvestment Act : de quoi s’agit-il ?
Aux Etats-Unis, les communautés noires ou latino-américaines, souvent économiquement défavorisées, se trouvaient généralement exclues du marché des crédits. Pour mettre fin à cette discrimination, ou à tout le moins pour la diminuer, fut adopté le Community Reinvestment Act (CRA), en 1977, sous la présidence de Carter. Ce premier dispositif allait se voir renforcé en 1994-1995 par l’administration Clinton.
Le CRA mentionne que ‘les institutions financières ont une obligation continue et non discriminatoire d’aider à répondre aux besoins de crédit des communautés, y compris dans les régions à revenu faible ou modéré, et ce, sans que cela soit incompatible avec des pratiques de prêt saines’.
Par conséquent, les banques et autres institutions financières de prêt doivent octroyer des crédits et services financiers aux individus à revenu faible ou modéré ainsi qu’aux organisations et associations s’occupant de ces personnes et ce, dans toutes les zones géographiques où les banques proposent des comptes bancaires. Par ailleurs, elles ont l’obligation de justifier les rejets de prêts, pour lesquels seuls les critères économiques peuvent entrer en ligne de compte.1
Le respect du Community Reinvestment Act par les banques est contrôlé par l’administration fédérale. En effet, en cas de non respect du CRA, les banques s’exposent à des sanctions telles qu’une amende, la perte de l’accès au refinancement à court terme de la FED2 ou à l’arrêt temporaire des opérations du fusion ou d’acquisition.
Un mécanisme de type ‘CRA’ est-il envisageable en Europe ?
A ce jour, l’Union européenne ne dispose pas encore de contrainte légale comparable à l’égard des banques.
Cela s’explique sans doute par des traditions différentes en Europe et aux Etats-Unis. D’abord, les « communautés » en tant que telles sont, la plupart du temps, davantage fondues dans la population. Ensuite, le vieux continent a développé une tradition de banques mutuelles et coopératives lesquelles, historiquement, s’adressent à une clientèle précarisée. Enfin, l’intervention réglementaire des pouvoirs publics sur le secteur financier est généralement plus importante en Europe qu’aux États-Unis. Sous quelles conditions un CRA pourrait-il, dès lors, se développer au sein de l’Union européenne ?
Engagement envers les « communautés » ou principe de solidarité
En visant à réduire les actions discriminatoires envers certains groupes de la population (noirs, latino-américains, …), le CRA américain renvoie à la notion de communautarisme. L’analyse en termes de « communautés » n’est sans doute pas aussi pertinente en Europe. Si ce n’est au Royaume-Uni, voire un peu au Danemark, la notion même de ‘développement communautaire’ est très peu répandue en Europe. Cela ne signifie pas pour autant, loin s’en faut, que l’Europe ne compte pas son lot de personnes marginalisées d’un point de vue socio-économique. Mais on y parlera de populations exclues des services bancaires et financiers.
Aux Etats-Unis, les banques sont contraintes de consacrer une partie de leurs engagements aux « communautés », correspondant à une part de l’épargne qu’elles ont collectée auprès de ces communautés. Les banques sont examinées sur la base des résultats, et non des déclarations d’intention, en matière de lutte contre la discrimination. Ainsi, « si dans des zones d’évaluation du CRA, l’analyse statistique du portefeuille de crédits identifie des exemples de discrimination, y compris par l’absence de prêts, les banques sont appelées à se justifier. Elles doivent fournir une justification économique à leur décision de ne pas prêter. Comme ceci peut s’avérer aussi onéreux que difficile, les banques préfèrent faire de sérieux efforts pour ne pas voir leurs politiques remises en question. »3
Toutefois, dans leur souci de maximisation de la rentabilité, elles créent des Fondations qui font du ‘social banking’, de sorte que le coût du ‘social banking’ est externalisé. Le CRA crée donc, de facto, une dualisation de la société. Or, l’objectif poursuivi consiste en une mutualisation et non en une dualisation de la société et des risques bancaires.
Le Community Reinvesment Act américain pourrait, dès lors, se voir adapté au modèle socio-économique européen par l’instauration d’un principe de solidarité dans les banques et entre les banques. En effet, les produits les plus rentables doivent permettre de couvrir les coûts des produits moins rentables afin de répondre aux besoins de l’ensemble de la population.
Un système d’évaluation pourrait être mis sur pied de sorte que les instances publiques accordent un niveau de rating aux institutions financières, sur la base d’indicateurs pertinents, relatifs principalement à l’accès au crédit mais aussi aux investissements et aux services bancaires (crédit à la consommation, crédit aux indépendants, artisans et PME, crédit à l’économie sociale et solidaire). L’évaluation se ferait tant au niveau de l’action du secteur dans sa globalité que de celle de chaque opérateur en particulier.
Par ailleurs, la création d’un « fonds de compensation des banques permettrait de répartir la charge économique excédentaire que représente l’offre de crédit approprié, sur l’ensemble des opérations de crédit. Ce mécanisme de compensation rendrait neutre, sur le plan économique, la prise en charge de ce service économique d’intérêt général par certains opérateurs et éviterait ainsi une distorsion de concurrence »4.
Obligation de transparence en matière de crédit
Aux Etats-Unis, « l’intuition première du législateur était que la menace de publicité négative à laquelle serait exposée une banque mal notée par le CRA serait suffisante pour réduire les pratiques discriminatoires de crédit. Elle s’est avérée fondée dans la mesure où peu de banques américaines ont été soumises à une amende.»5
L’expérience américaine a ainsi démontré l’importance de la transparence : tant qu’un mauvais résultat en termes de CRA entraînait une sanction sans publicité, les banques ne s’en inquiétaient pas. Dès lors que les résultats sont devenus publics, c’est-à-dire qu’ils ont touché l’image de la banque, ils sont en même temps devenus dignes d’intérêt…
Par ailleurs, le succès du CRA est dû, en partie au moins, à l’obligation de transparence de la part des institutions financières. On ne peut pas s’attendre à des avancées spectaculaires en Europe si on travaille uniquement sur une base volontaire de la part des banques.
Or, en Belgique, il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’obligation de rendre publique l’information sur les clients. Il existe une centrale positive des crédits à laquelle les prêteurs ont accès mais qui n’est pas publique : tous les crédits y sont enregistrés ; le dispensateur de crédit doit la consulter avant d’accorder un crédit. Il engage ici sa responsabilité.
Il nous semble, dès lors, essentiel de promouvoir la transparence dans les institutions financières en les obligeant à fournir périodiquement les informations sur la manière dont elles ont répondu ou non aux besoins de crédit de la population. Ces informations seraient contrôlées par un organisme indépendant et selon des procédures bien établies.
’Social banking’, banking rentable ?
Il importe de prouver aux banques qu’elles peuvent faire de la ‘finance sociale’ sans enregistrer de perte.
Aux Etats-Unis, plusieurs études ont démontré que le risque de crédit supporté par les banques n’a pas augmenté du fait de l’instauration du Community Reinvestment Act. En effet, les institutions financières ont appris à connaître un marché somme toute nouveau pour elles et la concurrence a joué son rôle dans l’économie libérale de Etats-Unis. Par conséquent, l’évaluation des risques clients s’est affinée de telle façon que le taux de créances non remboursées n’est pas plus élevé auprès des clients CRA qu’auprès des autres clients. Et les prêts hypothécaires aux personnes à revenu faible ou modéré ont augmenté de 39 % entre 1993 et 1998, selon le département du Trésor américain.
Or, chez nous, les banques ont mis au point une méthode d’évaluation des consommateurs, sur la base de leurs dépenses. Ce scoring est de plus en plus précis. Les banques disposent donc déjà d’un premier outil important pour faire crédit aussi aux groupes défavorisés.
Par ailleurs, les banques coopératives s’avèrent aussi rentables que les banques traditionnelles. Pour preuve, quelques acquisitions retentissantes des secondes par les premières, en France et en Italie notamment.
Dans son rapport « Développer des outils communs aux pouvoirs publics et aux institutions financières en vue de favoriser les droits fondamentaux dans l’Union européenne », le Réseau Financement Alternatif insistait déjà, en décembre 2005, sur la nécessité de « favoriser l’implication des institutions financières dans la promotion des droits fondamentaux »6. Ainsi, nous notions alors qu’il importe de sensibiliser les institutions financières à un secteur et à un public qu’elles ne connaissent pas encore. Parallèlement, il convient de leur expliquer l’intérêt qu’elles ont à y prendre part : amélioration de leur image, valorisation du crédit en tant que facteur économique intéressant, nouveaux clients potentiels, etc.
Allier solidarité, lutte contre le surendettement et rentabilité
In fine, l’instauration d’une évaluation sur la base, notamment, de l’accès au crédit, l’obligation de transparence ainsi que la création d’un fonds de compensation pourraient insuffler un vent de solidarité, si léger soit-il, au sein du secteur bancaire sans pour autant en gêner la rentabilité.
Par ailleurs, le CRA européen pourrait devenir un outil puissant de lutte contre le surendettement en permettant aux personnes à revenu faible ou modéré d’emprunter auprès de banques et non plus auprès de financiers aux taux usuriers.
Car, le but ultime d’un Community Reinvestment Act à l’européenne est bien de sortir les personnes précarisées de leur situation d’exclusion pour les intégrer dans l’économie de marché. Lorsque cet objectif est atteint, toutes les parties prenantes en sortent gagnantes : en priorité les personnes anciennement précarisées; mais aussi le secteur bancaire qui ‘récupère’ de nouveaux clients et les pouvoirs publics, enfin, qui évitent d’engager des coûts sociaux.
Françoise Radermacher - Juin 2006
1 Pour davantage d’informations sur le sujet, le lecteur se référera à un article précédent ‘Pour lutter contre la discrimination économique des personnes à revenu faible, l’exemple viendrait-il des Etats-Unis ?, juin 2006, www.financite.be
2 Banque Fédérale américaine
3 Pour davantage d’informations sur le sujet, le lecteur se référera à un article précédent ‘Pour lutter contre la discrimination économique des personnes à revenu faible, l’exemple viendrait-il des Etats-Unis ?, juin 2006, www.financite.be
4 BAYOT Bernard, directeur du Réseau Financement Alternatif.
5 HUDSON Kent, Le Community Reinvestment Act (CRA), 2004, page 4
6 RADERMACHER Françoise, Développer des outils communs aux pouvoirs publics et aux institutions financières en vue de favoriser les droits fondamentaux dans l’Union européenne , rapport final d’un projet européen, page 51, décembre 2005.
A l'instar de ce qui ce fait outre-Atlantique, l'Europe doit-elle imposer une obligation de performance sociale au secteur bancaire ? Eléments de réponse.
Pour lutter contre la discrimination économique des personnes à revenu faible, l'exemple viendrait-il des Etats-Unis ?
Community Reinvestment Act : de quoi s’agit-il ?1
C’est bien connu : on ne prête qu’aux riches. Les banques préfèrent s’adresser à une clientèle aisée, supposée capable de rembourser ses crédits. Pour les personnes à revenu modeste, obtenir un prêt relève, le plus souvent, du parcours du combattant.
Ainsi, aux Etats-Unis, les communautés noires ou latino-américaines, dans la majorité des cas économiquement défavorisées, se trouvaient généralement excluent du marché des crédits. Pour mettre fin à cette discrimination, ou à tout le moins pour la diminuer, fut adopté le Community Reinvestment Act (CRA), en 1977, sous la présidence de Carter. Ce premier dispositif allait se voir renforcé en 1994- 1995 par l’administration Clinton.
Le CRA mentionne que ‘les institutions financières ont une obligation continue et non discriminatoire d’aider à répondre aux besoins de crédit des communautés, y compris dans les régions à revenu faible ou modéré, et ce, sans que cela soit incompatible avec des pratiques de prêt saines’.
Pour atteindre cet objectif, les banques et autres institutions financières de prêt doivent octroyer des crédits et d’autres services financiers dans toutes les zones géographiques où elles proposent des comptes bancaires. Ces zones sont définies par les établissements bancaires.
Par ailleurs, les banques ont l’obligation de justifier les rejets de prêts. Seuls les critères économiques peuvent entrer en ligne de compte pour le refus d’octroi d’un crédit.
La performance sociale des banques est analysée sur la base de quatre domaines :
- les crédits : prêts aux personnes à revenu faible ou modéré en vue de la construction ou de la rénovation de logements modestes ; crédit à des associations répondant prioritairement aux besoins des personnes à revenu faible ou modéré ; crédit à la réhabilitation environnementale ou au développement d’un ancien site industriel situé dans des quartiers défavorisés ; crédits pour les aménagements dans les quartiers de personnes à revenu faible ou modéré ; etc.
- les investissements : financement (sous la forme de dépôts, de prise de participation, …) des organisations travaillant à la construction et la rénovation du logement ; des organisations favorisant le développement économique par le financement de TPE ou de PME ; des associations et fondations caritatives actives dans la gérance d’immeubles, le crédit-conseil, ou l’éducation financière ; des financiers alternatifs (tels que les C.D.F.I.) qui prêtent principalement aux personnes à revenu faible ou modéré, etc.
- les services offerts: assistance technique aux organisations gouvernementales et autres associations s’occupant de personnes à revenu faible ou modéré ou de revitalisation économique ; conseil en crédits, gérance d’immeuble, planning financier ; etc.
- le Community development : « soutien financier accordé aux associations de quartiers et à toute autre forme de participation des résidents à la vie de leur quartier »2.
Comment le respect du Community Reinvestment Act est-il évalué ?
Ces quatre domaines de la performance sociale (crédits, investissements, services et Community development) constituent les critères sur la base desquels est analysé le respect du Community Reinvestment Act par les banques.
Ainsi, la partie ‘crédits’ est contrôlée en termes de montant des crédits octroyés dans les zones géographiques économiquement défavorisées. Pour les ‘investissements’, il est tenu compte du niveau de placements et financements réalisés dans les régions ou quartiers défavorisés. Les ‘services offerts’ sont mesurés en fonction du nombre moyens de distribution disponibles (tels que les agences bancaires ou les guichets automatiques) ou encore en fonction de l’éventail des services offerts. Quant au Community development, il est évalué sur la base du soutien financier accordé aux projets de quartier.
Chaque banque doit répondre à ces contrôles, en tout ou en partie, en fonction de sa taille. Ainsi, trois types d’examens existent :
- les grandes banques (avoirs supérieurs à 1 milliards de dollars) sont évaluées sur la base des crédits, des investissements et des services proposés. Elles ont, en outre, l’obligation de rédiger un rapport relatif aux prêts octroyés aux petites entreprises, aux fermes et au Community Development.
- les banques moyennes (avoirs compris entre 250 millions et 1 milliards de dollars) sont évaluées sur la base des crédits et du Community Development. Elles n’ont pas d’obligation de rapport.-
- les petites banques (celles dont les avoirs sont inférieurs à 250 millions de dollars) et les caisses d’épargne sont évaluées sur la base des crédits uniquement et n’ont pas d’obligation de rapport.
Notons encore que les banques commerciales (qui ne s’adressent donc pas aux particuliers) doivent uniquement remplir leurs obligations en termes de Community Development.
Ces évaluations ont lieu tous les deux ans pour les institutions financières dont les avoirs dépassent les 250 millions de dollars. Pour les banques de taille plus réduite, l’évaluation a lieu tous les 4 à 5 ans.
Le respect du Community Reinvestment Act par les banques est contrôlé par l’administration fédérale. Quatre instances différentes se partagent la tâche : une pour les banques nationales, deux pour les banques d’état et, enfin, une pour les caisses d’épargne.
L’agenda des évaluations est publié tous les trimestres, notamment via Internet.
« Les banques doivent rendre compte de leur situation en fournissant un grand nombre de données sur support électronique permettant ainsi un traitement informatique immédiat. Ces données se basent sur les définitions standardisées de produits ainsi que d’autres paramètres relatifs aux engagements. L’analyse de ces données […] est utilisée pour vérifier l’application des obligations prescrites par la réglementation. Elle permet également d’établir une information comparative sur divers aspects de la performance sociale d’une banque à partir des données sur son activité par zone géographique et catégorie sociale prédéfinies. »3
Outre les contrôles périodiques, les particuliers et les associations sont invités à formuler, s’ils le désirent, et à n’importe quel moment, un commentaire sur la performance d’une banque.
Ainsi, par exemple, le NCRC (National Community Reinvestment Coalition, une association de défense des populations défavorisées) avait donné un commentaire négatif par rapport à la politique de prêt dans les quartiers défavorisés d’une banque en Virginie. Cela a entraîné une mauvaise évaluation de la banque et retardé de plusieurs mois un projet de fusion (voir plus loin l’impact du CRA sur les fusions et acquisitions). En conséquence, la banque a commercialisé plusieurs nouveaux produits pour les emprunteurs à revenu faible ou modéré (notamment des crédits hypothécaires), si bien que, l’année suivante, son rating s’était largement amélioré.
A la suite des évaluations, les banques se voient attribuer une appréciation allant de ‘très insuffisant’ à ’excellent’, en passant par ‘doit s’améliorer’ et ‘satisfaisant’.
Seul 2 % par an des institutions analysées échouent et se retrouvent dans la dernière catégorie.
Pour autant, cela ne signifie pas que 98% des institutions contrôlées satisfont au CRA. En effet, une banque peut être mal évaluée au niveau d’un Etat particulier ou encore globalement au niveau d’une des parties analysées (crédit, investissement ou services).
Si le contrôle du respect des dispositions du Community Reinvestment Act par les banques se fait au travers de contrôles réguliers, il s’effectue également lorsqu’une banque achète ou fusionne avec une autre. Dans ce cas, l’institution financière doit soumettre une demande aux instances régulatrices fédérales. Celles-ci basent leur décision sur différents critères, dont le respect de la loi sur le CRA.
En effet, les banques doivent apporter la preuve que la fusion ou l’acquisition ne portera pas préjudice à la performance sociale de la banque.
En outre, durant une période d’un mois après l’introduction de la demande de fusion/acquisition par la banque, tout citoyen ou organisation représentative d’une communauté pour formuler des commentaires quant aux performances de prêt d’une banque.
Le cas échéant, bien que cela arrive rarement, les instances régulatrices ont le pouvoir de rejeter la demande de fusion/acquisition ou encore de l’approuver sous certaines conditions, telles que celle de commencer une politique de prêt aux communautés minoritaires ou d’entamer quelques réformes à la politique existante.
Généralement, une mauvaise cotation d’une banque à l’un ou l’autre niveau stimule cette banque à améliorer son rating.
En effet, en cas de non respect du CRA, les banques s’exposent à des sanctions telles qu’une amende, la perte de l’accès au refinancement à court terme de la FED4 ou à l’arrêt temporaire des opérations du fusion ou d’acquisition.
Community Reinvestment Act : un bilan
« L’intuition première du législateur était que la menace de publicité négative à laquelle serait exposée une banque mal notée par le CRA serait suffisante pour réduire les pratiques discriminatoires de crédit. Elle s’est avérée fondée dans la mesure où peu de banques américaines ont été soumises à une amende.»5
Ce résultat positif est dû, en partie au moins, au fait que les banques sont examinées sur la base des résultats, et non des déclarations d’intention, en matière de lutte contre la discrimination. Ainsi, « si dans des zones d’évaluation du CRA, l’analyse statistique du portefeuille de crédits identifie des exemples de discrimination, y compris par l’absence de prêts, les banques sont appelées à se justifier. Elles doivent fournir une justification économique à leur décision de ne pas prêter. Comme ceci peut s’avérer aussi onéreux que difficile, les banques préfèrent faire de sérieux efforts pour ne pas voir leurs politiques remises en question. »6
Ainsi, les prêts hypothécaires aux personnes à revenu faible ou modéré ont augmenté de 39% entre 1993 et 1998, selon le département du Trésor américain.
Mieux, plusieurs études ont démontré que le risque de crédit supporté par les banques n’a pas augmenté du fait de l’instauration du Community Reinvestment Act. En effet, les institutions financières ont appris à connaître les tenants et les aboutissants d’un marché somme toute inconnu d’elles quelques années plus tôt et la concurrence a joué son rôle dans l’économie libérale de Etats-Unis. Par conséquent, l’évaluation des risques clients s’est affinée de telle façon que le taux de créances non remboursées n’est pas plus élevé auprès des clients CRA qu’auprès des autres clients.
« le CRA, ce n’est pas obliger les banques à octroyer de mauvais crédits mais bien les stimuler à octroyer des crédits sains sans oublier les personnes démunies. » John TAYLOR, président, NCRC
Pour autant, le Community Reinvestment Act n’est pas la panacée. En effet, « un nombre important de quartiers d’immigrants ou composés de populations minoritaires doit encore faire face à de sévères problèmes de pénurie de capital et à un marché immobilier déprimé.»7
Par ailleurs, si les banques s’exposent à des sanctions en cas de non respect du CRA (cfr. supra), le CRA ne prévoit cependant aucune compensation à l’intention des personnes et/ou des zones discriminées de facto. Les banques sont invitées à améliorer leur performance future mais pas à réparer les dommages causés par le passé.
Enfin, « une faiblesse majeure du CRA consiste en l’implication de quatre régulateurs différents. Par conséquent, il existe une variation importante de la façon dont le CRA est mis en vigueur. Cette variabilité marquée dans la sévérité des ‘régulateurs’ a mené le secteur bancaire à demander régulièrement l’abolition du CRA parce qu’il est appliqué de façon peu équitable et incohérente. »8
Quoi qu’il en soit, si le CRA n’est pas un outil parfait, il n’en demeure pas moins qu’avec son avènement, les banques allaient, pour la première fois, être jugées sur leur performance sociale.
Le CRA a, en effet, permis un accord win-win implicite entre les personnes à revenu faible ou modéré d’une part, et les institutions financières d’autre part : pour les communautés, davantage de crédits permettant l’acquisition d’un logement ou d’un commerce et, pour les banques, le développement d’un nouveau marché.
Le Community Reinvestment Act, a connu ses maladies d’enfances, a fait l’objet de révisions sous diverses administrations, et enregistre, in fine, au bout de près de 30ans d’existence, un bilan positif en terme de lutte contre la discrimination raciale et économique. A quand, donc, une disposition similaire en Europe ?
Françoise Radermacher
Juin 2006
1 Cet article a été rédigé sur la base d’analyses ou d’exposés de John TAYLOR, NCRC, Pat CONATY, NEF, et Kent HUDSON, rencontrés lors d’une conférence internationale « Responsible Credit », organisée par NCRC et IFF, tenue à Bruxelles, les 28 et 29 avril 2006.
2 HUDSON Kent, Le Community Reinvestment Act (CRA), page 4
3 HUDSON Kent, Le Community Reinvestment Act (CRA), 2004, page 2
4 Banque Fédérale américaine
5 HUDSON Kent, Le Community Reinvestment Act (CRA), page 4
6 Id.
7HUDSON Kent, Le Community Reinvestment Act (CRA), page 4
8 CONATY Pat, présentation sur le CRA, conférence internationale « Responsible Credit », Bruxelles, les 28 et 29 avril 2006.
Aux Etats-Unis, dans une économie très libérale, l'administration a imposé, au travers du Community Reinvestment Act, une obligation de performance sociale au secteur bancaire.
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