Aller au contenu principal

Les agences de notation sociétales

Soumis par Anonyme le

Apparues à la fin des années 1980, les agences de notation sociétale se sont imposées comme des acteurs incontournables du système économique. Elles recherchent et évaluent le profil environnemental, social et de gouvernance des entreprises. Complémentairement à l’analyse précédente sur les agences de notation financière1, nous tenterons de définir ici le rôle des agences de notation sociétale, de remonter à leurs origines, et d’analyser les produits et services qu’elles offrent ainsi que ce qui leur est reproché.

Origines et rôle des agences de notations sociétales

Une agence de notation est une organisation privée, spécialisée dans l'analyse des comptes d'une société, d'un État ou d'une opération financière2. Elle publie des notes sur la capacité de ces entités à respecter leurs engagements. Il en existe deux groupes principaux : celles, plus anciennes, s'occupant de critères financiers et celles, plus récentes, analysant les aspects extrafinanciers, soit les aspects sociaux, environnementaux, éthiques et/ou de bonne gouvernance, de ces entités.

Les premières agences de notation extrafinancière (ou sociétale) datent de la fin des années 1980 : EIRIS au Royaumi-Uni et Ethibel en Belgique. Elles sont alors animées par des convictions militantes et utilisent surtout des critères d'exclusion comme, à l'époque, la question de l'apartheid : les entreprises actives ou faisant commerce avec l'Afrique du Sud sont exclues du registre d'investissement. Les années 1990 voient arriver dans différents pays de nouveaux acteurs de notation sociétale, animés plutôt par une logique de marché. L’approche de ces nouvelles agences se base sur des critères positifs : elles sélectionnent les entreprises présentant les meilleures politiques de développement durable dans leur secteur3.

Les agences de notation extrafinancière sont dès lors mises en place pour évaluer la responsabilité sociétale des entreprises afin de conseiller des univers d'investissement adéquats pour l'investissement socialement responsable. En effet, le but de ces agences est d'aider les investisseurs à choisir les entreprises les plus responsables au regard des aspects environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG).

Comparativement au secteur des agences de notation financière, celui des agences de notation extrafinancière est moins concentré, même s’il a connu aussi de récentes fusions et acquisitions4. Ainsi, on recense un peu moins d’une trentaine d’agences de notation sociétale en 2010.

Pays Organisme Pays Organisme
Allemagne IMUG   Proxinvest
  OEKOM Research Italie ECPI
Australie Caer – lié Eiris Japon The Good Bankers
  Siris Pays-Bas Sustainalytics,(Jantzi Research Inc.-CA, Scoris-DE)
Belgique Deminor Ratings Royaume-Uni Eiris
  Forum Ethibel   Ethical Screening
Corée du Sud Eco Frontier Co   Trucost
Espagne FED   Thomas Reuter (Asset4-CH)
États-Unis Calvert   Pensions Investment Research Consultants
  Riskmetrics (Innovest, KLD) Suède GES Investment Services
  Governance Metrics International   Ethix SRI Advisors
France BMJ Ratings Suisse Inrate (Centre Info)
  Ethifinance   Covalence
  Vigeo (FR, BE, IT, MA)   SAM Research

Source : Guide des organismes d'analyse sociale et environnementale5 mise à jour et sites internet des agences en question

Ces agences de notation offrent une vaste gamme de produits et de services.

Produits et services offerts

Comme précisé précédemment, le rôle principal d'une agence de notation sociétale est d'évaluer et de noter la politique de responsabilité sociale et environnementale ainsi que de bonne gouvernance des entreprises. Pour ce faire, elle fournit trois catégories principales de produits et services : la notation déclarative (ou classique), qui est l'analyse du degré de responsabilité sociale d’une entreprise sur la base de documents publics ; la notation sollicitée, même concept mais l'analyse est plus approfondie et est menée à la demande expresse de l'entreprise concernée ; enfin, un indice boursier de responsabilité sociétale, qui regroupe, en général, les entreprises les mieux notées selon la notation déclarative.

Complémentairement à ces trois catégories de produits et services, on a également recensé l'offre suivante :

Analyse et notation déclarative Screening de portefeuilles
Analyse et notation sollicitée Services d'alerte
Indice boursier de responsabilité sociétale Certification
Base de données en ligne Services de résolution en assemblée générale
Benchmarks sectoriels Audit
Conseil et recherche en investissement Formation
Études thématiques et sectorielles Contribution à des conférences
Analyse de scénario Communication
Informations (revue de presse, etc.) Contribution à des rapports d'entreprise
Profil d'entreprises Dialogue avec l'entreprise et les parties prenantes

Source : Guide des organismes d’analyse sociétale et environnementale6

En somme, les agences de notation extrafinancière aident, par leurs notations, à mieux appréhender la politique ESG des entreprises. Néanmoins, les notations fournies par ces premières ne sont pas toujours sans failles. Récemment, elles ont connu leur première grande critique publique…

Critiques

En effet, bien que les informations données par les agences de notation sociétale soient généralement considérées comme essentielles par leurs utilisateurs, certaines parties prenantes émettent des réserves quant à la méthodologie adoptée.

Ainsi, dans son rapport L'investissement socialement responsable : l'heure du tri, l’ONG les Amis de la Terre reproche aux agences de notation extrafinancière le manque d'analyse poussée sur le terrain7 et l’utilisation exclusive de données publiques pour les notations déclaratives. Ceci amène un biais non négligeable, car seules les plus grandes compagnies peuvent se permettre de consacrer un budget plus élevé à l'élaboration de publications plus « convaincantes » sur le développement durable. De plus, l'obligation des entreprises de publier des données sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance varie selon les pays. Dès lors, une notation exclusivement menée sur les publications officielles peut difficilement être considérée comme complète.

Une autre critique qui est avancée est que, vu que les méthodologies utilisées par les agences de notation sociétales varient, elles peuvent mener à des notations divergentes, voire opposées, pour une même entreprise. Il est entendu que chaque agence de notation extrafinancière possède ses propres méthodologies, critères et indicateurs mais il peut être parfois interpellant que les résultats soient si éloignés.

Comment dépasser les critiques ?

Concernant la notation déclarative, certains pourraient souhaiter une méthodologie plus robuste qui comprendrait non seulement une synthèse des documents officiels et un questionnaire adressé à l'entreprise à coter mais également une récolte de données auprès des parties prenantes, et des visites sur le terrain pour vérifier les dires des entreprises. Compte tenu du fait que ces démarches additionnelles ont un coût en temps, en argent et en expertise, une telle solution est-elle réellement envisageable ? On sait que la notation sollicitée se rapproche de cette manière de faire, alors pourquoi pas la notation déclarative ? Reste donc à voir qui peut ou est prêt à supporter ces surcoûts.

En amont, les informations extrafinancières ne sont déjà pas homogènes. Si l’on ajoute à cela des méthodologies et des interprétations différentes, il est prévisible qu’on obtienne parfois des notations très différentes pour une même entreprise.
Bien entendu, le fait que les méthodologies soient différentes peut en fait être positif ou négatif. Si les résultats qui en découlent varient fortement, cela peut agir comme une sonnette d'alarme : il faut vérifier à nouveau les données et critères dans les deux camps. Par contre, de grandes divergences autour d’une même entreprise risquent d'entamer la crédibilité des agences de notation sociétales.
Comment faire pour réduire ces écarts ? Une première mesure pourrait être que les autorités publiques exigent une transparence sur l’information extrafinancière que les entreprises fournissent, de manière à réduire les différences au niveau de l'information brute. Une autre idée serait de créer un réseau ou une coupole qui fédérerait toutes les agences de notation sociétales pour comprendre où résident les grandes divergences de méthodologie. Ces efforts permettraient peut-être d’arriver à une sorte d'harmonisation plus proche de la réalité dans la majorité des cas.

Conclusions

Bien que le rôle des agences de notation sociétale soit essentiel dans le jeu de l'offre et de la demande du système financier, leurs notations peuvent parfois se révéler réductrices par rapport à la complexité des aspects extrafinanciers d'une entreprise ou d'un État. Cela peut être dû aux méthodologies suivies pour arriver à ces notations. Par ailleurs, ces méthodologies étant propres à chaque agence de notation, elles peuvent, dans certains cas, mener à des résultats très différents.

Toutefois, les agences de notations sociétales ont réussi le pari de transformer en notations intelligibles des concepts jusqu’alors théoriques. Les aspects environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance des entreprises ou des États sont « capturés » et notés par les agences de notation extrafinancière. Et ce travail, faut-il l’écrire, facilite grandement la tâche des investisseurs responsables.

Annika Cayrol,
novembre 2011

 

1 CAYROL, Annika, Les agences de notation financière, Réseau Financement Alternatif, novembre 2010.

2 "Agence de notation", dans « L'économie de A à Z », Alternatives économiques, hors-série poche nº 40, septembre 2009 et DEMONCHY, Anne-Sophie, « Qu’est-ce qu’une agence de notation ? », 1er juillet 2010, disponible sur internet : http://www.politique.net/2010070102-qu-est-ce-qu-une-agence-de-notation.htm

3 TRIOMPHE, Claude Emmanuel, « Les agences de notation sociétales : entre vertus et rachats par les géants de la finance », disponible sur internet : http://www.metiseurope.eu/les-agences-de-notation-soci-tales-entre-vertus-et-rachats-par-les-g-ants-de-la-finance_fr_70_art_28769.html, 19/04/2010

4 GARNIER, Lionel, le blog de l'investisseur responsable, « Les agences de notation extrafinancière en pleine concentration », 04/02/2010, disponible sur internet : http://blog.lerevenu.com/lionel.garnier/index.php/post/2010/02/04/Les-agences-de-notation-extrafinanci%C3%A8re-en-pleine-concentration

5 ORSE, ADEME, Guide des organismes d'analyse sociale et environnementale, décembre 2007, disponible sur internet : http://www.orse.org/site2/maj/phototheque/photos/docs_notion_ent/4_pages_notation.pdf

6 ORSE, Guide des organismes d’analyse sociétale et environnementale, juin 2005, disponible sur internet : http://www.orse.org/site2/maj/phototheque/photos/docs_notion_ent/guide_notation.pdf

7 LOUVEL, Yann et SOISIC, Rivoalan, L'investissement socialement responsable : l'heure du tri, Les Amis de la Terre, disponible sur internet : http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/RAPPORT_ISR.pdf, septembre 2010.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-CAYR2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
11/2010
Mois d'édition
Novembre

Affordable Credit Options for Vulnerable Consumers: Identifying Alternatives to High-cost Credit in Australia, Belgium, Canada, France, Germany, the UK, & the US

Soumis par Anonyme le
Type de support
Auteur(s)
Editeur
The Office of Consumer Affairs, Industry Canada

Mots-clés liés

Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
DE-BUCK2009-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2009
Jour d'édition
2
Date d'édition
02/11/2009
Mois d'édition
Novembre

Evaluation of the DWP Growth Fund

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
PFRC et Ecorys
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-COLL2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
12/2010
Mois d'édition
Décembre

Investissement socialement responsable : l'heure du tri

Soumis par Anonyme le
Type de support
Editeur
Les Amis de la Terre
Lieux
Sommaire

I. Cadre de l'étude II. Evaluation de la composition des fonds ISR : une irresponsabilité accablante III. Evaluation des processus de sélection : des défaillances chroniques et rédhibitoires IV. Recommandations minimales aux parties prenantes et aux acteurs de l'ISR

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
AR-LOUV2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
09/2010
Mois d'édition
Septembre

Personal microcredit impact study

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
Fédération Nationale des Caisses d'épargne
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
FD-FARD-6/17
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
2010

Le microcrédit pour la petite entreprise et sa création : combler une lacune du marché

Soumis par Anonyme le
Type de support
Editeur
Commission européenne
Lieux
Sommaire

INTRODUCTION 1.1. OBJET DU RAPPORT 1.1.1. Les microentreprises dans l'Union européenne et les pays candidats 1.1.2. Le financement par recours au crédit dans l'Union européenne 1.2. LA STRUCTURE DU RAPPORT 2. CONTEXTE ET ACTEURS 2.1. UNE LACUNE DU MARCHE 2.2. CHAMP D'APPLICATION ET DEFINITION 2.3. INCITATIONS EUROPEENNES 2.4. PROGRAMMES DE MICROCREDIT NATIONAUX 2.4.1. Systèmes nationaux 2.4.2. Systèmes nationaux et régionaux de garantie 2.5. ÉTABLISSEMENTS DE MICROCREDIT TRADITIONNELS ET NOUVEAUX 2.5.1. Caisses d'épargne et banques coopératives dans l'Union européenne 2.5.2. Initiatives récentes dans les pays candidats 2.5.3. Microcrédit des ONG 3. SERVICES DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES 3.1. IMPACT SUR LES CHANCES DE SURVIE 3.2. INTEGRATION DE L'OPERATION DE PRET ET DU SERVICE DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES AU SEIN D'UN MEME ORGANISME (GUICHET UNIQUE) 4. CONCEPTION DES PRODUITS DE MICROCREDIT 4.1. ACCES AU FINANCEMENT 4.2. PRODUIT ASSORTI D'UN TAUX D'INTERET INFERIEUR A CELUI DU MARCHE 4.3. PRODUIT ASSORTI D'UN TAUX SUPERIEUR A CELUI DU MARCHE 4.4. DEMARCHE PROGRESSIVE 5. DEVELOPPEMENTS RECENTS DANS L'OFFRE DE MICROCREDIT 5.1. LES LEÇONS QUI ONT ETE TIREES 5.2. LA VOIE DE LA RENTABILITE 5.3. POLITIQUE EN MATIERE DE COMMISSIONS 5.4. CONSTITUTION DE RESEAUX 6. ÉVALUATION DES RISQUES, COTATION ET DECISION D'OCTROI DES PRETS 6.1. ÉVALUATION DES RISQUES 6.2. DECISION D'OCTROI DE MICROCREDIT 6.3. LEÇONS TIREES EN MATIERE DE GESTION DES RISQUES ET DES DEFAILLANCES 7. IMPACT SUR LES PME 7.1. TAILLE DES PROGRAMMES, NOMBRE ANNUEL DES PETITESENTREPRISES FINANCEES PAR UN MICROCREDIT 7.2. TAUX DE SURVIE 7.3. CREATION D'EMPLOIS SUPPLEMENTAIRES 8. ÉVALUATION DES PERFORMANCES 8.1. PARTENARIAT PUBLIC-PRIVE 8.2. PLUS GRAND EFFET DE LEVIER 8.3. INDICATEURS DE PERFORMANCES 9. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS 9.1. CONCLUSIONS 9.2. RECOMMANDATIONS 9.2.1. Renforcement des partenariats européens et nationaux dans le domaine de la microfinance 9.2.2. Environnement favorable et soutien publique 9.2.3. Évaluation des performances des établissements de microcrédit et de la qualité de la gestion

Mots-clés liés

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
PI-COMM2003-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2003
Date d'édition
11/2003
Mois d'édition
Novembre

Centrale des crédits aux particuliers 2010 : plus de défauts, plus de surendettés, quelle surprise !

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Sommaire

Chaque année, la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) publie certaines des données statistiques dont elle dispose. Cette année est marquée par les conséquences de la crise financière sur le plan des défaillances, en hausse, et par un accroissement du nombre de crédits par emprunteurs. Comme en 2009, les prêteurs prêtent-ils toujours plus aux emprunteurs? Est-ce bien une approche du crédit responsable?

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
DE-JERU2011-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2011
Jour d'édition
20
Date d'édition
20/01/2011
Mois d'édition
Janvier

Forclosure Gate

Soumis par Anonyme le
Type de support
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
DE-CHEV2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Jour d'édition
18
Date d'édition
18/10/2010
Mois d'édition
Octobre

Banques et concurrence : « comment ça marche pas »

Soumis par Anonyme le

Les tenants de la pensée néoclassique, libérale, placent le libre marché comme l'unique approche possible pour qu'offre et demande se rencontrent et fixent un prix juste pour la clientèle solvable. Alors que l'on s'intéresse depuis plusieurs années à la question de l'inclusion bancaire, comment se fait-il que la concurrence ne permette pas que tout un chacun accède aux services dont il a besoin ?

Introduction

Certains mythes ont la peau dure... Il n'est pas rare d'entendre des décideurs politiques, de simples citoyens, des entrepreneurs ou des chercheurs s'étonner de l'inefficacité du marché et de la concurrence lorsqu’il s’agit de faire se rencontrer adéquatement l'offre et la demande.

Comment se fait-il qu'il faille intervenir ? Que certains publics soient délaissés ? Que la régulation mène parfois à un marché plus fluide ?

Afin d'ouvrir un peu plus grand les yeux sur ce qui garantit en théorie un bon fonctionnement du marché et de mesurer la distance qui sépare la théorie... du marché bancaire réel, voici une présentation synthétique des fondements du marché concurrentiel... Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur « la loi du marché » appliquée au secteur de la banque et du crédit.

Les conditions d'un marché parfait... et à quoi elles sont censées servir

Pour que le marché puisse avoir les vertus qu'on lui prête – c'est-à-dire qu'il permette une affectation efficace des ressources et, surtout, la fixation d'un prix qui soit le plus bas possible tout en permettant la rentabilité –, une série de conditions doivent être réunies.

- L’atomicité des acteurs : le nombre d’acheteurs et de vendeurs sont tous de taille relative infinitésimale. Ils sont suffisamment nombreux pour que, leurs ventes ou leurs achats individuels ne puissent pas provoquer de changement perceptible sur l'offre ou la demande globale. En d'autres termes, cela signifie qu'aucun acteur n'a le pouvoir, à lui seul, d'influencer le prix du marché dans un sens ou dans l'autre.
Or, dans son vade-mecum du secteur bancaire(1), l'Association belge des banques nous apprend que, fin 2005, la Belgique comptait 104 banques. Parmi ces dernières, quatre représentaient 84,3 % du total de bilan de l'ensemble (soit 946,7 milliards d’euros sur les 1123,4 milliards d'euros du total).
Inutile d'insister sur le fait que cette première condition n'est dès lors pas du tout garantie en ce qui concerne l'offre. Quatre des opérateurs sont de taille totalement disproportionnée par rapport aux autres, et dominent très largement le marché et les tendances qu'on y observe.

- L’homogénéité des produits :pour chacun des marchés considérés, les biens échangés doivent être identiques en qualité et en caractéristiques – consommer l'un ou l'autre bien ou service est donc indifférent pour le consommateur. En revanche, dès que les qualités du produit changent suffisamment pour introduire un changement dans le choix des consommateurs, il est nécessaire de considérer qu'il s'agit d'un autre marché.
Le caractère « interchangeable » du produit ou du service est nécessaire pour que la moindre modification du prix offert entraîne un changement dans le choix du consommateur, qui donne toujours la priorité à la meilleure offre du marché. Sans cette caractéristique, la rationalité du consommateur n'est pas censée pouvoir s'exprimer à plein.

  • Compte bancaire : compte à vue et compte d'épargne

Ces produits, assez simples en apparence, sont toutefois, à l’intérieur de leur catégorie, déjà suffisamment différenciés pour qu’une comparaison objective des produits proposés – prestations offertes au regard des coûts – soit loin d'être évidente pour le consommateur.
Pour les comptes à vue, les coûts peuvent inclure des prestations limitées ou illimitées en fonction des supports utilisés (guichet classique, guichet électronique, phone ou internet banking…), mais aussi en fonction de l’usage que l’on en fait.

Avec les comptes d'épargne, dont le point principal de comparaison se concentre plus directement sur la rémunération des montants placés, la tâche est à peine plus simple. Les comparaisons sont compliquées par un mécanisme, proposé par nos banquiers, qui distingue un taux, qualifié « de base », et une prime « d'accroissement » ou « de fidélité », laquelle, dans certains cas, et après un laps de temps variable, vient s’ajouter à la rémunération garantie au taux de base. Ceci rend de facto beaucoup plus complexe le travail de comparaison... puisqu'il dépend de l'horizon temporel envisagé, et que ce dernier est, pour nombre d'épargnants, une inconnue.

  • Crédit :

En matière de crédit, les choses se passent autrement, puisqu'il en existe de différents types, avec des fonctions différentes, et dont l'accès prend également en compte des paramètres propres aux consommateurs. Ces derniers n'obtenant du reste pas forcément le crédit qu'ils auraient souhaité.

Certains produits (carte de crédit, ouverture de crédit/crédit revolving) sont relativement standardisés et il est aisé d’en connaître les conditions dès que l’on souhaite « faire son marché », à tout le moins en théorie. Encore faut-il qu'une fois identifié le crédit le plus intéressant, le prêteur vous l'accorde ! Mais force est de constater que ces crédits, lorsqu'ils sont vendus par des intermédiaires, sont rarement refusés.

Pour les prêts personnels (prêts à tempérament), l'approche la plus pragmatique est de solliciter des simulations auprès d'un panel de prêteurs pour pouvoir choisir le crédit le plus favorable. Une telle démarche prend cependant du temps et nécessite un minimum de connaissances pour pouvoir discerner les meilleures conditions.

En ce qui concerne les prêts hypothécaires, les critères de choix (taux, durée, niveau de garantie, assurance…) sont assez nombreux et rendent par conséquent une comparaison stricte difficile, voire impossible, et ce, malgré la mise en place du TAEG, le taux annuel effectif global, qui inclut en théorie tous les coûts liés au crédit (taux d'intérêt, frais de dossier, assurance quand elle est obligatoirement prise chez le prêteur...).
En effet, il reste, dans de nombreux cas, difficile de savoir si le TAEG comprend ou non les assurances, car sans que ces dernières soient présentées comme obligatoires, il est parfois clairement conseillé de les souscrire chez le prêteur afin d'obtenir de meilleures conditions de crédit... Dans ce cas, le plus souvent, le TAEG comprenant l'assurance « non obligatoire » n'est donc pas calculé, ce qui, CQFD, rend le TAEG nettement moins efficace comme outil de comparaison.

La transparence de l'information : l’information parfaite de tous les participants (acheteurs et vendeurs) sur tous les autres acteurs et sur le bien échangé suppose une information gratuite et immédiate.
La transparenced e l'information est une condition en miroir, complémentaire à la rationalité économique des acteurs. Ces derniers doivent pouvoir recevoir la même information (pas de délit d'initié – qui en est le parfait contre-exemple) pour que cette rationalité opère dans le sens d'un ajustement vers un équilibre efficace.

On a compris, plus haut, en abordant la question de l’homogénéité théorique des produits, que le secteur de la banque et du crédit pousse le plus possible la différenciation de ses produits et services, ce qui rend d'autant plus laborieuse la recherche de l'information indispensable à un choix économiquement rationnel. La recherche de l'information n'est pas gratuite, car, à tout le moins, la collecte auprès des vendeurs et l'analyse des informations reçues demandent du temps. Inutile de revenir sur le niveau de compétence requis pour comprendre les informations ainsi collectées et en dégager le choix le plus avantageux... On est donc loin de la prémisse d'origine.

Ce qui s'en rapprocherait le plus serait la mise en ligne d'un « comparateur » qui intégrerait l'information relative aux crédits proposés sur le marché et à leurs conditions et qui permettrait d'identifier, selon le profil de consommateur encodé, d'identifier les produits les plus avantageux.

À cheval tant sur l'homogénéité des produits que sur la transparence de l'information viennent se greffer des pratiques de commerce qui rendent toujours plus difficile un choix objectivé. Parmi celles qui se développent en ce moment, pointons en particulier l'offre conjointe de produits et services. En donnant droit à des avantages ou conditions plus favorables, mais dans le cadre d’une offre globale, elle complique d'autant la comparaison au moment du choix.

La libre entrée sur le marché et la libre sortie du marché, tant du côté des acteurs de l'offre que du côté des acteurs de la demande.

Côté offre

La libre entrée sur le marché n’est pas applicable aux organismes bancaires. Il existe des conditions à la création d'une banque. Celles-ci sont relativement exigeantes et contrôlées par la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). La situation est beaucoup plus souple en matière d'octroi de crédit : les prêteurs et les intermédiaires de crédit doivent certes réunir des conditions pour être autorisés à démarrer leur activité, mais ces conditions sont bien moins sévères que celles qui sont imposées au secteur bancaire et leur contrôle est assuré par le SPF Économie.

Côté demande

Changer de banque, pour un consommateur, peut demander pas mal de démarches, qui sont autant de freins à mettre une telle décision en oeuvre : ouverture d'un autre compte, résiliation puis renouvellement des ordres permanents et domiciliations, information des tiers du changement de compte...
En matière de crédit, changer de contrat implique la clôture du contrat en cours, qui est rendue possible par un remboursement anticipé, lequel entraîne le paiement d'une indemnité. La loi encadre le montant maximal de l'indemnité à verser au prêteur dans ce cas(2) afin de limiter le frein que cette dernière génère en termes de mobilité du consommateur.

Lorsqu'un emprunt hypothécaire est en cours, la possibilité de changer de prêteur est rendue plus difficile encore. D'une part, parce qu'il est souvent contractuellement obligatoire de maintenir le versement du revenu sur le compte en banque que le consommateur avait ouvert chez son prêteur. D’autre part, et il s’agit là du frein qui demeure le plus important à ce jour, parce que l'inscription hypothécaire n'est pas attachée au contrat de crédit, mais au prêteur. Changer de prêteur pour profiter de meilleures conditions implique donc une nouvelle inscription hypothécaire, et c'est une opération coûteuse. Dès lors, le consommateur doit y réfléchir à deux fois et ne fera le pas que lorsque le différentiel d'intérêt sera suffisamment important pour compenser les frais générés par le changement.

La libre circulation des facteurs de production (le capital et le travail) : la main-d’œuvre et les capitaux se dirigent spontanément vers les marchés où la demande est supérieure à l’offre, car dans ce cas, la rareté provoque une hausse de son prix et donc... de sa valeur d'échange.

Ce qui se cache derrière cette condition est assez abstrait : l'idée est que l'économie se compose de l'ensemble des marchés. Ces derniers se composent de clients, qui constituent la demande, et de fournisseurs, qui représentent l'offre. Tant que l'offre est supérieure à la demande, un prix relativement élevé est fixé qui rend l'activité plus rentable que d'autres. Cela doit avoir comme conséquence un attrait pour que de nouveaux fournisseurs se lancent sur ce marché... ce mouvement se poursuivra jusqu'à ce que, au prix atteint sur le marché, tout nouveau fournisseur ne puisse plus vendre sans porter atteinte à sa rentabilité (car l'offre devenant plus importante que la demande, les prix vont diminuer en deçà du seuil de rentabilité).

L'économie doit donc permettre une libre circulation des capitaux et des travailleurs pour permettre à chacun d’être actif dans les secteurs où les rentabilités sont les plus élevées. Chacun cherchant son profit maximum, la fluidité des capitaux et du travail implique que chacun arbitre en permanence pour se diriger vers les marchés les plus rentables. Ce mouvement entraîne une réduction progressive de la marge bénéficiaire (l'offre augmentant en volume, le point d'équilibre avec la demande pousse le prix à la baisse). Une fois que le prix atteint sur le marché ne permet plus de dégager de marge, on considère que l'équilibre est atteint. Les capitaux iront donc chercher d'autres opportunités... sur d'autres marchés.

Ceci est bien entendu une pure vue de l'esprit... L'information n'étant pas parfaite, nul ne connait réellement les marges bénéficiaires de l'ensemble des marchés et nul n’est donc en mesure de savoir avec certitude où placer ses capitaux pour en obtenir la meilleure rentabilité. Si les Bourses nationales offrent des espaces d'échange de l'information, on sait depuis longtemps que la valeur d'échange en Bourse ne se base pas uniquement sur les potentiels de marges bénéficiaires restant à dégager. On a malheureusement dû observer que la spéculation biaise cette valeur d'échange et entraîne des mouvements de capitaux déconnectés de cette réalité productive. L'affectation des capitaux ne se comporte dès lors pas comme dans la théorie. À cela s'ajoute le fait qu'un volume important de capitaux ne transite pas par la Bourse et que les arbitrages relatifs aux entreprises non cotées reposent sur des niveaux d'information encore plus limités que lorsqu'ils sont faits en Bourse.

La fluidité du travail est tout aussi théorique : le marché parfait ne tient pas compte des compétences et des préférences professionnelles individuelles qui limitent d'autant la mobilité professionnelle inter-sectorielle. Selon le modèle, les gens ne chercheraient qu'à gagner au plus selon leur niveau de compétences, en faisant fi de toute dimension qualitative ou affective. Les principes de spécialisation, de carrière, d'inertie dans un domaine sont donc perçus comme autant d'obstacles au bon fonctionnement du marché.

Tous les acteurs sont rationnels économiquement : ils cherchent la satisfaction maximale de leur consommation (ou de leur investissement) pour un coût (ou un risque) minimum.
C'est tout le génie du modèle, sa pierre angulaire. En effet, la main invisible, c'est précisément cette force égoïste qui pousse tous les acteurs à chercher leur enrichissement économique maximum... et qui, par miracle et pour le bonheur de tous, fait que les marchés s'équilibrent, que les positions dominantes sont amenées à disparaître au profit d’une répartition harmonieuse des ressources.
La concurrence parfaite était donc un mythe

Si l'on se rapporte à la première définition disponible, à savoir celle que l'on trouve en ligne sur Wikipédia, le mythe se définit ainsi :
« Un mythe est un récit qui se veut explicatif et fondateur d'une pratique sociale. Il est porté à l'origine par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui véhicule ces mythes :

  • la création du monde ;
  • les phénomènes naturels ;
  • le statut de l'être humain, et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature, avec les autres individus (d'un autre sexe, d'un autre groupe), etc. ;
  • la genèse d'une société humaine et ses relations avec les autres sociétés.

Le terme mythe est souvent employé pour désigner une croyance manifestement erronée au premier abord, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique et partagée par un nombre significatif de personnes. »

Ainsi en est-il du marché parfait, censé nous assurer l'efficacité économique et réconcilier les égoïsmes individuels en un bien commun : il n'est pas de ce monde. Son pouvoir d'attraction tient sans doute dans cette résolution quelque peu contradictoire et magique : nos égoïsmes servent le bien commun... Oui, ça marche, en effet… dans les conditions du mythe.

Dans le monde réel, force est de constater qu'il est nécessaire de compenser la distance qui sépare la réalité du mythe par divers dispositifs, dont la régulation n'est pas la moindre. Et faut-il éprouver de la nostalgie à abandonner un mythe qui conçoit l'altruisme, la gratuité économique comme source de perturbation des lois économiques naturelles ?

Conclusions

Le secteur bancaire et le secteur du crédit sont très loin, tant au niveau des acteurs de l'offre que ceux de la demande, de ce qui permettrait au marché de fonctionner de manière fluide, harmonieuse, sans besoin d'intervention extérieure.

On peut également constater, et de manière d'autant plus marquée depuis la crise financière de 2008, que ce sont les marchés les moins régulés (marchés anglo-saxons) et les secteurs les moins contrôlés (subprime) qui ont été les plus touchés par la crise. Les vertus qui naîtraient des égoïsmes individuels cumulés ne doivent plus être attendues, la responsabilité d'un marché harmonieux revient, non plus à la main invisible, mais à la société tout entière, qui doit, par ses structures politiques, déterminer les limites dans lesquelles il est acceptable de poser des actes économiques.

Olivier Jérusalmy
décembre 2010

 

1 Vade-mecum statistique du secteur bancaire 2005 », ASPECTS ET DOCUMENTS 227, page 30 http://www.febelfin.be/export/sites/default/febelfin/pdf/fr/publications...

2 SPF Economie, PME, Classes moyennes et énergie,« LOI DU 12 JUIN 1991 RELATIVE AU CRÉDIT À LA CONSOMMATION »; texte administratif coordonné jusqu'au 1décembre 2010, p. 38 - http://statbel.fgov.be/fr/binaries/Loi_Wet_13_jun_2010_quater_coord_tcm3...

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-JERU2010-7
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
12/2010
Mois d'édition
Décembre

Booster les agences immobilières sociales : un rôle pour des outils financiers ?

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Sommaire

Les agences immobilières sociales (AIS) jouent un rôle grandissant dans la mise à disposition locative de logements à des conditions sociales sur le marché immobilier. Dispositif séduisant, complémentaire du logement social public, il connait, à Bruxelles, une réelle croissance depuis quelques années. Compte tenu de la pénurie en logements sociaux que connait la Région de Bruxelles-Capitale, n'y a-t-il pas lieu d'imaginer des outils financiers supplémentaires qui permettraient de passer à la vitesse supérieure ?

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-JERU2010-6
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
11/2010
Mois d'édition
Novembre
 

REJOIGNEZ NOTRE MOUVEMENT 

Comme nous, voys croyez qu'une autre finance est possible ? Joignez votre voix aux 4000 membres de notre mouvement (coopératives,asbl,citoyen·ne·s engagé·e·s) et soutenons la finance de demain.