Crainte des saisies et exclusion bancaire
En vue d’assurer aux particuliers un minimum vital de rentrées financières, les articles 1409 et suivants du Code judiciaire définissent une série de revenus qui sont protégés des saisies et cessions à concurrence d’un certain montant.
Sont ainsi protégés les revenus perçus en exécution d’un contrat de travail, les revenus de remplacement, certaines pensions alimentaires et les prestations sociales telles que les allocations familiales ou les allocations au profit des personnes handicapées.
Malheureusement, dans l’état actuel de la législation, cette protection disparaît en cas de versement des sommes protégées sur un compte bancaire[1].
Un débiteur peut dès lors être saisi de la totalité de sa rémunération en cas de saisie-arrêt pratiquée par son créancier entre les mains de sa banque.
Cette insuffisance de protection a pour conséquence que les personnes qui craignent une saisie sur leur compte bancaire retirent l’argent au plus vite dès que celui-ci est versé sur leur compte pour éviter qu’il ne soit saisi, ou, pire encore, n’utilisent plus le compte en banque dont ils disposent.
Selon les services sociaux et les CPAS interrogés par le Réseau Financement Alternatif[2]ce problème d’exclusion bancaire volontaire par crainte des saisies concernait plus de 6.700 personnes fin 2005.,
Une loi dont l’entrée en vigueur s’est fait attendre
Le 14 juin 2004, le législateur avait pourtant adopté la « loi relative à l’insaisissabilité et à l’incessibilité des montants prévus aux articles 1409, 1409 bis et 1410 du code judiciaire lorsque ces montants sont crédités sur un compte à vue » en vue de pallier les insuffisances des règles protectrices établies par le Code judiciaire en cas de saisie de sommes protégées versées sur un compte bancaire.
Cette loi s’inscrivait clairement dans le cadre de la lutte contre le phénomène de l’exclusion bancaire au sens large et constituait, alors, la suite logique et nécessaire de la loi instaurant le service bancaire de base adoptée le 24 mars 2003.
Cette loi prévoit donc que les restrictions et exclusions prévues aux articles 1409, 1409 bis et 1410 du Code Judicaire sont également d'application si les montants visés par ces articles sont crédités sur un compte à vue ouvert auprès d'un établissement de crédit.
Par ailleurs, un système de traçabilité des revenus protégés est également prévu par la loi, qui impose à leurs débiteurs d’attribuer un code particulier à chaque versement de ces revenus. Les revenus protégés peuvent ainsi être identifiés et les règles de protection du Code judiciaire s’appliquer.
Les modalités permettant d'indiquer ce code en regard des montants protégés au moment de l'inscription de ceux-ci au crédit du compte à vue, devaient, quant à elles, être déterminées par arrêté royal.
Mais, bien que la loi ait fixé son entrée en vigueur pour le premier juillet 2005 au plus tard, aucun arrêté royal n’avait été pris à cette date.
La loi ne pouvant dès lors trouver à s’appliquer, son entrée en vigueur a été retardée in extremis par le législateur[3].
En réalité, la loi telle qu’elle avait été votée en juin 2004 suscitait différents problèmes d’application et d’exécution[4], qui ont amené la Ministre de la Justice à solliciter l’avis du Conseil national du Travail[5] à ce sujet.
L’avis du Conseil National du Travail ne laissait planer aucun doute : en vue d’assurer le bon fonctionnement des mécanismes de protection et de remédier aux problèmes soulevés, la loi devait faire l’objet d’un toilettage.
Ce fut chose faite par le biais de la loi du 27 décembre 2005 « portant des dispositions diverses », qui a abrogé la loi du 14 juin 2004 et inséré directement dans le Code judiciaire un article 1411bis qui prévoit que : «les restrictions et exclusions prévues aux articles 1409, 1409bis et 1410 sont également d'application si les montants visés par ces articles sont crédités sur un compte à vue ouvert auprès d'un établissement de crédit visé à l'article 1er de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit ».
L’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions fut fixée à janvier 2007 au plus tard.
Il y a peu, le dernier obstacle à l’entrée en vigueur de ces dispositions a désormais été levé.
En effet, l’arrêté royal modalisant le codage des montants a enfin été promulgué ce 4 juillet dernier, ce qui permettra l’entrée en vigueur effective de la loi a dater du 1er janvier prochain.
Protection et obligation de codage à dater de janvier 2007
A dater de janvier 2007, les revenus minimums insaisissables transitant par un compte en banque seront protégés durant une période de 30 jours à dater du crédit sur le compte à vue, avec un calcul prorata temporis sur la base d’un trentième par jour[6].
Il n’y aura dès lors plus à craindre de voir l’entièreté des montants protégés saisie.
Cette protection des revenus nécessite un système permettant de reconnaître leur paiement.
Dès lors, dès le 1er janvier 2007, l’arrêté royal impose à tous les donneurs d’ordres débiteurs de salaires (rémunérations au sens large), de revenus de substitution et même de rentes alimentaires l’obligation d’indiquer, lors du paiement en compte de revenus protégés, un code spécifique composé de 3 caractères dans les 3 premières positions de la zone de communication libre :
- Les trois caractères /A/ pour les revenus visés aux articles 1409, § 1 et 1409bis du Code Judiciaire.
- Ce code concernera les employeurs, lorsqu’ils donnent l’ordre de payer sur un compte bancaire un salaire, un pécule de vacances, d’autres sommes dues en exécution d’un contrat de travail, d’apprentissage, d’un statut ou en rémunération de prestations de travail effectuées sous leur autorité.
- Les trois caractères /B/ pour les revenus visés aux articles 1409, § 1 bis, et 1410, § 1, du Code Judiciaire.
Ce code concernera (i) les personnes physiques, « débiteurs de rentes alimentaires » adjugées par justice ou après divorce et (ii) les institutionnels, lorsqu’ils donnent l’ordre de verser en compte des revenus de remplacement, tels que des pensions, des indemnités d’adaptation, des majorations de rente payées en vertu d’une loi, d’un statut ou d’un contrat, des allocations de chômage ou des allocations payées par le fonds de sécurité d’existence, des indemnités d’incapacité de travail, des allocations d’invalidité résultant de la législation en assurance maladie invalidité, la réparation de dommages résultant d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, des indemnités de milice ou des indemnités d’interruption de carrière. (par ex. les pensions, les pensions alimentaires,…).
Les trois caractères /C/ pour les montants visés à l’article 1410, § 2 du Code Judiciaire.
Ce code concernera les institutionnels, lorsqu’ils donnent l’ordre de verser des prestations familiales, des rentes ou des pensions au profit d’orphelins payées en vertu d’une loi, d’un statut ou d’un contrat, des allocations au profit de personnes handicapées, la partie de l’indemnité qui dépasse 100 %, accordée aux accidentés du travail nécessitant l’assistance d’une tierce personne (assurance obligatoire soins de santé et indemnités), les interventions de l’assurance soins de santé et indemnités (y compris sécurité sociale d’outre-mer) ou les interventions dans les soins au profit des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, les sommes payées à titre de revenus garantis aux personnes âgées, les sommes payées à titre de minimum de moyens d’existence, les sommes payées à titre d’aide sociale par les CPAS et les prestations en faveur de travailleurs indépendants en cas de faillite.
Ce code[7] doit être ajouté dans tous les virements qu’il y ait ou non saisie ou cession sur le compte à vue du bénéficiaire et sera repris dans la communication indiquée sur les extraits de compte du bénéficiaire.
La loi prévoit des sanctions en cas de non-respect de cette obligation par le donneur d’ordre.
Pour les versements en espèces par un donneur d’ordre qui n’est pas le titulaire du compte, il est prévu que le code doit être communiqué à la banque par ce donneur d’ordre au moment du versement. La banque délivre alors au donneur d’ordre un document mentionnant le paiement et le code communiqué. La banque indique également le code en face du montant crédité. Le donneur d’ordre reste responsable de l’exactitude du code.
Conclusion
L’entrée en vigueur des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité des montants protégés par les articles 1409 et suivant du Code judicaire une fois ceux-ci portés sur un compte bancaire à dater de janvier 2007 viendra utilement compléter le dispositif actuel de lutte contre l’exclusion bancaire.
Grâce à la protection mise en place, une personne susceptible de faire l’objet de saisies ne devra désormais plus opter pour le recours aux chèques circulaires payés au comptant ou à d’autres moyens plutôt que de faire verser ses revenus sur un compte a vue.
Outre la protection des montants insaisissables qui est désormais garantie, ce nouveau système permettra également aux personnes qui par le passé s’excluaient volontairement du système bancaire de pouvoir à nouveau effectuer des virements et des paiements, d’éviter les frais d’encaissement de chèques circulaires et de jouir d’une sécurité accrue.
Une ombre au tableau subsiste néanmoins, car un type de créancier pourra encore contourner ces nouvelles règles de protection des revenus insaisissables : l’établissement de crédit auprès duquel est ouvert le compte en banque sur lequel les revenus sont versés.
En effet, ce dernier peut prévoir, en toute légalité, dans ses conditions générales que le client renonce à invoquer la protection de ses revenus insaisissables versés sur le compte à l’égard de la banque, et que ceux-ci peuvent dès lors être compensés[8] avec toute somme qu’il devrait à cette dernière (sommes dues pour un emprunt en cours,…) [9].
Les établissements bancaires faisant largement usage de ce type de clauses, la crainte de compensation entre les revenus protégés par le Code judicaire versés sur le compte et les sommes dues à l’établissement de crédit demeure justifiée et continuera à engendrer dans ce cas un phénomène d’exclusion bancaire volontaire.
Pour conclure, réjouissons-nous donc de l’entrée en vigueur (enfin !) de cette protection accrue des revenus insaisissables, car elle permet de compléter utilement le dispositif belge de lutte contre l’exclusion bancaire au sens large.
Mais espérons toutefois que le législateur posera prochainement la dernière pierre de cet édifice en imposant aux établissements de crédit de respecter les mêmes règles que n’importe quel autre créancier.
Pour cela, il suffit de prévoir que toute renonciation au bénéfice de l’article 1289 du Code civil prohibant la compensation légale pour les sommes déclarées insaisissables est réputée non écrite pour les revenus protégés, sauf lorsqu’il s’agit de compenser ceux-ci avec des sommes dues pour des services directement liés au compte à vue.
Lise Disneur, janvier 2007
[1] Par l’effet d’un mécanisme juridique appelé la novation, les sommes versées en compte deviennent de simples créances d’un titulaire de compte à l’égard de sa banque, sans protection particulière.
[2] Questionnaire réalisé dans le cadre de l’étude d’évaluation de la loi du 24 mars 2003 instaurant le service bancaire de base réalisée par le Réseau financement Alternatif à la demande de Madame Freya Van den Bossche, Ministre en charge de la Protection de la consommation. Cette étude est disponible sur le site www.rfa.be à l’adresse suivante : http://www.rfa.be/files/Evaluation%20loi%20S.B.B.%20Rapport%20final.pdf
[3] La loi du 20 juillet 2005 portant des dispositions diverses reporte l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2004 au premier janvier 2007 au plus tard.
[4] Les principaux problèmes rencontrés avaient trait au code attribué aux sommes versées par les employeurs, au délai de protection des sommes protégées qui font l'objet d'un versement global sur un compte à vue alors qu'elles se rapportent à une durée supérieure à un mois et à l’application conjointe de la règle du calcul prorata temporis contenue dans la loi et de la règle du cumul des revenus. Voir notre article à ce sujet publié sur le site www.rfa.be à l’adresse http://www.rfa.be/files/Analyse_avis_du_CNT_sur_insaisissabilite.pdf
[5] Avis n°1.531 du 9 novembre 2005 « Problèmes relatifs à l'exécution de la loi du 14 juin 2004 relative à l'insaisissabilité et à l'incessibilité des montants prévus aux articles 1409, 1409 bis et 1410 du Code judiciaire lorsque ces montants sont crédités sur un compte à vue ».
[6] Par exemple : Le 10 janvier 2007, un revenu protégé de 100 euros est crédité sur le compte à vue. Si une saisie intervient le même jour, l’entièreté de ces 100 euros est protégée et insaisissable. Si une saisie intervient le lendemain, un trentième de ce montant peut être saisi, soit 3,44 euros et donc, 96,66 euros restent protégés. Si une saisie intervient après 10 jours, le 20 janvier, 10 trentièmes du montant sont alors saisissables, soit 33,34 euros et 66,66 euros restent donc insaisissables ; Après 30 jours, le 9 février, les 100 euros sont saisissables.
[7] Les lettres A, B, C doivent toujours être écrites en majuscule. Le donneur d’ordre mentionne le code suivi d’un espace, avant toute autre communication.
[8] La compensation est le mécanisme légal par lequel deux dettes réciproques existantes entre les mêmes personnes s’éteignent à concurrence du montant le plus faible. Exemple : A doit 15 euros à B et B doit 10 euros à A, par le mécanisme de la compensation, une seule dette subsiste et A doit désormais 5 euros à B.
[9] L’article 1289 du Code civil prohibe la compensation légale pour les sommes déclarées insaisissables, mais il est actuellement possible de renoncer contractuellement au bénéfice de cette protection.