Crédit socialement responsable : document de base
Cadre légal du crédit socialement responsable
Dans le secteur du crédit à la consommation, on distingue trois catégories de dispensateurs de crédit : les banques, les institutions spécialisées (par exemple, celles créées au sein de groupes actifs dans le secteur automobile) et, enfin, les vendeurs eux-mêmes.
Les dispensateurs de crédit ont l'obligation de fournir un crédit qui soit adapté à la situation sociale de la population.
Une responsabilité sociale et publique de l'ensemble des dispensateurs de crédit à la consommation – pas seulement des banques – a été retenue à plusieurs reprises par le législateur belge à propos de la qualité du crédit à la consommation offert.
- Le prêteur et l'intermédiaire de crédit sont tenus de rechercher, dans le cadre des contrats de crédit qu'ils offrent habituellement ou pour lesquels ils interviennent habituellement, le type et le montant de crédit les mieux adaptés, compte tenu de la situation financière du consommateur au moment de la conclusion du contrat.
- Afin d'obtenir des informations sur la situation financière et la solvabilité de l'emprunteur, les prêteurs doivent consulter la Centrale des crédits aux particuliers préalablement à la conclusion d'un contrat de crédit à la consommation ou à la remise d'une offre de crédit hypothécaire. Afin de compléter les informations obtenues lors de cette consultation, la Banque nationale de Belgique est habilitée à interroger, pour compte des prêteurs, le fichier des avis de saisie, de délégation, de cession et de règlement collectif de dettes, et le Roi peut habiliter la Banque nationale de Belgique à interroger, pour compte des prêteurs, d'autres fichiers centralisant des dettes impayées à charge des consommateurs.
- Le prêteur ne peut délivrer d'offre de crédit que si, compte tenu des informations dont il dispose ou devrait disposer, [...] il doit raisonnablement estimer que ce dernier sera à même de respecter les obligations découlant du contrat.
- Sans préjudice des sanctions de droit commun, le juge peut d'office relever l'emprunteur de tout ou partie des intérêts de retard et réduire ses obligations jusqu'au prix au comptant du bien ou du service, ou au montant emprunté lorsque le prêteur ne s'est pas conformé à l'une des trois obligations qui précèdent.
- Chaque prêteur est tenu de payer une cotisation annuelle, calculée sur la base d'un coefficient appliqué sur le montant total des arriérés de paiement des contrats de crédits qu'il fait enregistrer dans la Centrale des crédits aux particuliers gérée par la Banque nationale de Belgique, en vue d'alimenter le Fonds de traitement du surendettement qui est chargé, notamment, du paiement du solde des honoraires, émoluments et frais des médiateurs de dettes.
Dans le cas particulier des banques, elles ont le monopole de la collecte de l'épargne et, dès lors, personne d'autre qu'elles ne peut réinvestir cette épargne dans l'économie nationale. Même si cette obligation n'est confortée par aucun texte légal, il paraît raisonnable de considérer que de ce monopole découle l'obligation des banques d'assurer l'accès au crédit, y compris à un échelon très bas de l'économie. Cela n'entraîne, bien sûr, pas de droit individuel au crédit, mais plutôt un droit collectif : l'économie locale doit pouvoir accéder à son épargne. Cette obligation, qui pèse sur les banques et engage leur responsabilité si elles n'y satisfont pas, déterminera le rôle de celles-ci dans la mise en place de solutions qui permettent un accès adéquat au crédit.
Droit au crédit approprié
Caractère essentiel du crédit
S'il ne peut exister, en tant que tel, de droit au crédit, il n'en reste pas moins que les ménages à revenus modestes ont des besoins essentiels de crédit que les impératifs de cohésion sociale justifient de satisfaire adéquatement.
Même s'il n'est pas en soi le meilleur moyen de lutte contre la précarité, le crédit à la consommation permet d'étaler les dépenses dans le temps et d'acquérir ainsi des biens et des services essentiels permettant l'accès à la dignité et au bien-être : garantie locative, formation et études, équipement ménager, mobilier, réparation et entretien du logement, énergie, voiture, soins de santé, téléphonie, équipement informatique, fêtes et événements (mariage, funérailles).
Le crédit professionnel permet aux chômeurs et, de manière générale, à tous ceux qui sont privés de travail, de créer leur propre emploi, sous le statut d’indépendant ou au moyen d'une société, et de générer ainsi des revenus professionnels.
L'accès au crédit est d'autant plus essentiel que le patrimoine s'avère insuffisant pour faire face aux aléas de l'existence ou pour prendre une initiative économique. Mais, par ailleurs, si le crédit n'est pas accordé à bon escient et qu'il entraîne l'emprunteur dans la spirale du surendettement, les conséquences de celui-ci seront d'autant plus dramatiques que son patrimoine et ses revenus sont faibles. Dès lors, si l'accès au crédit est essentiel, l'octroi d'un crédit qui soit approprié à la situation sociale du demandeur l'est tout autant.
Droit à la liquidité et à l'initiative économique
Le droit à la liquidité – disposer immédiatement des fonds nécessaires pour acquérir des biens et des services essentiels permettant l'accès à la dignité et au bien-être – et le droit à l'initiative économique – créer son propre emploi, sous le statut d’indépendant ou au moyen d'une société – ne sont pas des droits absolus. Ils sont à la fois justifiés et limités par l'intégration sociale que leur mise en œuvre procure à leur titulaire.
- Le champ d'application du droit à la liquidité est limité à la fois par la situation personnelle de son titulaire et par le caractère essentiel que présente, au regard de cette situation, le bien ou le service qu'il se propose d'acquérir. En d'autres termes, il ne peut exister pour un projet d'acquisition qui, par exemple, amènera son auteur vers le surendettement pour des motifs liés à sa situation personnelle ou pour des projets d'acquisition non essentiels au regard de cette situation.
- Le champ d'application du droit à l'initiative économique est limité à la fois par la situation personnelle de son titulaire et par le projet qu'il porte. En d'autres termes, il ne peut exister pour un projet d'emploi qui, par exemple, amènera son auteur vers la faillite pour des motifs liés à sa situation personnelle ou au défaut de pérennité de l'emploi qu'il vise à créer.
Ce caractère relatif des droits à l'initiative économique et à la liquidité suppose qu'ils ne puissent être reconnus qu'après un examen individualisé qui porte à la fois sur la demande et sur la situation sociale du demandeur. Cet examen nécessite des compétences pour apprécier la demande dans son ensemble, sur le plan économique et sur le plan social. Mais, dès l'instant où ces droits sont reconnus, ils justifient l'accès pour le demandeur aux moyens nécessaires à leur mise en œuvre, en particulier l'accès au financement que celle-ci suppose.
Droit à un crédit approprié
Le droit à l'initiative économique et le droit à la liquidité induisent le droit à un crédit approprié à la situation sociale personnelle du demandeur.
Ce droit peut se définir comme le droit pour chacun de voir une demande de crédit examinée en fonction de sa situation sociale spécifique et d'obtenir le crédit sollicité en fonction de l'intégration sociale que le projet dont il permet le financement procure et à des conditions appropriées à cette situation sociale.
Un tel droit est de nature à répondre aux refus de crédit injustifiés, mais aussi d'accroître la qualité des crédits en permettant des crédits mieux appropriés aux situations individuelles.
Sa mise en oeuvre nous paraît appeler des mesures publiques dans deux directions : vers le secteur financier dans son ensemble (en matière d'information, incitation et compensation liée à l'octroi d'un crédit adapté), mais aussi vers celui de la finance solidaire en particulier (développement de structures et d'outils spécifiques qui assurent l'accès à un crédit approprié).
Service universel
Assurer l'accès à un crédit approprié à la situation sociale personnelle du demandeur se distingue fondamentalement de toute forme d'assistance sociale dans la mesure où cet accès est universel. Il s'agit de la reconnaissance de droits qui procèdent de la citoyenneté et qui sont opposables en tant que tels à l'ensemble des opérateurs économiques actifs dans ce secteur.
Historique
Cette approche universelle avait été explicitement demandée en 1994 dans le Rapport général sur la Pauvreté1 : « Nous ne voulons pas de droits spéciaux pour les pauvres ; nous voulons une société où nous sommes reconnus comme citoyens à part entière ». Elle a également été exprimée par le Conseil économique et social français qui écrivait dans son rapport Évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté (1995) : « [...] plutôt que d'envisager un traitement particulier des populations pauvres, il convient de prendre en compte leur situation dans les politiques générales et de veiller à rendre cette situation compatible avec l'accès aux droits ouverts à tous ».
Le crédit adapté mérite, par nature, le qualificatif de service universel au sens de « service essentiel dont l'accès pour tous les citoyens garantit la cohésion sociale ». Cette acception de la notion de « service universel » rejoint celle utilisée par la Commission européenne pour décrire un ensemble d'exigences d'intérêt général visant à garantir l'accès de tous les citoyens à certains services essentiels, à des prix abordables2.
Fonds de compensation
Le caractère universel du crédit adapté justifie que l'ensemble du secteur du crédit soit encouragé à assumer en nature le service d'un tel crédit adapté et, à défaut de l'assumer en nature, contraint d'y contribuer par équivalent, en participant financièrement à sa mise en œuvre par un mécanisme de compensation entre dispensateurs de crédit. Le choix d'assumer un service universel d'accès au crédit adapté serait ainsi lié, non plus à une contrainte financière si les opérateurs qui auront fait ce choix disposent des garanties et moyens nécessaires à une gestion différenciée du crédit, mais à une seule contrainte de compétence liée à la capacité entrepreneuriale d'assumer une telle gestion différenciée. La reconnaissance de cette compétence particulière induit plus qu'une nuance en termes de perception de cette activité, facilement associée à l'image de « banque des pauvres », et permet de réduire le risque de stigmatisation des populations défavorisées.
Un tel principe de compensation est déjà actuellement prévu par la loi, dans le domaine du surendettement, puisque chaque prêteur est tenu de payer une cotisation annuelle en vue d'alimenter le Fonds de traitement du surendettement qui est chargé, notamment, du paiement du solde des honoraires, émoluments et frais des médiateurs de dettes. En d'autres termes, plus un prêteur octroie un crédit inadapté, plus il est tenu d'alimenter ce fonds, qui est destiné à prendre en charge une partie des frais liés au surendettement. Ce principe mérite d'être élargi à la prise en charge, par ce fonds ou par un autre fonds similaire, des garanties et moyens nécessaires au service d'un crédit adapté.
Solidarité
Ce mécanisme de compensation constitue la réponse structurelle que le service universel doit fournir à l'exclusion sociale constatée en matière de crédit. Cette réponse constitue une limite à la recherche de rentabilité des dispensateurs de crédit. À la stricte logique de ce marché, doivent être ajoutées des considérations sociales, comme c’est du reste déjà le cas avec nombre de réglementations protectrices de l'épargnant ou du consommateur. Il s'agit, dans le cas présent, d'intégrer des exigences fondamentales de solidarité.
De telles exigences ne sont d'ailleurs pas neuves dans le secteur du crédit et participent au contraire à l'essence même des produits et services que celui-ci propose et qui sont fondés sur la répartition du risque : fondamentalement, les emprunteurs d'un même dispensateur de crédit se garantissent mutuellement de leur potentielle défaillance respective en payant des intérêts qui intègrent notamment la charge résultant des crédits irrécouvrables. Le mécanisme économique est donc basé sur un principe de solidarité que des techniques comme la segmentation de la clientèle tentent de mettre à mal.
Cette nécessité d'une réponse structurelle participe à la conception européenne de l'économie et du rôle régulateur des pouvoirs publics en qualité de garant de l'intérêt général. Elle implique de la part de ceux-ci la mise en œuvre de stratégies adéquates, pour intégrer les nécessités de la cohésion sociale dans les rapports financiers.
Initiatives
Crédit social à la consommation
Le crédit social pourrait se définir comme toute procédure d'examen, d'octroi et de suivi d'une demande de crédit à la consommation qui ne dépende pas uniquement de considérations commerciales et/ou de rentabilité dans le chef du prêteur, mais également d'une évaluation de la situation sociale de l'emprunteur.
Le crédit social n'est pas une nouveauté, il plonge ses racines au XIXe siècle. Mais l'évolution du marché du crédit à la consommation constatée ces dernières années lui donne une nouvelle actualité.
En effet, l'évolution de l’offre sur le marché du crédit à la consommation est telle que pour des « petits » crédits – c'est-à-dire pour des montants de moins de 2 500 euros – la tendance est de privilégier, pour des raisons de rentabilité, l’ouverture de crédit plutôt que d'autres formes de crédits (vente à tempérament, prêt à tempérament...). Or l'ouverture de crédit est la forme de crédit la moins adaptée aux ménages à revenus modestes. D'une part, parce qu'elle est la plus coûteuse, et, d'autre part, parce qu'elle ne prévoit pas l'établissement d'un plan de remboursement préalablement fixé, ce qui limite la possibilité de vérifier la capacité de remboursement de l’emprunteur. Enfin, ces contrats sont, pour la plupart, établis à durée indéterminée, avec le risque de maintenir, pour longtemps, la clientèle dans une situation d’endettement.
Microcrédit
Le microcrédit est un prêt à la création ou au développement de très petites entreprises, destiné à des publics non éligibles au système bancaire, faute de garanties réelles ou d'apport personnel suffisant. Il est assorti d'un accompagnement renforcé des micro-entrepreneurs et s'inscrit dans une démarche économique et financière durable.
Le microcrédit s'est essentiellement développé dans les pays du tiers-monde. Mais, compte tenu de l'évolution du marché du crédit à la production observée ces dernières années dans les pays les plus industrialisés, ce système peut se révéler intéressant, voire indispensable, dans nos régions également.
En effet, l'évolution du marché du crédit à la production est telle que le monde bancaire ne dispose pas, dans l'état actuel des choses, des compétences nécessaires pour mettre en œuvre une méthode de collecte de l'information et utiliser des critères d'analyse du risque spécifiquement adaptés à la micro-entreprise.
Les opérateurs de microcrédit offrent, eux, un continuum d'activités qui peut aller de l'accueil et du conseil aux porteurs de projets jusqu'au suivi de leur entreprise en passant par la collecte de l'épargne solidaire et la phase de financement proprement dite par octroi de crédit ou prise de participation.
Community Reinvestment Act
Le Community Reinvestment Act (CRA) a été voté en 1977, à la suite des revendications des associations de quartier qui se plaignaient des pratiques bancaires de refus de prêts à des résidents défavorisés. Il s'intègre dans le contexte politique et juridique de la lutte contre les discriminations qui s'est traduit en textes de loi dans des domaines aussi divers que l'éducation ou le travail. Dans le secteur de la finance, l'objectif est d'assurer le fair lending, c'est-à-dire l'absence de toute discrimination de couleur, d'origine nationale, de religion, de sexe, de situation familiale ou d'âge dans l'accès au crédit.
Le CRA prévoit que les institutions financières réglementées ont l'obligation permanente et positive d'aider à satisfaire les besoins de crédit des communautés locales dans lesquelles elles sont établies. En application de ce principe, le CRA établit un régime réglementaire pour surveiller le niveau des crédits, des investissements et des services dans les quartiers à revenus faibles et modestes. Il charge des organes de contrôle d'examiner le comportement des banques à l’égard des populations des quartiers défavorisés. Il est tenu compte de cette évaluation dans une série de décisions. Si un organe de contrôle constate qu'un établissement de crédit ne « sert » pas ces quartiers, il peut retarder ou refuser la demande formulée par cet établissement de fusionner avec une autre banque, d'ouvrir une agence ou de développer n'importe lequel de ses autres services.
Credit Unions
Une Credit Union est une mutuelle d'épargne et de crédit organisée selon le principe du pot commun : les épargnants sont à la fois actionnaires (l'épargne constitue le capital social de la coopérative) et bénéficiaires (ils sont les seuls à pouvoir obtenir du crédit de la structure). Les deux caractéristiques essentielles sont donc :
- l'épargne préalable : la majorité des Credit Unions exigent de chacun de leurs membres une épargne préalable, et le crédit disponible pour chacun est généralement calculé en multiple (deux, trois ou quatre) de cette épargne préalable. Des possibilités de crédit pour des personnes sans épargne sont toutefois concevables ;
- un lien commun, le common bond : il peut être territorial (habitants d'une même zone géographique), professionnel (travailleurs d'un même employeur) ou associatif (personnes membres d'une organisation commune, p. ex., une paroisse).
Sur le plan juridique, les Credit Unions d'Irlande et du Royaume-Uni échappent aux dispositions contraignantes que la première directive bancaire européenne impose aux banques. Le Conseil européen, sur proposition de la Commission, a le pouvoir d'élargir cette exception à d'autres institutions de crédit.
Si le modèle des Credit Unions offre le grand avantage de lier une demande de crédit à la constitution d'une épargne préalable et, à ce titre, mérite sans doute d'être encouragé, y compris par des dispositions législatives adéquates, cette caractéristique du système en constitue également une limite puisque les ménages à revenus modestes qui n'ont pas constitué cette épargne préalable en sont en principe exclus.
Individual Development Accounts
Une initiative moins connue et plus récente est celle des Individual Development Accounts (IDA). Depuis 1996, 26 États américains ont instauré de façon permanente ce type d'instruments. D'autres ont mis sur pied des projets pilotes. Au total, ce sont environ 250 programmes qui sont actuellement en place ou en instance de développement à l'échelle des États-Unis.
Ces comptes de développement individuel visent à encourager l'épargne auprès des plus démunis au moyen du mécanisme suivant :
- limitation de l'utilisation des fonds épargnés à des dépenses d'éducation, un premier achat de logement ou la création d'une entreprise ;
- dépôt sur le compte, par des fondations et autres sources, de montants équivalents (à concurrence d'un plafond) à ceux déposés par le titulaire – le système bonifie donc les dépôts des épargnants jusqu'à 100 % ;
- pas de prise en compte de cette bonification dans l'évaluation du patrimoine du bénéficiaire dans le cadre des prestations sociales auxquelles il peut prétendre – en revanche, pour l'octroi des prestations sociales, les États retiennent comme critère d'éligibilité non seulement le niveau des revenus, mais également celui des avoirs.
1 Réalisée par la Fondation Roi Baudouin, en collaboration avec ATD Quart Monde et l'Union des Villes et des Communes Belges (section CPAS), à la demande du Ministre de l’Intégration Sociale