Rencontre avec Carlos de Freitas
1) Quelle a(ont) été la(les) plus grosse(s) difficulté(s) rencontrée(s) dans la mise en place du Palmas ?
Les difficultés rencontrées au moment du lancement du Palmas restent les mêmes à affronter aujourd'hui : la confiance dans la monnaie locale, sa vitesse de circulation à maintenir et augmenter, les outils techniques mais aussi de communication permettant cette diffusion à améliorer et faire en sorte que davantage d'entreprises paient leurs salariés en Palmas et obtenir des pouvoirs locaux le paiement de taxes/impôts locaux en monnaie sociale.
Fin 2012, cela fera 10 ans que le palmas circule dans le quartier. Plus de 50 monnaies locales ont été créées dans le pays à l'image de cette première expérience.
Il reste encore à convaincre les autorités publiques mais également les habitants des quartiers cibles et les entreprises locales que le développement endogène est la seule voie de développement durable pour des populations rencontrant des carences aussi violentes.
Toute monnaie locale doit évidemment générer sa propre architecture et définir des mécanismes de fonctionnement et de transparence pour assurer sa pérennité. D'expérience, aujourd'hui, l'on sait que le plus important dans l'implantation et le développement d'une monnaie complémentaire reste l'animation qui en est faite ainsi que son appropriation et sa gouvernance. Il faut que les habitants et/ou les usagers de la monnaie s'investissent et se reconnaissent dans les valeurs qu'elle porte. Egalement que les instances de consultation et d'orientation du projet de développement qui oriente l'emploi de l'outil monétaire soient les plus ouvertes possibles. Dans le cas du Palmas, plusieurs mécanismes ont été mis en place : le Forum Economique Local (FECOL) reste l'espace de débat public ouvert à tous les habitants, une fois par semaine, pour venir discuter des orientations, des problèmes posés dans le quartier et chercher ensemble comment inventer des solutions durables et partagées. Le Palmas est une "monnaie sociale locale circulante" : elle doit rester vivante. Pour cela circuler, être "reconnue". Aujourd'hui, le quartier est en passe de développer un programme électronique permettant le paiement par téléphone portable, par exemple. Cela va permettre une plus grande souplesse dans son usage et limiter les risques.
3) Quels sont les défis pour l'avenir ?
Les défis au niveau du quartier sont de parvenir à une masse de circulation monétaire suffisamment forte pour inciter les pouvoirs publics à mieux reconnaître son impact dans le développement local. Il faut également permettre à plus d'habitants d'y avoir accès (portables) et donc de l'utiliser en toute sécurité dans le quartier qui reste, malgré l'action de la communauté, un quartier violent. Au niveau du pays, il s'agit d'augmenter le nombre de territoires pouvant bénéficier de cet outil et des instruments de sa pérennisation. L'un des objectifs dans le futurs est par exemple de régler une partie des prestations et allocations familiales en monnaie locale. Egalement de permettre dans le futur des échanges entre territoires distants en créant des passerelles entre les monnaies locales entre elles et entre producteurs et commerçants afin de renforcer leur développement. Un autre point : faire en sorte, une fois une certaine masse critique de monnaie locale en circulation, d'utiliser le "gage" en monnaie nationale pour offrir des micro-crédits à la consommation à taux réduits, c'est-à-dire faire en sorte que les communautés se développement d'elles-mêmes, à partir de leurs ressources propres et non en continuant à dépendre autant de partenaires extérieurs.
4) Quelle est la clé du succès de cette monnaie?
Le palmas est un succès certes mais modéré tout de même en termes de masse monétaire en circulation. Il reste encore beaucoup à faire ! Reste que le succès est là et qu'on le doit surtout à la formidable énergie déployée par l'équipe de l'Institut Palmas et des habitants du Conjunto Palmeiras afin de la faire vivre, de parvenir à ce qu'elle soit conservée, dans sa gestion, entre leurs mains. C'est cet esprit de communauté de valeur qu'ils sont parvenu à transmettre également dans les autres programmes de banques communautaires dans le pays.
5) Quel est le circuit classique emprunté par le Palmas ?
Elle irrigue l'ensemble des échanges qui ont lieu dans les points de vente acceptant la monnaie et entre les habitants eux-mêmes. 240 commerçants acceptent le Palmas dans le quartier. Certains la concentrent plus que d'autres, mais la monnaie est véritablement circulante (environ 5 fois pour un même billet dans la journée). Par contre son origine est quadruple : soit elle provient de l'obtention d'un micro-crédit à la consommation ou à la production en Palmas, soit du change réalisé du réal vers le Palmas aux guichets de la banque, soit encore parce que la famille reçoit une allocation familiale ou une pension pour partie réglée en Palmas aux guichets de la banque et enfin soit parce que l'habitant l'a reçu comme partie du règlement de son salaire.
Carlos de Freitas est le correspondant de la banque Palmas en Europe. Il est également le co-auteur du livre Viva Favela ! Quand les démunis prennent leur destin en main aux Éditions Michel Lafon.
Le succès de la banque des pauvres
En bref :
- Les habitants d'une favela s'unissent pour améliorer leurs conditions de vie.
- Décidés à se réapproprier l'économie locale, ils créent la monnaie baptisée « palmas ».
La monnaie et la banque Palmas sont de véritables succes-stories au Brésil. À tel point que plus de 60 banques sociales ont été créées sur ce modèle, et que la monnaie palmas fait maintenant figure d'outil de lutte contre la pauvreté et l'exclusion en Amérique latine.
Agir plutôt que subir
Tout commence en 1973 à Fortaleza, dans la favela Palmeiras au nord-est du Brésil. La mairie reloge de force les démunis qu'elle expulse du centre-ville pour y construire des hôtels touristiques. Tout manque aux habitants de la favela : des écoles, un hôpital, un accès à l'eau et à l'électricité, un système d'égouts, des transports publics, etc. Les habitants en ont assez et entament une lutte contre les pouvoirs publics pour accéder aux services de base. Grâce à l’aide de la société civile et de quelques paroisses, les premiers résultats se traduisent en 1978 par la construction d'écoles. Au cours de batailles acharnées et d'âpres négociations, l'association des habitants du Conjunto Palmeiras est fondée en 1981. En 1998, plus de 20 ans après le début des revendications, ils obtiennent enfin un accès à l'eau et à l'électricité et les maisons « en dur » commencent à remplacer les habitations de fortune, ce qui pousse les habitants les plus démunis à quitter le quartier car la pauvreté reste une réalité quotidienne. Pour résoudre ce problème, la communauté dé- cide de créer sa propre monnaie.
Nous ne sommes pas pauvres
Les habitants de la favela Palmeiras veulent sortir de la pauvreté. Ils comprennent vite que le peu d'argent qu'ils ont quitte toujours leur quartier sans jamais y revenir. Par leurs achats, ils paient des entreprises qui n'investissent pas localement. En 1998, les habitants constituent une banque coopérative. Grâce à une modeste épargne locale, ils commencent à allouer des microcrédits à la production et à la consommation pour augmenter l'autosubsistance de la favela. En 2002, la volonté commune des habitants de se réapproprier le système économique débouche sur la création de la monnaie complémentaire baptisée « Palmas ». Les palmas ne peuvent être utilisés que dans le quartier, auprès des commerçants locaux. Ils permettent à la population de concentrer les échanges, qui jusque-là sortaient du quartier, à l'intérieur de leur territoire. La Banque Palmas grandit de jour en jour. Trois ans après sa création, après l'avoir menacé de fermeture car elle serait la cause d'une déstabilisation du système économique brésilien, la Banque Populaire du Brésil (BPB), créée par l'ancien président Lula, lui accorde un portefeuille de crédit de 30 000 reais (environ 13 000 euros). C'est le décollage pour la banque Palmas qui devient le correspondant bancaire de la BPB dans les quartiers pauvres. Aujourd'hui, la Banque Palmas a un portefeuille de crédit de 2 millions de reais. Fin 2012, cela fera 10 ans que le palmas circule dans le quartier. Plus de 60 banques sociales ont été créées au Brésil à l'image de cette première expérience.
Thibaut Monnier,
septembre 2011
Partis de rien, des habitants d'une favela brésilienne ont créé leur propre banque et leur propre monnaie. Comment des personnes sans formation économique et sans ressources financières ont-elles pu réaliser un tel coup d'éclat ?
C3, la monnaie des commerçants
En bref :
- Stimuler les échanges entre PME au moyen d'un réseau d'entreprises.
- S'attirer et fidéliser une nouvelle clientèle.
- Pallier le manque de liquidités des PME.
Convertible en monnaie nationale, le C3 se veut un nouvel outil pour favoriser les activités des PME et donc renforcer l'économie locale et l'emploi. Il s'agit en effet d'une monnaie complé-mentaire, mais dont l'objectif est avant tout commercial, notamment en favorisant la rencontre de l'offre et de la demande au sein d'un réseau d'entreprises et en s'attirant une nouvelle clientèle à moindres frais. Mais c'est surtout une possibilité pour les PME de trouver un financement moins onéreux pour développer leurs activités. C'est en quelque sorte une seconde ligne de crédit au regard du système de financement traditionnel.
Contrer le manque de liquidités
Le principal objectif du circuit de crédit commercial est de pouvoir pallier le manque de liquidités qui est un casse-tête comptable pour toutes les PME. En effet, celles-ci doivent généralement payer leurs fournisseurs dans les 30 jours alors qu’elles ne reçoivent le paiement de leurs clients que dans les trois mois qui suivent. Ce qui signifie qu'à défaut de liquidités suffisantes, les PME doivent absolument recourir à une ligne de crédit. Dans un réseau C3, ce que l'on considère comme du crédit n'est en fait qu'un système d'échange dans une monnaie alternative, avec une possibilité de descendre en négatif sur le compte exprimé dans cette monnaie. De plus, si le fournisseur et le client sont dans le système, le paiement est immédiat.
Le WIR en Suisse
Prenons le cas du WIR 1 en Suisse (Wir signifie « nous » en allemand), qui est un bel exemple de monnaie complémentaire commerciale. Le WIR est né en 1934 à l’initiative de quelques entrepreneurs qui, bloqués par le manque de liquidités en francs suisses lors de la grande crise, ont dû faire preuve de créativité pour ne pas perdre leur entreprise. Le problème était simple : comme lors de toute crise, l'argent était stocké au lieu d'être dépensé et circulait donc nettement moins. Il a fallu trouver des liquidités pour faire tourner la machine de production et, par ce biais, conserver l'activité de l'entreprise et les emplois inhérents. Le résultat : ils ont inventé leur propre monnaie afin de répondre à ces besoins. Il s'agissait donc d'un instrument conçu pour faire face à la crise et qui, au fil du temps, s'est dissocié du cours du franc suisse. Ce réseau d'entreprises compte aujourd'hui 60 000 PME environ et a donné naissance à la banque coopérative WIR pour les services financiers. Aujourd'hui existe la possibilité de recourir à un crédit hypothécaire à un taux de 1 %. Une monnaie destinée aux consommateurs a également été mise en circulation pour soutenir les commerces et entreprises participantes.
Le C3U en Uruguay 2
Le cas du C3U, en Uruguay, est intéressant car il est soutenu par le gouvernement et est présent à l'échelle nationale. Aujourd'hui, l'État accepte même que les taxes soient acquittées dans cette monnaie. Des crédits sont également facilités au sein des membres du réseau pour investir et développer leurs activités, grâce au programme de national de microfinance. D'importants membres sont venus gonfler les voiles de ce projet mis en place par la fondation STRO 3 (Social trade organization) : le Bureau national des taxes, l'Office national des pensions et d'autres fournisseurs indispensables, comme les fournisseurs d'énergie ou de téléphonie. Cette large adhésion permet évidemment de proposer aux nouveaux membres suffisamment d'opportunités pour leurs activités. Les membres de ce réseau ont un compte où les unités sont de même valeur que le peso uruguayen, mais permettent également des paiements en dollars, devise qui est largement utilisée dans l'économie uruguayenne. Un autre apport-bénéfice important du projet C3U est la naissance du programme Cyclos 4, un programme open source permettant un accès netbanking aux utilisateurs de monnaies alternatives. Il permet des paiements par SMS, ce qui peut aussi favoriser l'accès bancaire dans les zones rurales grâce à des institutions de microfinance.
Antoine Attout,
septembre 2011
1. Banque Wir : www.wir.ch
2. www.c3uruguay.com.uy
3. www.socialtrade.org
4. http://project.cyclos.org/
En s'accordant du crédit mutuellement, un réseau d'entreprises favorise l'entraide et la création d'activités, donnant naissance à un autre type de monnaie complémentaire : le C3, le circuit de crédit commercial.
Chez nous
À Mons, le ropi est né il y a peu pour tenter de relocaliser les échanges et stimuler les achats locaux, équitables et bio, soutenir le tissu économique local et encourager une transition vers un modèle durable. Il est, de plus, assorti d’un projet pédagogique visant à favoriser les apprentissages entre élèves. Le projet est actuellement dans sa phase de test à petite échelle au sein d'une école, l'IESPP. Le lancement à l'échelle de la ville est prévu pour 2012.
À Meix-devant-Virton, c'est l'épi qui a vu la jour il y a peu, avec un caractère régional pour la Gaume, voire la Lorraine belge et française. L'objectif de départ est de stimuler les dépenses dans les petits commerces locaux, tels que les épiceries, qui peinent à conserver leur activité. Il s'agit donc de pérenniser les emplois existants, voire d'en créer par une stimulation de l'activité économique locale. À cela, s'ajoutent, bien entendu, des objectifs durables, tels que les achats bio et de saison, les circuits courts (agriculteurs-consommateurs), le soutien au tissu associatif et une plus forte cohésion sociale. L'épi est également en phase de test jusque décembre de cette année.
La Région de Bruxelles-Capitale réfléchit elle aussi à un projet de monnaie complémentaire dont l'objectif est d'encourager les comportements écologiques et durables. Elle a déjà commandé deux études sur le sujet qui ont permis de dessiner les contours de l'Eco-Iris (nom provisoire) et qui mèneront probablement au lancement d'un projet pilote dans trois quartiers de Bruxelles. En adoptant des comportements écologiques et durables (se lancer dans le compostage, mettre un auto-collant « non à la pub »...), les habitants recevront des Eco-Iris qu'ils pourront échanger contre des achats dans des magasins verts, des tickets de cinéma ou des séances à la salle de sport.
Chez nous aussi, les monnaies citoyennes ou publiques commencent à fleurir.
T'as pas un toreke ?
En bref :
- Avec les autorités publiques, des Gantois ont créé une nouvelle monnaie baptisée « toreke ».
- Cette monnaie complémentaire sert à redynamiser la vie de quartier.
Le 10 août dernier, une nouvelle journée de travail de quartier était organisée. Ils étaient des dizaines à s'y rendre. L'occasion pour eux de donner un petit coup de main à la maintenance du potager collectif du quartier, de rencontrer d'autres personnes et, au passage, d'empocher quelques torekes, la monnaie du quartier. Ceux-ci pourront être échangés contre des tickets de cinéma mais, le plus souvent, ils serviront de moyen de paiement pour la location annuelle d'un morceau du potager. Le projet Toreke est né dans la tête de quelques organisations actives dans un quartier défavorisé de Gand. Toutes ces organisations ont mille et une idées pour améliorer la vie de quartier mais manquent souvent de ressources humaines. Le toreke s'est donc imposé comme une solution pour faire se rencontrer les habitants, les commerçants et les associations du quartier. Toreke encourage ainsi tous les comportements qui visent à l'amélioration du quartier. On peut donner quelques heures de son temps à une association pour nettoyer un parc, une plaine de jeux, veiller à la maintenance générale du potager collectif ou soigner les poules qui y vivent. Mais peindre sa façade en couleur vive, fleurir ses fenêtres ou le parterre devant la maison, passer à l'électricité verte fait également l'objet d'un « paiement » en torekes. Ceux-ci pourront à leur tour être échangés dans les commerces bio ou de seconde main, contre des tickets de cinéma, de concert...
Succès ?
Ce sont, au total 40 340 torekes (4 034 euros) qui ont été échangés entre 371 habitants, soit pour un peu plus de 100 euros par participant. Les journées de travail collectif rencontrent un grand succès, à tel point qu'en trois mois les organisations ont mis en circulation autant de torekes qu'ils pensaient le faire en un an.
Par contre, les services aux particuliers, comme faire les courses pour son voisin ou lui préparer à manger, se développent moins bien, probablement parce que l'effet ne se fait pas immédiatement ressentir par ceux qui les accomplissent, souligne Wouter Van Thillo de l'association Samenlevingsopbouw, une des organisations à l'initiative du projet. Il faudra donc réfléchir à des adaptations pour encourager les habitants à se lancer dans ce type d'actions.
Mais est-ce vraiment un succès, alors ? Ça l'est pour Wouter Van Thillo, notamment eu égard à la dynamique que cela engendre. Les personnes n'agissent pas directement parce qu'elles reçoivent des torekes. C'est surtout parce qu'on leur donne un cadre pour permettre d'agir. Et cette dynamique-là perdurera probablement au-delà du projet lui-même. D'autant que, si le répertoire des actions à récompenser et des biens ou services à acquérir en torekes est né du fait des associations présentes sur place, ce sont les habitants qui ont construit ce « catalogue », ce sont eux qui ont été les véritables acteurs de ce projet. Mis à part les actions d'aide entre voisins et les actions individuelles, toutes les activités proposées – le nettoyage de rue, la gestion de la location du barbecue... – se font sous la hou- lette des associations de quartier. Le toreke permet donc un nouveau style de gestion des bénévoles. Le fait de leur offrir quelques torekes non pas en guise de paiement mais en cadeau pour les services rendus les emmène dans une démarche positive et durable. Le projet Toreke prendra fin en 2012, en même temps que le soutien financier des pou- voirs publics qui, pendant cette période, aura permis de rémunérer le personnel des associations qui encadrent le projet, et de garantir l'infrastructure et la valeur de ces torekes. Car les projets de monnaies complémentaires qui visent un changement de comportement coûtent forcément de l'argent. Mais contrairement à d'autres projets subsidiés, ceux-là limitent quelque peu la part pécuniaire nécessaire : un toreke reçu pour un coup de main donné à une association peut être utilisé pour acheter des légumes bio qui seront échangés contre un ticket de bus, généreusement offert par un sponsor privé. Les effets du projet perdureront probablement après 2012. Cette initiative aura certainement permis de rendre le quartier plus propre et plus agréable et peut-être incité les habitants à adopter des comportements plus écologiques et durables. Toreke permettra surtout de mettre en relation des habitants et des associations et de franchir le pas de la démarche collective et solidaire.
www.toreke.be
Laurence Roland,
septembre 2011
Dans le quartier populaire du Rabot-Blaisantvest à Gand, une monnaie complémentaire circule depuis octobre 2010. Son but affiché est de stimuler l'activité locale, mais surtout de rendre le quartier plus propre, plus vert et... plus agréable à vivre.
Coût d'une monnaie locale
Tout dépend du type de monnaie (publique, citoyenne ou commerciale) et de son objectif, mais voici, à travers des exemples, quelques éléments de réponse. Une monnaie publique, pour induire des changements de comportement a généralement un coût faramineux, mais son objectif ne l'est pas moins. Prenons l'exemple du NU-Spaarpas 1 à Rotterdam. Objectif : réduire l'impact environnemental et stimuler des changements de comportement durables. Son coût a été de 2 millions d'euros, pour une durée de vie de 16 mois. Un flop ? Oui et non. Oui, car le coût est énorme pour si peu de temps et de résultats tangibles. Non, car les résultats positifs sont très difficiles à calculer. L’initiative a sans doute permis d'engendrer une série d'habitudes de comportement durable, de mettre en avant certains commerces bio et/ou équitables participants, de les mettre en relation et de fusionner différentes politiques publiques (développement durable, stimulation économique, mobilité durable...). Une monnaie commerciale telle que les miles des compagnies aériennes ou les points épargne des supermarchés, dont l'objectif est de fidéliser la clientèle, représente un coût certain pour l'entreprise, mais lui permettra d'engranger de nouvelles recettes. En quelque sorte, grâce à ce système de compensation, le coût de l’opération est finalement relativement faible par rapport à l'objectif à atteindre. Dans le cas des monnaies citoyennes, en général, l'architecture monétaire et le plan financier prévoient d’atteindre l’autosuffisance une fois la phase de lancement bien entamée. Cependant, c'est sans compter sur les heures, les jours, les mois, voire les années, de bénévolat d'une équipe leader du projet, pour dynamiser le réseau, encourager de nouveaux acteurs à rejoindre le projet et, bien entendu, assurer la gestion administrative et comptable de celui-ci.
1. www.nuspaarpas.nl
Un tas de monnaies !
En bref :
- Les monnaies complémentaires répondent à des besoins que ne satisfait pas une monnaie nationale conventionnelle.
- Elles contrent certains effets négatifs du système financier.
- Différents objectifs peuvent leurs être affectés.
Acheter des aliments avec des points Delhaize, un abonnement de train avec des éco-chèques ou encore des produits locaux, équitables et bio avec des épis1, c'est possible grâce aux monnaies complémentaires. Elles ont toutes un point commun : ce sont des moyens d'échange, complémentaires aux monnaies nationales conventionnelles. C'est une pratique courante, et ce, depuis le Moyen-Âge, où par exemple les villes et les monastères avaient leur propre monnaie, parallèlement à la monnaie royale qui était la monnaie nationale en vigueur. Aujourd'hui, on en dénombre plus de 5000 de par le monde. La Belgique, mis à part les SEL (systèmes d'échanges locaux), est en reste en ce qui concerne les monnaies citoyennes, mais sans doute en train de rattraper son retard.
L'unité de valeur peut être le temps, l'euro, le centime, le kilomètre parcouru, des points-cadeaux, etc. Prenons, par exemple, les chèques-repas ou les points de fidélité des supermarchés qui permettent d'acheter différents produits, les miles des compagnies aériennes pour les billets d'avions ou encore les SEL qui utilisent une monnaie-temps, c'est-à-dire qu'une heure de service équivaut à une heure d'un quelconque autre service.
Quels objectifs ?
Qu'elles soient citoyennes, publiques ou commerciales, les monnaies complémentaires apparaissent toujours pour combler un manque, répondre à un besoin particulier, que ne remplit pas une monnaie nationale ou supranationale comme l'euro, et ce, plus particulièrement en temps de crise. Relocaliser l'économie, renforcer le lien social, encourager la circulation de la monnaie, éviter la thésaurisation2, éviter la spéculation sur la monnaie, encourager des comportements durables..., tels sont les innombrables objectifs que peut poursuivre une monnaie.
La suite est une question de choix : favoriser la circulation de la monnaie par le principe de monnaie fondante (la monnaie perd de sa valeur avec le temps, ce qui stimule donc les dépenses) ; convertir la monnaie locale à l'euro pour encourager le commerce local mais permettre un retour en euros qui peut être taxé (taxe de rédimage) ; convertir 1h de service en monnaie papier (1h = 1h3, ou 1h = 10 dollars4). En fonction de l'objectif global du projet, différents mécanismes seront mis en place dans une monnaie afin de répondre à ces objectifs spécifiques, c'est ce que l'on appelle « l’architecture monétaire ».
Pour quels types de monnaie ?
Une monnaie citoyenne peut être définie ici comme un projet porté par une collectivité locale en vue de contrer les effets néfastes du système capitaliste (délocalisation, spéculation, épuisement des ressources,...) et surtout d'encourager le soutien aux producteurs et commerçants locaux. Les monnaies commerciales quant à elles tentent généralement soit de fidéliser la clientèle, soit de résoudre les problèmes de liquidités des PME.
Les monnaies publiques quant à elles s'imposent pour mettre en place des politiques publiques stimulant des changements de comportement ou apportant un soutien à certains collectifs.
Quels impacts ?
Il reste cependant difficile d'estimer l'ensemble des impacts d'une monnaie locale, car on ne peut s'en tenir strictement à des critères économiques. Il faut prendre en compte des critères difficilement quantifiables, tels que la création ou le renforcement du lien social, le changement de comportement des acteurs, la réappropriation citoyenne, le renforcement d'une identité locale, etc.
Certains instigateurs de monnaies complémentaires évoqueront également que cela permet de retrouver une certaine autonomie et d'être plus résistant lors de crises économiques. Notamment lorsque les liquidités en monnaie nationale font défaut et que les consommateurs préfèrent épargner plutôt que de dépenser leur argent, et lorsque l'accès au crédit devient plus difficile. C'est précisément pour faire face à ce genre d'instabilité que les monnaies complémentaires sont intéressantes5.
Réappropriation citoyenne d'un outil économique
Aujourd'hui, les initiatives citoyennes fleurissent de toutes parts pour tenter d'endiguer ce phénomène de la finance « casino », de l'économie virtuelle, qui fait des ravages dans la société et sur l'environnement. Ces initiatives proposent de recentrer les échanges sur le local, de manière éthique et durable, en créant plus de cohésion sociale, plus de liens directs consommateurs-producteurs-artisans et en proposant des pistes d'action concrètes pour agir ensemble sur l'économie, bref, de se réapproprier cet outil trop longtemps éloigné des
préoccupations sociales.
Antoine Attout,
septembre 2011
1. L'épi est une monnaie complémentaire citoyenne mise en place par des habitants de Meix-devant-Virton.
2. La thésaurisation est le fait d'amasser de l'argent, de le conserver. Bien que très utile dans tout budget, à grande échelle elle a un effet négatif pour la stimulation de l'économie, car c’est autant d’argent qui ne circule plus.
3. http://selidaire.org
4. www.ithacahours.org
5. FAIN, A., Quelle place pour les monnaies complémentaires dans la fonction de production ? www.financite.be
Version papier ou électronique, locale ou régionale, exprimée en temps ou convertible à l'euro, on assiste depuis quelque temps à un foisonnement des monnaies dites complémentaires, bien que celles-ci existent depuis le Moyen-Âge.
T'as pas un euro ?
Pour comprendre le processus de multiplication de la monnaie par le crédit bancaire, prenons un exemple. Jean va déposer 1000 euros sur son compte à vue à la banque A. Un montant de 1000 euros de monnaie est encodé. La banque ne garde pas la totalité de cet argent en caisse ; elle accepte d'en prêter une partie, c'est-à-dire d’en réintroduire une partie dans le circuit. Ainsi, la banque A décide de conserver en réserve 20 % de la monnaie déposée par Jean et de prêter 800 euros à une autre personne, Sophie. Celle-ci utilise ces 800 euros pour effectuer divers paiements. Les entreprises auxquelles Sophie aura donné son argent, pour un montant total de 800 euros, pourront à leur tour déposer cet argent auprès d'une banque B. La quantité totale de monnaie en circulation devient 1000 + 800 = 1800 euros. Si la banque B décide de prêter aussi 80 % de la monnaie qu'elle a reçue en dépôt (soit 80 % de 800 euros = 640 euros), la quantité totale de monnaie en circulation devient 1000 + 800 + 640 euros, soit 2440 euros. Donc, 1440 euros ont été mis en circulation à partir des 1000 euros déposés par Jean à la banque. La Banque nationale de Belgique estime ainsi que pour 1 euro émis, 17 euros sont générés par le processus de crédit.
Qui fait tourner la planche à billets ?
En bref :
- Banques centrales et banques commerciales se partagent le monopole de la création monétaire.
- Les premières décident de la politique monétaire dans leur pays. Les secondes font tourner l'économie, mais la mettent aussi en danger.
Banque centrale, banque commerciale : je t'aime, moi non plus
Le Traité de Maastricht (1992) délègue à la Banque centrale européenne (BCE) la compétence pour la politique monétaire en Europe en lui imposant une mission : assurer l'équilibre des prix à l'intérieur de la zone euro 1. Pour atteindre ce résultat, la BCE (avec les banques centrales nationales) s'est fixé comme objectif de maintenir l'inflation 2 à un niveau inférieur à 2 % l'an. Elle dispose, pour ce faire, de moyens de pression, dont le principal est le taux d'intérêt. Ainsi, en tant que banques des banques, les banques centrales nationales entretiennent des relations avec les banques commerciales. Elles encaissent des dépôts des banques commerciales et leur prêtent de l'argent. Le taux d'intérêt exigé par les banques centrales aux banques commerciales déterminera le taux d'intérêt réclamé par les banques commerciales aux entreprises privées. Plus l'intérêt exigé par les banques centrales aux banques commerciales est élevé, plus celui exigé par les banques commerciales aux entreprises l'est aussi. Banques centrales et banques commerciales sont donc liées et influencent toutes deux, à leur manière, l'orientation économique d'un pays.
En Belgique ?
Il y a d'abord la Banque nationale de Belgique qui frappe les pièces de monnaie et la Banque centrale européenne qui émet les billets. Ce n'est pas la Banque nationale qui détermine la quantité de monnaie en circulation, mais la demande des acteurs économiques. Et la monnaie peut être demandée pour deux raisons : l'échange de biens et de services, et la mise en réserve d'argent (thésaurisation). Cette demande est sensible à deux paramètres en particulier : le niveau du produit national (la quantité totale de biens et services échangés) et le taux d'intérêt. Ainsi,quand tout abonde, quand un pays produit beaucoup de biens et services, il y a besoin de beaucoup de monnaie pour s'échanger ces biens et services. À contrario, si la production manque, il y a moins d'échanges qui se font, donc moins de monnaie en circulation. Quant au taux d'intérêt, plus la banque exige un taux élevé, moins les personnes, les entreprises ou les États empruntent de l'argent. La demande de monnaie aux fins d'emprunt diminue donc lorsque le taux d'intérêt exigé augmente.
La double face du crédit
Aujourd'hui, la monnaie créée par les banques centrales (les pièces et les billets) ne représente plus que 15 % de la masse totale de monnaie qui est en circulation. Le reste, la monnaie scripturale (voir p. 4), provient des crédits accordés par les banques commerciales (voir T'as pas un euro ?). Plus les banques prêtent, plus elles permettent aux acteurs économiques d'échanger entre eux et plus elles encaissent des dépôts. Selon les derniers accords de Bâle 3, les fonds propres d'une banque devront représenter 7 % de ses activités de marché ou de crédit d'ici à 2019. Avec 10 000 euros de fonds propres, une banque pourrait ainsi prêter jusqu'à 140 000 euros. Ce qui ne veut pas dire que la banque ne détient pas les 130 000 euros de différence : elle les puise dans les dépôts que nous lui faisons tous.
Si une partie de ces dettes n’est pas remboursée par ses clients, comme ce fut le cas avec les crédits hypothécaires en 2008 (les fameux subprimes), les banques risquent la faillite et mettent tout le système économique en danger.
Il n'en demeure pas moins que l'activité de prêt est essentielle pour l'économie. Par contre, elle pose problème lorsque la banque accorde des crédits de façon irresponsable (comme ce fut le cas avec les subprimes) ou lorsque les activités financées par ses prêts ne sont pas respectueuses de l'homme et de son environnement.
Thibaut Monnier,
septembre 2011
1. La zone euro regroupe les pays de l'Union européenne qui ont adopté l'euro comme monnaie unique.
2. L'inflation est la hausse du prix moyen des biens et services. L'offre surabondante de monnaie en est la première cause.
3. Les accords de Bâle réunissent quatre fois par an les banques centrales pour définir les règles prudentielles qui régiront l'ensemble des banques de la planète. À l'heure actuelle, les banques sont toujours soumises à la règlementation de Bâle II qui fixe à 4 % la garantie de fonds propres d'une banque pour ses activités de marché ou de crédit.
Les États se sont désinvestis du pouvoir de création monétaire. Aujourd'hui, l'essentiel de la monnaie en circulation provient des crédits bancaires. Si ces derniers sont nécessaires à la bonne santé du système économique, ils peuvent aussi nuire à la société.
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