Séparer ? Pas si compliqué !
On risque fortement de mettre à mal la croissance économique.
Bernard Bayot, Réseau Financement Alternatif
"C'est exactement l'inverse ! La dérégulation du secteur financier, notamment la suppression de la séparation des banques dans les années 90, a causé la crise financière que nous avons connue en 2008. Pour assurer la continuité des services financiers essentiels pour les citoyens et les entreprises, les États européens ont alors été contraints d'injecter des fonds publics dans les banques et de leur accorder des garanties pour un montant sans précédent : entre octobre 2008 et octobre 2011, la Commission européenne a débloqué environ 4500 milliards d'euros d'aides d'État en faveur des établissements financiers, ce qui équivaut à 37 % du PIB de l'Union européenne ! Si ces mesures publiques ont permis d'éviter des faillites bancaires et une désorganisation économique à grande échelle, elles ont aussi pesé sur le contribuable et grevé lourdement les finances publiques. Et ce, sans régler la question de savoir comment gérer les grandes banques transfrontalières en difficulté. C'est la question que nous devons résoudre à présent. Pour y parvenir, il faut que les activités qui sont vitales pour la société, essentiellement la collecte de dépôts et la fourniture de services financiers aux secteurs non financiers de l'économie, soient plus sûres et moins liées aux activités de négociation à haut risque de ces groupes bancaires. Ce sont les banques universelles, mélangeant les métiers, qui ont mis à mal l'économie. La séparation des banques va au contraire sécuriser le système financier et supprimer le risque pour les pouvoirs publics – et donc pour le contribuable – de devoir intervenir à nouveau pour garantir les dépôts qui sont faits à ces banques et qui sont mis en péril par l'activité spéculative. En outre, avec cette séparation, la garantie des dépôts sera réservée aux clients des seules banques de dépôt, qui financent l’économie réelle. Celles-ci ne subiront plus la concurrence déloyale des banques universelles qui peuvent aujourd'hui faire à peu près n'importe quoi puisqu'elles savent que, de toute façon, elles seront sauvées."
La rentabilité des banques de dépôt comme celle des banques d’affaires sera mise à mal.
Aline Fares, Finance Watch
"Rappelons tout d’abord que le coût d’une séparation des banques sera pris en charge par les banques. Ces coûts doivent par ailleurs être comparés aux nombreux bénéfices engendrés pour l’économie et la société dans son ensemble, à commencer par un recours aux finances publiques limité aux fonctions bancaires vitales en cas de faillite. La question de la rentabilité des activités, une fois séparées, est infondée. Tout d’abord, le coût de financement de la banque de dépôt devrait baisser – c’est une question de bon sens : le risque moyen de la banque diminuera du fait de la sortie des activités de marché. Et qui dit « moindre risque » dit « moindre coût de financement ». Ensuite, le coût de financement de la banque d’affaires pourrait augmenter, et c’est bien normal : la banque d’affaires ne bénéficiera plus du soutien implicite de l’État et devra financer ses activités au juste prix – celui qui correspond effectivement à sa prise de risque. Il sera donc de la responsabilité des dirigeants des banques de réduire les risques qu’ils prennent pour rétablir la rentabilité de la banque d’investissement – ce qui sera salutaire pour la stabilité du système financier et l’économie en général ! Enfin, la rentabilité visée par les banques avant la crise était, on l’a vu, insoutenable (bénéfices représentant 15 % de la valeur des actifs (ROE1) !), et il a entre-temps été démontré que la performance des grandes banques dites universelles est, sur la durée, moins bonne que celle des autres banques. La rentabilité des banques universelles est, en effet, beaucoup plus instable, passant de gains très élevés (tels que ceux enregistrés avant la crise) à des pertes colossales (telles que celles enregistrées depuis la crise). Une séparation des activités permettra donc de revenir à des objectifs de rentabilité plus soutenables – sans compter les nombreux bénéfices qui seront recueillis pour la stabilité du système financier et la société dans son ensemble."
La scission des grosses banques est trop compliquée, elle limitera l’accès au crédit. Elle impliquera inévitablement des pertes d'emploi dans le secteur.
Michel Cermak, Roosevelt.be
"Avant de répondre sur le fond, regardons qui parle : ce sont des banquiers qui défendent le maintien du système actuel. Un système qui permet aux banques de prendre de gros risques sur les marchés financiers, d’empocher les gains et de reporter les pertes sur les contribuables. On comprend aisément, dès lors, que les banquiers trouvent toutes sortes d’arguments pour défendre le statu quo. Mais ils sont seuls à tenir cette position. Ensuite, il faut savoir que ces arguments ont déjà été utilisés par des banquiers en 1933, pour tenter d’empêcher la scission des banques annoncée par le président américain Roosevelt, entre autres remèdes à la crise de 1929. Mais, heureusement, Roosevelt ne les a pas écoutés et les banques ont été scindées aux États-Unis et ailleurs, notamment en Belgique. Les prédictions catastrophiques ne se sont pas réalisées et les citoyens ont été protégés, sans crise bancaire majeure jusque dans les années 90, où ces lois ont été démantelées. Concernant l’accès au crédit, on peut parfaitement imaginer que des banques de dépôt qui ne pourront plus spéculer n’auront d’autre choix que de transformer l’épargne en prêts à l’économie réelle, ce qui représente des centaines de milliards d’euros en Belgique. On pourrait assister alors, contrairement à ce qu’annoncent ces banquiers, à un accroissement du crédit aux particuliers et aux PME notamment. Et si c’était si compliqué sur le plan opérationnel, pourquoi de nombreux ex-PDG de banques comme Barclays, Citygroup ou Morgan Stanley auraient-ils affirmé que la scission était possible et nécessaire ? En ce qui concerne l’emploi, la scission de chaque banque en deux entités supprimera certaines économies d’échelle, certains services centralisés devront être dédoublés. En toute logique, une scission devrait créer de l'emploi dans le secteur. Enfin, n’oublions pas d’où vient la crise : si le secteur bancaire perd de nombreux emplois depuis 5 ans, c'est parce que ses excès spéculatifs ont mené à la crise du secteur bancaire ; si l'économie réelle est en pénurie de crédits, c'est parce que les banques utilisent davantage l'épargne pour spéculer sur les marchés plutôt que de la prêter aux PME. C'est pourquoi une scission serait, in fine, bénéfique pour l'emploi comme pour le crédit.
Si d’autres pays ont décidé de ne pas séparer les banques, ce n’est pas pour rien. Nous devrions prendre exemple sur nos voisins.
Greg Van Elsen, Fairfin
"Le secteur bancaire veut qu'on prenne exemple sur nos voisins. En France et en Allemagne, le lobby bancaire est parvenu à éviter la séparation stricte entre banques d'affaires et banques commerciales, avec comme conséquence un statu quo. BNP, qui accumule les activités spéculatives, n'a finalement dû faire migrer que 1 % de ses actifs dans un autre véhicule. Une mesure qui ne vaut rien et que le secteur voudrait voir appliquée en Belgique aussi. N'oublions pas qu'en Belgique le contribuable est garant pour l'épargne, ce qui n'est pas le cas chez nos voisins. Il suffit de regarder le Canada, qui a maintenu une stricte séparation des métiers bancaires alors que son voisin, les États-Unis, a entièrement déréglementé le secteur. Quand la crise a éclaté, le Canada s'en est beaucoup mieux sorti que son super voisin, qui a dû sauver une bonne partie de ses banques. Pour éviter un 2008 bis, une approche internationale et coordonnée est souhaitable. Toutefois, cela ne devrait pas nous empêcher de protéger nos propres épargnants et contribuables de la meilleure façon possible et en même temps de montrer l'exemple : une séparation stricte est possible. Les Banques belges affirment d'ailleurs volontiers que leurs activités de marché sont en baisse. Pourquoi ne pas consolider cela avec une séparation stricte afin d'éviter qu'elles ne redéveloppent, dans le futur, des fonds avec un effet de levier sur base de l'épargne du citoyen ? En conclusion : La Belgique peut et doit aller vers une séparation stricte des métiers bancaires, même si ses voisins ne le font pas (encore)."
- 1Le ROE (Return On Equity) mesure la rentabilité des capitaux employés d'une société. En d'autres termes, il quantifie le montant des bénéfices réalisés pour un euro investi en capital.
Le lobby bancaire est très actif et très opposé à une séparation totale de la banque de dépôt et de la banque d'affaires. Voici quelques arguments brandis pour éviter une éventuelle scission. Et les réponses d'acteurs de terrain.