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Séparer ? Pas si compliqué !

Soumis par Anonyme le

On risque fortement de mettre à mal la croissance économique.

Bernard Bayot, Réseau Financement Alternatif

"C'est exactement l'inverse ! La dérégulation du secteur financier, notamment la suppression de la séparation des banques dans les années 90, a causé la crise financière que nous avons connue en 2008. Pour assurer la continuité des services financiers essentiels pour les citoyens et les entreprises, les États européens ont alors été contraints d'injecter des fonds publics dans les banques et de leur accorder des garanties pour un montant sans précédent : entre octobre 2008 et octobre 2011, la Commission européenne a débloqué environ 4500 milliards d'euros d'aides d'État en faveur des établissements financiers, ce qui équivaut à 37 % du PIB de l'Union européenne ! Si ces mesures publiques ont permis d'éviter des faillites bancaires et une désorganisation économique à grande échelle, elles ont aussi pesé sur le contribuable et grevé lourdement les finances publiques. Et ce, sans régler la question de savoir comment gérer les grandes banques transfrontalières en difficulté. C'est la question que nous devons résoudre à présent. Pour y parvenir, il faut que les activités qui sont vitales pour la société, essentiellement la collecte de dépôts et la fourniture de services financiers aux secteurs non financiers de l'économie, soient plus sûres et moins liées aux activités de négociation à haut risque de ces groupes bancaires. Ce sont les banques universelles, mélangeant les métiers, qui ont mis à mal l'économie. La séparation des banques va au contraire sécuriser le système financier et supprimer le risque pour les pouvoirs publics – et donc pour le contribuable – de devoir intervenir à nouveau pour garantir les dépôts qui sont faits à ces banques et qui sont mis en péril par l'activité spéculative. En outre, avec cette séparation, la garantie des dépôts sera réservée aux clients des seules banques de dépôt, qui financent l’économie réelle. Celles-ci ne subiront plus la concurrence déloyale des banques universelles qui peuvent aujourd'hui faire à peu près n'importe quoi puisqu'elles savent que, de toute façon, elles seront sauvées."

La rentabilité des banques de dépôt comme celle des banques d’affaires sera mise à mal.

Aline Fares, Finance Watch

"Rappelons tout d’abord que le coût d’une séparation des banques sera pris en charge par les banques. Ces coûts doivent par ailleurs être comparés aux nombreux bénéfices engendrés pour l’économie et la société dans son ensemble, à commencer par un recours aux finances publiques limité aux fonctions bancaires vitales en cas de faillite. La question de la rentabilité des activités, une fois séparées, est infondée. Tout d’abord, le coût de financement de la banque de dépôt devrait baisser – c’est une question de bon sens : le risque moyen de la banque diminuera du fait de la sortie des activités de marché. Et qui dit « moindre risque » dit « moindre coût de financement ». Ensuite, le coût de financement de la banque d’affaires pourrait augmenter, et c’est bien normal : la banque d’affaires ne bénéficiera plus du soutien implicite de l’État et devra financer ses activités au juste prix – celui qui correspond effectivement à sa prise de risque. Il sera donc de la responsabilité des dirigeants des banques de réduire les risques qu’ils prennent pour rétablir la rentabilité de la banque d’investissement – ce qui sera salutaire pour la stabilité du système financier et l’économie en général ! Enfin, la rentabilité visée par les banques avant la crise était, on l’a vu, insoutenable (bénéfices représentant 15 % de la valeur des actifs (ROE1) !), et il a entre-temps été démontré que la performance des grandes banques dites universelles est, sur la durée, moins bonne que celle des autres banques. La rentabilité des banques universelles est, en effet, beaucoup plus instable, passant de gains très élevés (tels que ceux enregistrés avant la crise) à des pertes colossales (telles que celles enregistrées depuis la crise). Une séparation des activités permettra donc de revenir à des objectifs de rentabilité plus soutenables – sans compter les nombreux bénéfices qui seront recueillis pour la stabilité du système financier et la société dans son ensemble."

La scission des grosses banques est trop compliquée, elle limitera l’accès au crédit. Elle impliquera inévitablement des pertes d'emploi dans le secteur.

Michel Cermak, Roosevelt.be

"Avant de répondre sur le fond, regardons qui parle : ce sont des banquiers qui défendent le maintien du système actuel. Un système qui permet aux banques de prendre de gros risques sur les marchés financiers, d’empocher les gains et de reporter les pertes sur les contribuables. On comprend aisément, dès lors, que les banquiers trouvent toutes sortes d’arguments pour défendre le statu quo. Mais ils sont seuls à tenir cette position. Ensuite, il faut savoir que ces arguments ont déjà été utilisés par des banquiers en 1933, pour tenter d’empêcher la scission des banques annoncée par le président américain Roosevelt, entre autres remèdes à la crise de 1929. Mais, heureusement, Roosevelt ne les a pas écoutés et les banques ont été scindées aux États-Unis et ailleurs, notamment en Belgique. Les prédictions catastrophiques ne se sont pas réalisées et les citoyens ont été protégés, sans crise bancaire majeure jusque dans les années 90, où ces lois ont été démantelées. Concernant l’accès au crédit, on peut parfaitement imaginer que des banques de dépôt qui ne pourront plus spéculer n’auront d’autre choix que de transformer l’épargne en prêts à l’économie réelle, ce qui représente des centaines de milliards d’euros en Belgique. On pourrait assister alors, contrairement à ce qu’annoncent ces banquiers, à un accroissement du crédit aux particuliers et aux PME notamment. Et si c’était si compliqué sur le plan opérationnel, pourquoi de nombreux ex-PDG de banques comme Barclays, Citygroup ou Morgan Stanley auraient-ils affirmé que la scission était possible et nécessaire ? En ce qui concerne l’emploi, la scission de chaque banque en deux entités supprimera certaines économies d’échelle, certains services centralisés devront être dédoublés. En toute logique, une scission devrait créer de l'emploi dans le secteur. Enfin, n’oublions pas d’où vient la crise : si le secteur bancaire perd de nombreux emplois depuis 5 ans, c'est parce que ses excès spéculatifs ont mené à la crise du secteur bancaire ; si l'économie réelle est en pénurie de crédits, c'est parce que les banques utilisent davantage l'épargne pour spéculer sur les marchés plutôt que de la prêter aux PME. C'est pourquoi une scission serait, in fine, bénéfique pour l'emploi comme pour le crédit.

Si d’autres pays ont décidé de ne pas séparer les banques, ce n’est pas pour rien. Nous devrions prendre exemple sur nos voisins.

Greg Van Elsen, Fairfin

"Le secteur bancaire veut qu'on prenne exemple sur nos voisins. En France et en Allemagne, le lobby bancaire est parvenu à éviter la séparation stricte entre banques d'affaires et banques commerciales, avec comme conséquence un statu quo. BNP, qui accumule les activités spéculatives, n'a finalement dû faire migrer que 1 % de ses actifs dans un autre véhicule. Une mesure qui ne vaut rien et que le secteur voudrait voir appliquée en Belgique aussi. N'oublions pas qu'en Belgique le contribuable est garant pour l'épargne, ce qui n'est pas le cas chez nos voisins. Il suffit de regarder le Canada, qui a maintenu une stricte séparation des métiers bancaires alors que son voisin, les États-Unis, a entièrement déréglementé le secteur. Quand la crise a éclaté, le Canada s'en est beaucoup mieux sorti que son super voisin, qui a dû sauver une bonne partie de ses banques. Pour éviter un 2008 bis, une approche internationale et coordonnée est souhaitable. Toutefois, cela ne devrait pas nous empêcher de protéger nos propres épargnants et contribuables de la meilleure façon possible et en même temps de montrer l'exemple : une séparation stricte est possible. Les Banques belges affirment d'ailleurs volontiers que leurs activités de marché sont en baisse. Pourquoi ne pas consolider cela avec une séparation stricte afin d'éviter qu'elles ne redéveloppent, dans le futur, des fonds avec un effet de levier sur base de l'épargne du citoyen ? En conclusion : La Belgique peut et doit aller vers une séparation stricte des métiers bancaires, même si ses voisins ne le font pas (encore)."

  1. 1Le ROE (Return On Equity) mesure la rentabilité des capitaux employés d'une société. En d'autres termes, il quantifie le montant des bénéfices réalisés pour un euro investi en capital.
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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Le lobby bancaire est très actif et très opposé à une séparation totale de la banque de dépôt et de la banque d'affaires. Voici quelques arguments brandis pour éviter une éventuelle scission. Et les réponses d'acteurs de terrain.

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2013
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12/2013
Mois d'édition
Décembre

Le discours bancaire sème la confusion

Soumis par Anonyme le

Entretien avec Olivier De Schutter

Est-ce que la spéculation sur les matières premières agricoles a un impact sur l’évolution des prix sur les marchés physiques ?

La réponse est « oui », mais il y a deux malentendus à balayer à ce propos. Le premier, c’est que la volatilité est présente sur ces marchés de toute manière. La qualité de la production agricole est liée à des phénomènes météorologiques et, producteurs comme consommateurs doivent réagir aux signaux des prix du marché. Or, parfois, il faut des mois pour que la production suive les signaux qu'envoie une augmentation des prix. Les marchés agricoles, pour toute une série de raisons, sont donc volatiles par nature. La spéculation ne crée pas la volatilité mais il est certain qu’elle l’accroît. Elle la rend encore plus difficile à maîtriser, elle aggrave ses conséquences. L’ambiguïté dans le débat sur la spéculation alimentaire provient du discours des institutions financières. Lorsque celles-ci affirment ne pas être à l’origine de la volatilité des prix des matières premières agricoles, elles ont raison. Mais elles doivent reconnaître que l’arrivée massive, depuis une dizaine d'années, d’une série d’investisseurs institutionnels et de fonds d’investissement sur les matières premières agricoles a accru fortement l’incertitude du secteur des matières premières agricoles. Cette relation peut se mesurer grâce à des outils économétriques reconnus qui montrent une très forte croissance de la volatilité des prix depuis maintenant cinq ou six ans. Et puis, second malentendu : les prix évoluent à la fois de manière structurelle et de manière conjoncturelle. Sur le plan structurel, il est vrai que l’augmentation des prix répond à ce que l’on appelle des fondamentaux, comme l’augmentation de la population, l’évolution des modes de consommation ou d’une demande pour des produits agricoles qui n’est plus purement alimentaire (biocarburants, etc.), la concurrence de plus en plus importante pour les ressources naturelles dont la terre en particulier, … Tous ces fondamentaux ont une influence sur l’évolution des prix à moyen et à court terme. Mais à court terme, il apparaît surtout que les signaux que les marchés financiers transmettent aux marchés physiques sont les signaux sur lesquels les vendeurs et les acheteurs s’alignent. Il ne faut surtout pas confondre ces évolutions structurelles avec les soubresauts des marchés à court terme !

Que répondre alors à ces institutions financières qui se défendent de toute responsabilité, qui affirment même que la spéculation a, au contraire, un impact positif sur l'offre et la demande ?

Je crois que ce qui est affirmé, c’est que la spéculation est intrinsèque à des marchés financiers qui fonctionnent bien. Ce que je veux dire par là, c’est que, de tout temps, les instruments financiers ont servi à des opérateurs économiques qui opèrent sur des marchés physiques. Des exploitants agricoles, des producteurs, des acheteurs de produits agricoles… utilisent depuis toujours des instruments financiers pour limiter les risques du secteur, pour limiter les écarts entre ce qu’ils anticipaient recevoir pour leurs récoltes et ce qu’ils toucheraient à terme et pour, à l’inverse, pour limiter les écarts entre le prix que l’acheteur s’attendait à devoir payer au départ et celui qu’il devra effectivement payer au moment des récoltes. Et pour s’assurer contre le risque, pour s’assurer d’une imprévisibilité dans l’évolution des prix, ce sont bien les contrats à terme qui ont permis au producteur de savoir à l’avance ce qu’il gagnera pour les tonnes de blé qu’il a produites et qui ont permis à l’acheteur de s’assurer contre une brutale hausse des prix entre le moment où il passe commande et le moment où il achète réellement le blé. Ces contrats à terme sont encore très utiles. Ce que l’on a vu cependant, depuis 2004-2005, c’est que l’importance des marchés financiers a crû beaucoup plus vite que les volumes de matières premières réellement échangés. Le déséquilibre s’est introduit : au lieu d’être un appui aux marchés physiques, les marchés financiers sont devenus dominants et les prix ont été décidés selon une logique de plus en plus financière, s’éloignant des fondamentaux. En affirmant que la spéculation est positive, les banques introduisent une grande confusion dans le débat. Elle n'est pas positive à ce niveau : elle a pris une telle importance qu’elle est désormais malsaine.

Qu’est-ce qui explique cette arrivée massive de spéculateurs sur le marché des matières premières agricoles ? Pourquoi les « soft commodities » sont-elles devenues des valeurs refuges ?

Il y a quatre facteurs essentiels qui expliquent cette financiarisation des marchés agricoles. Le premier, c’est que les marchés d’actions ont commencé à être moins rémunérateurs dès le début de la crise financière. Les matières premières sont alors devenues un vrai refuge pour les investisseurs. Mais ce qu'il importe sans doute le plus de souligner, ce sont trois autres facteurs, politiques et réglementaires, eux. D’abord, on a vu arriver un nouvel instrument financier : les fonds indiciels sur matières premières (commodities hedge funds). Le premier a été inventé par Goldman Sachs en 1991 (Goldman Sachs commodity index). Il s'agit de hedge funds spécifiques dans le sens où ils proposent aux clients des paniers de matières premières : des minéraux, du pétrole, des matières premières agricoles (comme le blé ou le soja), qui représentent en général 15 à 20 % du panier. Pour faire simple, on a introduit sur le marché un nouveau type de produits financiers qui a accentué le lien déjà fort entre le prix des denrées alimentaires et ceux de l’énergie : les cours des matières premières ont commencé à suivre les courbes des marchés de l’énergie, et plus particulièrement celui du pétrole, qui domine dans ces fonds indiciels. Autre facteur, en 2004, des économistes de Yale ont publié une étude qui a mis dans la tête des investisseurs que l’évolution des marchés à terme des produits agricoles était inversement corrélée à l’évolution des marchés des actions. Autrement dit, si vous voulez diversifier vos investissements et donc limiter les risques, la stratégie que recommandaient ces chercheurs était de constituer un panier d’actions et, à côté de cela, d'avoir des investissements dans les matières premières agricoles. De cette manière, si vos actions baissent, la perte sera compensée par la hausse du prix des produits agricoles. Et enfin, le dernier facteur, qui est le plus important : on a assisté, depuis le début des années 2000, à une dérégulation de plus en plus importante des marchés financiers. Cette dérégulation a démarré avec une loi américaine : le Commodity Futures Modernization Act. Elle a eu pour premier effet d'abolir les barrières entre les banques de dépôt et les banques d’investissement et, ensuite, elle a très largement réduit les limites imposées aux investisseurs. Après la crise de 29, les investisseurs qui choisissaient le blé ou le maïs, par exemple, ne pouvaient conclure qu’un certain nombre de contrats à terme, de façon à ce qu’ils ne puissent pas influencer délibérément le cours des produits choisis. Cette abolition des limites a faussé le jeu. Ce n’est donc pas uniquement une question de marchés financiers, c’est aussi une évolution réglementaire, c.-à-d. des choix politiques, qui ont conduit à la situation actuelle.

En 2012 pourtant, le Parlement européen a décidé de limiter à nouveau les positions des investisseurs…

Bien sûr, c’est une bonne chose mais c’est loin d’être suffisant ! C’est une mesure qui ne va pas assez loin car le principal problème n’est pas celui que les limites de position veulent régler. Les limites de position visent un point précis qui est la manipulation des cours par un acteur très puissant en termes de capacité financière et qui serait tenté d’utiliser cette force pour influencer les cours à son profit. Par exemple, telle banque d’investissement qui déciderait de promettre d’acheter telle quantité de maïs ou de blé et, qui, de cette manière ferait partir les cours à la hausse et dont les promesses d’achat s’avéreraient, du même coup, très rémunératrices. Les limites de position sont destinées à limiter cette capacité. Mais le vrai problème des marchés financiers aujourd’hui, lorsque l’on parle des marchés agricoles, réside dans le comportement moutonnier d’un très grand nombre de tout petits acteurs qui prennent leurs décisions non pas en fonction de l’évolution de la demande ou de la qualité des récoltes, mais en fonction de ce que les autres font ou de ce qu’ils anticipent que les autres vont faire. Contre ce comportement moutonnier, la législation actuelle est impuissante. Il faut donc proposer autre chose.

Et quelles sont alors les mesures que vous préconisez ?

Je ne parlerai pas ici des mesures qui pourraient stabiliser les marchés physiques : elles sont importantes mais ne concernent pas la spéculation sur les marchés financiers en tant que telle. Sur les marchés financiers purs, à côté des limites de position, je pense qu'il faut se diriger vers quatre mesures précises. La première consisterait à limiter les transactions de gré à gré, soit les échanges entre acteurs financiers qui ne se passent pas sur des plates-formes transparentes, qui empêchent les organes régulateurs de faire leur travail. Aujourd’hui, environ 80 % des produits financiers dérivés des matières premières agricoles sont échangés sur les marchés de gré à gré. Deuxième chose : depuis une dizaine année, se sont développées les transactions automatisées, via des ordinateurs, qui permettent des transactions extrêmement rapides -- on parle ici en nanonième de seconde. Avec ce type de procédé, avant que le facteur humain puisse intervenir, la machine a déjà pris toutes les décisions, ce qui peut créer un véritable emballement des marchés. Il faut impérativement légiférer en la matière. Troisièmement et tout simplement : taxer les transactions financières pour décourager les investisseurs qui ne sont intéressés que par des gains sur le très court terme, de manière à diminuer l’attrait de la spéculation purement financière. Enfin, quatrièmement, je pense qu’il faut réfléchir sérieusement à l’interdiction des fonds indiciels de matières premières. C’est par là, je vous le rappelle, que tout a commencé. Ces fonds indiciels sont des paniers de matières premières. Dès que vous liez les matières premières agricoles aux matières premières énergétiques, vous faites en sorte que les prix du blé, du maïs, du soja suivent les courbes du marché du pétrole, sans aucun lien avec la qualité des récoltes, c’est un procédé profondément pervers.

Aux États-Unis, des mesures ont été prises pour limiter la spéculation sur les matières premières agricoles. Sont-elles effectives ou s’agit-il uniquement de recommandations ?

En gros, en 2010, Obama a signé cette loi importante, le Dodd-Frank Wall Street Reform and consumer Protection Act. Cette loi donnait pour mission à un organe réglementaire d’imposer des limites de position, notamment pour éviter la manipulation des cours. Un intense lobby bancaire a malheureusement empêché une vraie entrée en vigueur de cette loi. De plus, entre-temps, la majorité avait changé à la Chambre. Résultat : ce qui a finalement été appliqué est beaucoup plus faible que ce qui avait été prévu à l’origine. Même si le débat, comme en Europe, continue.

Le fonds de commerce de la spéculation, c'est l'incertitude. Comment rassurer les marchés ?

Naturellement. La spéculation prospère sur l’incertitude. Plus les marchés sont incertains, plus les rumeurs peuvent nourrir la panique des marchés. En 2008, lorsque je disais que la spéculation était responsable de l’écroulement des marchés, beaucoup disaient que ce n’était qu’un épiphénomène. Aujourd’hui, il y a un consensus sur ce constat, et ce consensus est tellement réel que le G20 a tenté de mettre en place des mécanismes qui permettent de réduire le risque de panique sur les marchés. Pourquoi ? Parce que le risque de panique entretient la spéculation. En juin 2011, le G20 sous présidence française consacré à l’agriculture a demandé à la FAO de mettre en place un système d’échanges d’informations – l'AMIS1 - pour encourager les États à transmettre l’information sur la qualité des récoltes de leur pays, afin de réduire le risque d’incertitude sur les marchés. Le but est de décourager les vendeurs de retarder les ventes et de décourager les acheteurs d'acheter d'un seul coup par peur d'une hausse des prix , ce qui a pour effet de conduire à un phénomène de rareté artificielle. Si tout le monde adopte ce comportement, la demande ne peut bien évidemment pas être satisfaite. Parallèlement, un forum de réponses rapides a également été développé pour permettre aux gouvernements de se réunir rapidement s'ils voient que les marchés paniquent.

Qu'en dit le monde politique ?

Parallèlement aux campagnes de sensibilisation du grand public à la lutte contre la spéculation financière, de nombreuses ONG agissent également pour infléchir les législations belge et européenne. À l'heure actuelle, il n'existe aucune restriction significative à la spéculation alimentaire sur le plan belge ni européen. Pas de limitation, donc, ni concernant les acteurs autorisés à né-gocier sur les marchés à terme agricoles, ni quant au nombre de positions que ces acteurs sont autorisés à prendre.

En belgique, un moratoire mis en place par la Fsma, l'autorité de contrôle des marchés financiers, invite les banques à ne pas commercialiser de produits structurés particulièrement complexes auprès des investisseurs de détail. Ce moratoire reste largement insuffisant : il est facultatif, non contraignant, et sujet à des interprétations divergentes. en mars dernier, le parti socialiste avait déposé une proposition de loi interdisant la com- mercialisation des produits indiciels. Mais il l'a retirée quelque temps après, à la suite des nombreux amendements déposés.

A l'échelon de l'Union européenne, des mesures renforçant la transparence des produits dérivés négociés de gré à gré ont été adoptées, en juillet 2012, dans le cadre de la régulation dite « EMIR ». Cette obligation entrera en vigueur en janvier 2014 au plus tard.

D'autre part, la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIFID) est en cours de révision. Elle vise à renforcer la transparence sur les marchés financiers et à réguler de manière plus stricte les marchés de dérivés sur les matières premières. Dans cette directive, il est notamment question des limites de po- sitions sur les matières agricoles. En octobre 2012, le parlement européen s’est prononcé sur les propositions de la Commission et a voté en faveur de limites de positions obligatoires, mais le texte est encore trop faible. Le Conseil européen doit se prononcer sous peu. depuis ce mois de septembre, un trialogue entre le Conseil, le parlement et la Commission a débuté afin de tenter de s'accorder sur un texte de compromis. La directive – avec ou sans les restrictions en matière de spéculation sur les matières premières – devrait être votée peu après mars 2014.

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Selon Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, le manque de régulation des marchés financiers et, en particulier, des marchés de matières premières agricoles, est aussi évident que dangereux.

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2013
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2013

Les banques belges, aussi responsables ?

Soumis par Anonyme le

Dix banques – Bnp Fortis Paribas, Belfius, KBC, InG, bpost banque, Deutsche bank, ABN Amro, Rabobank, AXA et Dexia – ont été sélectionnées comme objet d'étude en raison de leur poids ou de leurs activités de spéculation avé- rées par le passé. Le but de l'enquête : identifier les pratiques d’offres et de commercialisation en belgique de produits d’investissement ainsi que d’autres formes d’investissement direct ou indirect dans les matières premières agricoles.

La pointe de l’iceberg

Premier constat : les produits d’investissement1 proposés sur le marché par les institutions financières en question ne constituent en réalité qu’une faible partie de leurs activités spéculatives sur les matières premières agricoles. sur le plan des activités en fonds propres de ces institutions, c’est en effet le flou total. Car il faut savoir qu'une banque peut utiliser ses fonds propres à des fins d’investissement, en spéculant sur les marchés, par exemple. À ce niveau, elle peut opter pour les marchés réglementés (la bourse) ou pour les marchés de gré à gré (via un contrat direct avec la contrepartie). La seconde possibilité n’impliquant aucune transparence, le volume des transactions de gré à gré de produits déri-vés sur matières premières en est arrivé, selon un dirigeant de la CFTC2, à peser 7 fois celui des marchés reglementés (voir p. 8 et 9) ! Les banques peuvent aussi agir pour le compte de tiers (via des produits d’investissement, de la consultance, etc.) en échange d’une commission ou de frais de gestion. On l’aura compris, comme ces pratiques n'impliquent pas d’obligation de communication envers les clients ou les autorités, il est difficile de mesurer avec précision l’ampleur du phénomène que constitue la spéculation alimentaire.

Néanmoins...

Sur les dix banques sélectionnées, l’étude montre que six sont actives dans la spéculation sur les aliments via une offre en produits d’investissement liés à des contrats à terme de matières premières agricoles ou à des indices relatifs à ces dernières. par ordre d’implication, on citera Deutsche bank, Bnp Paribas Fortis, AXA, Belfius, ING et ABN Amro. Au sein du volume total comptabilisé, on estime que le montant investi dans des produits dérivés sur des matières premières agricoles se situe entre 768 et 948 millions d’euros. Bien sûr, toutes les institutions financières ne jouent pas dans la même cour. Au jeu de la comparaison, Deutsche bank et Bnp Paribas Fortis sont de loin les plus actives.

Justifications

Les réactions à la publication précitée et aux lettres envoyées par le collectif d’ONG aux institutions financières pointées du doigt sont peu convaincantes. Deutsche bank s’est déclarée scandalisée par la publication du rapport2, estimant que les conclusions de l’enquête sont « fausses, archi- fausses ». en janvier 2013, l’institution avait déjà réitéré sa volonté de continuer à offrir, « dans l’intérêt de ses clients », des produits financiers liés aux produits agricoles.Ssoulignant l’absence de preuves empiriques établissant que les instruments financiers conduisent à une augmentation ou à une plus grande volatilité des prix alimentaires, elle mettait en avant les nombreux avantages apportés par les marchés à terme agricoles aux agriculteurs et à l’industrie alimentaire. Après une période marquée par la création de nombreux produits spéculatifs et par la crise financière, Bnp Paribas Fortis semble s'être, de son côté, racheté une conduite depuis peu, avec la suppression ou la suspension de certains fonds spéculatifs. Ces efforts restent toutefois insuffisants aux yeux des différentes ONG qui se sont penchées sur la question eu égard à l'importance des montants toujours investis actuellement par l'institution dans des produits dérivés sur les matières premières agricoles.

1. Trois instruments financiers ont été identifiés : les fonds indiciels, les etc (exchange traded commodities) et les etN (certificats). 2. commodity Futures trading commission
3. www.lecho.be/actualite/entreprises_finance/spe- culation_des_banques_belges_sur_les_matieres_pre- mieres.9361857-3027.art

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Malgré le manque de transparence et la difficulté à avoir accès aux informations, il existe des preuves tangibles de l'implication de certaines banques belges dans la spéculation alimentaire.

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2013
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2013

Quand la finance dérègle notre assiette

Soumis par Anonyme le

En bref

* Blé, soja, cacao sont devenus des valeurs refuges.

* Les marchés agricoles sont de plus en plus instables.

 

L’agriculture, risquée par nature

Travailler la terre est une activité risquée : caprices de la météo et variation de la production font partie du quotidien des agri- culteurs. L’offre dans le secteur est en outre peu flexible, les producteurs étant dispersés à travers le monde et devant en tout état de cause attendre au moins une saison avant de pouvoir modifier leurs cultures en place. À ces constats, on ajoutera une demande très peu élastique : quelle que soit l'ampleur de l'offre des denrées alimentaires, et indépendamment des hausses de prix, les gens doivent continuer à se nourrir. Les risques inhérents à l'imprévisibilité du prix de vente de leur récolte ont toujours poussé les agriculteurs (des pays occidentaux surtout1) à garantir une partie de leurs revenus au moyen de contrats à terme. Un contrat à terme permet à un agriculteur de vendre à un commerçant (un transformateur, un producteur) une partie de sa production à un prix fixé parfois plusieurs mois à l’avance. pour ce faire, il passe par un intermédiaire qui connaît bien le marché agricole et qui joue le rôle d’opérateur en couverture, sorte de « spéculateur tradition01nel disposé à endosser le risque à sa place ». Cet opérateur couvrira les pertes de l’agriculteur si le prix du marché chute en dessous du prix fixé à l’avance. Si, à l'inverse, le cours de la matière première en question est plus élevé que le prix établi par le contrat au moment de la vente, c'est lui qui empochera la différence. D’autres hedgers2 s’associe- ront en amont à l’opérateur afin de répartir les risques via d’autres contrats à terme et ainsi de suite. si le procédé entraîne une légère hausse des prix, il permet de conte- nir leur caractère volatile et de garantir, tant à l’agriculteur qu'au commerçant et à l’intermédiaire, une rémunération correcte. Cette spéculation « traditionnelle » couplée à différentes mesures visant à protéger le secteur agricole (paC, consitution de stocks, etc.) a permis jusqu’il y a une dizaine d’années d'empêcher de trop grandes variations de prix des matières premières agricoles. aujourd’hui, la situation est toute différente.

Et Wall Street s’intéressa au blé

Nous sommes dans les années 2000, en pleine libéralisation des marchés financiers : les lois encadrant les activités de spéculation s’assouplissent de plus en plus et les marchés à terme agricoles n'échappent pas au relâchement général. de nouveaux acteurs (banques d'investissement, hedge funds, fonds souverains, fonds de couverture et fonds de pen- sion), qui n'ont aucun intérêt économique direct dans le secteur, y sont progressivement acceptés, aux États-Unis d'abord3, puis en europe. Jusqu’alors, les marchés à terme sur les matières premières agricoles répondaient à des enjeux agricoles et d’alimentation. Bref, ils étaient ancrés dans l'économie réelle et les spéculateurs sur les marchés agricoles étaient relativement peu nombreux. blé, soja, cacao sont progressivement devenus des actifs financiers attractifs. en 2007, la tendance se précipite avec l'éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis entraînant dans son sillage la crise économique et financière ravageuse que nous connaissons aujourd’hui : les traders, ne pouvant plus se fier à leurs actifs favoris – à savoir les actions d'entreprises qui, tous secteurs confondus, s'effondrent – cherchent alors des valeurs refuges. Les marchés céréaliers font parfaitement l'affaire à cet égard : ils permettent de diversifier le portefeuille des investisseurs (et donc de diminuer les risques), ils assurent contre l’inflation, etc. Voilà comment et pourquoi, en quelques années, la nourriture passe sur le devant de la bourse.

Glissement de terrain

Là où le bât blesse, c'est que cet intérêt croissant pour les matières premières agricoles coïncide avec une instabilité de plus en plus marquée des prix de ces dernières. En effet, à partir de 2005, les marchés de plusieurs matières premières agricoles ont commencé à afficher des augmentations de prix et plus de volatilité. Entre 2007 et 2008, les prix de céréales comme le blé ont grimpé de plus de 100 % ! Des flambées qui ont entraîné une crise alimentaire mondiale touchant des régions parmi les plus pauvres de la planète (voir p. 5). En 2008, des populations affamées se soulèvent au Burkina Faso, au sénégal, au Cameroun, au Maroc... Après une reprise, le phénomène, loin de s'estom- per, se répète en 2010 et en 2011. Sur les marchés financiers, on continue pourtant à s'acharner : aucune mesure suffisante n'est avancée pour contrer la situation, même si de plus en plus d'experts reconnaissent l'existence d'un lien entre spéculation et hausse des prix. Concrètement, les institutions financières ont profité de la dérégulation des marchés pour lancer des produits financiers indiciels permettant aux investisseurs de parier sur la hausse ou sur la baisse des prix des matières premières. Ces produits s'en- gagent généralement à répliquer la performance d'un indice boursier lié, en tout ou en partie, à l'évolution d'un panier de matières premières (pétrole, blé, etc.). Pour répliquer cet indice ou tout simplement pour se couvrir contre le risque, ces institutions financières (ou leurs gestionnaires de fonds) achètent des contrats à terme sur les matières premières faisant partie de l'indice en question : les transactions sur les marchés de ces matières premières ont ainsi gonflé de manière spectaculaire. Le nombre de contrats à terme négociés a été multiplié par 5 entre 2002 et 20084. On le voit, un procédé qui permettait à l'origine de protéger les acteurs des marchés physiques (les agriculteurs, les vendeurs, etc.) profite maintenant à une multitude d'acteurs purement financiers assoiffés de gains à court terme5. Autre problème : l'ampleur des produits dérivés sur les matières pre- mières est aujourd'hui totalement déconnec- tée des biens physiques réellement échangés. numériquement parlant, le poids total de ce type de produits financiers serait passé, selon la banque barclay's, de 13 milliards de dollars en 2003 à 412 milliards de dollars en 2011. Cet afflux de capitaux traduit un glissement de terrain : étant donné l'implication grandissante des acteurs financiers, les marchés dérivés de matières premières agricoles obéissent désormais davantage à la logique des marchés financiers qu'à celle d'un marché normal de marchandises6. Les prix sur ces marchés ne sont donc plus nécessairement liés à l'évolution des fondamentaux de l'offre et de la demande, mais sont plutôt le reflet des paris à la hausse ou à la baisse des spéculateurs. Comme à l’accoutumée sur les places boursières, la multiplication des échanges entraîne un affolement des mar- chés, une incertitude qui débouche sur un comportement moutonnier des plus petits acteurs financiers : ils suivront la tendance à la hausse ou à la baisse des marchés, peu im- porte la situation sur le marché réel des denrées alimentaires. si bien que les prix varient très rapidement et très fortement. et comme les cours sur les marchés à terme servent d'information aux acteurs qui œuvrent sur les marchés physiques pour fixer leur prix ; le prix des matières premières agricoles est désormais l'otage des spéculateurs.

1. les petits producteurs du sud ont rarement accès aux marchés à terme ou à d'autres mécanismes de prévention, comme une assurance ou une épargne. 2. opérateurs en couverture.
3. le commodity Futures modernization act, ratifié par le président bill clinton en 2000, a mis fin à la régulation du secteur financier mise en place à la suite du krach boursier de 1929. 4. o. de schutter, Food commodities speculation and Food prices crises, 2010. 5. en juin 1996, la part des spéculateurs sur les marchés agricoles était de 12 % (pour 88 % de hedgers). en juin 2011, la proportion s'est inversée : 61 % de spéculateurs pour 39 % de hedgers. Wdm, broken markets, p. 13, 2011. 6. a. marchand, la spéculation sur les marchés à terme des matières premières a-t-elle un impact sur les prix des denrées alimentaires ?, rFa, 2013.

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Depuis quelques années, une nouvelle classe de spé- culateurs est apparue sur le devant de la bourse : les brokers agricoles. Mais en quoi (et à quel prix ?) épis de blé et pousses de soja intéressent-ils les mar- chés financiers ?

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2013

Le début de la faim ?

Soumis par Anonyme le

En bref

* Des crises de la faim en cascade.

* Le sud systématiquement touché.

7 milliards d’êtres humains et de la nourriture produite pour 12 milliards d’individus à l’année... Pourtant en 2012, selon la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations ) 870 millions de personnes – une population principalement installée au sud de la planète - ne mangeaient pas à leur faim. a ce paradoxe, il faut ajouter que les prix mondiaux des produits alimentaires de base (blé, maïs, ... soit l’assise de beaucoup de régimes alimentaires) étaient relativement stables et contenus depuis les années 70, permettant une diminution globale de la faim dans le monde.

C'est à partir des années 2000 que la donne change, un retournement de situation largement amplifié avec l’arrivée de la crise économique et financière : les prix des denrées alimentaires sont de plus en plus instables et montent. apogées successives, les crises de la faim de 2008, 2010 et 2011 plongent de nombreuses régions, parmi les plus pauvres de la planète, dans des situations risquées, détrui- sant le peu de stabilité des zones en question. en janvier 2011, selon la Fao toujours, les prix alimentaires mondiaux atteignent un niveau historique. Cette instabilité accrue des prix concerne un marché agricole déjà difficile par nature (voir p. 6 et 7) mais le retournement de situation et les pics consécutifs des prix sont lourds de conséquences.

Répartition inégale

Avant de s'interroger sur les causes de la situation actuelle, un constat doit être fait. Les populations occidentales ont moins souffert de la faim pendant les crises alimentaires successives, la grande majorité d'entre nous ayant peu ressenti la hausse des prix dans les supermarchés. normal : le montant qu'un mé- nage européen consacre à la nourriture représente en moyenne 10 % de ses revenus totaux. À l'inverse, dans un pays du sud, un ménage consacre en moyenne 80 % de ses revenus à son alimentation. si les prix des denrées doublent, on l'aura bien compris, ces familles ne peuvent plus se nourrir correctement.

Ricochet

Nous vivons dans un monde globalisé, une hausse des prix des céréales, par exemple, sur les marchés internationaux se répercute inévitablement sur les marchés intérieurs, avec un impact plus marqué sur les pays dont la balance commerciale est défavorable. Or, les pays du sud sont souvent importateurs nets de nourriture, tributaires donc des importa- tions pour leur sécurité alimentaire. Une augmentation du coût des importations se traduit souvent dans les États à faibles revenus, par des évolutions des dépenses (des mesures de soutien à la population ou encore de mesures de détaxation) et accroît encore le déséquilibre des échanges commerciaux internationaux de ces zones. À noter également que si certains aliments de base deviennent trop chers, le régime alimentaire des populations touchées se modifiera au profit de produits de substitution moins chers et de qualité inférieure. Mieux réglementer le marché ali-mentaire mondial est impératif au vu de ces divers constats, mais gouvernements et organisations internationales ont encore du chemin à faire. pour oxfam solidarité, sos Faim, le CnCd-11.11.11, FairFin et le réseau Financement alternatif, c'est l'explosion du phéno- mène spéculatif sur les marchés agricoles qui est en grande partie responsable de la situation actuelle.

Petits producteurs lésés

La tendance haussière des denrées alimentaires a des conséquences terribles sur les populations en difficulté. De plus, une augmentation du prix des aliments ne se traduit pas forcément par une augmentation des revenus des producteurs du sud et, ce, pour deux raisons. Ces derniers sont, premièrement, souvent, acheteurs nets de produits alimentaires, ce qui veut dire qu'ils consacrent plus d'argent à leurs dépenses en nourriture qu'ils n'en gagnent en vendant leur production. deuxièmement, en raison de l'augmentation d'autres matières premières comme le pétrole notamment, les coûts de production de ces petits agriculteurs sont de plus en plus élevés. Le sud, deux fois perdant ? 

MarForh aGemba est ingénieur agricole au cameroun et coordinatrice de NoWeFor, une fédération regroupant 2400 agriculteurs au Nord ouest du pays.

Depuis 7 ans que vous travaillez dans le secteur agricole, est-ce que vous avez constaté des changements au niveau des prix des denrées alimentaires ?

Oui, les prix varient beaucoup plus qu’avant au Cameroun. La tendance est clai- rement à la hausse, et c’est préoccupant.

Les paysans profitent-ils de la hausse des prix ?

Non, pas souvent. Car les prix des intrants1 augmentent fortement aussi. Et puis, il faut bien se nourrir ! C’est un cercle vicieux. Je constate par ailleurs que les paysans vendent à n’importe quel prix : bas, haut, il faut vendre quand c’est possible car l’argent fait défaut. Il y a aussi, au niveau local, des mécanismes pervers lors de la vente et l'achat des céréales dont souffrent les petits producteurs et la population.

Quelles sont les conséquences de cette variabilité des prix ?

L’agriculture au Cameroun est affectée par beaucoup de choses : les facteurs climatiques, la mauvaise qualité des routes, le coût toujours plus élevé des intrants. mais si on y regarde d'un peu plus près, lorsque les prix augmentent trop, ce qui se passe, c’est que les paysans n’arrivent pas à rentabiliser leur production. Comme le reste de la population, ils n’arrivent pas à s’en sortir. Cela vaut pour toutes les productions : le blé, le maïs, le riz... La situation a certes toujours été délicate, mais pourquoi est-elle de plus en plus difficile ? on ne comprend pas pourquoi les prix varient tellement. on aura toujours besoin de se nourrir et on aura toujours besoin d’importer des matières premières. nous sommes tous dépendants de la nourriture, c’est quelque chose que l’on devrait pouvoir contrô- ler. au Cameroun, il y a trop des gens qui ne mangent pas à leur faim aujourd’hui. on ne peut plus connaître des situations comme celles de 2007 et de 2010. si, à l’heure actuelle, la situation est comme ça, imaginez, dans 10 ou 20 ans, ce que l’avenir nous réserve ?

1. En agriculture, les intrants sont les différents produits apportés aux terres et aux cultures (engrais, semences, carburants, etc.). 

Mahamadou hassaNe est producteur de riz au Niger

Est-ce que vous avez constaté des changements au niveau des prix des denrées alimentaires ? Plus de variabilité ?

Oui, bien sûr, durant les crises surtout, d'abord en 2005, puis en 2008 et en 2011. personnellement, je constate d'abord des problèmes de corruption sur les marchés locaux. mais au-delà de ça, la hausse des prix est forte depuis plusieurs années. Le maïs qui, avec le mil et le sorgho, était un de nos produits de base, la population du niger ne peut plus se le payer. Le mil et le sorgho sont produits localement mais le maïs est importé des pays voisins.

Les producteurs locaux profitent-ils de cette hausse ?

Les petits producteurs sont aussi consommateurs. pour le riz, par exemple, le niger est dépendant à 70 % de l'importation. Le problème, c'est aussi la hausse des coûts de production. on a besoin d'électricité et de pétrole, on est donc très fortement dépendant à ce niveau-là aussi. Chez nous, il y a deux types de vo- latilité : celle des produits importés et celle des pro- duits locaux. nos produits locaux sont soumis aux problèmes liés à nos propres marchés – la corruption des commerçants locaux, notamment, qui créent des situations de rareté artificielle, et puis la qualité des récoltes. pour le reste, c'est au-delà de ce qu'il se passe chez nous.

Entrevoyez-vous des solutions pour améliorer la situation au Niger ?

Les paysans doivent s'organiser, c'est ce dont je m'occupe à travers une coopérative. Le problème chez nous, c'est la désinformation. et puis l’État doit encourager les productions locales de façon à nous débarrasser des importations, qui coûtent de plus en plus cher.

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Près d'un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde. 98% de cette population est au sud.

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2013
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2013

Mais alors, l'ISR, à quoi ça sert?

Soumis par Anonyme le

En bref

  • Pas de vraie responsabilité, sans norme minimale.

  • L'investissement solidaire, c'est aussi du direct.

La transparence, élément central

En raison d'un manque de transparence et d'information, l'investisseur peut difficilement, aujourd'hui, juger de la qualité éthique des produits socialement responsables. L'analyse des fonds montre également que, finalement, il y a peu de différences au niveau des entreprises présentes dans un fonds socialement responsable et celles qu'on retrouve dans un fonds « classique ». Enfin, la demande en ISR n'est pas encore suffisamment forte pour forcer toutes les entreprises à aller plus loin que le greenwashing. Notre difficulté à trouver des sociétés acceptant d'être interviewées sur le sujet pour ce numéro en est d'ailleurs un signe. Telenet, Delhaize, Colruyt, KBC et Belgacom ont reçu notre questionnaire demandant d'expliciter en détails leur politique RSE et leur intérêt à faire partie d'un fonds ISR. KBC nous a reçus, Belgacom nous a répondu sans nous accorder d'interview, et nos autres demandes sont restées sans réponse.

Une norme minimale, point de départ

Pourtant, ce constat peu réjouissant justifierait-il de jeter le bébé avec l'eau du bain ? Lorsque l'on parle d'ISR, on pense principalement aux fonds de placement composés majoritairement de grandes capitalisations boursières. Mais, même si pour ce type de produit l'investissement socialement responsable est largement perfectible, il n'en est pas pour autant inutile. Pour que l'ISR donne sa pleine mesure, il faudrait d'abord la mise en place d'une norme qui garantirait une qualité minimum légale, plus de transparence de la part des banques et des entreprises, et une approche plus axée sur les résultats que sur les processus en matière de responsabilité sociale. Une offre plus large et de meilleure qualité ainsi qu'une promotion plus active des produits ISR permettrait à l'opinion publique d'en cerner les avantages. De telles actions augmenteraient à coup sûr la demande et, par conséquent, impacteraient davantage le comportement des entreprises.

Investir autrement

L'ISR tel qu'on l'entend plus haut ne profite en rien aux petites et moyennes entreprises de notre pays qui peuvent, pourtant, avoir un impact sociétal positif. Ajoutons que le secteur des PME pèse lourd dans le PIB belge. À l’heure du « capital patient », où les entreprises ont besoin d’un soutien de longue haleine, il parait indispensable que les pouvoirs publics assurent la promotion d’autres formes de placements socialement responsables, en dehors de tout jeu boursier. Mais les particuliers peuvent aussi changer la donne. Quand on dépose son argent sur un compte d'épargne éthique, les risques de perdre du capital sont nuls. En achetant une part ou plusieurs parts d'une coopérative agréée ou à finalité sociale ou des obligations d'ASBL, l'investissement éthique est à la portée de chacun¹. C'est sans doute là que l'ISR prend tout son sens.

1. À titre d'exemple, une part de coopérateur chez Alterfin (coopérative agréée qui octroie des microcrédits dans le Sud) coûte 62,5 € et a rendu un dividende de 3,75 % en 2011.


Entreprises responsables ou pas ?

3 questions à Herwig Peeters, directeur d'Ethibel, agence de notation extra-financière pionnière en Belgique.

Y a-t-il un intérêt de la part des entreprises en Belgique à se retrouver dans l’un de vos labels ISR ?

Il est très difficile de parler de manière générale, mais nous percevons un véritable intérêt, dans le sens où les entreprises reprises dans l'un de nos deux labels veulent le mentionner dans leur rapport annuel ou dans leur rapport de durabilité. En termes d’image, c’est important pour elles. Nous sommes en contact avec ces entreprises 5 à 6 fois par an, nous suivons donc de très près les évolutions.

Et au niveau de l’effort fourni justement ? Quelle est la tendance chez nous ?

Il y a de tout bien sûr. Des entreprises qui font un réel effort, d’autres qui ne s’en préoccupent pas. Il n’y a pas d’obligation légale en Belgique, contrairement à la France, à communiquer sur ses performances ESG¹. L’initiative est toujours volontaire, c’est un problème, bien sûr. Au niveau européen aussi. Par exemple, les lois sociales dans les pays scandinaves sont très développées, les entreprises scandinaves ne mentionnent donc souvent pas ces critères dans leur rapport annuel et peuvent passer pour de mauvais élèves en la matière, alors que c'est généralement le contraire. Vous l'aurez compris, c'est une uniformisation au niveau européen qui est nécessaire. Après vingt années passées chez Ethibel, je peux tout de même témoigner d’une vraie évolution, d’une prise de conscience de la part de bon nombre d'entreprises belges cotées ou non cotées en Bourse. Umicore, géant industriel qui a un passé lourd, pas spécialement une bonne réputation, a par exemple totalement viré de bord en quelques années, modifiant très fortement sa culture d'entreprise pour répondre à des exigences ESG. C’est l'un des plus beaux exemples que je puisse citer à ce jour.

Cette prise de conscience est-elle suffisante ?

Non, mais elle est positive tout de même. Au regard du marché américain par exemple, l’Europe s’en sort mieux. L’ISR vient des États-Unis, mais force est de constater que la réalité sociale et environnementale a très mal évolué là-bas. La crise financière constitue bien sûr un paramètre central, ici et là-bas : les entreprises ont moins d’argent. Changer de comportement, prendre en compte de nouveaux critères est une politique à mettre en place sur le long terme, cela prend plusieurs années surtout lorsque l’on parle de grosses structures. Les changements au niveau du management et de l’organisation sont conséquents et les coûts engendrés également.

1. Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance.

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À la lecture des différents articles de ce dossier, on pourrait penser qu'investir dans des produits ISR ne sert à rien tant l'impact sur les entreprises et les États est peu quantifiable. En réalité, tout est dans l'art et la manière.

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Année d'édition
2013
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2013

Quand l'éthique devient risque

Soumis par Anonyme le

En bref

  • Les nouvelles agences de notation sociale manquent d'indépendance.

  • La définition de la responsabilité sociale des entreprises est trop laxiste.

Selon vous, l'ISR a été détourné de son propos initial...

La finance éthique, à l'heure actuelle, est un oxymore. Elle a effectivement été détournée de son sens originel, victime de son succès. Elle n'a pas su proposer d'alternatives crédibles aux dérives de la spéculation et à la cupidité du système bancaire. L'ISR part d'une bonne intention, mais la finance éthique s'est mise à parler le langage du monde financier et a, du coup, récupéré ses mauvaises habitudes.

Vous montrez du doigt notamment les agences de notation sociale. Pourquoi ?

Il y a eu trois grandes évolutions au niveau de ce type d'agences. Les premières sont nées dans les années 80, fruit d'un mouvement social, de militants, loin des professionnels de la finance. Cette première génération était réellement éthique. On s'y intéressait à l'impact des entreprises sur le bien-être social et environnemental des communautés concernées. Ces premières agences ont quasi disparu, victimes d'une concentration du secteur et, surtout, d'une transformation plus générale. Dans les années 90, on entre dans l'ère du développement durable, on commence à parler de « responsabilité sociale des entreprises ». Avoir une image responsable devient important pour les entreprises, le patronat s'en rend compte et soutient le développement de nouvelles agences. L'indépendance de ces agences est très compromise dans le sens où elles sont financées par les entreprises qu'elles notent et par les institutions financières elles-mêmes. Puis la vague financière arrive dans les années 2000, le marché se concentre, davantage aux États-Unis que chez nous, mais cette concentration est le reflet d’une tendance plus générale : l'analyse financière prend le dessus sur l'éthique. Le monde de l'ISR se met à parler de risques extra-financiers, on assiste à un glissement rhétorique important. Les compromis sociaux, les critères environnementaux passent au second plan.

Qu'est que cela implique au niveau de l'analyse extra- financière ?

L'assimilation de la culture « Wall Street ». Les agences de notation extra-financière établissent des classements d'entreprises par secteur. Les gestionnaires de fonds veulent des portefeuilles plurisectoriels pour limiter les risques. Ce qui permet, par exemple, de voir apparaître dans un portefeuille ISR une entreprise pétrolière parce qu'elle est la meilleure de son secteur. Même si son département énergies renouvelables pèse moins de 3 % de son chiffre d’affaires. L'approche financière, celle qui prend le dessus sur l'éthique, permet ce genre de dérapage.

Vous parlez également d'un problème au niveau de la responsabilité sociale des entreprises ?

La définition établie par la Commission européenne est celle qui prime encore aujourd'hui. Or cette définition parle d'autorégulation : elle est centrée sur « le process », sur la transparence et non sur les résultats. Les entreprises sont libres de prendre les mesures qu'elles souhaitent, mais souvent se limitent au strict minimum. Il faut comprendre qu'une entreprise est conditionnée : le monde financier pense « court terme ». Le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises sont des valeurs sur le long terme, le très long terme. C'est un antagonisme même.

Quelle est la solution selon vous ?

Pour les particuliers : changer de banque et opter pour une institution éthique, tournée vers l’économie sociale et solidaire ou privilégier les investissements directs. Pour les grands investisseurs, le besoin de financement est là, les fonds ISR sont nécessaires, mais pas sans régulation. 


L'avis d'un gestionnaire de fonds

KBC est leader du marché ISR en Belgique. Nous avons demandé à Geert Heunicks, Head CSR Department chez KBC, quelle était la politique de la banque en la matière.

Comment KBC définit-il son univers d’investissement ?

Nous utilisons une méthodologie « best in class » combinée à des critères d'exclusion. Cette analyse est réalisée en externe. Plusieurs secteurs (les armes, les paris, etc.) et comportements sont strictement exclus de notre univers d’investissement. D'autres banques en excluent d'autres, car l’éthique est « personnelle ». Je vais vous donner un exemple concret : prenez une entreprise pétrolière ou minière, n'importe laquelle. Il est quasi impossible de trouver une entreprise de ces secteurs qui sera parfaite sous les angles sociaux ou environnementaux. Doit-on pour autant exclure strictement le secteur des matières premières d’un produit ISR, alors que ce secteur est essentiel au fonctionnement de notre société ? Non, pas selon KBC. Par contre, si nous apprenons qu'une entreprise a enfreint des normes que nous nous sommes imposées, nous l'excluons directement¹ ! Ce que nous avons fait avec Total ou Apple, par exemple. Pour composer le portefeuille, le gestionnaire du fonds se charge de puiser dans les entreprises durables sélectionnées par KBC en répliquant le « benchmark » du marché. Ce que nous promettons à l'investisseur durable c'est une offre de qualité, pas une offre parfaite.

C'est l'une des limites de l'ISR, selon vous, que de ne pas pouvoir proposer une offre parfaite ?

L'ISR marie deux secteurs complètement différents. C'est un outil tout à fait unique. Il utilise l'instrument le plus capitaliste au monde, les marchés financiers, pour améliorer les pratiques plus responsables des entreprises, pour encourager les meilleurs acteurs au niveau environnemental, social, et de bonne gouvernance. L'ISR crée un nouveau dialogue avec les entreprises, encourage leur développement sociétal, je pense que, dans ce sens, il est primordial de continuer dans cette voie.

Cette année, vous n'avez pas proposé de nouveaux produits ISR ? Les parts de marché et l'encours du secteur chute en conséquence. Pourquoi ?

Nous restons toujours leader du marché, c’est important. Mais il est vrai que nous n'avons pas eu de demande spécifique pour créer de nouveaux produits ISR cette année. Il ne faut pas non plus chercher trop loin : la demande en produits de placement est très faible de manière générale actuellement, c'est donc une conséquence de marché. Les produits à rendement fixe ont, par exemple, plus de succès. Un véritable intérêt pour l’ISR s'exprime, mais il y a moins d'argent à investir. Nous continuons de travailler à l'amélioration de notre méthodologie, nous restons très attentifs à intégrer toutes les nouvelles données. Si nous recevons de nouvelles demandes, nous créerons de nouveaux produits.

1. Sauf pour les produits structurés dont le panier d'actions est à rendement fixe. Le RFA a choisi de coter à zéro ce type de produits. Ce type de fonds se construisant sur une réalité temporelle : le panier d'actions correspond à des États et des entreprises bien notés sur des aspects extra-financiers à la création du fonds mais, si ces entreprises ou ces Etats ne tiennent pas leur promesse pendant la durée de vie du produit, aucune modification ne sera apportée.

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Avant d'écrire « Finance éthique : le grand malentendu », Gaëtan Mortier comptait parmi les 15 meilleurs analystes ISR au monde selon Thomson-Reuters. Son ouvrage pointe deux gros bémols au monde de la finance solidaire.

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2013
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2013

Des fonds de placement peu convaincants

Soumis par Anonyme le

En bref

  • Fonds ISR et fonds classiques, même combat ?

  • Les méthodologies ISR sont nombreuses.

  • Le gestionnaire est celui qui décide.

L’investisseur socialement responsable place la priorité dans le soutien des entreprises et des États qui agissent positivement pour l’homme et pour la planète. Un fonds de placement ISR devrait donc privilégier ces institutions. En poussant la logique au plus loin, une différence significative devrait apparaître entre les portefeuilles des fonds durables et ceux des sicav classiques. Il n’en est rien.

Une qualité toute relative

Pour mesurer l’ampleur du problème, il faut d’abord appréhender la grande disparité du marché actuel de l’ISR : d’un produit à l’autre, la qualité varie du tout au tout¹, sans que l’investisseur, lui, ne puisse réellement faire la différence. L’étiquette « durable », « responsable », « solidaire », « éthique », etc. est auto-apposée par le gestionnaire d’un fonds et ne dit finalement pas grand chose sur sa qualité éthique. Pour pouvoir en juger, l’investisseur devra examiner la méthode que le gestionnaire privilégie et la manière dont il l'applique. Actuellement, il existe quatre approches ISR. Pour composer un univers d’investissement, c.-à-d. l’ensemble des entreprises et des États qui en font partie de son portefeuille, le gestionnaire en choisira une ou en combinera plusieurs. Si son portefeuille est concentré sur un secteur en particulier, les énergies renouvelables par ex., on parlera de « fonds thématiques ». Cette méthode, prise isolément, ne garantit en rien la qualité des actifs sélectionnés. Le gestionnaire aura également la possibilité d’appliquer à sa sélection des critères négatifs en excluant des secteurs d’activités qu’il juge dommageables, p. ex., le pétrole, le nucléaire, les armes, etc. S’offre également à lui l’option de l’activisme actionnarial : à travers les actions présentes dans son fonds, le gestionnaire détient une partie du capital d'une entreprise et peut faire passer, lors des assemblées générales, des motions en vue d’améliorer la responsabilité sociale de l’entreprise en question. En réalité, ce pouvoir à contraindre les entreprises à modifier certains points de leur gestion est très peu appliqué en Belgique². Enfin, la sélection du portefeuille peut se faire en décidant de critères positifs pour les entreprises et les États, la plupart du temps suivant une méthode dite « best in class ». Le gestionnaire – ou une agence de notation extra-financière à qui il délègue le travail – note chaque entreprise sur ses performances sociales, environnementales et de bonne gouvernance. Les notes de chaque critère sont pondérées suivant le secteur – une banque pollue forcément moins qu'une entreprise pétrochimique ! – ainsi que suivant l'importance que le gestionnaire lui accorde. En d'autres termes, c'est le gestionnaire qui décide si un critère spécifique, comme la formation des travailleurs ou la production de CO2, est important pour juger de la qualité d'une entreprise. On le voit, la latitude est totale. La méthode « best in class » qui, force est de le constater, est la plus privilégiée par le marché actuel de l’ISR, met la priorité sur les entreprises de la classe les moins mauvaises au sein d'un même secteur. Et permet ainsi de répondre facilement à des objectifs financiers classiques : diversification, baisse des risques financiers, rentabilité...

Le paradoxe

Mais, en sélectionnant les entreprises les « moins pires » et en cherchant à se diversifier au maximum – plus un portefeuille est large, moins les risques sont élevés -, les gestionnaires de fonds ISR confrontent l'investisseur à de gros paradoxes. Prenons les titres d'institutions financières : la majorité des produits offerts par une banque ne sont pas éthiques (fonds de placement classiques, comptes d'épargne classiques...). Les revenus de ces produits sont donc alloués à des entreprises non durables. Ce qui n'empêche pas de retrouver des titres d'institutions financières dans quasi tous les fonds ISR ! Est-il vraiment logique de financer, via un placement responsable, une entreprise qui, elle-même, ne tient pas compte de ces critères dans ses propres investissements ? Autre cas de figure : les magnats pétroliers, qui font parfois figure de modèles en matière de gouvernance sont repris dans plusieurs fonds ISR, mais également responsables d’une marée noire de temps en temps... Ces différents exemples montrent que les critères positifs d'évaluation et la manière dont ils sont appliqués restent toujours des critères de surface et ne permettent que difficilement – par manque de transparence également – de juger de la qualité sociétale d'une entreprise ou d'un État.

Pas d'innovation

Au-delà de ce premier paradoxe, le manque de diversité est évident : la composition des portefeuilles ISR offrant peu de nouveautés par rapport aux fonds classiques, composés uniquement de grosses capitalisations boursières. Un fonds de placement doit en effet être composé au minimum de 90 % d'entreprises cotées en Bourse ; et le marché préfère, par nature, les grosses capitalisations, plus liquides (qui peuvent s'échanger plus facilement sur les marchés) aux petites. Petites capitalisations et PME sont donc quasiment exclues de l'univers d'investissement ISR ! Pour donner un exemple concret, prenons un indice boursier classique, le CAC 40 et le premier indice boursier ISR, l'ASPI Eurozone : 80 % des entreprises composant les deux indices sont identiques³. L'offre ISR est donc très fortement restrictive, ce qui pose problème. Historiquement, la preuve en a déjà été faite : lorsqu'une banque décide d'assortir sa stratégie ISR d'une stratégie commerciale, les résultats sont efficients. Au vu d'une certaine prise de conscience citoyenne et des pouvoirs publics, on pourrait imaginer que ce type de placements soit de plus en plus encouragé. Or, c'est actuellement le contraire qui s'opère sur les marchés. Dans la stratégie globale d'une banque, l'approche ISR reste minime, sinon inexistante.

 

1. Sur le site www.financite.be, dans la rubrique « investir », le lecteur trouvera tous les produits ISR commercialisés en Belgique avec pour chacun d'eux une « note éthique » de 0 à 4 étoiles.

2. CAYROL, A., Engagement actionnarial, quels outils ? et Engagement actionnarial : une démarche intéressante mais un reporting à améliorer, RFA, mars 2012.

3. HERNALSTEEN, M., « Le "Best-in-class" : favoriser les meilleures pratiques de responsabilité sociétales des entreprises (RSE) », avril 2012, RFA.

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En 2012, 66 % des capitaux investis en ISR l'étaient dans des fonds de placement. Pourtant, les portefeuilles durables diffèrent peu des fonds classiques : ils sont quasi intégralement composés de grosses capitalisations, rarement responsables sur tous les tableaux.

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Ethique ou socialement responsable?

Soumis par Anonyme le

En bref

  • L'ISR va plus loin que l'éthique.

  • Aujourd'hui, il s'agit d'encourager la responsabilité sociétale.

Derrière ces variations terminologiques, il est certain que l’on retrouve souvent le même socle fondateur : la prise en compte des impacts sociétaux dans les décisions d’investissement ou de placement à travers des considérations éthiques, sociales et environnementales, au-delà des objectifs financiers traditionnels. En gros, l’épargnant ou l’investisseur prend acte du fait qu’investir son argent dans une entreprise, placer son argent à la banque – qui, elle-même, le prêtera à des entreprises, des États, des institutions – n'est pas un acte neutre.

Avant d'être qualifié de « socialement responsable » (ou non), l'investissement n'a d'abord été considéré que sous l'angle éthique par ceux qui souhaitaient inclure une dimension extra-financière dans leurs choix de placements. Il comportait une dimension morale, pouvant différer d'un groupe, d'une époque, d'une culture et d'un pays à l'autre... S'il est prévisible que, interrogés sur le sujet, la majorité d’entre nous conviendraient aisément qu'investir dans des entreprises d'armes controversées n'est pas éthique, qu’en serait-il de l'investissement dans des entreprises productrices d'énergie nucléaire ? De la pilule abortive, etc. ? L'éthique est personnelle, celle de l’un n’est pas celle de l’autre.

D'abord exclure

L'investissement éthique, donc, ne date pas d'hier. Historiquement, l’éthique appartenait essentiellement à la sphère religieuse. L’intégration de critères autres que financiers dans les décisions d’investissement est apparue pour la première fois aux États-Unis, dans le courant du XIXe siècle, sous l’action des quakers américains qui refusaient d’investir dans les deux marchés les plus rentables de l’époque : l’armement et le commerce d’esclaves. Par la suite, le mouvement s’est perpétué sous la pression exercée par les congrégations religieuses qui s'abstenaient d’investir dans des actions « du péché » (sin stocks), et qui excluaient d’emblée de leur politique d’investissement les entreprises actives dans l’alcool, le tabac, le jeu, l’armement et la pornographie. D’où le terme d’« investissement éthique ». Progressivement, les champs d’exclusion se sont élargis à d’autres secteurs d’activité, à d’autres zones géographiques et à d’autres investisseurs en fonction des nouvelles revendications portées par des groupes de pression d’origines diverses : guerre du Vietnam et refus de financer l’industrie de l’armement ; régime de discrimination raciale en Afrique du Sud et boycott des investissements au nom de l’antiracisme ; catastrophe de Tchernobyl, échouement de l’Exxon Valdezet lutte pour la protection de l’environnement, ...

Ensuite, s'ouvrir

Dans les années 1980, et à l'initiative d'un activiste américain, Leon Sullivan, le concept entre dans une nouvelle logique : en lieu et place d’exclure des entreprises en fonction de leurs activités, on s’intéresse davantage à leur mode de fonctionnement, à leurs engagements vis-à-vis de la société. On les compare entre elles et l'on sélectionne celles qui affichent une réelle responsabilité sociétale. On parle désormais d’« investissement socialemen responsable » (ISR). Les scandales financiers de ces dernières années n’ont fait que renforcer l’importance de la notion de responsabilité dans les actes financiers ainsi que dans le rôle d’actionnaire.

Dans sa version embellie, on voudrait croire qu'investir de manière socialement responsable permet de ne soutenir financièrement que des entreprises ou des États qui ont un comportement sociétal exceptionnel ou tout au moins au-dessus de la moyenne et, d'autre part, que l'ISR obligerait les entreprises à améliorer leur responsabilité sociétale en vue d'être sélectionnées dans les produits ISR. Mais les faits (voir articles suivants) montrent que la réalité n'est pas aussi tranchée.


Les différents types de produits financiers socialement responsables

Aujourd’hui, on distingue sur le marché belge, trois manières d’investir de façon socialement responsable :

Via un compte d'épargne. L'argent que vous y déposez est réinvesti dans des entreprises et États qui respectent des critères sociaux, environnementaux et de bonne gouvernance. Seules quelques banques (Banque Triodos, BNP Paribas Fortis et VDK Spaarbank) proposent des comptes d'épargne éthiques en Belgique.

Via un fonds de placement. Vous investissez votre argent dans un « panier » d'actions et/ou d'obligations composé d'entreprises ou d'États sélectionnés par le gestionnaire du fonds sur la base de critères sociaux, environnementaux et de bonne gouvernance. Pratiquement, toutes les banques commercialisent des fonds durables, avec de fortes différences dans les critères de sélection et dans la méthodologie utilisés.

Via un produit d'investissement solidaire tel que les parts sociales d'une coopérative agréée. Vous investissez directement votre épargne dans la coopérative. Les coopératives agréées respectent plusieurs critères dont la limitation du dividende (maximum 6 %), la redistribution des bénéfices au profit des membres sous forme de ristourne par exemple, ou encore la gratuité pour l'exercice du mandat des administrateurs.

Dans les deux premières formules (comptes d’épargne et fonds de placement), vous n’obtiendrez que très peu d'information sur les entreprises et États dans lesquels est placé votre argent. A contrario, avec les parts sociales, vous savez exactement à quoi celui-ci servira.

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Éthique, responsable, durable, socialement responsable, soutenable, extra-financier, non traditionnel, alternatif... Pour l'épargnant et l'investisseur, difficile de s'y retrouver parmi cette profusion de termes.

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Financité Magazine n°28 : La dette dans tous ses États

Soumis par Anonyme le
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La dette publique de A à Z p.4 - Annuler sa dette, bonne ou mauvaise idée ? p.8 - Pour une autre finance - Épargnez ensemble avec les CAF p.12 - Finance halal et solidaire ? p.14

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2012
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Date d'édition
19/11/2012
Mois d'édition
Novembre