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La Grande Fraude

Soumis par Anonyme le

Décryptant les fonctionnements qui ont permis une succession d’actes criminels, reprenant les événements pièce par pièce et les remplaçant dans une histoire plus longue, Jean-François Gayraud va ainsi bien au-delà de la stigmatisation de certains boucs émissaires comme Madoff ou la dénonciation de certains excès. Ce n’est pas le système économique qui est responsable de la crise ; ce sont bien des comportements criminels qui ont pu se multiplier et prospérer au point de l’infléchir.
Dès lors, impossible d’envisager un vrai assainissement, une vraie reconstruction si on évacue le facteur criminel, explique Jean-François Gayraud.

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Type de document
Editeur
Odile Jacob
ISBN
9782738126276
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-GAYR2011-1
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Année d'édition
2011
Date d'édition
04/2011
Mois d'édition
Avril

Les fonds spéculatifs

Soumis par Anonyme le

Définition

Les fonds spéculatifs, hedge funds en anglais, sont des fonds d’investissement d’un type particulier. Il n’existe pas de définition légale, précise et formelle du terme. Littéralement, cela signifie en français « fonds de couverture », car se livrant à des placements de protection contre les fluctuations des marchés. En réalité, ils utilisent massivement les techniques permettant de spéculer sur l’évolution des marchés, à la baisse comme à la hausse (utilisation massive de produits dérivés1, de la vente à découvert2 et de l’effet de levier3). Ils sont peu transparents et souvent implantés dans les paradis fiscaux4.

L'investissement minimal est relativement élevé : de quelques dizaines de milliers de dollars parfois, à plusieurs centaines de milliers plus souvent, suivant les fonds. De plus, n'étant par essence pas aussi régulés que les fonds de placement classiques, ils ne peuvent être distribués au grand public et sont réservés à la catégorie des investisseurs institutionnels ou aux grandes fortunes.

Au cours des dix dernières années, les fonds spéculatifs ont enregistré une croissance rapide. On estime qu’aujourd’hui près de 10.000 fonds sont opérationnels dans le monde et qu’ils gèrent 1426 milliards de dollars d’actifs, soit plus de 700 % de plus qu’en 1995 !

Pourquoi sont-ils dangereux ?

Plusieurs facteurs concourent à rendre ces fonds particulièrement dangereux. Le premier facteur est leur stratégie en tant qu'actionnaires, c'est-à-dire de propriétaires, d'entreprises. Toutes les entreprises ont besoin d’une stratégie, matérialisée par un plan. Cette stratégie entrepreneuriale se fonde traditionnellement sur une forte volonté de proactivité, de prise de risques et d'innovation. Bref, l'entreprise se projette dans le futur et consent les investissements nécessaires pour atteindre cette vision qu'elle a d'elle-même dans le futur. À l'inverse, les fonds spéculatifs n'ont pas de stratégie entrepreneuriale mais uniquement une stratégie fondée sur de forts objectifs de rentabilité, souvent à court terme. Cette stratégie des fonds spéculatifs a deux conséquences.

D'abord, leur prise de position quand ils sont actionnaires. Ils tendent à chercher une rentabilité immédiate et rapide au détriment d'investissement à long terme plus coûteux. Leur influence sur la stratégie de certaines entreprises peut donc avoir des conséquences négatives pour toutes les parties prenantes de celle-ci car elle privilégie trop souvent une approche court-termiste de la stratégie de l’entreprise cible. Un exemple concret consiste dans les opérations d’acquisitions par emprunt (ou LBO pour “leveraged buy-outs”) : une société est achetée avec de l’argent emprunté qui doit être remboursé rapidement ; pour ce faire, le fonds met une pression financière de très court terme sur l'entreprise qui est obligée de réduire ses charges (licenciement d'employés, arrêt des investissements productifs de long terme) et de vendre ses actifs. Ainsi, une société autrefois saine et dégageant des bénéfices se trouve-t-elle dépecée.

Ensuite, un hedge fund pourra vendre rapidement une part importante du capital d'une entreprise qu'elle détient si cette dernière ne convient plus à la stratégie du fond. Sous l'effet de la loi de l'offre et de la demande, la valeur de l'action de cette entreprise s'effondrera alors. Ce qui ne sera qu'une petite perte pour le fond se transformera en catastrophe pour l'entreprise.

Le deuxième facteur qui rend ces fonds particulièrement dangereux est le risque systémique c’est-à-dire le risque de déstabilisation généralisée des marchés financiers résultant de la défaillance d’un fonds spéculatif de grande taille ou de la défaillance en chaîne de fonds spéculatifs d’importance plus moyenne. Leur puissance financière est telle que la chute de l'un d'entre eux peut provoquer une forte baisse des marchés financiers et par extension de l'économie. Et de fait, on peut marquer le début de la crise entre mai et juillet 2007 avec la faillite de plusieurs hedge funds spécialistes des dérivés de crédit : UBS Dillon Reed Capital Management, Bear Stearns High-Grade Structured Credit Fund et Bear Stearns High-Grade Structured Credit Enhanced Leveraged Fund. Durant le second semestre 2007 et au début 2008, d’autres fonds – pour la plupart investis dans des ABS (Asset-backed securities) subprimes – ont connu des difficultés les conduisant à suspendre les remboursements aux investisseurs ou à faire faillite. On peut en donner la liste sans doute non exhaustive : Bear Stearns ABS, Caliber, Galena Street, Solent, Basis Capital, Cheyne, Synapse, Thornburg, CSO Partners et Falcons Partners (deux hedge funds de Citigroup), et Peloton.5

Régulation

L’amélioration de leur régulation a été débattue au G 20 de Londres en avril 2009. Une réforme de leur encadrement a fait déjà l’objet d’importantes controverses au niveau européen. Finalement, le 11 novembre 2010, le Parlement européen a approuvé, à une très grande majorité, la Directive sur les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs appelée aussi directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers).6 La dernière étape est maintenant l'approbation formelle par le Conseil qui devrait avoir lieu dans les semaines qui viennent. La Directive devrait entrer en vigueur début 2011 avant d'être transposée et appliquée par les États membres en 2013. Que dit-elle ?

Elle met en place des règles nouvelles et robustes qui vont permettre de renforcer :

  • la transparence,
  • la conservation des titres : encadrement de la fonction de dépositaire qui réalise pour ses clients tout ce qui ne fait pas directement référence à la décision d’investissement : la conservation des actifs du fonds, le contrôle de la régularité des décisions du fonds par rapport aux règles d’investissement qu’il a définies, le contrôle de l’application des règles de valorisation des actifs, etc.7
  • la gestion des risques ;
  • et l'effet de levier (c'est-à-dire le niveau de prise de risques au regard des fonds disponibles).

Elle donne des pouvoirs substantiels aux régulateurs :

  • les régulateurs devront agréer les gérants de fonds,
  • ils disposeront des informations nécessaires pour contrôler les prises de risques (niveau de l'effet de levier, gestion de risques)
  • et ces informations pourront être partagées avec le Conseil des Risques Systémiques.8

Ensuite, pour qu'un fonds spéculatif puisse être commercialisé dans l'Union européenne, l'accord prévoit un passeport pour les fonds et les gestionnaires des pays tiers. C'était la proposition initiale de la Commission. Ce sera un passeport qui se mérite, fondé sur des bases solides et apportant toutes les garanties en termes de gestion de risques. C'est aussi une façon de renforcer le marché intérieur.

Critiques

Plusieurs critiques de la directive sont formulées.9

La première est que la directive ne constitue pas un pas en avant dans la création d'un espace financier européen. Au contraire, elle étend le niveau national d'accréditation de ces fonds, en permettant aux organismes domiciliés dans un État membre d'avoir, sans autorisation de chaque autorité nationale, accès à l'ensemble des territoires nationaux composant l'UE. Ceci est rendu possible par l'effet du « passeport européen » permettant la commercialisation des fonds dans toute l'Union européenne, sans devoir obtenir une autorisation dans chaque pays.

Or, comme toute place financière située dans un État membre, la City de Londres, où sont domiciliés 70 % à 80% des hedge funds, sera seulement dépendante de la structure de contrôle britannique. Ainsi, au lieu de former un cadre régulateur européen, la directive favorise une concurrence par le bas entre les États membres. Rien n'empêchera les gestionnaires de choisir leur pays d'enregistrement en fonction du degré de complaisance des autorités nationales à leur égard.

Une deuxième critique porte sur le niveau de contrôle, en particulier en ce qui concerne le levier d'endettement. Certes, les gestionnaires de fonds ont maintenant l'obligation de définir un levier d'endettement maximum. Cette information est transmise au régulateur national du pays européen où le gestionnaire est inscrit. Mais, rien, dans la directive, n'oblige celui-ci à réagir lorsque le levier est trop important. Et l'autorité de régulation européenne des marchés financiers, n'aura pas non plus le pouvoir de contraindre le régulateur national à le faire.

Une autre critique de cette directive est qu'elle ouvre le marché européen aux fonds localisés dans les paradis fiscaux. Contrairement aux Organisme de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM)10, qui doivent nécessairement être localisés dans l’Union européenne, les fonds spéculatifs pourront continuer à être localisés en dehors de l'Union et, deux ans après l’entrée en application de la directive, bénéficier d’un passeport leur permettant d’être commercialisés dans toute l’Europe. Ces fonds bénéficieront donc du label européen sans garantie réelle pour leurs investisseurs et surtout sans réelle capacité pour le nouveau superviseur européen de contrôler si ces fonds offshore respectent vraiment les règles de la directive.

Certes une disposition de la directive conditionne l’accès des fonds spéculatifs aux marchés européens à la signature d’un accord de coopération fiscale et d’un échange effectif d’informations entre le pays où le fonds est domicilié et celui où il est commercialisé. Ainsi, les fonds spéculatifs, situés dans des pays qui n'assurent pas un échange effectif d'informations, notamment fiscales, ne pourront plus être commercialisés dans l'Union européenne. La question est d'importance quand on sait que 80 % des fonds spéculatifs sont situés dans ces centres offshore.

Cependant, suite aux pressions de Londres, le texte final limite le champ de la directive à la commercialisation dite « active ». Cela signifie concrètement que rien n'empêchera un investisseur européen, une banque, une compagnie d'assurance, un organisme de placement collectif, d'acheter des parts de fonds, situés hors de l'Union européenne, qui n'auraient pas obtenu le passeport européen pour non-respect des critères de la directive. Cette disposition donne ainsi accès au territoire européen aux capitaux placés dans les paradis fiscaux en relation avec la City, tels les territoires anglo-normands et les îles Caïmans ou par exemple, ceux gérés directement par les États-Unis, tel le Delaware.

Conclusions

Les fonds spéculatifs sont dangereux pour les entreprises en raison de leur stratégie court-termiste, ils le sont pour l'économie en général en raison des risques déraisonnables qu'ils prennent et ils le sont, au travers des paradis fiscaux où 80 % d'entre eux sont implantés, pour la souveraineté des États auxquels ils soustraient des recettes fiscales mais aussi pour la justice dans la mesure où ils constituent des instruments de blanchiment à l’argent mafieux et favorisent la corruption.

Cela fait quand même beaucoup de griefs pour que l'on s'occupe un peu d'eux !

Certes le sujet est compliqué et n'est guère amusant. Et il a fait l'objet de débats âpres au sein des institutions européennes avant que la directive ne soit adoptée. Mais un débat entre spécialistes et lobbyistes du secteur financiers... Pourtant il concerne suffisamment d'enjeux qui touchent aux citoyens pour que la société civile fasse entendre sa voix et monte au créneau pour une régulation mieux adaptée au service de l'intérêt général.

Comme dans bien d'autres débats qui concernent le secteur financier, on en vient à la même conclusion : l'urgence de décoder les enjeux, de faire preuve de pédagogie, d'ouvrir des débats sérieux sur des enjeux qui nous concernent tous !

Bernard Bayot,

février 2011

1 Voir Bernard Bayot, Les produits dérivés, Réseau Financement Alternatif, février 2011.

2 La vente à découvert consiste à vendre à terme un titre que l'on ne détient pas le jour où cette vente est négociée mais qu'on se met en mesure de détenir le jour où sa livraison est prévue. Si la valeur du titre baisse après la vente à découvert, le vendeur peut racheter les titres au comptant et dégager une plus-value. Si, à l'inverse, elle monte, le vendeur s'expose à un risque de perte illimitée, tandis qu'un acheteur ne peut pas perdre plus que sa mise de fonds.

3 Cette stratégie d’investissement consiste à mobiliser, à côté de son propre argent, des sommes empruntées aux banques pour se lancer dans des opérations spéculatives. Autrement dit, l’effet de levier permet aux hedge funds de démultiplier les gains potentiels de leurs placements. Cependant, lorsque leurs paris spéculatifs tournent mal, ils peuvent mettre en difficulté les banques qui leur ont prêté de l’argent.

4 Voir Bernard Bayot, Les paradis fiscaux, Réseau Financement Alternatif, février 2011.

5 André Cartapanis etJérôme Teïletche, Les hedge funds et la crise financière internationale, http://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/b724c3eb326a8defc12572290050915b/...$FILE/Risques_73-74_0026.htm.

7 Gérard Marie Henry, Les hedge funds, Groupe Eyrolles, 2008, ISBN : 978-2-212-54005-5 .

8 Le Comité européen des risques systémiques (CERS) est officiellement rentré en action en décembre 2010. Cet organisme indépendant, quoique placé dans l'orbite de la Banque Centrale Européenne (BCE), est chargé de veiller à la stabilité financière dans les pays de l'Union européenne.

9 Jean-Claude Paye, Une régulation européenne au service de la City ?, Le Monde, 22 novembre 2010 ; Pascal Canfin, Directive fonds spéculatifs et paradis fiscaux : un progrès ?, 15 décembre 2010, http://alternatives-economiques.fr/blogs/canfin/2010/12/15/directive-fon....

10 Il s'agit d'une entité qui gère un portefeuille dont les fonds investis sont placés en valeurs mobilières, comme une SICAV ou un fonds commun de placement.

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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2011
Date d'édition
02/2011
Mois d'édition
Février

Bâle, troisième !

Soumis par Anonyme le

« Nous devons instaurer une réforme complète de la régulation et combler les lacunes existantes en matière de contrôle.» L'appel, lancé le 24 mars 2009 par le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, devant la Chambre des représentants, répond à un constat sur lequel tout le monde s'accorde : la supervision a fait défaut depuis le début de la crise financière. Pour apporter une solution au moins partielle à ce constat, un nouvel accord, dit de Bâle III, a été trouvé au mois de septembre 2010.

Surveillance et régulation bancaire

Trois organes internationaux de surveillance et de régulation bancaire existent : le Comité de Bâle, le Forum de stabilité financière (FSF) et le Fonds monétaire internationaI (FMI). Le premier a une fonction de renforcement de la régulation prudentielle, c'est-à-dire une surveillance de l'activité financière fondée sur la prudence. Le second est une sorte d'institution tiroir, chargée de « promouvoir la stabilité financière», où se regroupent pays du G7, organisations internationales et autorités nationales de marché. Quant au FMI, il use de son pouvoir de surveillance essentiellement dans le domaine monétaire et très peu sur les marchés financiers.

Voyons de plus près le premier d'entre eux. Le Comité de Bâle ou Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (en anglais Basel Committee on Banking Supervision, BCBS) est un forum où sont traités de manière régulière (quatre fois par an) les sujets relatifs à la supervision bancaire. Il est hébergé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) qui est une organisation internationale qui regroupe les banques centrales ou autorités monétaires de cinquante pays ou territoires et qui a pour mission de stimuler la coopération des banques centrales et d'autres agences dans la poursuite de la stabilité monétaire et financière.

Le Comité de Bâle a été instauré en décembre 1974 pour améliorer la coopération entre autorités de contrôle des banques. Il coordonne le partage des responsabilités prudentielles entre autorités nationales, dans le but d’assurer une surveillance efficace de l’activité bancaire à l’échelle mondiale.

Bâle I

En 1988, il a formulé des recommandations appelées accord de Bâle sur les fonds propres ou encore accord de Bâle I, en vue de parvenir à une convergence internationale de la mesure des fonds propres des banques et de fixer des exigences minimales.

De quoi s'agit-il ? Les fonds propres désignent ce que l'entreprise, ici la banque, possède (bâtiments, terrains, machines, trésorerie) moins ce qu'elle doit (ses dettes). Le principal avantage des fonds propres est de représenter un matelas de sécurité pour les créanciers de l'entreprise. En cas de grave difficultés financières, les chances de survie de l'entreprise sont proportionnelles à l'importance de ses fonds propres, beaucoup plus qu'à sa taille. Une très grande entreprise ayant trop peu de fonds propres peut disparaître très rapidement. L'utilité des fonds propres est donc d'assurer que l'entreprise soit solvable, c'est-à-dire en capacité de payer ses dettes sur le court, moyen et long terme.

Le pivot de l’accord de Bâle I est la mise en place d'un ratio minimal de fonds propres par rapport à l'ensemble des crédits accordés, le ratio Cooke, qui prévoit que le rapport des deux valeurs ne doit pas être inférieur à 8 %. En d'autres termes, si on a 8 de fonds propres, on peut prêter 100, mais pas davantage, avec les dépôts reçus des clients. La grande limite du ratio Cooke, et donc des réglementations issues des premiers accords de Bâle, est liée à la définition des engagements de crédit. La principale variable prise en compte était le montant du crédit distribué. À la lumière de la théorie financière moderne, il est apparu qu'était négligée la dimension essentielle de la qualité de l'emprunteur, et donc du risque de crédit qu'il représente réellement.

Bâle II

Le Comité de Bâle a donc publié le 15 juillet 2004 la recommandation « Bâle II »1 dans laquelle est définie une mesure plus pertinente du risque de crédit, avec en particulier la prise en compte de la qualité de l'emprunteur, y compris par l'intermédiaire d'un système de notation interne propre à chaque établissement (dénommé IRB, Internal Rating Based). Le nouveau ratio de solvabilité est le ratio McDonough.

En fait, les recommandations de Bâle II s'appuient sur trois piliers (terme employé explicitement dans le texte des accords) :

  • l'exigence de fonds propres (ratio de solvabilité McDonough) ;
  • la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres ;

     

  • la discipline du marché (transparence dans la communication des établissements).

Le premier pilier, l'exigence de fonds propres, affine l'accord de 1988 et cherche à rendre les fonds propres cohérents avec les risques réellement encourus par les établissements financiers. Parmi les nouveautés, signalons la prise en compte des risques opérationnels (fraude et pannes de système) et des risques de marché, en complément du risque de crédit ou de contrepartie. Pour le risque de crédit, les banques peuvent employer différents mécanismes d'évaluation. La méthode dite standard consiste à utiliser des systèmes de notation fournis par des organismes externes. Les méthodes plus sophistiquées (méthodes IRB) impliquent des méthodologies internes et propres à l'établissement financier d'évaluation de cotes ou de notes, afin de peser le risque relatif du crédit. Les différentes mesures ont une incidence directe sur la capitalisation requise.

Pour ce qui est du deuxième pilier, la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres, comme les stratégies des banques peuvent varier quant à la composition de l'actif et la prise de risques, les banques centrales auront plus de liberté dans l'établissement de normes face aux banques, pouvant hausser les exigences de capital là où elles le jugeront nécessaires...

Enfin, dans le troisième pilier, la discipline de marché, des règles de transparence sont établies quant à l'information mise à la disposition du public sur l'actif, les risques et leur gestion.2

Bâle III

Au mois de septembre 2010, un nouvel accord, dit de Bâle III, a été trouvé. Il porte sur un vaste plan de réforme du secteur bancaire, prévoyant un relèvement des fonds propres des établissements financiers. C'est que la crise de 2007-2008 a vu de nombreuses banques et non des moindres ne devoir leur survie qu'à l'intervention musclée des pouvoirs publics. Sans celle-ci, elles seraient tombées en faillite, entrainant sans aucun doute dans leur chute d'autres banques et des pans entiers de l'économie.

L'idée est donc de rendre les banques moins vulnérables et d'éviter qu'elles ne recourent aux fonds publics en cas de nouvelle crise financière. Pour ce faire, les nouveaux accords prévoient que les fonds propres « durs », c'est à dire composés uniquement d'actions et de bénéfices mis en réserve, devront représenter 7% des activités de marché ou de crédit des banques, contre 4 % dans les accords de Bâle II. L'augmentation de ce ratio vise à contribuer à limiter l'incitation à la prise de risque. Est-ce assez, est-ce trop ?

Pour Simon Johnson, l'ancien directeur des études du FMI, le ratio aurait dû être de 15% :  le meilleur moyen d’instaurer un système plus sûr consiste à imposer des ratios de fonds propres très élevés et robustes, fixés par la législation et difficilement contournables ou révisables. En portant à 15 ou 25 % le ratio de fonds propres — ce qui reviendrait à renouer avec les ratios capital/actifs en vigueur aux États-Unis avant la création de la Réserve fédérale en 1913 — et en fixant par précaution des ratios de fonds propres trop élevés pour les instruments dérivés3 et autres structures financières complexes, nous mettrons en place un système beaucoup plus sûr avec des règles plus difficiles à détourner.4

Pour les banques, le ratio de 7 % est trop élevé : si elles doivent « geler » plus de fonds propres, il y aura moins de ressources pour le crédit. La régulation pèsera inévitablement sur le financement de l'économie et notamment le volume et le coût du crédit, a ainsi prévenu la Fédération bancaire française. Une conséquence d'autant plus dommageable pour l'économie européenne que 80% de son financement est assuré par les banques, quand les grandes entreprises américaines misent essentiellement sur le marché.5

Et les banques éthiques ?

Nous avions déjà relevé que, pour ce qui est de l’évaluation du risque, les plus grandes banques sont avantagées dans l’utilisation de l’évaluation interne ou externe des crédits pour désigner les taux de risque à appliquer. Les plus petites banques recourant à une approche standardisée sur la base de la structure de risque existant doivent utiliser l’évaluation de risque proposée dans la directive européenne qui a transcrit les accords de Bâle II6 ou avoir recours à des agences d’évaluation des risques de crédit. Celles-ci sont toutefois coûteuses et, en outre, il leur est difficile de comprendre l’économie bancaire sociale sans analyser les transactions financières sur plusieurs années. Il est par conséquent fort peu probable que les banques d'économie sociale soient capables de sortir de l’approche standardisée des risques avant plusieurs années.7

Il faut également relever des divergences dans les coefficients de risques appliqués dans les différents États membres de l'Union européenne. Ainsi, les entreprises sociales, les organisations non reconnues et les associations sans but lucratif se voient attribuer un coefficient de risque de 100 % en Italie, contre seulement 75 % pour les particuliers, alors même que les statistiques de défaillances des premières sont inférieures à celles des seconds. Dès lors, une banque comme la Banca Etica, spécialisée dans le crédit à de telles institutions est injustement pénalisée. Cela est d'autant plus étrange que, à l'inverse, dans un pays comme la Pologne, les prêts inférieurs à 1 million d'euros sont toujours affectés d'un coefficient de risque de 75 %, quelle que soit la qualité du client concerné.8 Harmonisation, quand tu nous tiens !

Conclusions

Nous sommes sans doute encore loin d'avoir instauré une réforme complète de la régulation et comblé les lacunes existantes en matière de contrôle, comme le souhaitait Timothy Geithner. Par certains aspects, le nouvel accord de Bâle III peut paraître timide et insuffisant pour contenir les effets d'une nouvelle crise sur les institutions financières. Au moins sur celles qui développent une activité fondée sur la prise inconsidérée de risque.

On peut sûrement se demander à cet égard s'il ne faut pas, d'abord, adopter des mesures plus fondamentales qui anticipent les risques plutôt que de tenter de les contrôler. Notamment limiter et contrôler les mouvements purement spéculatifs de capitaux.

Et, ensuite, différencier davantage les exigences de solvabilité selon la nature des institutions financières et les activités, plus ou moins spéculatives, qu'elles développent. De façon à ce que les prises de risques de certaines ne préjudicient pas à d'autres qui se voient, de ce fait, contraintes d'augmenter leur capitalisation. Il faut demander plus de garantie à ceux qui prennent plus de risque et pas à ceux qui, comment les banques éthiques, financent l'économie réelle en exerçant le métier de base du banquier : recueillir des dépôts pour fournir du crédit.

 

Bernard Bayot,

février 2011

 

1Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres, dispositif révisé, juin 2004, http://www.bis.org/publ/bcbs107fre.pdf.

2 Bernard Bayot, L'Europe réglemente les fonds propres des banques, Réseau Financement Alternatif, juillet 2006.

3 Contrat entre deux parties qui prévoit un échange (un achat par exemple) dans le futur à des conditions fixées au préalable. Normalement, il sert à couvrir le risque mais est de plus en plus utilisé à des fins spéculatives.

4 Les bonus et le «cycle apocalyptique», Finances & Développement, mars 2010, page 43.

5 Laura Raim, La réforme bancaire de Bâle 3 pour les nuls, L'Expansion, 13 septembre 2010.

6 Directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit, JO L 177 du 30.6.2006, p. 201–255.

7 Bernard bayot, op ; cit.

8 Alessia Vinci, Banca Etica, tra regole vecchie e nuove, Valori, décembre 2010, page 32.

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Février

Les produits dérivés

Soumis par Anonyme le

Les produits dérivés sont un des outils favoris des fonds spéculatifs. Initialement prévus pour couvrir les risques, ils sont de plus en plus utilisés pour en retirer un bénéfice immédiat. Ils ont été accusés d'avoir précipité la crise financière.

Définition

Un produit dérivé est un instrument financier qui revêt trois caractéristiques :

  • sa valeur fluctue en fonction de l'évolution du taux ou du prix d'un produit appelé sous-jacent ;
  • il ne requiert aucun placement net initial ou peu significatif ;
  • son règlement s'effectue à une date future.

Sa fonction, à l'origine, est de se prémunir du risque. Prenons un exemple : une chocolaterie a besoin de cacao pour fabriquer ses produits ; pour se préserver du risque de fluctuation du prix d'achat de cette matière première, elle acquiert, pour un prix déterminé, des options d'achat de cacao pour chacune des dates où elle doit se faire livrer ; ainsi l'augmentation éventuelle du prix de cette matière première n'aura pas d'incidence sur le prix de revient de ses produits et elle pourra vendre ceux-ci à un prix constant. Ce qui vaut pour les risques de cours des matières premières vaut également pour d'autres types de risques comme le risque de change. Ainsi, je peux vouloir me prémunir contre la variation de cours de deux devises, celle avec laquelle j'achète mon cacao (le dollar, par exemple) et celle que j'utilise pour la vente de mon chocolat (l'euro, par exemple). Ou encore, je veux me prémunir d'un risque de crédit : j'accorde un prêt mais je ne veux pas assumer le risque de défaut de l'emprunteur et je vends ce risque sur le marché.

Fondamentalement, c'est donc un principe d'assurance : le fabricant laisse les risques à d'autres qui spéculent sur le fait que ceux-ci n'arrivent pas ou dans une mesure limitée. Parce qu’ils redistribuent le risque, ils peuvent être utilisés pour s’assurer (se couvrir) contre un risque particulier ou, inversement, pour prendre un risque (investir ou spéculer).

Les transactions sur les produits dérivés sont en forte croissance depuis le début des années 1980 et représentent désormais l'essentiel de l'activité des marchés financiers. Les transactions sur produits dérivés, toutes catégories confondues, qui représentaient moins de 1 T$ (soit mille milliards de dollars) au début des années 1980 se montent vingt-cinq ans plus tard à 1,406 T$ (soit 1 million quatre cent six mille milliards de dollars !).1

Gestion des risques

On se rappelle la quasi-faillite de Bear Stearns, une des plus grandes banque d'investissement, d'échange de valeur mobilière et agent de change qui, le 16 mars 2008, a été rachetée par le géant bancaire américain JPMorgan Chase pour seulement 236 millions de dollars, avec l'aide financière de la banque centrale américaine (Federal Reserve System, FED). On se souvient de la faillite de Lehman Brothers, banque d'investissement multinationale proposant des services financiers diversifiés, le 15 septembre 2008.

On a encore en mémoire le sauvetage de l’assureur américain American International Group, Inc. (AIG), un des chef de file mondial de l’assurance et des services financiers, le lendemain, 16 septembre. Actif dans plus de 130 pays, AIG est aux États-Unis, le plus grand arbitre d’assurance pour les secteurs commercial et industriel. Longtemps numéro un mondial par son chiffre d'affaires, AIG est passée en troisième place en 2008 en raison de la crise des subprimes et en dépit de son sauvetage par les pouvoirs publics. C'est que l'assureur a dû recevoir dans l’urgence plus de 180 milliards de dollars du trésor et de la FED pour avoir vendu imprudemment des assurances contre le défaut des emprunts subprimes. L'État américain détient désormais 80% de AIG.

Ces événements ont révélé au grand jour les risques encourus par les contreparties2 qui spéculent sur les produits dérivés et les dysfonctionnements du marché des dérivés de gré à gré3. Ils ont clairement montré la nécessité d'encadrer les produits dérivés, en particulier, la gestion des risques liés aux instruments dérivés traités de gré à gré (over-the-counter, OTC). Aujourd’hui, les dérivés s’échangent en effet le plus souvent sous forme bilatérale entre une banque et son client (la plupart du temps une autre banque), en dehors d'une chambre de compensation ou d'une bourse. Cette situation engendre une forte opacité et se traduit par une hétérogénéité des pratiques prudentielles des différents acteurs financiers.

Le G20 de Pittsburgh de septembre 2009 en a pris conscience et a adopté une approche commune visant à mieux contrôler ces risques. Deux orientations ont été retenues : la compensation centralisée par des contreparties centrales (CCP) de tous les produits jugés suffisamment standardisés et l’enregistrement de ces transactions par des infrastructures dédiées (trade repositories). Ces exigences ont plusieurs objectifs : accroître l’efficience de ces marchés, empêcher les fraudes et abus et surtout prévenir le risque systémique généré par les produits dérivés.

Régulation européenne

Cette approche s'est traduite dans l'Union européenne par la proposition faite le 15 septembre 2010 par la Commission d'un Règlement sur les dérivés de gré à gré, les chambres de compensation multilatérales et les référentiels centraux. Consciente des risques engendrés par le système actuel, l’objectif affiché de la Commission européenne est d'accroître la transparence dans les dérivés négociés sur le marché de gré à gré et les rendre plus sûrs en réduisant le risque de contrepartie et le risque opérationnel. La nouvelle législation ne devrait toutefois pas être mise en place avant fin 2012 et devra au préalable faire l'objet de longues négociations avec le Parlement et les États membres.

Premier objectif : accroître la transparence. Actuellement, il n'est pas obligatoire de déclarer les contrats dérivés de gré à gré, de sorte que ni les responsables politiques, ni les autorités de régulation, ni même les participants au marché, n'ont de vision claire de ce qui se passe sur le marché. La proposition de la Commission prévoit que les transactions sur les produits dérivés de gré à gré réalisées dans l'UE devront être déclarées à des centres de conservation des données, appelés «référentiels centraux». Les autorités de régulation de l'UE auront accès à ces référentiels, ce qui leur permettra d'avoir une meilleure idée de ce que chacun doit et à qui, et de détecter plus rapidement d'éventuels problèmes, comme l'accumulation de risques.

Dans l'intervalle, la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) sera chargée de la surveillance des référentiels centraux et de l'octroi ou du retrait de leur enregistrement. En outre, les référentiels centraux devront publier des positions agrégées par catégorie de dérivés, de manière à ce que les participants au marché aient une vision plus claire du marché des dérivés de gré à gré. En d'autres termes, il s'agit d'avoir une photographie instantanée et fiable des risques pris par les uns et les autres.

Deuxième objectif : réduire les risques de crédit de la contrepartie. Actuellement, les participants au marché des produits dérivés de gré à gré ne tiennent pas suffisamment compte du risque de crédit de la contrepartie, c'est-à-dire le risque de perte lié au fait qu'une partie ne s'acquitte pas des paiements dus le moment venu. La proposition de la Commission prévoit que les dérivés de gré à gré qui sont normalisés (c'est-à-dire qui remplissent des critères d'éligibilité prédéterminés, par exemple un niveau élevé de liquidité) devront être compensés par des contreparties centrales. Ces contreparties centrales sont des entités qui s'interposent entre les deux contreparties à une transaction, en devenant ainsi l'acheteur vis-à-vis de tout vendeur et le vendeur vis-à-vis de tout acheteur. Cela permettra d'éviter que la faillite d'un participant au marché ne provoque celle d'autres participants et ne mette en danger l'ensemble du système financier. Pour les contrats qui ne sont pas éligibles et ne sont donc pas compensés par une contrepartie centrale, différentes techniques de gestion des risques devront s'appliquer (par exemple l'obligation de détenir davantage de capital). Étant donné que les contreparties centrales devront assumer des risques supplémentaires, elles devront se soumettre, pour des raisons de sécurité, à des règles de conduite rigoureuses et à des exigences harmonisées sur les plans organisationnel et prudentiel (règles de gouvernance interne, audits, exigences de capital accrues, etc.). En d'autres termes, il s'agit d'atténuer les conséquences de la faillite d'un acteur : les transactions se font en principe par l'intermédiaire d'une contrepartie centrale qui paie de toute façon et, si elles se font sans contrepartie centrale, les cocontractants doivent se soumettre à des règles plus rigoureuses pour réduire le risque de faillite.

Troisième objectif : réduire le risque opérationnel. Le marché des dérivés de gré à gré autorise une grande souplesse dans la définition des termes économiques et juridiques des contrats. De ce fait, le marché compte un grand nombre de contrats très complexes conçus sur mesure, qui demandent encore beaucoup d'interventions manuelles à différents stades du traitement. Cela augmente le risque opérationnel, c'est-à-dire le risque de pertes liées par exemple à l'erreur humaine. La proposition de la Commission exige des participants au marché qu'ils mesurent, contrôlent et atténuent ce risque, par exemple en confirmant par voie électronique les termes des contrats dérivés de gré à gré.

Qu'en penser ?

Le besoin de couverture des risques par des opérateurs économiques ne fait pas de doute et les en priver serait préjudiciable à ceux-ci mais à aussi à l'économie dans son ensemble. C'est que cette couverture est facteur de stabilité, profitable à tous. Là où le bât blesse, c'est lorsque la contre-partie qui prend le risque -c'est sa fonction- le fait davantage dans un but spéculatif -donc, souvent à court terme, dans le but de le replacer vite et à meilleur compte- que dans le cadre d'une activité d'assurance ou d'investissement – fondé sur une gestion de risques à long terme. Cette activité spéculative, souvent éloignée de l'opération économique sous-jacente, devient alors elle-même facteur d'instabilité comme les crises à répétition l'ont montré.4

Quelles mesures prendre pour contrer ce biais ? L'option retenue par le G20 et la Commission européenne consiste à « encadrer » les transactions. Ce qui n'est d'ailleurs pas du goût de tous. C'est ainsi que des entreprises non financières qui recourent pour leur activité industrielle à l'achat de produits dérivés craignent que la nouvelle régulation n'entraîne de nouvelles contraintes en terme de liquidité et de capital, auxquelles elles ne pourraient faire face.

Mais, par ailleurs, cet « encadrement » est-il suffisant ? C'est que le risque de faillite d'une chambre de compensation n'est pas nul. Ainsi, en France, la volatilité exceptionnelle du prix du sucre, multiplié par 45 entre 1966 et 1974 avant de s'effondrer, a favorisé des manipulations du marché qui ont conduit à la faillite de la chambre de compensation de la bourse de commerce de Paris en raison de la défaillance d’un opérateur qui possédait plus de la moitié des positions.

On se souviendra également qu'en 1995, la Barings, la plus vieille banque d'Angleterre (250 ans d'existence), a été mise en faillite à cause de placements à découvert supérieurs aux fonds propres de la banque. Un bureau de trading basé à Singapour et opérant sur les marchés dérivés d'action avait en effet été en mesure de générer 850 M£ de pertes, engloutissant plus du double des capitaux propres de la banque et la précipitant dans la faillite à la stupeur de son propre top management basé à Londres. Pourtant, le marché à terme de Singapour était régulé par une chambre de compensation...

Les mesures d'encadrement envisagées, pour importantes qu'elles soient, ne paraissent pas suffisantes. Il faut en outre dissuader la spéculation à court terme, qui se caractérise par des échanges financiers très rapides et très nombreux avec des marges bénéficiaires très faibles. Cette dissuasion peut se faire par l'introduction d'une taxe sur les transactions financières, qui serait trop faible pour entraver les transactions productives mais constituerait, par l'effet de la répétition, un frein aux transactions spéculatives. S'appliquant à chacune des transactions, elle grèverait de façon importante le bénéfice final du spéculateur.

 

Bernard Bayot,
février 2011

1Lionel Jospin et François Morin, Faire face à la déraison financière, Le Monde, 5 septembre 2008.

2La contrepartie est une des deux parties qui conclue le contrat (l'acheteur ou le vendeur),

3Les contrats de gré à gré s'effectuent « à l'amiable » sans passer par une autorité supérieure. Concernant les produits dérivés, le contrat s'établit directement entre deux banques.

4Romain Thomas, Produits dérivés de gré à gré – Les paradoxes de la régulation, Le nouvel économiste, 13 janvier 2011.

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02/2011
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Février

La crise financière et la protection des consommateurs

Soumis par Anonyme le

La crise financière — tout le monde en convient — a fait beaucoup de victimes parmi les petits investisseurs. D'où le consensus qui s'est développé autour de l'idée de renforcer la protection des consommateurs de services financiers. Mais cette volonté louable tarde à se traduire dans la réalité.

Historique d'un rendez-vous manqué

Après la crise financière historique de 2008, une réforme du contrôle du secteur financier a paru nécessaire à tous les observateurs. C'est ainsi que, le 2 décembre 2008, les députés PS Karine LALIEUX, Guy COËME, Colette BURGEON et Alain MATHOT ont déposé une loi-cadre relative à la création de l’Agence de protection des consommateurs de produits financiers communs.1 Cette proposition visait à retirer à la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) ses compétences en matière de protection des consommateurs de produits financiers et à les confier à un organe nouveau.

Pour rappel, la CBFA a été constituée afin de veiller à la protection des épargnants et des assurés et d’assurer autant que possible la confiance du public dans les produits et services financiers ainsi que le bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers. C'est ainsi que la CBFA est, depuis 2002, dotée d’une mission de protection des consommateurs de services financiers. Son rôle est axé sur l’intérêt général et non sur la protection du consommateur individuel. La CBFA s’intéresse donc au contenu de l’information fournie (et non au comportement des commerçants) et ne considère pas le consommateur de manière individuelle, mais le protège en tant que groupe d’agents économiques.

Mais, argumentent les auteurs du texte, le système financier doit être profondément reconstruit et remodelé, pour le ramener à sa mission première qui est de soutenir le développement et l’initiative économique, qui est de refléter la richesse réelle et non les mises hasardeuses et virtuelles. Et de citer Paul Jorion : (le système financier doit être) le système sanguin de l’économie réelle, celle de la production, de la distribution et de la répartition des richesses.2

Les auteurs de la proposition pensent que l’ampleur (des ravages de la crise) dans la vie des citoyens (...) aurait pu être atténuée si la protection des consommateurs de produits financiers avait été plus forte et plus efficiente. Et de s’interroger sur la difficulté – voire le conflit d’intérêt – que représente la compétence de protection des consommateurs au sein d’une institution (la CBFA) qui travaille essentiellement avec les acteurs du marché financier. D'ailleurs relèvent-ils — lors de son audition à la Chambre des représentants3, il était particulièrement révélateur que le président de la CBFA, dans le très long exposé qu’il avait fait sur la crise financière et sur le rôle de la CBFA, avant et pendant la crise, n’ait cité la protection des consommateurs que pour dire qu’elle faisait partie des missions de la CBFA. Interrogé sur la nature de cette minimisation, le président de la CBFA s’est attelé, dans ses répliques, à rectifier le tir en assénant que c’était une des priorités de la CBFA.

Pour les auteurs de cette proposition, lorsque l’on entend aujourd’hui le désespoir de certains épargnants qui ne savaient même pas quels risques ils avaient pris, qui parfois ne savaient même qu’ils avaient pris des risques, qui ont vu leur épargne pension se réduire à peau de chagrin, une procédure nettement plus stricte est nécessaire pour la vente de produits financiers à des clients non professionnels. Et de conclure que l’ampleur de la crise et la situation de l’organisation de la protection des consommateurs de services financiers dans notre pays plaident pour la création d’un organe à part entière de protection et d’information des citoyens qui sont consommateurs de services financiers.

On se souviendra par ailleurs que le Parlement a créé une Commission parlementaire spéciale, chargée d’examiner la crise financière et bancaire. Cette Commission a formulé en avril 2009, une série de recommandations concernant l’organisation du contrôle financier. En ce qui concerne plus particulièrement la protection des consommateurs, la Commission a émis les recommandations suivantes :

  1. Renforcer les instruments réglementaires et prudentiels au niveau des émetteurs de produits financiers.
  2. Introduire une résolution au niveau européen pour que les conditions d’appel public à l’épargne (et donc les exigences liées à l’information du consommateur de produits financiers) soient renforcées.
  3. Permettre au régulateur d’éventuellement interdire la commercialisation de produits dont la traçabilité n’est pas conforme aux intérêts des consommateurs.
  4. Renforcer les instruments réglementaires et prudentiels au niveau des intermédiaires dans la distribution de produits financiers.
  5. Généraliser le champ d’application de la directive MiFID4 afin que des activités de conseil ou de distribution de produits d’investissement ayant une finalité comparable obéissent aux mêmes lignes de conduite.
  6. Uniformiser la publicité des banques et des assureurs en vue d’augmenter la transparence.
  7. Emprunter à la législation spécifique pour les activités d’assurance les éléments de protection du consommateur.
  8. S’assurer de la qualité des distributeurs de produits financiers.
  9. Renforcer les instruments réglementaires et prudentiels en faveur des consommateurs dans la distribution de produits financiers.
  10. Généraliser le régime prudentiel de contrôle a priori au niveau des produits d’assurance et des produits bancaires.
  11. Renforcer l’éducation financière de nos concitoyens.5

Par ailleurs, toujours selon cette Commission, les éléments liés à la propagation et à la gravité de la crise bancaire et financière en Belgique ont montré que les institutions financières ayant un caractère systémique6 exigent une révision du mode de fonctionnement entre la Banque Nationale de Belgique (BNB) et la CBFA, tout en veillant à ce que le Trésor puisse intervenir rapidement lorsque nécessaire, par exemple en cas de crise. Un des options envisagées à cet égard était de retirer à la CBFA tout ce qui n’est pas sa mission de supervision des établissements du secteur financier, à savoir le contrôle des marchés et des (autres) aspects d’information et de protection des consommateurs de services financiers. Dans l’hypothèse où le choix se porterait sur cette option, la Commission recommandait de confier une mission de protection du consommateur de services financiers et d’éducation financière à un organisme indépendant du secteur et des autorités de surveillance du secteur financier, qu’il s’agisse du SPF Economie, PME, Classes moyennes et Énergie ou d’une agence spécialisée.7

Le Gouvernement a, de son côté, chargé le Baron Lamfalussy de développer un projet pour un nouveau contrôle financier en Belgique. Le rapport publié en juin 2009 propose de renforcer sensiblement le modèle de coopération entre la BNB et la CBFA, avant d’envisager une réforme plus fondamentale de l’architecture de contrôle des établissements financiers. Mais, dans ce rapport, le Comité « Lamfalussy » estime également que »l’organisation de la CBFA devrait être réformée en vue d’arriver à un meilleur équilibre entre les considérations de supervision micro‐prudentielle et celles relatives à la protection du consommateur ».

Cette conclusion et celles de la Commission parlementaire spéciale, chargée d’examiner la crise financière et bancaire semblaient donner, au moins en partie, raison aux auteurs de la proposition de loi précitée du 2 décembre 2008. Et deux textes sont alors négociés au sein du gouvernement :

  1. le premier relatif à la surveillance du secteur financier et aux services financiers,
  2. le second relatif à l'optimalisation et l'extension de la protection des consommateurs dans le secteur financier.

Le premier a donné lieu au projet de loi du 5 février 20108 qui a été adopté par le Parlement et est devenu la loi du 2 juillet 20109 tandis que le second projet de loi contenant des mesures supplémentaires pour assurer la protection des consommateurs n'a quant à lui jamais été déposé suite à la chute du gouvernement.

C'est dire que la protection des consommateurs n'a pas été améliorée depuis la crise financière. Compte tenu de ces péripéties, le 08 novembre 2010 les auteurs de la proposition précitée du 2 décembre 2008, devenue caduque dans l'intervalle du fait de la dissolution des assemblées, ont déposé une nouvelle proposition en tout point identique à la première.

Renforcer la protection des consommateurs dans le secteur financier

Si la nécessité d'étendre la protection des consommateurs dans le secteur financier semble avoir pu réunir un consensus au sein du gouvernement, le projet de loi n'a pu être déposé et nous ne pouvons dès lors en étudier les détails. Arrêtons-nous donc au seul texte disponible, la proposition du 2 décembre 2008 évoquée ci-dessus ainsi que l'avis dont elle a fait l'objet le 12 novembre 2009 de la part du Conseil de la consommation.10

Ce dernier -rappelons-le- est la structure centrale pour les problèmes liés à la consommation et à la protection du consommateur. Sa mission principale est de remettre des avis destinés à conseiller ses ministres de tutelle ainsi que les pouvoirs législatifs et exécutifs. Le Conseil de la consommation peut être consulté pour toutes les questions qui peuvent intéresser les consommateurs. Il est également le lieu privilégié pour le dialogue et la concertation entre les consommateurs et les professionnels.Il est composé de 13 membres représentant les organisations de consommateurs et de 13 membres représentant les organisations de la production, de la distribution, des classes moyennes et de l'agriculture.

La proposition de loi précitée vise donc à retirer la protection des consommateurs des services financiers à la CBFA pour la confier à une Agence de protection des consommateurs de produits financiers communs. C'est une partie du débat. L'autre est de déterminer l'extension des compétences que l'on souhaite en matière de protection des consommateurs dans le secteur financier, de surveillance du secteur financier et de pouvoirs de sanctions et (quasi) réglementaires, quel que soit l'organe qui exerce ces compétences, CBFA ou nouvelle agence.

Globalement, il s'agit de:

  1. renforcer l’information et sa qualité, et l’éducation des consommateurs concernant les produits financiers disponibles sur le marché belge;
  2. mettre sur pied des procédures obligatoires de responsabilisation de la banque dans sa relation avec le client, en soumettant l’acceptation de la vente par le client à la signature de documents détaillant la nature des risques encourus au regard de son profil;
  3. interdire la vente sur le marché belge de toute une série de produits financiers liés à une spéculation dangereuse pour le consommateur, comme par exemple les produits d’assurance vie de la branche 23, ou liés à une spéculation nocive à l’intérêt général, comme les produits liés à la spéculation sur les produits alimentaires de base.

Cela passe par trois missions. Outre celles relatives à l’éducation financière ainsi que la tutelle et l’organisation sur les organes de médiation bancaire et d’assurances, qui ne font pas l'objet de longs développements, il s'agit d'assurer le contrôle du respect de l’ensemble des dispositions légales concernant la protection des consommateurs des produits financiers mais aussi la promotion et le contrôle tous les aspects de la finance éthique et solidaire.

Protection financière

La protection des consommateurs passe bien sûr par le respect de l’ensemble des dispositions légales en la matière mais aussi par l'élaboration de règles nouvelles, le contrôle des méthodes de vente des produits financiers et de la publicité par les entreprises de services financiers mais aussi le contrôle de la transparence et de l’information publiée de la tarification et des frais administratifs de tous les produits financiers offerts aux consommateurs.

En ce qui concerne en particulier l'information précontractuelle, les représentants des organisations de consommateurs estiment que les publicités induisant en erreur ainsi que le manque d'information et de conseil de qualité dont souffrent les consommateurs constituent un problème important et que les mesures existantes (dont la transposition de la directive MiFID) ou leur mise en œuvre sont insuffisantes.

Ils soulignent donc l'importance d'un contrôle accru ou de meilleure qualité sur les méthodes de vente des produits financiers, mais également sur la publicité faite par les entreprises. Ils rappellent qu'à plusieurs reprises, par le passé, ils ont insisté pour qu'une information exacte, claire, compréhensible et non trompeuse soit fournie au consommateur. Pour ce faire, ces représentants sont favorables à une approbation par un comité composé d’experts et de représentants des consommateurs, des produits avant leur mise sur marché, et de tous les documents (publicité, prospectus d'émission, etc.) relatifs à un produit financier mis à disposition des consommateurs.

Les représentants de la production et de la distribution considèrent quant à eux qu'il existe déjà suffisamment de règles légales et déontologiques à ce sujet et qu'il est un peu trop facile et beaucoup trop tôt pour dire que les mesures d’exécution de la réglementation MiFID seraient insuffisantes.

A propos des produits financiers complexes, les représentants de la production et de la distribution, estiment que l’interdiction de certains produits et services est « un ergotage exagéré du consommateur qui le déresponsabilise ». La plupart des représentants des organisations de consommateurs plaident quant à eux pour que soient interdits à la vente sur le marché belge les produits financiers incompréhensibles pour un consommateur non professionnel. Ils demandent par ailleurs qu'une procédure stricte relative à la vente des produits financiers à des clients non professionnels soit mise en place en vue de mieux protéger le consommateur, notamment l'élaboration d'une définition stricte des classes de risque des produits financiers.

En ce qui concerne les produits structurés, ils demandent que soit fournie une indication sur la probabilité des gains possibles qui sont annoncés, c’est‐à‐dire la réelle possibilité d’obtenir le rendement annoncé, comme récemment en Italie. Cette information éviterait les promesses trompeuses de taux alléchants mais souvent irréalistes. Ils demandent en outre que le banquier ou l’agent d’assurance informe clairement, et sur papier, le consommateur des conséquences du placement proposé, dans le scénario le moins favorable. Cette information nécessaire devrait contenir les éléments suivants: perte maximale, après déduction de tous les frais d’entrée et de sortie, droits de garde, frais de gestion et taxes éventuelles. En outre, ces informations devraient contenir une comparaison entre le scénario le plus défavorable et le plus favorable, par rapport à un placement sans risque sur la même durée. Ce n’est que de cette manière que le consommateur pourrait prendre une décision en connaissance de cause et en fonction de son profil de risque.

Protection extra-financière

Il est intéressant et symptomatique de constater que la proposition précitée prévoit pour cette nouvelle agence une première mission qui ne se limite pas au contrôle du respect de l’ensemble des dispositions légales concernant la protection des consommateurs des produits financiers mais comprend également la promotion et le contrôle tous les aspects de la finance éthique et solidaire.

À cet effet, l'agence devrait fournir aux ministres en charge de l’économie, des Finances et de la Protection des consommateurs des avis notamment sur une politique fiscale incitative. Mais elle serait également chargée de définir et de mettre en œuvre des normes minimales à respecter pour qu’un produit financier puisse être qualifié d’éthique, de socialement responsable, de durable ou porter toute autre appellation qui puisse donner au consommateur le sentiment que ce produit est soumis à un contrôle quant à l’impact social, environnemental des investissements et/ou crédits qu’il réalise.11

Par ailleurs, il est prévu que l'agence propose la mise en œuvre d’un système de compensations financières entre les entreprises des services financiers, basé sur l’évaluation des produits et services financiers qu’elles fournissent pour veiller à ce que les entreprises qui pratiquent la responsabilité sociale ne soient pas désavantagées par rapport aux autres institutions qui ne s’y impliquent pas. En d'autres termes, les mauvais élèves paieraient une prime aux bons.

D'autre part, dans le cadre de la mise en place et du contrôle d’une procédure écrite d’information obligatoire des consommateurs par les entreprises de services financiers, il est prévu que l’information comprenne non seulement des informations légales et financières comme l’exposé des avantages et risques du produit financier concerné, le montant de l’investissement, le rendement réel ou présumé, l’identité du débiteur ou de l’émetteur, ainsi que sa forme juridique et le droit national qui le régit, les garanties dont est assorti le produit et la nature de ces garanties ainsi que, le cas échéant, l’identité du garant, la couverture ou non par une garantie de l'État belge ou d’un autre État, mais aussi la valeur éthique du produit.

Rappelons à cet égard deux dispositions qui existent dès-à-présent dans la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d’investissement. 12 La première concerne le prospectus. Une offre publique de titres d’un organisme de placement collectif (OPC) ne peut être effectuée qu’après qu’un prospectus a été rendu public. L’article 52 de la loi prévoit que ce prospectus doit préciser « dans quelle mesure sont pris en compte les aspects sociaux, éthiques et environnementaux, dans la mise en œuvre de la politique d’investissement ». L’article 76 § premier stipule quant à lui que tout organisme de placement collectif publie un rapport annuel par exercice et un rapport semestriel couvrant les six premiers mois de l’exercice. Ces rapports contiennent un inventaire circonstancié du patrimoine, un relevé des résultats, ainsi qu’une information sur la manière dont ont été pris en considération des critères sociaux, environnementaux et éthiques dans la gestion des ressources financières tout comme dans l’exercice des droits liés aux titres en portefeuille. Cette obligation s’applique, le cas échéant, par compartiment.

Enfin, la proposition de loi vise des cas d’interdiction de financement depuis la Belgique et des cas d'interdiction de certains produits. C'est ainsi que serait interdit tout financement depuis la Belgique des entreprises et des États qui se rendent coupables de violations des droits reconnus dans les conventions internationales ratifiées par la Belgique en matière, notamment, de droit humanitaire, de droits de l’homme, de droits sociaux et de dégradation intolérable de l’environnement. Cela vise notamment le financement des entreprises actives dans la fabrication d’armes à uranium appauvri, des mines antipersonnel ou de sous-munitions.

L’offre et la diffusion des produits financiers liés à une spéculation nocive à l’intérêt général ou dangereuse seraient également interdites. Cela vise notamment, en toutes circonstances, les produits liés à la spéculation sur la hausse du prix des produits alimentaires de base, les produits liés à la spéculation sur la bonne ou mauvaise santé d’un intermédiaire financier, d’une entreprise réglementée ou d’une banque, les contrats d'assurance vie couplés à des fonds d’investissement, aussi dénommés produits de branche 23, c'est-à-dire sans garantie pour le consommateur d'obtenir un taux d'intérêt déterminé, ni même de retrouver son capital (l'investisseur prend la totalité du risque et, en contrepartie, il reçoit la performance totale de son investissement).

Conclusions

La crise financière a eu le mérite de créer un consensus autour de deux nécessités : mieux surveiller le secteur financier et les services financiers,d'une part, et mieux protéger le consommateur, d'autre part. Les réformes relatives à la surveillance vont bon train, celles qui concernent la protection des consommateurs sont en panne.

Certes, des débats doivent être poursuivis, notamment en ce qui concerne l'idée de création d'une nouvelle agence, mais tout le monde en convient il faut aller de l'avant si l'on veut mieux protéger l'utilisateur de produits bancaires et d'assurance. Et sans traîner !

Le moindre intérêt de la proposition de loi-cadre relative à la création de l’Agence de protection des consommateurs de produits financiers commun n'est pas de rappeler cette urgence et de mettre l'accent sur les aspects extra-financiers de cette protection.

Bernard Bayot,

février 2011

1 DOC 52 1632/001.

2 « La crise: des subprimes au séisme financier », Fayard, 2008.

3 Chambre des représentants, 24 octobre 2008, auditions de M. Guy Quaden, gouverneur de la banque nationale de Belgique, et de M. Jean-Paul Servais, président de la CBFA, sur la crise financière nationale et internationale et ses conséquences, DOC 52 1514/001.

4 Directive concernant les marchés d’instruments financiers (MIF, en anglais : MiFID, Markets in Financial Instruments Directive).

5 Chambre des représentants et Sénat de Belgique, La crise financière et bancaire, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la crise financière et bancaire, DOC 52 1643/002 (Chambre) 4-1100/1 (Sénat), 27 avril 2009, spéc. page 546 et s.

6 Le terme systémique exprime un changement d'échelle, une prise en considération globale du mécanisme et de ses causes, qui inclut donc l'environnement dans lequel il s'inscrit. Ainsi, un risque financier systémique consiste en un risque de dysfonctionnement à même de paralyser l'ensemble du système financier dans une vaste zone, par le biais des engagements croisés entre les institutions financières. La réalisation de ce risque peut conduire à un effondrement du système financier par l'effet d'une sorte d'effet domino.

7 Ibidem, spéc. pages 533 et 548.

8 Projet de loi modifiant la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, ainsi que la loi du 22 févirer 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique, et portant des dispositions diverses, DOC 52 2408/001.

9 Moniteur Belge, 28 septembre 2010, 59140 ; voir Bernard Bayot, Réforme de la surveillance du secteur financier, Réseau Financement Alternatif, février 2011.

10CC 417.

11 Cette idée a déjà fait l'objet précédemment de deux propositions de loi déposées par le sénateur Philippe Mahoux  : celle du 30 août 2004 instituant auprès du service public fédéral Économie, PME, Classes moyennes et Énergie un Conseil de l'investissement socialement responsable (S. 3-835) et celle du 29 avril 2008 instituant auprès du Service public fédéral de programmation Développement durable un Conseil de l'investissement socialement responsable (S. 4-723).

12 Moniteur belge, 09 mars 2005, 9632.

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Les paradis fiscaux

Soumis par Anonyme le

Ils peuvent être partout où un État a décidé de supprimer peu ou prou la fiscalité d'entreprises qui s'y installent mais dont l'activité se situe ailleurs.

Suite à la crise financière, le G20 d’avril 2009 de Londres, à grands renforts de publicité, a porté la lutte contre les paradis fiscaux parmi les priorités des politiques publiques internationales. Un choix qui prolongeait celui de la Commission européenne en faveur d'un approfondissement des contraintes en vigueur à l’encontre des paradis fiscaux. Pourtant, un rapport du CCFD-Terre Solidaire1, basé notamment sur des documents comptables officiels, montre que les 50 principales sociétés européennes possèdent toutes des filiales dans les paradis fiscaux (96 chacune en moyenne). Avec une mention spéciale pour BNP Paribas, qui en compte 347.2 N'a-t-on donc pas avancé ?

Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?

Il n'existe pas de définition précise et univoque de ce qu’est un paradis fiscal mais il est admis qu'on puisse les classer en quatre grandes catégories :

  1. les "zero tax havens", c’est-à-dire les pays où la fiscalité est tout à fait inexistante, tant pour les opérations domestiques qu’étrangères;
  2. les "quasi tax havens", c’est-à-dire les pays où la fiscalité est si faible qu’on peut les assimiler à des "zero tax havens";
  3. les pays qui ne taxent que sur la base territoriale, c’est-à-dire qui excluent de tout ou de presque tout impôt les sociétés qui opèrent exclusivement en dehors de leur territoire - de telles sociétés sont qualifiées de "sociétés offshore";
  4. les pays qui excluent de toute ou presque toute taxation certains types de sociétés "spécialisées".

Quels sont les problèmes ?

Les paradis fiscaux posent trois problèmes.

D'abord, ils attaquent la souveraineté des États auxquels ils soustraient des recettes fiscales. Cela représente un manque à gagner de 125 milliards d'euros pour les finances des pays en développement et un report de la fiscalité sur les consommateurs et les PME (Petites et Moyennes Entreprises), qui subissent un taux d'imposition réel sur leurs bénéfices de 21%, contre 13% pour les grandes entreprises bénéficiaires de l'évasion fiscale.3

Ensuite les paradis fiscaux nourrissent l’instabilité financière.

Enfin, ils offrent des instruments de blanchiment à l’argent mafieux et favorisent la corruption. Les paradis protègent ainsi des criminels financiers : Une fois une opération suspecte détectée, nous devons vérifier si elle est illégale ou pas ; si cette recherche conduit à des mouvements dans des pays non-coopératifs, c’est un obstacle infranchissable pour nous, explique Jean-Claude Delepière, président de la CTIF4. Il existe, à travers le monde, quantité de territoires où l’on peut dissimuler de l’argent. Ces paradis fiscaux ne facilitent pas la lutte contre la grande criminalité de nature financière. C’est un problème très délicat car chaque pays applique ses propres règles et, en période de crise financière, aucun ne voudra se tirer une balle dans le pied en prévoyant une législation plus stricte, de crainte de ne plus bénéficier de l’effet de richesse dont il profite. Il existe bien des accords internationaux sur la lutte contre la criminalité financière, mais leur application n’est pas toujours évidente. Pour le patron de la CTIF, chaque pays doit balayer devant sa porte. Certes, publier une liste d'États non-coopératifs met une certaine forme de pression. Mais il faut un travail de beaucoup plus longue haleine pour parvenir à un résultat. 5

Comment lutter contre les paradis fiscaux ?

En 1989, le G7 a mis en place le Groupe d’Action financière (GAFI), organisme intergouvernemental visant à développer et promouvoir des politiques nationales et internationales afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En 1990, le GAFI a adopté 40 recommandations portant sur la prévention et la répression du blanchiment. Une liste allongée, depuis, par 9 autres recommandations contre l'argent du terrorisme. Chaque année, le GAFI fait un rapport sur l’application de ces recommandations par ses 33 Etats membres, mais elles n’ont pas de force juridique contraignante… Le GAFI publie également une « liste noire » des pays et territoires non coopératifs (PTNC) qui s'est progressivement vidée passant de 19 pays en 2001 à zéro depuis que la Birmanie en est sortie en octobre 2006.6 On pourrait donc conclure, comme le fait le GAFI que « cette procédure a été largement couronnée de succès ». En réalité, il suffit pour sortir de la liste d’adopter les textes recommandés : le GAFI n’a d’autre moyen que la « pression des pairs» pour en imposer l’application effective.

C’est à l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économiques (OCDE) que tente de se réguler l’évasion et la concurrence fiscales. Au milieu des années 1990, elle met en place un « Forum sur les pratiques fiscales dommageables ». Sont ainsi stigmatisés les pays et territoires pratiquant une imposition faible ou nulle, autorisant l’existence de sociétés écrans et refusant de façon chronique l’échange de renseignements. Trente-cinq « paradis fiscaux » sont mis à l’index en juin 2000. Pour sortir de la liste, ils doivent lever le secret concernant les bénéficiaires réels des sociétés, trusts… et pratiquer effectivement l’échange d’informations. La dynamique est considérablement freinée en 2001 par la contre-offensive menée par un groupe de places offshore montrant du doigt les propres responsabilités des pays de l’OCDE. L’arrivée au pouvoir des Républicains aux États-Unis, auxquels les lobbies du pétrole et de l’armement font valoir l’intérêt de l’évasion fiscale, ont encore ralenti le processus. Le Forum se limite depuis à promouvoir des normes non contraignantes de transparence et d’échange d’informations en matière fiscale. En 2008, seuls restaient labellisés « paradis fiscaux non coopératifs », selon ces critères, Andorre, le Liechtenstein et Monaco. Suite à leurs engagements de mettre en œuvre les principes de l’OCDE de transparence et d’échanges effectifs de renseignements en matière fiscale et à l'adoption d'un calendrier pour la mise en œuvre de ces engagements, le Comité des affaires fiscales les a retirés en mai 2009 de la liste des juridictions non coopératives. Il n’y a donc plus actuellement aucune juridiction dans la liste des paradis fiscaux non coopératifs du Comité des affaires fiscales de l’OCDE.

Lors du G20 d’avril 2009, la lutte contre les paradis fiscaux a fait l’objet de quatre décisions essentielles :

  1. l’affirmation d’un double objectif : s’attaquer à ces territoires pour éviter les fuites de recettes fiscales et pour protéger le système financier, ce qui reconnaît leur rôle de facilitateur de l’instabilité financière ;
  2. l’identification publique des territoires par l’intermédiaire de listes. Une liste blanche – voulue par les Etats-Unis – des pays au comportement adéquat. Une liste grise de pays pas encore au point (dont l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, Singapour, la Suisse…) et une liste noirede mauvais élèves qui s’est rapidement vidée ;
  3. une liste de sanctions possibles à l’encontre des territoires récalcitrants, pouvant aller jusqu’à la suspension des relations financières ;
  4. le FMI et le Conseil de stabilité financière devront établir un suivi du respect des règles prudentielles internationales dans ces territoires et pointer les dérives des centres financiers offshore en tant que paradis réglementaires.

Force est de constater que ces décisions se sont avérées insuffisantes, en raison essentiellement de la composition des listes : suite à la pression de la Chine, Hong Kong n’est pas explicitement dans la liste des pays douteux – même si elle est suivie de près par l’OCDE. Jersey, Guernesey, l’île de Man, l’Irlande, etc., autant de territoires régulièrement cités pour leurs pratiques fiscales ou financières douteuses, ne sont pas dans la liste non plus, ce qui a entamé sa légitimité aux yeux de la société civile. De plus, rapports de force politique oblige, la City de Londres ou bien le Delaware ou le Nevada aux États-Unis ne sont pas non plus pointés du doigt alors qu’il est facile, rapide et peu coûteux d’y ouvrir des sociétés écrans servant tous types de flux financiers obscurs.7

De son côté, le réseau d’ONG et d’experts Tax Justice Network (TJN) a publié en novembre 2009,la liste des « territoires opaques » qui a été réalisée en deux étapes :

  1. le calcul du degré d’opacité selon une batterie de 12 critères dont, par exemple, la conformité aux normes anti-blanchiment, l’existence ou non de sociétés écrans ou de véhicules juridiques permettant de masquer l’identité des détenteurs, ou encore la qualité et l’intensité de la coopération fiscale.
  2. TJN a combiné cet indice au poids de chaque territoire dans la finance offshore (part du marché mondial des services financiers aux non-résidents), afin d’évaluer la nocivité réelle de chaque territoire pour l’économie mondiale.

Cette liste comporte 60 états classés par ordre décroissant d'opacité, dont voici les vingt premiers :

  1. USA (Delaware)
  2. Luxembourg
  3. Switzerland
  4. Cayman Islands
  5. United Kingdom (City of London)
  6. Ireland
  7. Bermuda
  8. Singapore
  9. Belgium
  10. Hong Kong
  11. Jersey
  12. Austria
  13. Guernsey
  14. Bahrain
  15. Netherlands
  16. British Virgin Islands
  17. Portugal (Madeira)
  18. Cyprus
  19. Panama
  20. Israel

Comme on le voit, la Belgique est jugé le neuvième pays le plus opaque au monde !

Que fait l'Union européenne ?

L'Union européenne semble peu se soucier des paradis fiscaux. Pour preuve, le 11 novembre 2010, le Parlement européen a approuvé, à une très grande majorité, la Directive sur les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs appelée aussi directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers).

Cette directive s'intéresse aux fonds spéculatifs, hedge funds en anglais, qui utilisent massivement les techniques permettant de spéculer sur l’évolution des marchés, à la baisse comme à la hausse (utilisation massive de produits dérivés8, de la vente à découvert9 et de l’effet de levier10). Ils sont peu transparents et souvent implantés dans les paradis fiscaux11. Le problème, c'est que la directive qui vient d'être adoptée ouvrira le marché européen à ces fonds localisés dans les paradis fiscaux.

Ainsi, contrairement aux fonds OPCVM12 qui doivent nécessairement être localisés dans l’Union européenne, les fonds spéculatifs pourront continuer d’être gérés depuis Londres et localisés aux Caïmans. Ces fonds offshore pourront même, deux ans après l’entrée en application de la directive, bénéficier d’un passeport leur permettant d’être commercialisés dans toute l’Europe.

Certes une disposition de la directive conditionne l’accès des fonds spéculatifs aux marchés européens à la signature d’un accord de coopération fiscale et d’un échange effectif d’informations entre le pays où le fonds est domicilié et celui où il est commercialisé. Ainsi, les fonds spéculatifs, situés dans des pays qui n'assurent pas un échange effectif d'informations, notamment fiscales, ne pourront plus être commercialisés dans l'Union européenne. La question est d'importance quand on sait que 80 % des hedge funds sont situés dans ces centres offshore.

Cependant, suite aux pressions de Londres, le texte final limite le champ de la directive à la commercialisation dite « active ». Cela signifie concrètement que rien n'empêchera un investisseur européen, une banque, une compagnie d'assurance, un organisme de placement collectif, d'acheter des parts de fonds, situés hors de l'Union européenne, qui n'auraient pas obtenu le passeport européen pour non-respect des critères de la directive. Cette disposition donne ainsi accès au territoire européen aux capitaux placés dans les paradis fiscaux en relation avec la City, tels les territoires anglo-normands et les îles Caïmans ou par exemple, ceux gérés directement par les États-Unis, tel le Delaware.13

Et en Belgique ?

On se souviendra que le Parlement belge a créé une Commission parlementaire spéciale, chargée d’examiner la crise financière et bancaire. Cette Commission a formulé en avril 2009 deux recommandations en matière de paradis fiscaux :

« 57. Afin de rétablir l’équité fiscale entre les pays et entre les contribuables, il est donc indispensable:

  • d’éliminer l’intégralité des paradis fiscaux sous toutes ses formes (liste OCDE);
  • d’éradiquer le secret bancaire irrévocable, destiné à masquer des opérations d’évasion fiscale ou des activités illicites. Ce type de secret bancaire, qui s’éloigne considérablement des objectifs louables de protection de la vie privée et de maintien du secret professionnel, aboutit en effet à favoriser l’émergence et le développement de véhicules financiers opaques et inutilement complexes, eux-mêmes vecteurs d’instabilité financière et de concurrence régulatoire déloyale entre pays;
  • et de mettre en place des mécanismes visant à la juste perception de l’impôt dû.

58. La commission entend soutenir la proposition du G20 visant à éliminer les paradis fiscaux, tels que désignés dans la liste de l’OCDE, invitant les États concernés à tout mettre en œuvre pour y arriver, sous peine de sanctions imposées par la communauté internationale. »14

Suite des décisions prises par le G20 en matière de paradis fiscaux et des directives européennes en la matière15, la loi belge oblige de déclarer, sur un formulaire distinct à joindre à la déclaration à l’impôt des sociétés ou à l’impôt des non-résidents/sociétés, les paiements effectués à des personnes établies dans des États déterminés.

Depuis le 1er janvier 2010, les paiements qu’une société effectue directement ou indirectement à des personnes établies dans les paradis fiscaux visés ne sont en effet plus déductibles au titre de frais professionnels lorsque la société soit omet de déclarer ces paiements sur le formulaire ad hoc, soit ne peut justifier que ces dépenses répondent à des opérations réelles et justifiées.

Quels sont les paradis fiscaux visés ? Les États visés peuvent être répartis en deux catégories :

  1. d’une part, il y a les États qui n’appliquent pas effectivement et substantiellement le standard OCDE en matière d’échange d’informations (liste non encore définie) ;
  2. d’autre part, les États sans impôt des sociétés ou avec un taux nominal d’impôt des sociétés inférieur à 10 pc.

Conclusions

Il est encore trop tôt pour évaluer les effets des nouvelles dispositions prises en Belgique, mais une chose est sûre : les faits sont têtus et ils indiquent que les bonnes intentions exprimées dans les enceintes internationales n'ont pas, à ce jour, été transformées dans la réalité. Sans doute faudra-t-il que ces dernières s'accompagnent d'une dose suffisante de courage politique pour qu'elles soient réellement mises en œuvre. Et que les paradis fiscaux et leur cortège de conséquences inacceptables soient définitivement éradiqués.

Bernard Bayot
Février 2011

 

1 CCFD-Terre solidiaire : ONG française de développement.

2 "L'économie déboussolée. Multinationales, paradis fiscaux et captation des richesses", décembre 2010

3 Manuel Domergue, Paradis fiscaux: rien n'est réglé!, Alternatives Economiques n° 298 - janvier 2011.

4 Cellule de traitement des informations financières. Créée en 1993, la CTIF est au cœur du dispositif belge de lutte contre le blanchiment d'argent d'origine criminelle et le financement du terrorisme. Autorité administrative indépendante,elle est composée d’experts financiers et d’un officier supérieur de la Police fédérale et chargée d'analyser les faits et les transactions financières suspectes de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme qui lui sont transmises par les institutions et les personnes visées par la loi.

5 Philippe Galloy, Paradis fiscal, refuge du crime, La Libre Belgique, 24 avril 2009.

7 Christian Chavagneux, Pittsburgh et après : un plan d’action contre les paradis fiscaux en 10 propositions, 8 septembre 2009.

8 Voir Bernard Bayot, Les produits dérivés, Réseau Financement Alternatif, février 2011.

9 La vente à découvert consiste à vendre à terme un titre que l'on ne détient pas le jour où cette vente est négociée mais qu'on se met en mesure de détenir le jour où sa livraison est prévue. Si la valeur du titre baisse après la vente à découvert, le vendeur peut racheter les titres au comptant et dégager une plus-value. Si, à l'inverse, elle monte, le vendeur s'expose à un risque de perte illimitée, tandis qu'un acheteur ne peut pas perdre plus que sa mise de fonds.

10 Cette stratégie d’investissement consiste à mobiliser, à côté de son propre argent, des sommes empruntées aux banques pour se lancer dans des opérations spéculatives. Autrement dit, l’effet de levier permet aux hedge funds de démultiplier les gains potentiels de leurs placements. Cependant, lorsque leurs paris spéculatifs tournent mal, ils peuvent mettre en difficulté les banques qui leur ont prêté de l’argent.

11 Voir Bernard Bayot, Les paradis fiscaux, Réseau Financement Alternatif, février 2011.

12 Un OPCVM, ou Organisme de Placement Collectif en Valeurs Mobilières, est une entité qui gère un portefeuille dont les fonds investis sont placés en valeurs mobilières.

13 Bernard Bayot, Bernard Bayot, Les fonds spéculatifs, Réseau Financement Alternatif, février 2011., Réseau Financement Alternatif, février 2011.

14 Chambre des représentants et Sénat de Belgique, La crise financière et bancaire, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la crise financière et bancaire, DOC 52 1643/002 (Chambre) 4-1100/1 (Sénat), 27 avril 2009.

15 Directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE, JO, L 2007 319 ; Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, JO, L 2005 309.

16 Abu Dhabi, Ajman, Andorre, Anguilla, Bahamas, Bahreïn, Bermudes, Iles Vierges britanniques, Iles Cayman, Dubai, Fujairah, Guernesey, Jersey, Jéthou, Maldives, Ile de Man, Micronésie (Fédération de), Moldavie, Monaco, Monténégro, Nauru, Palau, Ras al Khaimah, Saint-Barthélemy, Sercq, Sharjah, Iles Turks-et-Caicos, Umm al Quwain, Vanuatu et Wallis-et-Futuna (article 179 AR/CIR 92) ; voir Circulaire Ci. RH 421/607.890 du 30 novembre 2010.

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02/2011
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Février

La banque : plusieurs métiers

Soumis par Anonyme le

Le métier de banquier est apparu il y a quelques milliers d'années afin de faciliter les échanges commerciaux. La banque, d'abord familiale, est aujourd'hui tentaculaire. Les hommes qui l'ont créée hier tentent maintenant d'en limiter son action.

La genèse

Durant l’antiquité et le haut Moyen Âge (c'est-à-dire du IVe millénaire avant notre ère jusqu'au Xe siècle), il y a eu des banquiers mais pas de banque au sens institutionnel du terme. Ces banquiers pratiquaient certaines opérations financières coutumières des banques, comme le prêt à intérêt, qui ont existé depuis la plus haute antiquité, avant même l’invention de la monnaie. Toutefois, la régression monétaire qui caractérise cette période et l’interdit religieux contre le prêt à intérêt1, réduisent en Europe les activités de change et de crédit.

C’est à partir du XIIIe siècle siècle que l’expansion économique, politique et commerciale va contribuer à l’affirmation du rôle des financiers privés et que se constitueront les premières banques dans la mouvance des pouvoirs religieux, étatiques et commerciaux. Les banquiers Lombard joueront un rôle clef dans cette évolution, qui apportent deux innovations fondamentales, à la base de l'essor du capitalisme occidental : le compte à vue, rendu possible par l'invention concomitante de la comptabilité en partie double et la lettre de crédit.

Grâce au compte à vue, les marchands peuvent déposer leurs fonds et ensuite les retirer partiellement ou totalement à tout instant. Une trace de ces opérations est conservée dans une comptabilité en partie double, c'est-à-dire que chaque opération est inscrite dans deux comptes : un compte débité et un compte crédité. C'est encore comme cela que fonctionne l'extrait de compte que nous fournissent les banquiers aujourd'hui: les sommes versées sur notre compte (salaires etc.) constituent pour elle une ressource, donc un crédit, et, simultanément, cela augmente la dette de la banque à notre égard ou réduit notre dette à son égard si nous sommes débiteurs ; les sommes retirées (virement, ...) constituent une utilisation, donc un débit, qui, simultanément, réduit la dette de la banque à notre égard ou augmente notre dette à son égard si nous sommes débiteurs.

La lettre de crédit quant à elle permet qu'un acheteur et un vendeur puisse faire des affaires bien qu'ils se trouvent dans des lieux différents. Le banquier de l'acheteur de marchandises (ou autres prestations commerciales) s'engage à payer le vendeur si celui-ci lui présente pendant une période précise les documents conformes attestant de la bonne exécution de ses obligations. En d'autres termes, le vendeur sera payé dès qu'il aura fourni les documents prouvant que la marchandise a bien été expédiée.

Grâce à ces deux innovations, les marchands peuvent désormais circuler et commercer plus sereinement, sans avoir à transporter des sommes importantes sur les routes encore peu sûres d'Europe. Plus tard, au XIXe siècle, les mêmes banques jouent aussi un rôle essentiel en favorisant l'avènement de la révolution industrielle. Mais, bien entendu, cette évolution ne se fait pas sans crise, comme nous allons le voir.

Le krach de 1929

Comme vient de le montrer ce rapide survol historique, une banque est une entreprise qui fait le commerce de l'argent, c'est-à-dire qu'elle reçoit des capitaux placés sur des comptes (d'épargne ou non) et prête de l'argent à des taux et moyennant des commissions variables. Mais elle échange également de la monnaie, exécute des opérations financières pour le compte de ses clients et se charge de tous services financiers.

Cela fait beaucoup de métiers différents. On fait ainsi une distinction fondamentale entre les banques de dépôt, qui sont appelées commercial banks en anglais, et les banques d'investissement (en anglais, investment banking).

Les banques de dépôt travaillent essentiellement avec leurs clients, particuliers, professionnels et entreprises et font ce que l'on appelle parfois le métier de base, c'est-à-dire qu'elles reçoivent des dépôts et accordent des prêts. Parmi celles-ci, on distingue traditionnellement la banque de détail (en anglais, retail banking) destinée aux particuliers, aux professionnels et aux petites et moyennes entreprises, de la banque d'affaires (en anglais, wholesale banking) destinées aux moyennes et grandes entreprises.

A côté des banques de dépôt, on trouve les banques d'investissement (en anglais, investment banking) qui sont actives sur les marchés financiers, se chargeant des opérations financières comme les émissions d'emprunts obligataires, les souscriptions d'actions, l'introduction en bourse, les fusions-acquisitions, etc.

Dans la pratique, toutefois, les mêmes institutions ont cumulé ces différents métiers. Et ce mélange des genres a eu comme conséquence le krach de 1929. Cette crise boursière qui se déroula à la Bourse de New York entre le jeudi 24 octobre et le mardi 29 octobre 1929 a très vite dégénéré en crise bancaire et a marqué le début de la Grande dépression, la plus grande crise économique du XXe siècle. Au départ, la frénésie boursière et l'irresponsabilité des banquiers, qui ont prêté sans retenue aux spéculateurs, ont conduit non plus à financer l'économie réelle mais la spéculation malsaine. Lorsque la bulle a éclaté, la bourse a chuté et les prêts bancaires accordés aux spéculateurs n'ont pu être remboursés. Parallèlement, nombre de déposants ont été pris de panique, craignant, à tort ou à raison, que la banque de dépôt où ils avaient leur compte aient essuyé de lourdes pertes spéculatives sur le marché des actions. Ces paniques et les retraits massifs qui en découlaient ont finalement causé des milliers de faillites bancaires en chaîne.

Le Glass-Steagall Act

Suite à la crise de 1929, le législateur étasunien est intervenu, celui-là même qui a adopté le Banking Act de 1933, plus connu sous le nom de Glass-Steagall Act. Cette loi a instauré une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d'investissement, a créé le système fédéral d'assurance des dépôts bancaires et a introduit le plafonnement des taux d'intérêt sur les dépôts bancaires.

Une des conséquences inattendues de cette législation réside dans le fait que les banques de dépôt étasuniennes vont recourir à certains artifices comptables et juridiques et créer des filiales à l'étranger, en particulier à Londres, afin de participer pleinement à la croissance des marchés financiers. Cela redonne vie à la City de Londres, qui devient durablement la première place financière du monde. De leur côté, les banques d'investissement se trouvent, elles, de plus en plus sous-capitalisées car elles ne sont plus adossées à une grande banque de dépôts.

La banque centrale américaine va tenter plusieurs fois d'assouplir le système à partir de 1986, mais ce n'est que devant le lobby réclamant la légalisation de la fusion de Citibank avec la compagnie d'assurances Travelers Group, afin de former le conglomérat Citigroup, l'un des plus importants groupes de services financiers au monde, que le Sénat américain se résoudra à abolir ce dernier « vestige des années trente ». Il le fera au travers de l'adoption du Gramm-Leach-Bliley Act Financial Services Modernization Act de 1999 qui met en place des services de banques universelles, c'est-à-dire qui assurent aussi bien les services d'une banque de dépôt que d'une banque d'investissement et qu'une compagnie d'assurance.

On connaît la suite : de plus en plus, les banques de détail et d’investissement sont devenues de simples filiales de groupes diversifiés qui intègrent parfois l'assurance, la gestion de fonds de placement ou d’autres activités financières. Fréquemment, ces groupes rattachent à la filiale banque d’investissement les activités de banque d'affaires. Ces circonstances ont permis un effet domino durant la crise de 2007, à tel enseigne que diverses voix, dont celle de l’ancien gouverneur de la Réserve Fédérale Paul Volcker ont avancé l’idée d’un retour au Glass-Steagall Act par le biais d’une remise en vigueur du texte de loi originel.2

En Europe également, un nombre grandissant d’experts se prononcent en faveur de l’adoption de législations bancaires strictes inspirées du Glass-Steagall Act. Et de rappeler à ce propos que la Chine post-communiste, qui est de tous les pays industrialisés celui dont le système financier a le mieux traversé la récente crise, est également celui qui a adopté deux grandes lois largement inspirées du Glass-Steagall Act : la loi sur la banque commerciale de 1995, complétée par la loi sur les sociétés de bourse de 1998.3

Et en Belgique ?

Jusqu’en 1935, notre législation connaissait le concept de banque mixte, qui alliait l’activité d’une banque de dépôts à celle d’une banque d’affaires, dont la spécialité consistait dans la garde et la négociation d’actions dans des entreprises industrielles et commerciales. L’A.R. N° 185 du 9 juillet 1935 a modifié cette situation : il a instauré l’interdiction de banque mixte, avec pour conséquence une scission entre l’activité de dépôt et l’activité d’investissement, cette dernière ayant été placée dans une holding, appelée société de portefeuille ou financière.

La loi du 3 mai 1967 a tout de même consenti encore quelques dérogations à l’interdiction de garde d’actions ou d’obligations industrielles ou commerciales. Quelques années plus tard, la loi du 30 juin 1975 a été adoptée sous l’influence de l’estompement des limites entre branches et compte tenu du fait que les banques sont devenues de moins en moins spécialisées. Le statut des banques a été rapproché de celui des caisses d’épargne privées et les deux sortes de banques ont été placées sous le contrôle d’un même contrôleur, l’ancienne Commission bancaire. Simultanément, le statut de contrôle a été renforcé et celui des organismes publics, la CGER et le Crédit communal, a été assoupli, mais leur compétitivité, surtout à l’égard des caisses d’épargne privées, a été préservée.

Quelques années plus tard, le nom de « caisse d’épargne » a été supprimé et dans les années nonante, la CGER et le Crédit communal ont été privatisés. L’activité des banques a été de moins en moins limitée et à partir de 2004, les compagnies d’assurances ont d’ailleurs été placées sous la tutelle du même contrôleur que les banques: si elles le souhaitent, les banques peuvent se charger de tâches très diversifiées. Une confiance inébranlable dans les avantages de la mondialisation faisait partie du credo bancaire, d’abord aux États-Unis, et plus tard aussi en Europe.4

La commission spéciale chargée d’examiner la crise financière et bancaire a recommandé la réintroduction d’un modèle d’activité bancaire classique, transparent pour les clients, dans le cadre d’un établissement financier spécial (cf. les anciennes banques et caisses d’épargne). Elle souhaite opérer une séparation claire entre la banque de dépôts et la banque commerciale. La commission demande au législateur et aux autorités de contrôle des banques d’adapter leur réglementation sur certains points (par exemple, règles en matière de solvabilité et de fonds propres) pour encourager l’activité bancaire classique.5

Pour surveiller l'activité financière, il existe en effet des ratios que les banques doivent respecter pour justifier qu'elles sont solvables, c'est-à-dire qu'elles sont capables de payer leurs dettes sur le court, moyen et long termes malgré les impondérables (retournement de la conjoncture, augmentation des impayés de la part de ménages moins solvables ou retraits soudains aux guichets de la banque). Il va de soi que ces exigences de solvabilité peuvent varier selon le risque que représentent les activités qu'elles exercent et que des exigences moins fortes pourraient ainsi être demandées à celles qui se livrent exclusivement à l'activité bancaire classique.6

Le 20 novembre 2010, les représentants des partis politiques francophones se sont d'ailleurs prononcés, lors des « états généraux de la finance responsable et solidaire » organisés par le Réseau financement alternatif, en faveur d’une séparation nette entre les banques de dépôt et les banques d’investissement afin que les risques inhérents à ces dernières ne portent pas préjudice aux premières. 7

Conclusions

Le métier de banquier est ancien et les activités qu'il recouvre sont nombreuses. Après avoir été spécialisées après la crise de '29, ces activités sont redevenues tentaculaires. La crise récente nous offre l'opportunité de nous pencher à nouveau sur cette question.

Une spécialisation des institutions n'est certainement pas sotte en terme d'efficience économique. Elle est probablement essentielle pour réduire le risque, comme la crise que nous venons de connaître semble le montrer.

Mais, en outre, les obligations imposées aux banques au nom de la surveillance du secteur financier gagneraient sûrement en efficacité à être mieux ciblées en fonction de l'activité réelle des institutions. Et celles qui, par le choix de leurs activités, limitent la prise de risque recevraient une avantage concurrentiel dans la mesure où les obligations qui leur sont imposées seraient moins lourdes. Ceci constituerait une prime à la prudence et, peut-être le début de la sagesse dans un secteur qui n'en a pas fait une brillante démonstration ces derniers temps.

 

Bernard Bayot,
mars 2011

 

1 Bernard Bayot, Faut-il supprimer l'intérêt ?, Réseau Financement Alternatif, Novembre 2010.

2 Louis Uchitelle, Volcker Fails to Sell a Bank Strategy, The New York Times, 20 octobre 2009.

3 Nicolas Firzli, Orthodoxie financière et régulation bancaire : les leçons du Glass-Steagall Act, Analyse financière n° 34, janvier février mars 2010, page 49.

4 Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la crise financière et bancaire, DOC 52 1643/002 (Chambre), 4-1100/1 (Sénat), page 174.

5 op.cit., page 541.

6 Bernard Bayot, Réforme de la surveillance du secteur financier, Réseau Financement Alternatif, mars 2011.

7 P.Lo, Finance responsable : manifeste et petits pas, La Libre Belgique, 24 novembre 2010.

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Qu'a coûté la crise aux citoyens ?

Soumis par Anonyme le

Depuis bientôt trois ans qu'a éclaté la crise, les chiffres les plus fous et les plus divers circulent quant à son coût. Entre quantification exacte et effets de manche destinés à rassurer ou à faire peur au citoyen, il devient très difficile de faire le tri dans cette spirale des chiffres.

Illusoire...

Disons-le tout d'emblée, il est impossible d'objectiver ce qu'a exactement coûté la crise, car la réponse varie en fonction de ce qu'on inclut dans le calcul. Les différents montants communiqués dans la presse montrent bien que la notion est floue. La crise que l'on traverse est en effet multifactorielle et les conséquences se retrouvent à tous les étages, le feu se communiquant de l'un à l'autre. À parcourir les articles de journaux parus depuis 2008, il apparaît que le « coût de la crise » englobe des notions variées : coût de la faillite de certaines banques, coût de la dévalorisation des capitalisations boursières, coûts liés à la diminution du crédit, à l'essoufflement de la croissance, à l'augmentation du chômage, des dépenses sociales, coût des plans de sauvetage des banques, des États... On le voit, la notion est large.

Une autre variable d’importance est le laps de temps que l'on prend en compte pour faire ce calcul. Car, on l'a appris, les marchés commencent à se relever et une partie des pertes bancaires et institutionnelles liées à la crise commencent à s'effacer ; ce qui n'est pas forcément le cas pour les personnes qui, par suite de cette crise, ont perdu leur travail, leur maison... Ce qui complique encore le calcul c’est que, dans certains secteurs, les effets de la crise arrivent à retardement. Ainsi, le FMI a estimé en 2008 que la crise des subprimes s'élevait à 1000 milliards de dollars ; en 2009, il la chiffrait à 2220 milliards ; et en avril 2010, l’estimation était passée à 4000 milliards de dollars. Ce coût est celui que les institutions financières ont dû supporter et vont devoir supporter en raison notamment de la baisse de la valeur des actifs qui garantissent leurs crédits, comme l'immobilier.

En Belgique, la Cour des comptes a publié en janvier dernier les chiffres concernant le coût de la crise pour l'État belge : le sauvetage du système financier lui a coûté 15 milliards d'euros. Depuis 2008, la Belgique a déboursé 21,08 milliards d'euros sur lesquels elle a déjà récupéré quelque 6 milliards. Ce déboursement a été utilisé pour le sauvetage des banques belges (Fortis, Dexia, KBC, Ethias principalement) et pour l'aide à la Grèce.

Pour le citoyen ?

Calculer l'impact financier de la crise sur le citoyen est tout aussi difficile et les chiffres avancés s'avèrent tout aussi fluctuants. En novembre dernier, le Tijd annonçait que la crise avait coûté 600 milliards d’euros, soit 1200 euros par habitant de l’Union européenne. Le calcul se basait sur les montants de l’aide accordée à la Grèce et à l'Irlande, ainsi que sur le montant des intérêts que l'Europe devrait rembourser sur l'emprunt. En octobre 2008, Jean-Marc Nollet, en se basant sur le coût du plan de sauvetage des banques, annonçait que la crise coûterait 732 euros par Belge moyen. L'Écho, quelques jours plus tard, se basant sur la dévalorisation des avoirs boursiers des familles belges, parlait d'une perte de 7300 euros par Belge moyen. À ces déclarations s'ajoutent celles des politiciens qui annonçaient que le sauvetage des banques ou des États ne coûtait... rien aux citoyens.

Bref, personne ne niera que le coût de la crise, global ou par citoyen, dépend des lunettes que l'on porte. Entre coût réel, coût fantasmé et coût potentiel, revenons, pour y voir plus clair, sur les différentes solutions que les États ont mises en place pour sauver le système financier et éviter le risque systémique (voir plus loin).

Commençons par le commencement. La crise mondiale dont nous entendons parler depuis trois ans maintenant a débuté aux États-Unis avec les fameux subprimes et s'est ensuite propagée comme une trainée de poudre. Pour rappel, des banques peu scrupuleuses ont prêté à haut risque (subprime) de l'argent à des gens qui n'avaient pas les moyens de rembourser. Pour se prémunir, elles ont revendu le risque sur les marchés sous forme de titres que d'autres banques ont ensuite achetés, car ils promettaient d’être très rentables. Au final, lorsque, des millions d'Américains n'ont plus pu rembourser leur crédit hypothécaire, les banques prêteuses se sont trouvées en difficulté et n'ont plus pu payer les banques qui avaient acheté (souvent sans vraiment comprendre de quoi il s'agissait) ces produits dérivés. Celles-ci, prises dans l'engrenage ont alors fortement diminué la quantité de crédits qu'elles accordaient aux entreprises pour financer leurs activités. Ainsi est née une crise systémique annonçant un risque général d'effondrement de l'économie : à partir d'un élément et par un effet de dominos, c'est tout le système financier sur lequel repose notre économie qui a failli s'écrouler. Dès lors, les États n'ont eu d'autre solution que de sauver les banques, démentant l'expression anglaise « too big to fail ».

Les solutions de sauvetage

Quatre solutions ont donc été imaginées pour sauver les banques et les États de la faillite.

Tout d'abord, la prise de participation : l'État devient actionnaire d'une banque. C'est ce que l'État belge a fait au moment de la chute de Fortis. Normalement, il s’agit là d’une opération, sinon rentable, à tout le moins « blanche », puisque l'État entend revendre ses parts une fois que la tourmente aura cessé. Dans la saga Fortis, la Belgique est devenue actionnaire à 99,93 % du groupe. Elle a ensuite transféré la propriété de la banque contre 11,6 % du capital de BNP Paribas. Dans le cadre du sauvetage des institutions financières, l'État belge a emprunté 6,7 milliards pour renflouer les banques et racheter des actions dont le prix était si bas que tout le monde voulait s'en débarrasser. Depuis octobre 2009, la Belgique paie des intérêts sur cet emprunt. Mais elle compte bien récupérer des dividendes sur son investissement et revendre ses parts dès que les banques seront revenues à flot et que les cours seront meilleurs. Si le calcul est correct, l'État pourra rembourser son emprunt et récupérer les intérêts qu'il a payés (estimé à 300 millions par an environ). Ramené à l'échelle de l'habitant, le coût ne dépassera pas 28,27 euros par an.

Ensuite, le prêt et la garantie bancaire. Certains États ou l'Union européenne ont aussi consenti des prêts. En 2009, la Belgique a prêté 160 millions d'euros à la banque Kaupthing. Au plus fort de la crise irlandaise, l'Europe a créé le Fonds européen de stabilisation financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilisation financière (qui permet à la Commission d'emprunter 60 milliards d'euros). Ces prêts peuvent aussi prendre la forme de garantie bancaire. L'argent n'est pas utilisé, mais garantit au prêteur qu'il retrouvera son argent en cas de défaut de paiement du débiteur. Le prêteur peut être le simple épargnant qui, au plus fort de la crise, aurait pu être tenté de retirer toute son épargne de sa banque, décision qui aurait mis à mal le système financier. Il peut également être une banque, qui n'ayant pas confiance en son débiteur (une autre banque ou un État) refuse de lui prêter de l'argent ou n’y consent qu’à un taux d'intérêt extrêmement élevé. Pour créer ces garanties ou prêter de l'argent, les États ou l'Europe ont dû eux-mêmes emprunter de l'argent sur les marchés, quoiqu’à un taux nettement inférieur à celui qui aurait été proposé aux banques ou aux États en difficulté. D'une part, les taux des emprunts publics sont nettement inférieurs aux taux interbancaires et, d'autre part, plus on apparait comme un emprunteur à risque, plus le taux d'intérêt qu'on devra payer pour emprunter sera élevé. Que coûtent de tels prêts ? Rien en principe, puisque, pour autant qu'ils soient remboursés, le prêteur peut même s’attendre à des bénéfices sur le paiement des intérêts. Il en va de même pour la garantie bancaire qui, tant qu'elle n'est pas utilisée, ne coûte pas un sou et peut même rapporter de l'argent puisque les banques et les États qui reçoivent cette garantie doivent également payer des intérêts. Néanmoins, un risque subsiste tant que le remboursement n'est pas échu.

Enfin, le rachat des titres toxiques (appelé aussi « structure de défaisance »). La Belgique a injecté 141 millions d'euros dans un véhicule rassemblant les produits structurés de l'ex-Fortis. Elle a ainsi agi à l'image du plan Paulson du Trésor américain qui, aux États-Unis, a permis de créer un fonds de 700 milliards de dollars destiné à racheter les actifs toxiques détenus dans les bilans des banques. Le coût pour le contribuable américain sera en réalité moindre puisque l'État compte bien revendre ses actifs une fois que les cours de la Bourse seront repartis à la hausse. Il compte en plus sur les effets positifs d'une telle solution, censée favoriser la confiance dans le marché. Ce plan a été prolongé d'un an en 2010. Pour se financer, l'État américain a acheté des bons du Trésor. En d'autres termes, il a emprunté, créant ainsi un déficit gigantesque de 1500 milliards de dollars (12 % du PIB aux USA).

Coût = 0 ?

À la lecture de ce qui précède, on serait tenté de croire que le coût de la crise pour le contribuable sera totalement nul. Ce serait évidemment sans compter les dégâts collatéraux de telles stratégies. Qu'un État ou que l'l'Union européenne emprunte, même à faible taux, pour sauver une banque ou un autre État et ce sont autant de millions de remboursement d'intérêts qui devront chaque année être portés au budget. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes estime que la Belgique paiera 904 millions d'euros d'intérêts sur les emprunts nécessaires au sauvetage du système financier contractés entre septembre 2008 et août 2010. Son endettement, qui était descendu à un seuil historique de 87 % du PIB en 2007, a dépassé les 100 % aujourd'hui, la rendant vulnérable sur les marchés internationaux.

Faire appel au FMI, comme récemment a dû le faire l'Irlande, c'est être obligé de mettre en œuvre toute une série de mesures d'austérité (augmentation de l'âge de la retraite, gel des salaires des fonctionnaires, suppression d'emplois publics, coupes dans les allocations de chômage et familiales, réduction du salaire minimum). Une autre solution pour faire face au déficit public est d'augmenter les recettes fiscales, mais la mesure est difficile à prendre, surtout en période baissière.

Dire que le plan de sauvetage est totalement à charge du citoyen est faux, mais affirmer qu'il ne coûtera rien, voire qu'il rapportera de l'argent, n'est pas exact non plus. Certes, les États ont été pratiquement obligés de sauver les banques et d’autres États en difficulté pour éviter des catastrophes économiques plus grandes encore, mais l'urgence dans laquelle ces plans de sauvetage ont été bâtis n'a pas permis une remise en question du fonctionnement de l'économie et de sa financiarisation. Aujourd'hui, les Bourses ont relevé la tête, la croissance redémarre, mais des millions de personnes à travers le monde sont restées sur le carreau et rien n'indique que cela ne se reproduira plus d'ici quelque temps.

                                                                                                                                                                             nbsp;                                               Laurence Roland,
                         s                                                                                                                        février 2011

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