Vous avez dit « absurde » ?
Spéculer sur la mort d'autrui
Quoi de plus certain que la mort ? En termes d'investissement, si vous pariez en plus sur le décès d'une personne âgée et malade, le jackpot est proche. C'est selon cette logique, très pragmatique, que des fonds d'investissement américains et suisses vous proposent de racheter l'assurance vie d'un Américain d'un certain âge et de spéculer sur son décès plus ou moins proche. Un placement sûr et qui rapporte apparemment, puisqu'un rendement à deux chiffres est garanti depuis ces trois dernières années si vous souscrivez chez Spiritus Life, l'une des entreprises bâties sur ce business morbide. On pourrait se demander pourquoi des personnes âgées acceptent de vendre leur assurance vie : la plupart du temps afin de pouvoir payer leurs soins de santé, extrêmement chers aux États-Unis. Afin de recruter un maximum de candidats, les entreprises actives dans le secteur n'hésitent d'ailleurs pas à pousser le cynisme au plus loin avec des slogans tels que Une assurance vie, on en profite quand on est mort, pourquoi attendre ? Autre exemple de commerce mortel, un fonds (fermé définitivement à la fin 2011) commercialisé par la Deutsche Bank et visant de petits porteurs allemands. Avec le fonds Kompass Life 3, les investisseurs bénéficiaient d'un retour sur investissement si les candidats du panel mouraient avant une date donnée. À l'inverse, si les candidats « tardaient » à décéder, c'est la Deutsche Bank qui encaissait... Mortel ! Depuis, la Deutsche Bank – qui avait voulu promouvoir le fonds auprès du grand public et a été plutôt mal reçue – a décidé de rembourser les 200 000 millions d'euros investis par les 10 000 souscripteurs. Triste constat cependant : plus que d'un problème d'éthique, les petits porteurs se plaignaient d'un rendement trop faible.
Parier sur la faillite d’un pays
Et si on croisait les doigts pour que la France ou le Portugal ne passent pas l'année avant de plonger dans le rouge ? C'était possible (jusqu'à il y a peu) via l'achat de CDS à nu, un produit dérivé, plus précisément un dérivé de dérivé de crédit1, vicieux au possible. Pour la petite histoire, les CDS « classiques » (Credit Default Swap) sont des contrats que l'on passe en finance pour se couvrir contre un risque de défaut de paiement d'une entreprise ou d'un pays. Supposons qu'un investisseur possède des obligations d'une entreprise dans son portefeuille. Si cette société fait faillite, il y a de grandes chances que ces obligations ne soient pas remboursées. Pour se protéger contre ce risque, l'investisseur peut s'assurer en achetant un CDS : il sera alors dédommagé en cas de problème. En échange, l'investisseur paye une prime2 de façon périodique. Le problème ? Les CDS à nu, dérivé des CDS, sont des produits qui servent uniquement à spéculer. Ils peuvent en effet être souscrits sans avoir aucun actif à protéger ! En d'autres mots, la personne qui achète un CDS à nu d'une entreprise ou d'un État a plutôt intérêt à ce que ce dernier fasse faillite ! Dans le cas de la dette grecque, par exemple, certains acteurs privés ont acheté des CDS sans avoir au préalable acheté des obligations de l’État grec. Le but n'était donc pas de se couvrir contre un risque de non-remboursement, mais de spéculer sur le fait que le gouvernement grec ne rembourserait pas ses obligations. En octobre 2011, l'Union européenne a interdit les CDS souverains à nu. Il est en revanche toujours possible à l'heure actuelle d'acheter des CDS à nu d'entreprises...
Jouer avec la nourriture de ceux qui ont faim
Depuis quelques années, une nouvelle classe de spéculateurs est apparue sur les devants de la Bourse, les brokers agricoles. Le marché des céréales apparaît, en effet, comme une bonne manière de diversifier son portefeuille, soit de diminuer le risque de vos investissements. Sauf qu'ici on parle de nourriture, et même de la base du régime alimentaire d'une grosse partie de la planète. Jusqu'au début des années 2000, les valeurs agricoles étaient bien introduites sur les marchés, mais uniquement échangées entre acteurs directement connectés à la culture de la denrée en question. Il s'agissait, pour résumer, de se garantir à l'avance du prix d'une future récolte. L'agriculture est en effet un métier très instable, dépendant de bon nombre de variables difficilement prévisibles – les prix des céréales et autres matières premières n’étant pas stables par nature. Grâce à ce « contrôle boursier » via des contrats à terme, les prix ne subissaient plus de variations extrêmes. Mieux encore, la faim dans le monde diminuait progressivement. Ça, c'était jusqu'à ce que le blé, le soja, le cacao ou encore le café soient perçus comme des valeurs financières attractives (et traitées comme telles !) jusqu'à en oublier à quoi sert dans la « vraie vie » un sac de blé. Résultat : les matières premières agricoles sont échangées à de multiples reprises sur les marchés financiers (de façon abstraite) avant leur livraison réelle, ce qui accroît fortement la volatilité des prix. À tel point que les sommes portant sur ces transactions dépassent de loin les stocks réels de la planète !
Vendre avant d'acheter
Rationnel les marchés financiers ? Alors, expliquez-nous comment il est possible de vendre des titres financiers avant même de les détenir en portefeuille ? Via la vente à découvert, c'est en tout cas devenu une pratique courante sur les marchés financiers. Cet étrange mécanisme consiste à vendre des titres financiers que l'on ne possède pas au moment de la transaction, mais que l'on s'engage à détenir au moment de la livraison. Cette vente peut être alors vue comme un emprunt : l'acheteur emprunte un titre auprès de son courtier pour une durée limitée, il va ensuite le vendre sur les marchés en espérant que le cours baisse et qu'il puisse le racheter moins cher avant de « le rendre » à son courtier. Mais la vente à découvert peut aussi se pratiquer « à nu ». Dans ce cas de figure, l'acheteur se contente de vendre avec une limite dans le temps des titres qu'il ne possède pas encore. Il parie alors sur la baisse du cours du titre en question pour pouvoir l'acheter à un prix plus bas que celui auquel il a promis de vendre. Vous aussi vous vous y perdez ? C’est qu’au-delà du caractère surréaliste d'une telle pratique, c'est l'immoralité de la vente à découvert qui doit être mise en exergue. Prenons le titre d'une entreprise en difficulté : son action baisse, donc, en toute logique, pratiquer une vente à découvert à nu sur ce titre d'entreprise revient à précipiter la chute de cette action, de l'entreprise en question et de ses travailleurs.
Faire confiance à des traders fous
C'est une étude à relativiser : tous les traders ne sont pas fous, bien entendu. Mais le rapport rendu par l'université suisse de Saint-Gall3 a le mérite de mettre en avant l'extrême concurrence et les pratiques perverses qui en découlent au sein du monde financier. Les chercheurs ont en effet soumis 28 investisseurs professionnels à des tests destinés à évaluer leur aptitude à coopérer, leur degré d'individualisme, leur soif de pouvoir, leur immunité au stress… La même étude a été conduite auprès de 24 psychopathes incarcérés dans le milieu hospitalier en Allemagne. Résultat : les traders se sont avérés être plus égocentriques et prêts à prendre plus de risques que les psychopathes. À noter que le moteur principal des traders interrogés n'était pas de dégager des gains, mais de l'emporter sur leurs concurrents. Un tel contexte de compétition leur fait en effet abandonner toute approche stratégique de l'investissement pour gagner la partie contre les adversaires en jeu
1 Le sous-jacent d'un CDS est un crédit accordé à l’émetteur de dette.
2 Similaire à la prime d'assurance.
À moins de vivre sur une autre planète, impossible de ne pas remarquer que quelque chose ne tourne pas rond au pays de la finance mondiale. Allez, on en remet une couche avec quelques produits et pratiques financières consternantes.