La régulation des agences de notation
Les défaillances des agences de notation ont été spectaculaires ces derniers mois. Des problèmes de qualité et d'indépendance se posent, qui appellent une riposte énergique en matière de régulation. Mais améliorer la qualité du thermomètre ne suffit pas à guérir un malade! Deux actions complémentaires doivent être menées : réduire la spéculation sur les marchés, d'une part, et moins lui donner de prise, d'autre part.
Le problème
Une agence de notation est un organisme privé spécialisé dans l'analyse des comptes d'une société, d'un État ou d'une opération financière1. Elle publie des notes sur la capacité de ces entités à respecter leurs engagements.2
Mais font-elles correctement leur travail ? De nombreuses critiques avaient été émises par le passé, lors de la crise financière asiatique et dans le cas de l’Argentine en 1997, ou encore lors de la bulle internet et de la faillite de Lehman Brothers (noté A jusqu’à sa banqueroute de l’automne 2008), en passant par Enron (2001) ou Parmalat (2003). À chaque fois, les agences ont accordé d’excellentes notations à des organisations au bord du gouffre et sous-estimé jusqu’au dernier moment les risques de défaut de paiement. La qualité de leur travail d'analyse est donc régulièrement mis sur la sellette.
Avec la crise des subprimes3, un autre grief a vu le jour. On se souvient que des crédits hypothécaires risqués ont été accordés aux États-Unis mais que cette pratique, dangereuse en soi, s'est, en outre, accompagnée d'une autre, qui l'a été tout autant, la titrisation. De quoi s'agit-il ? Les banques d'affaires ont émis des titres représentant une société, pas une entreprise produisant des biens et des services, mais une société spécialement créée pour acheter le portefeuille de crédit d'un organisme prêteur et ces banques ont ensuite vendu ces titres à des investisseurs. En d'autres termes, le prêteur s'est dégagé de son risque et celui-ci, par la pratique de la titrisation, a été dispersé loin de tout contrôle régulatoire.
Ici aussi, l'analyse des agences de notation s'est avérée inexacte : 93 % des titrisations de produits hypothécaires commercialisés en 2006 avec la note AAA (la meilleure note) ont maintenant la note « d’obligation pourrie ». Mais il y a plus —et c'est le deuxième grief invoqué à l'encontre de ces agences —, elles se sont trouvées en conflit d'intérêts patent. Déjà, d'habitude, elles se font rémunérer par les promoteurs des produits qu'elles jugent, ce qui est évidemment critiquable en terme d'indépendance d'analyse. Mais, avec les subprimes, il y a plus : elles ont d'abord travaillé avec les banques pour concevoir les produits toxiques et obtenir le rating recherché, avant d'évaluer ceux-ci et d'accorder ledit rating ! Dans le cas des crédits titrisés, les agences de notation notent et sont en même temps parties prenantes de la titrisation. La constitution du produit et la notation sont complètement imbriquées. Sans la notation, le titre n’a pas d’existence4, peux-t-on lire en France. À la veille de la crise, la notation des produits structurés représentait (selon Michel Prada, ancien président de l’Autorité française des marchés financiers, AMF) la moitié du chiffre d’affaire des agences !5
Quelle régulation ?
Jusqu’à la crise des subprimes les agences de notation n’étaient pas réellement supervisées. En 2003, l’Organisation internationale des autorités de régulation des marchés financiers (OICV ou IOSCO, selon l'acronyme de son nom anglais, International Organization of Securities Commissions) qui regroupe les autorités nationales de marché (la Commission bancaire, financière et des assurances [CBFA] pour la Belgique, la Securities and Exchange Commission[SEC]pour les États-Unis…), a rédigé un code de conduite auquel les agences se soumettaient sur une base volontaire. Cela s'est manifestement révélé insuffisant.
Le 16 septembre 2009 a dès lors été adopté le Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil sur les agences de notation de crédit.6 Ce texte, entré en vigueur le 7 décembre 2010, reprend pour l’essentiel les règles définies dans le code de l’OICV tout en leur donnant un caractère juridiquement contraignant. Il vise à encadrer l’activité des agences de notation de crédits en vue de protéger les investisseurs et les marchés financiers européens contre le risque de mauvaises pratiques. Il fixe les conditions d’émission des notations de crédit ainsi que des règles relatives à l’enregistrement et à la surveillance des agences de notation de crédit.
Comment ce Règlement gère-t-il les questions évoquées ci-dessus de la qualité et de l'indépendance des agences de notation ? Sur cette dernière question, l'objectif est que l’émission des notations de crédit ne soit affectée par aucun conflit d’intérêt ni aucune relation commerciale. Pour ce faire, les agences de notation de crédit sont soumises à des exigences organisationnelles et opérationnelles particulières. Le conseil d’administration ou de surveillance de l’agence assure l’indépendance du processus de notation. Il veille à ce que les conflits d’intérêts soient identifiés, gérés et divulgués adéquatement, et enfin, à ce que l’agence de notation se conforme aux exigences fixées par le règlement.
Pour ce qui est de la qualité, les méthodes de notation des agences et les descriptions des modèles et des principales hypothèses de notation, telles que les hypothèses mathématiques ou corrélatives, font l’objet de publications de caractère général. Par ce biais, les agences garantissent la qualité des notations de crédits qu’elles produisent, de même que la transparence des méthodes utilisées.
Comment s’exerce la surveillance sur ces activités de notation ? Les agences de notation doivent s’enregistrer auprès du Comité européen de régulation des valeurs mobilières (CERVM), qui est un organe indépendant de conseil, de contrôle et de réflexion, chargé d’assister la Commission européenne dans le domaine des valeurs mobilières. Le CERVM assure une application cohérente du Règlement en facilitant et renforçant la coopération des autorités nationales compétentes dans l’exercice de leur mission de surveillance, et en coordonnant les pratiques de surveillance.
La crise grecque
Le débat des agences de notation a repris de plus belle lorsque, au début de l'année 2010, Standard & Poor's, une des trois grandes agences au plan mondial, a baissé la note de la Grèce en catégorie spéculative. On se souvient que cette décision avait lourdement pesé sur les efforts de soutien à la Grèce et sur l'euro. La Commission cherche depuis lors à réduire l'influence des agences de notation sur les marchés financiers afin d'éviter que ce genre de scénario ne se répète et le 30 avril 2010 Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, a déclaré qu'il réfléchissait à la création d'une agence de notation européenne.
Le 5 novembre 2010, la Commission a lancé une consultation sur les agences de notation.>Nous devons tirer toutes les leçons de la crise, selon Michel Barnier. Nous avons déjà introduit des règles au niveau de l’UE pour améliorer la surveillance et renforcer la transparence sur le marché de la notation du crédit. Il s’agissait d’une étape importante, mais nous devons réfléchir à l’étape suivante: le rôle des notations proprement dites et l’incidence qu’elles peuvent avoir sur les marchés. Aujourd’hui, nous lançons une consultation où nous posons toutes les questions qui doivent être posées. Les contributions que nous recevrons nous aideront à définir les futures actions à prévoir.» Parmi les pistes envisagées, la Banque centrale européenne (BCE) ou les banques centrales nationales pourraient également être autorisées à émettre des notes pour accroître la concurrence et les agences privées pourraient être contraintes à publier gratuitement la totalité de leurs recherches sur la dette publique.
Qu'en penser ?
Les défaillances des agences de notation ne font aucun doute, pas plus que les problèmes évoqués plus haut de qualité et d'indépendance. Une riposte énergique s'impose. La réglementation européenne adoptée en 2009, qui remplace un code de bonne conduite particulièrement inopérant est sûrement un pas dans la bonne direction. Reste à vérifier que cette initiative soit efficace et suffisante. L'avenir nous le dira.
Il est toutefois illusoire de penser que la seule régulation des agences de notation va régler les mouvements spéculatifs hasardeux sur les marchés financiers et l'instabilité consécutive de ceux-ci. Améliorer la qualité du thermomètre ne suffit pas à guérir un malade ! Deux actions complémentaires doivent être menées: réduire cette spéculation, d'une part, et moins lui donner de prise, d'autre part.
Il faut d'abord dissuader la spéculation à court terme, qui se caractérise par des échanges financiers très rapides et très nombreux avec des marges bénéficiaires très faibles. Cette dissuasion peut se faire par l'introduction d'une taxe sur les transactions financières, qui serait trop faible pour entraver les transactions productives mais constituerait, par l'effet de la répétition, un frein aux transactions spéculatives. S'appliquant à chacune des transactions, elle grèverait de façon importante le bénéfice final du spéculateur.7
Mais on peut aussi s'interroger en tant qu'entrepreneur ou décideur politique sur la pertinence de confier aux marchés financiers l’allocation d’une part toujours croissante de nos besoins de capitaux ou de crédit. L'entreprise ne gagnerait-elle pas à s'associer davantage un actionnariat stable et diversifié, à la manière des coopératives8 et les pouvoirs publics à se financer auprès de leur population ? En Belgique, par exemple, la dette publique ne pèse pas loin de 350 milliards d’euros, alors que plus de 200 milliards d’euros reposent sur des livrets d’épargne. D’où cette idée, émise par Eric De Keuleneer (professeur à la Solvay Brussels School of Economics – ULB) et reprise par le ministre des Finances Didier Reynders, d'accorder une exonération de précompte mobilier aux souscripteurs de bons d'État, comme on le fait pour les dépôts sur les livrets d’épargne.9
Dans la mesure où les marchés deviennent générateurs de risques pour les émetteurs, ceux-ci seraient en effet bien inspirés d'appliquer ce principe de précaution qui consiste à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Bernard Bayot,
février 2011
1 "Agence de notation", in L'économie de A à Z, Alternatives Economiques, hors-série poche n°40, septembre 2009 et DEMONCHY, Anne-Sophie, "Qu’est-ce qu’une agence de notation ?", 1er juillet 2010, disponible sur internet : http://www.politique.net/2010070102-qu-est-ce-qu-une-agence-de-notation.htm
2 Annika Cayrol, Les agences de notation financière, Réseau Financement Alternatif, novembre 2010.
3 Voir Bernard Bayot, Mon toit et mes finances, Réseau Financement Alternatif, novembre 2010.
4 Michel Aglietta, La crise. Pour quoi en est-on arrivé là - Michalon 2009.
5 Patrick Jolivet, Les agences de notation dans la tourmente, Les Echos, 7 janvier 2011.
6 JO L 302 du 17.11.2009.
7 Bernard Bayot, Les produits dérivés, Réseau Financement Alternatif, février 2011.
8 Voir par exemple Bernard Bayot, La Caja Laboral Popular, Réseau Financement Alternatif, avril 2005 .
9 Yves Cavalier, Aider l’Etat à s’en sortir, La Libre Belgique, 29 janvier 2011.
Le manifeste de la finance responsable et solidaire
Mesdames et Messieurs les élu(e)s, quelles sont vos trois priorités politiques pour changer la finance ?
La crise a démontré que ni les banques, ni les États, ni les citoyens n'étaient immunisés contre les dérives spéculatives. Si ce dossier met en avant les progrès réalisés en matière de régulation, il n'en démontre pas moins les lacunes persistantes. Le chemin pour faire évoluer la gouvernance des banques est encore long. La finance ne pourra servir le citoyen qu'en adoptant un comportement plus responsable, plus éthique et plus solidaire.
Le Réseau Financement Alternatif a publié en novembre dernier le Manifeste de la finance responsable et solidaire. Ce document balaie 12 points essentiels sur lesquels peuvent agir les différents niveaux de pouvoir pour œuvrer à une société plus juste et plus humaine. Le Réseau Financement Alternatif a demandé aux quatres grands partis politiques francophones de Belgique de choisir trois mesures prioritaires parmi les 12 points de ce manifeste.
1) Tenir l'épargne hors de portée des spéculateurs et l'injecter dans l'économie réelle.
La recherche des profits les plus importants et les plus rapides, qui caractérise la spéculation financière, a des conséquences désastreuses sur les conditions sociales des travailleurs, sur l’emploi en général, sur l’économie réelle mais aussi sur l’environnement. Il faut d’urgence arrêter cette marche folle. Il faut notamment veiller à ce que les milliards d’euros investis, avec l’aide des Etats, dans des fonds de pension privés soient orientés vers des investissements durables et de qualité. Cette épargne énorme, qui est celle des travailleurs, doit profiter à l’emploi plutôt que de le détruire. Pour cela, les pouvoirs publics doivent fixer des règles d’investissements beaucoup plus contraignantes et durables à des fonds de pension, qu’il s’agisse de la durée des placements effectués (stabilité plutôt que spéculation), pour exclure certains secteurs d’investissements (armement, nucléaire, matières premières alimentaires) et au contraire soutenir une autre économie (économie sociale, énergie propre,…).
2) Stimuler un financement de la transition vers une société éco-solidaire dans le monde.
L’avenir de notre économie est dans la mise en place de processus de production à faible impact sur l’environnement et à faible coût énergétique. Notre Terre est arrivée à la limite de ses capacités d’absorption de la charge que font peser sur elle les activités humaines et industrielles. Pour préserver notre planète tout en assurant une activité économique qui permette à chacun de se nourrir et de vivre dignement, quel que soit son lieu de vie, il faut d’urgence réorienter l’économie et viser à l’autosuffisance de chacune et chacun à travers le monde. Tout doit être mis en œuvre pour orienter les fonds publics et privés vers cet objectif. Cela peut créer des milliers d’emplois, ici et ailleurs. Il s’agit d’un défi passionnant et structurant.
3) Responsabiliser les banques sur le plan sociétal.
Les banques ont une responsabilité énorme dans la crise financière qui frappe le monde entier. Avec l’épargne qui leur a été confiée par les travailleurs, elles ont posé des choix risqués, en négligeant les règles prudentielles dont elles n’auraient jamais dû se départir, aveuglée par la recherche de gains toujours plus élevés. Cela a eu des conséquences budgétaires énormes pour tous les Etats et pour les contribuables. Au-delà de leurs règles internes et de l’autorégulation du secteur bancaire, il convient de leur imposer des règles prudentielles beaucoup plus exigeantes, de séparer les activités spéculatives et celles de récolte et de gestion de l’épargne, de mettre fin à l’octroi d’avantages salariaux démesurés, de garantir l’accès à des services bancaires de qualité pour toutes et tous, quel que soit le niveau de revenu et d’informer beaucoup plus clairement leurs clients sur les choix de placement effectués, pour permettre aux citoyens de choisir en toute connaissance de cause leur établissement bancaire et d’opter plus souvent encore pour des banques durables, éthiques et solidaires.
1) Tenir l’épargne hors de portée des spéculateurs et l’injecter dans l’économie réelle.
La commission spéciale chargée d’examiner la crise financière du Parlement, présidé par notre député Joseph George, a largement mis en avant la nécessité de revoir notre système financier suite à la crise financière afin de réintroduire un modèle bancaire transparent et sûr pour les clients. Une partie des réglementations ont déjà été adaptées, comme les obligations de Bâle, mais le chemin reste long. Il est indispensable de continuer à renforcer les obligations en termes de solvabilité, de liquidité et de transparence pour le monde bancaire.
Pour le cdH, il est crucial que tout citoyen ait le droit de savoir précisément où son argent sera utilisé, qu’il soit investi en bourse ou simplement placé sur un compte, pour lui garantir ainsi des investissements sûrs et dans l’économie réelle. La finance doit rester au service de l'économie. Et c’est pourquoi, il faut lutter contre les spéculateurs, qui par leur cupidité, rendent notre finance instable.
Par ailleurs, pour les clients empruntant de l’argent, cet accès au compte bancaire et au crédit doit aussi être garanti. Cela passe notamment par une législation claire et précise pour les banques et établissements de crédit, par exemple en ce qui concerne les publicités et l’information aux clients. Toute personne doit pouvoir continuer à investir en lui garantissant une parfaite information sur les risques du surendettement.
2) Déterminer une norme minimale de l’investissement socialement responsable.
Pour le cdH, déterminer une norme minimale pour l’investissement socialement responsable est une priorité. Cette position a été concrétisée par le dépôt d’une proposition de loi, tendant à assurer un cadre normatif pour les investissements socialement responsable (ISR), afin, in fine, d’une part de permettre l’émission d’une information claire et précise pour l’investisseur désireux d’investir de manière socialement responsable et, d’autre part, d’éclairer les entreprises sur les comportements à adopter aux fins d’être admises sur ce marché du futur que représente les fonds « éthiques ». Cette proposition de loi est inspirée directement de l’étude sur l’ISR réalisé en 2008 par le Réseau Financement Alternatif, où un projet de norme minimale avait fait l’objet d’un consensus au sein de la société civile et du secteur financier. Ainsi, le cdH entend stimuler le financement de la transition vers une société éco-solidaire en Belgique et dans le monde, et positionner notre pays comme précurseur dans le domaine de l’ISR.
3) Etablir une fiscalité éco-solidaire.
Pour le cdH, l’impôt doit être compris comme un moyen de financer les politiques publiques, de redistribuer les revenus et d’encourager des comportements socialement responsables. Il convient de rétablir une véritable égalité entre les Belges en luttant énergiquement contre la fraude fiscale, source d’injustice sociale entre les contribuables et de concurrence déloyale entre les entreprises. Ainsi, le cdH entend participer activement à la mise en œuvre des 108 recommandations émises par la Commission d’enquête parlementaire sur la grande fraude fiscale, par exemple en levant le secret bancaire (tout en veillant au respect de la vie privée des contribuables), en luttant contre les paradis fiscaux et en veillant à doter l’administration fiscale de moyens humains et techniques suffisants. Par ailleurs, il convient de procéder à la simplification de la législation et de réduire la pression fiscale sur le travail en encourageant l’adoption de mesures luttant contre la spéculation financière et le développement d’une fiscalité verte.

1) Déterminer une norme minimale pour l’investissement socialement responsable.
Cette crise nous a rappelé que des non-professionnels de la finance (épargnants, déposants et actionnaires) ont pu, bien malgré eux, être transformés en spéculateurs parce que les « professionnels » chargés d’investir leurs fonds ne rendaient de comptes à personne et que leurs choix d’investissement ne faisaient l’objet d’aucun contrôle.
On ne peut le nier, dans cette crise le choix de l’investissement a le plus souvent été guidé par des impératifs de rentabilité financière. Or, il est important de rappeler que les investissements ne doivent pas uniquement répondre à des critères financiers. Ils doivent également intégrer des préoccupations sociales, éthiques, environnementales et de bonne gouvernance.
2) Garantir l'accès aux services bancaires de base mais aussi d'épargne et de crédit.
Pour le PS, la fonction première des marchés financiers est de mettre en contact ceux qui disposent d’une capacité d’épargne (les ménages essentiellement) et ceux qui sont à la recherche d’un financement à plus long terme pour planifier leur développement (entreprises, pouvoirs publics). Or, on a assisté ces trois dernières décennies à un détournement de cette fonction première. Les marchés financiers n’apparaissent plus en effet comme un moyen de tendre vers le développement économique mais comme une fin en soi. Les marchés financiers sont de plus en plus mus par une logique de court terme, où la rentabilité et le profit constituent un facteur déterminant des choix et des décisions des investisseurs.
3) Rendre les investissements bancaires transparents.
Le parti socialiste n’a pas attendu la crise financière pour prendre conscience de ces réalités. Dès 2004, nous avons en effet déposé une série de propositions de loi sur l’investissement socialement responsable. Ces propositions ont d’ailleurs été reprises dans la note d’actions adoptée par le Bureau du parti socialiste le 6 novembre 2008. Cette note intitulée « 52 propositions pour mieux protéger les épargnants, les investisseurs, les emprunteurs et les assurés » a été déclinée sous forme de propositions de loi. Certaines de ces propositions sont depuis lors devenues des lois, d’autres sont en passe de l’être.
À l’avenir, les pouvoirs publics doivent encourager le développement de nouveaux modes d’investissement privilégiant une approche sociétale. Pour le PS, les pouvoirs publics ne sont pas les seuls à devoir jouer un rôle. La société civile doit aussi pouvoir faire entendre son point de vue.
N.B. : Les trois points du Manifeste que le PS considère comme ses priorités sont à mettre en lien direct avec notre souhait de disposer en Belgique d’une Agence chargée de la protection des consommateurs de services financiers. Ce souhait sera prochainement rencontré puisque le Gouvernement s’apprête à déposer sur les bancs du Parlement un projet de loi octroyant à la CBFA de nouvelles compétences en matière de protection du consommateur de services financiers.
1) Établir une fiscalité éco-solidaire.
Nous soutenons les objectifs de ce point mais les modalités de mise en œuvre que nous proposons sont différentes.
Diminuer la fiscalité sur le travail fait partie de nos priorités. L’enjeu est de rendre du pouvoir d’achat aux citoyens et valoriser le travail de manière à créer les bases d’une croissance durable et équitable. Notre pression fiscale reste trop élevée, en particulier en ce qui concerne les revenus du travail. Notre projet se fonde sur cinq axes complémentaires pour une politique fiscale ambitieuse :
1. Libérer et valoriser le travail ;
2. Rendre du pouvoir d’achat aux citoyens ;
3. Préparer la reprise en misant sur l’entreprise ;
4. Lutter pour l’environnement par des incitants fiscaux ;
5. Assurer la juste perception de l’impôt.
2) Rendre les investissements transparents.
Les établissements financiers doivent se recentrer sur leurs activités de base, l’octroi de crédit à l’économie, en portant une attention accrue à la gestion des risques et à la transparence de leurs produits.
Pour le MR, il convient de mieux encadrer les produits dérivés et d'assurer la traçabilité des produits financiers. Par ailleurs, pour une meilleure information et protection des consommateurs, nous voulons renforcer le contrôle et les sanctions et améliorer les connaissances financières de chacun.
Ce sera notamment la tâche de la nouvelle CBFA en exécution de la réforme du contrôle du secteur financier (twin peaks).
3) Arrêter les investissements dans les activités socialement nuisibles.
De manière générale, nous pouvons soutenir ce point mais il manque de précisions et reste vague. Les termes « socialement nuisibles » doivent être précisés, qu'entend-on par ces termes?
La commission d'enquête sur la fraude fiscale demande au législateur et aux autorités de contrôle des banques d’adapter leur réglementation sur certains points (par exemple, règles en matière de solvabilité et de fonds propres) pour encourager l’activité bancaire classique.
Bâle, troisième !
« Nous devons instaurer une réforme complète de la régulation et combler les lacunes existantes en matière de contrôle.» L'appel, lancé le 24 mars 2009 par le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, devant la Chambre des représentants, répond à un constat sur lequel tout le monde s'accorde : la supervision a fait défaut depuis le début de la crise financière. Pour apporter une solution au moins partielle à ce constat, un nouvel accord, dit de Bâle III, a été trouvé au mois de septembre 2010.
Surveillance et régulation bancaire
Trois organes internationaux de surveillance et de régulation bancaire existent : le Comité de Bâle, le Forum de stabilité financière (FSF) et le Fonds monétaire internationaI (FMI). Le premier a une fonction de renforcement de la régulation prudentielle, c'est-à-dire une surveillance de l'activité financière fondée sur la prudence. Le second est une sorte d'institution tiroir, chargée de « promouvoir la stabilité financière», où se regroupent pays du G7, organisations internationales et autorités nationales de marché. Quant au FMI, il use de son pouvoir de surveillance essentiellement dans le domaine monétaire et très peu sur les marchés financiers.
Voyons de plus près le premier d'entre eux. Le Comité de Bâle ou Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (en anglais Basel Committee on Banking Supervision, BCBS) est un forum où sont traités de manière régulière (quatre fois par an) les sujets relatifs à la supervision bancaire. Il est hébergé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) qui est une organisation internationale qui regroupe les banques centrales ou autorités monétaires de cinquante pays ou territoires et qui a pour mission de stimuler la coopération des banques centrales et d'autres agences dans la poursuite de la stabilité monétaire et financière.
Le Comité de Bâle a été instauré en décembre 1974 pour améliorer la coopération entre autorités de contrôle des banques. Il coordonne le partage des responsabilités prudentielles entre autorités nationales, dans le but d’assurer une surveillance efficace de l’activité bancaire à l’échelle mondiale.
Bâle I
En 1988, il a formulé des recommandations appelées accord de Bâle sur les fonds propres ou encore accord de Bâle I, en vue de parvenir à une convergence internationale de la mesure des fonds propres des banques et de fixer des exigences minimales.
De quoi s'agit-il ? Les fonds propres désignent ce que l'entreprise, ici la banque, possède (bâtiments, terrains, machines, trésorerie) moins ce qu'elle doit (ses dettes). Le principal avantage des fonds propres est de représenter un matelas de sécurité pour les créanciers de l'entreprise. En cas de grave difficultés financières, les chances de survie de l'entreprise sont proportionnelles à l'importance de ses fonds propres, beaucoup plus qu'à sa taille. Une très grande entreprise ayant trop peu de fonds propres peut disparaître très rapidement. L'utilité des fonds propres est donc d'assurer que l'entreprise soit solvable, c'est-à-dire en capacité de payer ses dettes sur le court, moyen et long terme.
Le pivot de l’accord de Bâle I est la mise en place d'un ratio minimal de fonds propres par rapport à l'ensemble des crédits accordés, le ratio Cooke, qui prévoit que le rapport des deux valeurs ne doit pas être inférieur à 8 %. En d'autres termes, si on a 8 de fonds propres, on peut prêter 100, mais pas davantage, avec les dépôts reçus des clients. La grande limite du ratio Cooke, et donc des réglementations issues des premiers accords de Bâle, est liée à la définition des engagements de crédit. La principale variable prise en compte était le montant du crédit distribué. À la lumière de la théorie financière moderne, il est apparu qu'était négligée la dimension essentielle de la qualité de l'emprunteur, et donc du risque de crédit qu'il représente réellement.
Bâle II
Le Comité de Bâle a donc publié le 15 juillet 2004 la recommandation « Bâle II »1 dans laquelle est définie une mesure plus pertinente du risque de crédit, avec en particulier la prise en compte de la qualité de l'emprunteur, y compris par l'intermédiaire d'un système de notation interne propre à chaque établissement (dénommé IRB, Internal Rating Based). Le nouveau ratio de solvabilité est le ratio McDonough.
En fait, les recommandations de Bâle II s'appuient sur trois piliers (terme employé explicitement dans le texte des accords) :
- l'exigence de fonds propres (ratio de solvabilité McDonough) ;
- la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres ;
- la discipline du marché (transparence dans la communication des établissements).
Le premier pilier, l'exigence de fonds propres, affine l'accord de 1988 et cherche à rendre les fonds propres cohérents avec les risques réellement encourus par les établissements financiers. Parmi les nouveautés, signalons la prise en compte des risques opérationnels (fraude et pannes de système) et des risques de marché, en complément du risque de crédit ou de contrepartie. Pour le risque de crédit, les banques peuvent employer différents mécanismes d'évaluation. La méthode dite standard consiste à utiliser des systèmes de notation fournis par des organismes externes. Les méthodes plus sophistiquées (méthodes IRB) impliquent des méthodologies internes et propres à l'établissement financier d'évaluation de cotes ou de notes, afin de peser le risque relatif du crédit. Les différentes mesures ont une incidence directe sur la capitalisation requise.
Pour ce qui est du deuxième pilier, la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres, comme les stratégies des banques peuvent varier quant à la composition de l'actif et la prise de risques, les banques centrales auront plus de liberté dans l'établissement de normes face aux banques, pouvant hausser les exigences de capital là où elles le jugeront nécessaires...
Enfin, dans le troisième pilier, la discipline de marché, des règles de transparence sont établies quant à l'information mise à la disposition du public sur l'actif, les risques et leur gestion.2
Bâle III
Au mois de septembre 2010, un nouvel accord, dit de Bâle III, a été trouvé. Il porte sur un vaste plan de réforme du secteur bancaire, prévoyant un relèvement des fonds propres des établissements financiers. C'est que la crise de 2007-2008 a vu de nombreuses banques et non des moindres ne devoir leur survie qu'à l'intervention musclée des pouvoirs publics. Sans celle-ci, elles seraient tombées en faillite, entrainant sans aucun doute dans leur chute d'autres banques et des pans entiers de l'économie.
L'idée est donc de rendre les banques moins vulnérables et d'éviter qu'elles ne recourent aux fonds publics en cas de nouvelle crise financière. Pour ce faire, les nouveaux accords prévoient que les fonds propres « durs », c'est à dire composés uniquement d'actions et de bénéfices mis en réserve, devront représenter 7% des activités de marché ou de crédit des banques, contre 4 % dans les accords de Bâle II. L'augmentation de ce ratio vise à contribuer à limiter l'incitation à la prise de risque. Est-ce assez, est-ce trop ?
Pour Simon Johnson, l'ancien directeur des études du FMI, le ratio aurait dû être de 15% : le meilleur moyen d’instaurer un système plus sûr consiste à imposer des ratios de fonds propres très élevés et robustes, fixés par la législation et difficilement contournables ou révisables. En portant à 15 ou 25 % le ratio de fonds propres — ce qui reviendrait à renouer avec les ratios capital/actifs en vigueur aux États-Unis avant la création de la Réserve fédérale en 1913 — et en fixant par précaution des ratios de fonds propres trop élevés pour les instruments dérivés3 et autres structures financières complexes, nous mettrons en place un système beaucoup plus sûr avec des règles plus difficiles à détourner.4
Pour les banques, le ratio de 7 % est trop élevé : si elles doivent « geler » plus de fonds propres, il y aura moins de ressources pour le crédit. La régulation pèsera inévitablement sur le financement de l'économie et notamment le volume et le coût du crédit, a ainsi prévenu la Fédération bancaire française. Une conséquence d'autant plus dommageable pour l'économie européenne que 80% de son financement est assuré par les banques, quand les grandes entreprises américaines misent essentiellement sur le marché.5
Et les banques éthiques ?
Nous avions déjà relevé que, pour ce qui est de l’évaluation du risque, les plus grandes banques sont avantagées dans l’utilisation de l’évaluation interne ou externe des crédits pour désigner les taux de risque à appliquer. Les plus petites banques recourant à une approche standardisée sur la base de la structure de risque existant doivent utiliser l’évaluation de risque proposée dans la directive européenne qui a transcrit les accords de Bâle II6 ou avoir recours à des agences d’évaluation des risques de crédit. Celles-ci sont toutefois coûteuses et, en outre, il leur est difficile de comprendre l’économie bancaire sociale sans analyser les transactions financières sur plusieurs années. Il est par conséquent fort peu probable que les banques d'économie sociale soient capables de sortir de l’approche standardisée des risques avant plusieurs années.7
Il faut également relever des divergences dans les coefficients de risques appliqués dans les différents États membres de l'Union européenne. Ainsi, les entreprises sociales, les organisations non reconnues et les associations sans but lucratif se voient attribuer un coefficient de risque de 100 % en Italie, contre seulement 75 % pour les particuliers, alors même que les statistiques de défaillances des premières sont inférieures à celles des seconds. Dès lors, une banque comme la Banca Etica, spécialisée dans le crédit à de telles institutions est injustement pénalisée. Cela est d'autant plus étrange que, à l'inverse, dans un pays comme la Pologne, les prêts inférieurs à 1 million d'euros sont toujours affectés d'un coefficient de risque de 75 %, quelle que soit la qualité du client concerné.8 Harmonisation, quand tu nous tiens !
Conclusions
Nous sommes sans doute encore loin d'avoir instauré une réforme complète de la régulation et comblé les lacunes existantes en matière de contrôle, comme le souhaitait Timothy Geithner. Par certains aspects, le nouvel accord de Bâle III peut paraître timide et insuffisant pour contenir les effets d'une nouvelle crise sur les institutions financières. Au moins sur celles qui développent une activité fondée sur la prise inconsidérée de risque.
On peut sûrement se demander à cet égard s'il ne faut pas, d'abord, adopter des mesures plus fondamentales qui anticipent les risques plutôt que de tenter de les contrôler. Notamment limiter et contrôler les mouvements purement spéculatifs de capitaux.
Et, ensuite, différencier davantage les exigences de solvabilité selon la nature des institutions financières et les activités, plus ou moins spéculatives, qu'elles développent. De façon à ce que les prises de risques de certaines ne préjudicient pas à d'autres qui se voient, de ce fait, contraintes d'augmenter leur capitalisation. Il faut demander plus de garantie à ceux qui prennent plus de risque et pas à ceux qui, comment les banques éthiques, financent l'économie réelle en exerçant le métier de base du banquier : recueillir des dépôts pour fournir du crédit.
Bernard Bayot,
février 2011
1Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres, dispositif révisé, juin 2004, http://www.bis.org/publ/bcbs107fre.pdf.
2 Bernard Bayot, L'Europe réglemente les fonds propres des banques, Réseau Financement Alternatif, juillet 2006.
3 Contrat entre deux parties qui prévoit un échange (un achat par exemple) dans le futur à des conditions fixées au préalable. Normalement, il sert à couvrir le risque mais est de plus en plus utilisé à des fins spéculatives.
4 Les bonus et le «cycle apocalyptique», Finances & Développement, mars 2010, page 43.
5 Laura Raim, La réforme bancaire de Bâle 3 pour les nuls, L'Expansion, 13 septembre 2010.
6 Directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit, JO L 177 du 30.6.2006, p. 201–255.
7 Bernard bayot, op ; cit.
8 Alessia Vinci, Banca Etica, tra regole vecchie e nuove, Valori, décembre 2010, page 32.
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