Crédit recto, crédit verso
L'accès au crédit est un facteur important d'inclusion financière. À utiliser avec sagesse : il ne remplacera jamais l'épargne comme filet de sécurité lors d'accidents de la vie.
Le crédit est un outil financier très important pour permettre l'accès à des biens ou à des services dont le coût, additionné aux autres charges du ménage, est supérieur au budget mensuel. Il en va ainsi des dépenses relatives aux véhicules, au logement, à l'ameublement, à la garantie locative. Il permet de lisser la consommation et d'atténuer les conséquences économiques des accidents de la vie (perte d'emploi, séparation, accident...)
Il peut toutefois s'avérer destructeur et entraîner l'emprunteur dans la spirale du surendettement, s'il n'est pas accordé à bon escient. L'utilisation d'une épargne préalable, lorsqu'elle est possible, peut évidemment éviter cet écueil.
Le non-accès au crédit peut handicaper l'inclusion sociale :
Certains types de crédit – comme le fait de pouvoir aller en négatif sur un compte courant ou de disposer d'une carte de crédit – sont à ce point banalisés dans certaines régions d'Europe, qu’il peut être stigmatisant de ne pas en bénéficier.
- Le fait de ne pas pouvoir se procurer certains biens peut avoir un impact sur le standard minimum de vie, le niveau de bien-être et l'estime de soi.
Le crédit inapproprié crée d’autres problèmes qui handicapent aussi l'inclusion sociale : - Difficultés de remboursement et déséquilibre du budget du ménage pendant une longue période peuvent mener au surendettement, qui peut lui-même mener à l'exclusion sociale.
Un crédit approprié ?
Des organismes de prêt sans but lucratif mènent des projets pilotes d’octroi de crédit à la consommation. Cette expérience montre l'impact social positif qu'un petit crédit approprié peut avoir sur un ménage généralement « exclu du crédit » : accroissement de la mobilité, accès à une formation ou amélioration de la qualité du logement, accroissement de la santé et de l'estime de soi, qui peuvent eux-mêmes générer un revenu futur et un bien-être général plus élevés1.
Bon élève, mais peut mieux faire
En Belgique, la législation encadrant le crédit est une des plus protectrices de l'Union européenne. Ce cadre juridique a montré son efficacité pour prévenir les abus et l'explosion du surendettement, d'où l'intérêt de mieux le connaître et de mieux le faire connaître auprès de nos voisins. Néanmoins, il reste perfectible ! Ci-après, quelques suggestions d'amélioration lancées par les organisations membres de la plate-forme belge « Journée sans crédit », à laquelle a adhéré le Réseau Financement Alternatif2 :
Le cadre juridique belge | Propositions d'amélioration de ce cadre |
La publicité pour le crédit ne peut inciter au surendettement ni mettre en valeur abusivement la facilité et la rapidité d'octroi d'un crédit, ni le regroupement de crédits. | Interdire plus généralement de telles publicités, en retirant le terme « abusivement » de l'article 6 §1 al. 2 et 3 de la loi sur le crédit à la consommation. |
Le prêteur est tenu d'informer et de conseiller son client, de vérifier sa solvabilité via la Centrale des crédits aux particuliers, et de l'orienter vers un crédit approprié. | Dans les faits, cette information est souvent incomplète. C'est surtout le cas lors d'ouvertures de crédit dans un magasin ou par correspondance (« credit revolving »). Cette activité doit être mieux encadrée. |
Dans le cas d'ouverture de crédit à durée indéterminée, un délai de “zérotage” oblige le consommateur à rembourser la totalité de sa dette avant de pouvoir effectuer un nouveau prélèvement (d'où l'idée de “remise à zéro”). | Tous les contrats d'ouverture de crédit – et pas seulement ceux dont les mensualités ne comprennent pas une part de sremboursement en capital – devraient être soumis à un tel mécanisme. Le délai de zérotage devrait être plus court. |
L'affichage des prix étant obligatoire, l'offre de crédit doit mentionner le taux annuel effectif global (TAEG), entre autres mentions. | La traduction du TAEG en pourcentage mensuel rendrait le prix des ouvertures de crédit plus transparent. Ce prix devrait inclure tous les frais relatifs à la souscription. |
Le prêteur doit aussi vérifier la solvabilité de l'aval (la personne qui se porte garante). | À cause de cette protection légale de l'aval, on voit se multiplier l'exigence de la part des prêteurs de « co-débiteurs solidaires ». Ceux-ci devraient aussi être protégés.> |
La Centrale des crédits aux particuliers
Chez nous, ce que l'on appelle communément le fichier positif et négatif des crédits est géré par la Centrale des crédits aux particuliers, au sein de la Banque nationale. L'ensemble des crédits à la consommation et les crédits hypothécaires y sont enregistrés par les prêteurs. Ces derniers doivent le consulter avant d'octroyer un nouveau crédit.
Les consommateurs ont un droit de regard sur les données qui les concernent : ils peuvent obtenir un extrait de leur fichage. Ils reçoivent un avis lorsqu'ils sont enregistrés pour un crédit défaillant. Les données collectées permettent donc aux prêteurs d'accéder à une information complète et fiable sur les crédits utilisés par les demandeurs, ce qui représente un premier pas vers une objectivation de l'obligation légale de vérification de la solvabilité.
Taux d'intérêt : il y a des limites
Les taux d'intérêt des crédits à la consommation sont plafonnés en Belgique. L'intérêt d'une telle loi est d'interdire une offre de crédits qui ne se soucie guère de la capacité de remboursement réelle des clients, puisque la rentabilité des produits est telle que les prêteurs peuvent gérer un nombre beaucoup plus élevé de contentieux sans que cela leur porte préjudice.
Le fonds de traitement du surendettement
En Belgique, le Fonds de traitement du surendettement rembourse les honoraires et les frais des médiateurs de dettes qui n'ont pas pu être payés par le débiteur. Ces frais sont donc à charge du débiteur et c'est uniquement dans le cas où ils restent impayés que le juge peut les mettre à charge du Fonds de traitement du surendettement3.
Le fonds de traitement du surendettement est financé par les établissements de crédit qui sont tenus légalement de payer une cotisation calculée comme suit :
- 0,02 % du total des arriérés de paiement en matière de crédit hypothécaire enregistrés dans la Centrale des crédits aux particuliers gérée par la Banque nationale de Belgique ;
- 0,2 % du total des arriérés de paiement en matière de crédit à la consommation enregistrés dans ladite Centrale.
En 2006, la nécessité de renflouer ce fonds a amené le législateur à imposer aux établissements de crédit de payer une cotisation complémentaire. Les pourcentages dus s’élevaient alors respectivement à 0,03 % et à 0,3 %.
Ainsi, en fonction de l'état du fonds de traitement du surendettement, l'État peut adapter la quote-part des établissements de crédit. Ceux-ci n'ont donc pas intérêt à ce que la situation globale des personnes surendettées se détériore, puisque dans ce cas ils seront amenés à payer des cotisations plus élevées pour assurer des revenus aux médiateurs de dettes.
Le crédit à l'anglaise a un goût amer
Au Royaume-Uni, où 18 % de la population est en situation précaire, le crédit est nettement moins réglementé qu'en Belgique. Force est de constater que l'absence d'un cadre réglementaire fort y permet le développement de pratiques usurières, voire d'un marché illégal du crédit, qui amènent certaines personnes dans des situations personnelles désastreuses.
C'est ainsi qu'on distingue les marchés de crédits « prime » et « subprime » : ces derniers sont plus coûteux mais néanmoins accessibles aux personnes dont les revenus sont insuffisants ou trop irréguliers pour pouvoir obtenir un crédit classique (prime). Parmi les entreprises spécialisées dans ce type de crédit « high cost », les compagnies « home credit » prêtent de petites sommes pour de courtes durées, et collectent les remboursements chaque semaine à domicile. Le fait que leurs clients présentent plus de risques d'insolvabilité justifie, selon ces entreprises, les hauts taux d'intérêt pratiqués : entre 100 et 400 % ! En 2004, 5 % des consommateurs britanniques (environ 2,3 millions de personnes) avaient contracté un home credit dans le courant de l'année.
On constate aussi au Royaume-Uni un certain succès des prêteurs à gages et des monts-de-piété. Plus grave, les prêteurs illégaux qui useront, s'il le faut, de violence ou d'odieux marchandages pour recouvrer leur dû : en 2006, 0,44 % de la population anglaise aurait déjà eu recours à de tels prêteurs, soit 3 % des ménages à bas revenus...
Irlande: focus sur les pratiques des prêteurs
Caroline Corr travaille dans une agence conseil du gouvernement irlandais pour la lutte contre la pauvreté4. Les témoins qu'elle réunit pour ses recherches échangent leurs expériences en matière de crédit : difficulté d'accès aux banques qui ne prêtent qu'aux riches, alternative des « credit unions », facilité apparente de recourir aux prêteurs à la petite semaine même si en fin de compte ça finit par coûter cher... Extraits d'interviews :
« Je suis tombée dans cette voie et c'est une voie vraiment pénible. Le jour où j'ai commencé à travailler, j'ai dit, « c'est terminé », parce qu'ils vous chargent un intérêt énorme : pour 100€, vous devez rembourser 125€. Je suis tombée là-dedans, je ne devrais pas le dire mais j'étais dépassée. J'ai tout remboursé pour en être quitte, et après j'ai été voir mon credit union » .
« Alors j'ai dit à mon mari : ça suffit. Il faut qu'on arrête. Je ne pouvais pas continuer comme ça. Donc je les ai payés. Ils avaient l'habitude de revenir demander « voulez-vous ceci ? », et j'ai répondu « Non, je me débarrasse de tout cela, je ne veux plus, je ne peux plus me le permettre, c'est fini ». J'ai été déposer mon argent dans un credit union et je suis repartie sur cette base là ».
« Moi j'ai fait appel aux prêteurs parce que les banques de mon pays m'ont contrainte à cette dépense, vous savez ? Si j'avais eu une quelconque assistance de leur part, je n'en serais pas arrivée là. C'est vrai que ce sont des requins. Mais comment faire autrement ? J'y étais acculée, alors pourquoi ne leur serais-je pas reconnaissante ? Je dis « merci Monsieur », c'est tout.
« Ils frappent à chaque porte dans mon quartier. Ils proposent à tout le monde un bon, après il faut rembourser la somme et si vous voulez de l'argent, ils vous le prêtent ».
« Au départ, je trouvais ça super, jusqu'à ce que je l'inscrive noir sur blanc sur du papier, vous voyez ce que je veux dire ? Ils n'aiment pas dire ou vous faire remarquer ce qu'il faut rembourser. En gros, ils donnent l'argent et la semaine suivante ils reviennent ; et il faut commencer à rembourser, et ils ne disent rien à propos du reste ».
« 300€, tu peux commencer avec ça, et si tu le rembourses chaque semaine tu peux avoir 500€ et ainsi ça monte, mais évidemment, plus tu empruntes plus tu dois rembourser ».
Le coin des bonnes adresses
Crédal, crédit social accompagné
Tél. : 010/48.33.50
Place de l'Université, 16
1348 Louvain-la-Neuve
Observatoire du crédit et de l'endettement
Tél. : 071/33.12.59
Château de Cartier - Place Albert 1er, 38
6030 Marchienne-au-Pont
Liste des services de médiation de dettes en Belgique
Centre d'appui aux services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale, GREPA
Tél. : 02 / 217.88.05
Boulevard du Jubilé, 153-155
1080 Bruxelles
Plateforme "Journée sans crédit"
1 Cf. article sur le crédit social accompagné en pp. 12-13 de ce magazine.
2 A. Defossez, A. van den Broeck, “Les ouvertures de crédit : constats et recommandations pour une meilleure protection des consommateurs”, Plate-forme journée sans crédit, novembre 2007.
3 article 1675/19 du Code judiciaire
L'accès au crédit est un facteur important d'inclusion financière. À utiliser avec sagesse : il ne remplacera jamais l'épargne comme filet de sécurité lors d'accidents de la vie.
Modalités de mise en oeuvre d'un mécanisme de Tiers Investisseur et d'autres formules de financement
En région de Bruxelles-Capitale, près de 3/4 des émissions de gaz à effet de serre sont produites par l'usage de l'énergie dans les bâtiments (chauffage des locaux et de l'eau). Or, on constate actuellement que Bruxelles occupe la dernière place des pays européens en matière d'isolation des bâtiments. Dans ce contexte, compte tenu du rôle de co-responsable de la Région de Bruxelles dans le respect de certains engagements internationaux (Kyoto), les autorités de la Région souhaitent mettre en oeuvre une politique favorisant les investissements dans le domaine de la performance énergétique des bâtiments, lorsque ceux-ci présentent une rentabilité suffisante. La question qu'il convient alors d'examiner est celle de la promotion en région de Bruxelles-Capitale du financement des investissements dans la performance énergétique des bâtiments. Dans un premier temps, l'IBGE et le cabinet ont commandé une étude précisant la rentabilité et la pertinence économiques d'une série d'investissements dans la haute performance énergétique des bâtiments. Cette étude doit permettre de comparer les coûts d'investissements de différentes options de rénovation / construction des bâtiments en fonction des économies d'énergie escomptées et ainsi d'identifier les investissements économiquement rentables. Sur base de cet état des lieux, il conviendra de définir les mécanismes permettant de motiver les propriétaires / gestionnaires des bâtiments à réaliser ces investissements, au moyen d'instruments du type réglementaire, de sensibilisation ou d'incitants financiers. En cette dernière matière, il existe déjà en région de Bruxelles-Capitale, une série de primes et de subsides à disposition des particuliers, personnes morales et pouvoirs publics visant à promotionner les investissements en économies d'énergie : primes Energie, primes d'encouragement à la rénovation de l'habitat, subventions « Brureba », primes à l'investissement, réductions d'impôts, ... Ces différents subsides sont en cours d'évaluation pour en accroître à terme l'efficacité, la pertinence et la cohérence. Parallèlement au renforcement des subsides, la région de Bruxelles-Capitale souhaite étudier les possibilités de partenariat avec le secteur privé qui, détenant des moyens importants, pourrait être intéressé à les investir utilement dans des projets économiquement rentables, tels que ceux portant sur la performance énergétique des bâtiments. Ainsi, la présente étude doit permettre d'inventorier, de caractériser et de comparer des mécanismes permettant de favoriser le financement des investissements dans la performance énergétique des bâtiments ainsi que de développer des formules alternatives de mise à disposition de moyens financiers supplémentaires, en partenariat avec des interlocuteurs privés. Nous allons donc d'abord chercher à caractériser les groupes cibles proposés à partir des quatre grands groupes décrits dans les termes de référence : Résidentiel privé, Sociétés de logement, Tertiaire privé,Tertiaire public. Pour ce faire, nous avons établi une grille montrant pour chaque groupe ses particularités, ses attentes ainsi que les obligations et contraintes qui lui sont généralement propres. Ensuite, nous avons inventorié les formules actuelles de financement des investissements en efficacité énergétique (EE) et en performance énergétique des bâtiments (PEB) et les avons distribuées selon leur applicabilité aux groupes cibles. Enfin, les types d'investissements en PEB les plus porteurs et les plus aisément applicables ont été listés et eux aussi distribués aux groupes cibles selon leur applicabilité.
Centrale des crédits aux particuliers : les données 2006 sous la loupe ?
Chaque année, la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) publie certaines des données statistiques dont elle dispose. Comment évoluent le crédit à la consommation et le crédit hypothécaire en Belgique ? État des lieux des données clés.
Le crédit aux plus démunis profite aux mieux nantis !
Banco Compartamos
Banco Compartamos est une institution de microfinance mexicaine créée en 1990 grâce à des subventions variées. Le 20 avril dernier, elle a lancé une offre publique de vente de 30 % de son capital. Cette offre a été souscrite 13 fois, ce qui peut être considéré comme un succès important sur tout marché financier.1 La demande n’ayant pas pu être satisfaite, le prix des actions, a grimpé jusqu’à atteindre 22 % de hausse dès le premier jour d’échange. Les actions ont finalement été achetées par les gestionnaires de fonds internationaux habituels et d’autres investisseurs commerciaux. Le succès de cette offre est lié à divers facteurs : la croissance et la rentabilité exceptionnelles de Compartamos, une pénurie d’investissements mexicains sur les marchés émergeants, une valeur rare, une gestion solide de l’organisation et l’intérêt suscité par la microfinance. En ce qui concerne la rentabilité, Banco Compartamos génère des profits importants (rendement de 56 % sur les fonds propres) grâce aux taux d’intérêt élevés qu'elle pratique, qui dépassent 100 %, c'est-à-dire des taux intérêts qui sont considérablement supérieurs à ce dont la banque a besoin pour couvrir ses coûts.2
Selon Standard & Poor’s, l’une des trois principales société de notation financière, les plus de 15 milliards de dollars de microcrédits actuellement recensés sont dérisoires par rapport au potentiel, qui est, lui, de l’ordre de 150 milliards de dollars3. En septembre, Standard & Poor’s prévoit d'ailleurs de définir de nouvelles normes mondiales et devrait noter environ vingt organismes de microcrédits, mesure demandée par les fonds de pension et autres, pressés de toucher les rendements alléchants que peut offrir ce segment.
Un autre aspect de cet engouement est la titrisation des crédits, c'est-à-dire l'émission de titres représentant une société spécialement créée pour acheter le portefeuille de crédit d'un organisme prêteur. De cette manière, l’investisseur acquiert en quelque sorte une fraction du portefeuille de crédits, avec le rendement mais aussi les risques liés à celui-ci. En mai dernier, la banque d'investissement Morgan Stanley a ainsi titrisé des petits crédits accordés par une douzaine d’organismes à but lucratif – valeur totale : 108 millions de dollars – en un titre négociable rapportant jusqu’à 7,7 %. Et, annonce Standard & Poor’s, deux autres poids lourds de l’industrie devraient eux aussi se jeter à l’eau cette année, en offrant 500 millions de dollars au total en titres.
Les rendements sur fonds propres élevés qu'espèrent les investisseurs suscitent l’intérêt des grands noms du capital risque. En mars, la société Sequoia Capital, qui finance des entreprises comme Google et YouTube, s’est jetée sur une participation de 11,5 millions de dollars dans SKS Microfinance, basée à Hyderabad, en Inde. Depuis sa fondation en 1998, SKS a accordé des prêts à 731 000 Indiens, à des taux allant de 24 à 30 %.4
Crise des subprimes
La « crise des subprimes » que nous avons connue cet été a, quant à elle, été provoquée par un krach des prêts hypothécaires à risque aux Etats-Unis : les subprimes. Aux Etats-Unis, les banques et assurances classent leurs clients en non-primes, primes et subprimes selon les risques estimés de défaillance de l’emprunteur ; les subprimes étant les plus potentiellement défaillants. Les subprime mortgage sont donc des prêts hypothécaires censés permettre à de petits salariés, voire à des chômeurs, de devenir propriétaires. Ces crédits sont accordés par des institutions financières de moins en moins regardantes sur le profil de l’emprunteur. Ils ont un taux d’intérêt très élevé, de 4 à 5 points supérieur au taux normal (prime de risque), et variable en fonction de l’évolution des taux de la Réserve fédérale américaine. Leur remboursement se fait souvent suivant la règle du 2 28 : deux ans de remboursements très faibles, puis 28 ans à pleine charge. Les montages financiers permettent parfois de prêter jusqu’à 110 % de l’acquisition.
Ces prêts ont connu un grand succès lié au fait que le taux directeur de la Réserve fédérale américaine était très faible. Mais ce taux s'est mis à augmenter : il est passé de 1 % en 2004 à plus de 5 % en 2007. Une hausse des taux longs s'en est suivie, qui a entraîné une augmentation des montants de remboursement, et certains ménages ont commencé à ne plus pouvoir faire face à leurs dettes. Près de 1,2 million de prêts immobiliers ont fait défaut en 2006 aux Etats-Unis, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2005, avec bien sûr pour conséquence immédiate et dramatique la mise en vente des logements.5
Par ailleurs, à partir de 2006, le marché immobilier américain est entré dans une crise, faisant baisser les prix des logements. Dans ce contexte, en cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur n'arrive plus à recouvrer la totalité de sa créance en revendant le bien immobilier. A la faillite personnelle des emprunteurs s'est donc ajoutée une série de graves difficultés financières pour les prêteurs et certains de leurs banquiers.
La combinaison des deux facteurs a conduit à une crise financière internationale. En effet, des titres représentatifs de ces subprimes se sont négociés sur le marché des prêts hypothécaires et la crise connue par les prêteurs s'est répercutée sur les marchés financiers dès que les créances douteuses ont été révélées par les organismes prêteurs.
Conclusions
Ces deux exemples, par ailleurs très différents, montrent deux choses : d'une part, l'activité de crédit peut générer des revenus très élevés grâce à des taux d'intérêt d'usuriers car les pauvres n'ont souvent pas d’autre solution et, d'autre part, les marchés de capitaux s’intéressent très sérieusement à ce marché des crédits aux pauvres, au moins pour spéculer sur la période durant laquelle ceux-ci sont encore en capacité de rembourser.
Car c'est là que se situe le problème. Aux Etats-Unis, au Mexique ou partout ailleurs dans le monde, les individus et ménages à revenus modestes n'accèdent pas au crédit classique, soit parce qu'il n'existe pas d'institution financière pour les servir, soit parce qu'ils ont un profil jugé trop risqué ou simplement insuffisamment évaluable. Pour eux, l'alternative se pose souvent en ces termes: ne pas bénéficier d'un crédit, alors qu'il s'avère parfois indispensable pour lancer ou soutenir une activité professionnelle ou tout simplement pour faire face à un aléa de la vie, soit accepter, quand cette faculté existe, des conditions à ce point exorbitantes qu'elles portent bien souvent en elles-mêmes les germes de la défaillance de l'emprunteur.
En d'autres termes, la fragilité – objective – dans laquelle se trouve l'emprunteur est exploitée de manière éhontée par des prêteurs sans scrupules qui, par les marges qu'ils entendent se réserver, renforcent encore cette fragilité, quand ils n'anéantissent tout simplement pas des existences. Selon les études de l'Institut français de Pondichéry, le microcrédit a entraîné en Inde des vagues de suicides chez les paysans.6
Sont ainsi posées à la fois les limites d'une finance fondée sur la maximisation du profit et la nécessité corrélative pour les institutions qui veulent fournir un crédit adapté aux populations précarisées de mobiliser l'épargne solidaire plutôt que de courir vers le marché des capitaux. Cette épargne solidaire, qui place le souci de cohésion sociale avant celui du rendement, est en effet la seule qui permette de répondre à des besoins réels de financement de personnes ou de groupes pour sortir de la précarité, de favoriser l’émergence d’activités nouvelles rencontrant des difficultés de financement auprès des banques classiques (environnement, éducation, action sociale, etc., particulièrement sur le plan local) et de faire la preuve que l’économie peut être utilisée de façon plus humaine et plus au service des hommes. Est enfin posée à l'épargnant la question de ses choix d'investisseur, y compris de ses choix par défaut – ou par cécité serait-il plus exact d'écrire – lorsqu'il se complaît dans l'ignorance dans laquelle le berce sa banque quant à l'utilisation des fonds qui lui sont confiés.
2 Richard Rosenberg, Réflexions de CGAP sur la première offre publique de vente de Compartamos : Une étude de cas sur les taux d’intérêts et les profits de la microfinance, CGAP/The World Bank, Washington, D.C.
3 Standard & Poor’s, Report Of The Microfinance Rating Methodology Working Group, 19 juin 2007.
4 Keith Epstein, avec Geri Smith à Mexico et Nandini Lakshman à Hyderabad, « Les grands de la finance jouent le microcrédit », Business Week, 13 juillet 2007
5 Michel Lasserre, Crise des crédits immobiliers "subprime" et turbulences financières mondialisées, http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=5368
6 Jean-Michel Servet, « Le microcrédit n'est pas un levier fort du développement », Libération, 21 mars 2007; Banquier aux pieds nus, Editions Odile Jacob, 2006.
Les plus démunis, s'ils veulent accéder à du crédit doivent passer sous les fourches caudines de conditions de prêt - notamment de taux d'intérêt - abusives. Les mieux nantis, qui disposent du capital, en retirent des profits éhontés, quand ils ne spéculent pas froidement sur la probable période durant laquelle l'emprunteur restera en capacité de rembourser, pour revendre le crédit avant qu'il ne fasse dé- faillance. Cette description peut apparaître comme une mauvaise caricature. L'actualité récente, en particulier l'offre publique de vente de Banco Compartamos et la crise des subprime mortgage aux Etats-Unis, semble toutefois lui donner les traits d'une triste et inquiétante réalité.
Des mesures nécessaires pour mieux encadrer le crédit à la consommation
Introduction
En cette période de crise financière et de crise du pouvoir d’achat, la nécessité d’encadrer et de réguler les activités de crédit aux particuliers apparaît de manière plus perceptible que jamais1. Soucieux de prendre les mesures législatives qui s’imposent, nos mandataires politiques ont déposé plusieurs propositions en ce sens ces derniers mois.
Organisée le 29 novembre dernier à l'initiative de quatorze associations francophones et néerlandophones, la Journée sans crédit a été l'occasion, pour les acteurs de terrain luttant contre le surendettement, de sensibiliser les consommateurs aux dangers du crédit facile et de rappeler leurs recommandations aux pouvoirs publics pour améliorer la protection des consommateurs les plus fragilisés.
Après avoir effectué une analyse comparative des différents types de mesures proposées par nos politiques, nous examinerons leur adéquation aux revendications formulées par les acteurs de terrain et nous nous interrogerons sur leurs conséquences.
Propositions de loi visant à encadrer le crédit à la consommation et à protéger le consommateur contre le « crédit facile ».
Plusieurs groupes politiques proposent aujourd’hui des mesures en vue d’encadrer le crédit à la consommation et de protéger le consommateur contre le crédit facile.
Ainsi, début juillet 2008, Christiane Vienne, Joëlle Kapompolé et Olga Zrihen ont déposé une proposition de loi au Sénat visant à lutter contre le « crédit facile », complétée par 17 des 52 propositions adoptées par le Bureau du PS le 6 novembre dernier « en vue de mieux protéger les épargnants, les investisseurs, les emprunteurs et les assurés ». Ces propositions ont pour objet de mieux encadrer le secteur du crédit à la consommation en raison du risque de surendettement qu’il fait peser sur les emprunteurs.
De son côté, le groupe Ecolo-Groen! a déposé une proposition de loi à la Chambre le 4 novembre dernier2 modifiant la législation relative aux crédits à la consommation en vue de mieux protéger les consommateurs et d’éviter que ceux-ci ne contractent des dettes excessives à des taux usuraires et voient leur pouvoir d’achat s’éroder de manière structurelle.
De l’analyse des mesures proposées par les deux partis se dégagent plusieurs constatations.
Tout d’abord, les différentes propositions de loi déposées par les deux partis s’accordent sur la nécessité d’introduire les mesures suivantes :
- Plafonnement des intérêts usuraires : la proposition de loi d’Ecolo et de Groen! fixe légalement à 9 % les taux annuels effectifs globaux (TAEG) maxima pour tous les crédits à la consommation3, tandis que le PS
entend modifier les TAEG maxima pour les ouvertures de crédit en établissant un taux maximum unique de 10 %, et ce, quel que soit le montant. - Augmentation du délai de réflexion du consommateur : le PS propose de généraliser le délai de réflexion de sept jours à tous les contrats de crédit à la consommation, alors qu’Écolo et Groen ! proposent que ce délai de réflexion soit porté à quatorze jours pour tous les types de contrat de crédit, quel qu’en soit le montant.
- Introduction d’un délai de « zérotage » pour tous les contrats d’ouverture de crédit et réduction de ce délai à un an pour les crédits jusque 5.000 euros et à maximum cinq ans pour les crédits de plus de 5.000 euros, et ce, quelles que soient leur durée et la nature (capital ou intérêt) de leur remboursement périodique.
- Amélioration de la lisibilité des taux en matière d’ouvertures de crédit : Pour Écolo et Groen!, des informations standardisées doivent être indiquées dans toute publicité mentionnant un taux d’intérêt ou des chiffres liés au coût du crédit4 et le prêteur doit être obligé d’indiquer le coût des ouvertures de crédit en euros à côté du pourcentage actuel. Pour le PS, il convient de traduire le TAEG en pourcentage mensuel dans le contrat d'ouverture de crédit en plus de la précision du TAEG en pourcentage annuel. Le coût du crédit doit également être exprimé en valeur nominale plutôt qu'en pourcentage.
- Amélioration de la réglementation du découvert bancaire : la proposition d’Ecolo-Groen! prévoit que l’établissement de crédit ne peut accorder un crédit ou autoriser un solde débiteur en compte courant que si le client l’a explicitement demandé. Elle inclut la modification de la sanction en cas de dépassement en vue de l’application des dispositions de la loi sur le crédit à la consommation5.
Cette mesure ne figure pas dans la proposition des Sénateurs PS, mais est bien reprise dans la liste des 52 mesures adoptées par le Bureau du PS en novembre dernier.
Par ailleurs, la proposition du groupe Ecolo-Groen! prévoit également l’adoption des deux mesures suivantes :
- un réexamen de la situation financière de l’emprunteur à l’occasion de toute offre intermédiaire de crédit de la part du prêteur dans le cas des ouvertures de crédit ;
- l’obligation pour le prêteur ou l’intermédiaire de crédit de prévoir un service gratuit par le biais d’un guichet où l’emprunteur doit pouvoir poser toutes ses questions et avoir l’assurance d’obtenir une réponse.
La proposition de loi des sénateurs PS de juillet dernier comporte en outre plusieurs autres revendications émises par la plateforme en 2007 :
- Limitation des frais de souscription d’un contrat d’assurance lié à un contrat de crédit : les frais relatifs à la souscription, libre ou non, d'un contrat d'assurance lié à un contrat de crédit doivent être systématiquement inclus dans le coût total du crédit.
- Clarification de la notion de publicité abusive dans la loi sur le crédit à la consommation : les publicités qui mettent en évidence la facilité, la rapidité d'octroi, le regroupement et la centralisation des crédits visent toujours un public fragilisé et doivent être considérées, par essence, comme dangereuses et abusives.
- Séparation physique entre le lieu d’achat d’un bien et celui de la conclusion du contrat d’ouverture crédit de cet achat.
- Amélioration de la formation du personnel des prêteurs et intermédiaires de crédit : des conditions minimales de formation sont imposées en vue de permettre à ces derniers d'assumer correctement l'obligation légale d'information et le devoir de conseil lors de la conclusion du contrat de crédit.
- Mise à disposition du public de la liste des intermédiaires de crédit :actuellement, seule la liste des prêteurs agréés6 est publiée au Moniteur belge.
- Renforcement des sanctions en matière de publicité sur le crédit à la consommation7.
Cette dernière mesure fait également l’objet d’une proposition de loi déposée à la Chambre des représentants par François-Xavier de Donnéa, du MR, en novembre 2007 8.
Adéquation des mesures législatives proposées aux revendications des acteurs de terrain
Ce 29 novembre dernier, les acteurs de terrain de la plateforme Journée sans crédit ont publié leurs Constats et recommandations 2008 pour une meilleure protection des consommateurs en matière de crédit à la consommation9. Le document, très fourni, propose un baromètre des recommandations formulées en 2007 qui examine chaque recommandation émise en relevant l’existence ou non d’actions prises par les responsables politiques pour y répondre et en posant une appréciation de chaque action prise.
L’examen du baromètre permet de constater que, hormis la mesure visant à réduire les TAEG maxima pour les ouvertures de crédit sur laquelle nous reviendrons plus bas, l’ensemble des mesures reprises dans les propositions de loi communes au groupe Ecolo-Groen! et au PS répondent à des revendications formulées par la plateforme en 200710 et font l’objet d’une appréciation positive de la part de la plateforme.
Au-delà des mesures reprises dans les propositions de loi ci-dessus, la plateforme préconisait également, dans ses recommandations 2007, que soient prises des mesures complémentaires :
- En matière de publicité pour le crédit : il conviendrait que plus de moyens financiers soient alloués aux autorités pour contrôler les publicités, que la transparence et la diffusion des résultats des contrôles et enquêtes du SPF Économie soient assurées et qu’on procède à un renforcement des pouvoirs de contrôle et de sanction à l’égard des prêteurs et intermédiaires qui n’assument pas leur devoir de conseil et leur obligation d’information.
- En termes de moyens pour la lutte contre le surendettement : il conviendrait de renforcer les contrôles des dispositions en matière de publicité et de conditions d’octroi des crédits, de publier une liste des prêteurs ayant enfreint la loi, de diffuser, vers le grand public, des informations sur le règlement collectif de dettes et d’encourager le crédit social pour mieux lutter contre l’exclusion bancaire et le surendettement.
En conclusion de son baromètre, la plate-forme souligne l'important écho qu'ont eu ses recommandations, mais considère néanmoins que « le bilan actuel est assez maigre dans la mesure où, au niveau national, seules des propositions législatives ont été déposées au Parlement (Chambre ou Sénat)».
Pour 2008, la plateforme a également formulé de nouvelles recommandations sur plusieurs points essentiels, à savoir l’amélioration de l’utilisation de la Centrale des crédits aux particuliers telle qu’elle existe aujourd’hui, l’amélioration de l’information et de la protection du consommateur par la mise au point et l’utilisation d’un formulaire standardisé avant tout octroi de prêt.
Elle se positionne aussi sur l’élargissement – inopportun à son sens — des données enregistrées dans la Centrale des crédits aux particuliers. Elle plaide également pour l’interdiction d’offres de crédit non liées à des achats. Et sous un volet plus curatif, elle formule quelques suggestions visant à rendre plus efficace la procédure de demande de facilités de paiement auprès du juge de Paix.
Bien que ne faisant pas encore l’objet de propositions législatives en bonne et due forme, plusieurs de ces recommandations11, trouvent toutefois déjà écho dans la liste de propositions adoptées par le Bureau du PS le 6 novembre dernier « en vue de mieux protéger les épargnants, les investisseurs, les emprunteurs et les assurés ». Le document plaide, en outre, pour une coordination des actions entreprises par les pouvoirs publics et le monde associatif en matière de sensibilisation des consommateurs aux dangers du crédit facile.
Si on ne peut qu’appuyer cette volonté de coordination des actions de sensibilisation, il nous semble par ailleurs également crucial que les mesures législatives proposées traduisent bien des revendications des acteurs de terrain. L’exposé ci-dessus démontre que c’est largement le cas, ce dont nous nous réjouissons.
Diminution des TAEG maxima : une proposition qui pose question
Une mesure proposée par les mandataires publics, tant du groupe PS que du groupe Ecolo-Groen! échappe néanmoins à ce constat : la proposition de diminuer les TAEG maxima à 9 ou 10 % pour les ouvertures de crédit, voire tous les contrats de crédit à la consommation, ne traduit pas une recommandation des acteurs de terrain, qui ne se sont pas encore exprimés à cet égard.
Il s’agirait pourtant d’une mini révolution dans le monde du crédit à la consommation tel que nous le connaissons actuellement.
Les deux propositions soulignent très justement les différents risques que présente pour le consommateur la multiplication des contrats d’ouverture de crédit à des taux « usuraires » variant de 16 et 19 %. Malheureusement, celles-ci négligent néanmoins d’examiner de manière approfondie un élément crucial permettant de juger de l’opportunité d’une telle mesure, à savoir l’impact que pourrait avoir une diminution des TAEG maxima sur l’offre, et partant sur l’accès au crédit à la consommation en général.
Tout au plus, la proposition d’Ecolo-Groen! affirme-t-elle que cette mesure dissuadera surtout les établissements de crédit d’octroyer des crédits faciles. Ils seront plutôt tentés d’effectuer une analyse approfondie des clients auxquels ils octroient un crédit en raison des marges bénéficiaires moins élevées. De cette manière, les crédits octroyés tiendront compte de la capacité financière du consommateur. Il n’y aura pas moins de crédits, mais ce seront des crédits sur mesure.
Or, en réalité, de multiples éléments laissent à penser qu’une telle diminution des TAEG entraînera très certainement une diminution du nombre de crédits accordés.
Présentons ici brièvement certains enseignements non négligeables que nous pourrions tirer à cet égard du débat et des recherches en cours en Europe à ce sujet12.
Si l’existence de plafonds maxima pour les TAEG en matière de crédit à la consommation est une évidence en Belgique, il n’en va pas de même dans tous les pays européens. Ainsi, si l'Autriche, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la Pologne et la Slovaquie ont également instauré de tels plafonds13, plusieurs pays, tels que la Pologne, l’Italie, l’Irlande et le Royaume-Uni sont préoccupés par, voire carrément opposés au recours à cette pratique.
Différentes études démontrent en effet un risque majeur lié à la mise en place d’un taux maximum : fixés trop bas, les plafonds risquent d'avoir pour effet d'exclure les personnes pour lesquelles les coûts de la fourniture de crédit sont élevés et ne peuvent être couverts par les intérêts. Il s’agit généralement de personnes qui souhaitent et qui ont besoin d'emprunter de petites sommes d'argent pendant de courtes périodes, c'est-à-dire précisément dans le cas où les méthodes de recouvrement sont plus coûteuses ou encore lorsque la probabilité d'un défaut de paiement est supérieure à la moyenne.
Le refus de crédit pour ces personnes en fait, par conséquent, la proie des prêteurs informels et illégaux – certaines études tendant à démontrer que le plafonnement des taux d'intérêt a pour effet de faire grimper le nombre de prêts illégaux.
On le voit, il est dès lors indispensable d’analyser de manière approfondie les conséquences d’une diminution des TAEG maxima pour les ouvertures de crédit au regard des spécificités du marché du crédit belge afin d’identifier quels pourraient être les effets positifs, mais également négatifs d’une telle mesure.
Ce n’est qu’une fois ces derniers aspects identifiés, qu’il sera possible de juger de l’opportunité de l’introduction d’une telle mesure, couplée éventuellement à d’autres mécanismes permettant de contrecarrer ses effets négatifs éventuels.
Conclusion
La question de l’encadrement du crédit à la consommation semble être enfin prise à bras le corps par nos mandataires politiques. Ceux-ci donnent aujourd’hui largement écho aux revendications des acteurs de terrain en la matière.
Reste à souhaiter que l’essai soit transformé avec succès dans les mois qui viennent grâce à une collaboration encore accrue des différentes parties prenantes, tant en ce qui concerne la sensibilisation que la réglementation du secteur.
À cet égard, on peut s’attendre à ce que les représentants du monde du crédit, demeurés fort discrets jusqu’à présent, sortent du bois très prochainement et se prononcent sur les différentes mesures proposées. Afin de favoriser un réel débat sur la question et de permettre une prise de mesures cohérentes dans leur ensemble, il nous semble indispensable de réexaminer l’opportunité de diminuer le TAEG maximum des ouvertures de crédit en analysant de manière approfondie l’impact d’une telle mesure sur l’offre et l’accès au marché du crédit. Il s'agirait aussi d’évaluer dans quelle mesure une telle disposition peut rencontrer les objectifs poursuivis.
Lise Disneur, décembre 2008
1 Voir à ce sujet notre analyse « Les sirènes du crédit facile », octobre 2008
2 Proposition de loi modifiant la législation relative aux crédits à la consommation déposée à la Chambre par
Mme Meyrem Almaci et consorts DOC 52 1538/001, p. 2438
3 Ce maximum est lié à l’indice de référence A (certificat de trésorerie à 12 mois) utilisé pour la fixation des
taux d’intérêt du crédit hypothécaire (article 9, § 1er, de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire).
Pour les montants inférieurs à 1.250 euros, le taux annuel effectif global maximum est fixé à l’indice de référence A (annuel) + 5 %. Pour les crédits d’un montant supérieur à 1.250 euros, le taux annuel effectif global maximum est fixé à l’indice de référence A (annuel) + 4 %.
4 Doivent y figurer le taux débiteur, le montant total du crédit, le TAEG, la durée du contrat, et le montant
total à payer par le consommateur et le montant des échéances.
5 La loi prévoit la suspension des prélèvements et le remboursement du dépassement dans les 45 jours. À
défaut de remboursement dans les 45 jours, la banque aura la possibilité soit de clôturer le compte, soit de faire signer un contrat d’ouverture de crédit.
6 C'est-à-dire les banques, les compagnies d'assurances, les sociétés de financement.
7 Actuellement, les sanctions comprennent une peine d'emprisonnement allant de 8 jours à 1 an et une amende
de 26 à 100 000 euros, ou une de ces peines seulement. Il est proposé de faire passer la durée d'emprisonnement de 3
mois à 2 ans et l'amende de 500 euros à 200 000 euros.
8 Nº DOC 52 0328/001
9 Le document complet est téléchargeable sur http://www.journeesanscredit.be/Recommandations-2008,9
10 Voir le document dossier intitulé "Les ouvertures de crédit : constats et recommandations pour une meilleure
protection des consommateurs" publié en 2007 disponible sur http://www.journeesanscredit.be/En-2007-Les-32-
recommandations
11 Telles que l’utilisation optimale de la Centrale et l’interdiction d’offres de crédit non liées à des achats.
12 Pour une étude approfondie de la question, lire à ce sujet le chapitre 9.2.1.2. du rapport de l’étude « Offre de
services financiers et prévention de l’exclusion financière » réalisée en 2007-2008 par le Réseau Financement
Alternatif pour le compte de la Commission Européenne, dont les paragraphes suivants sont largement issus.
13 Le niveau de ces taux d'intérêt plafonnés varie entre les pays et au sein même de pays pour différents types
de crédit. Par exemple, en France, les taux s'échelonnent entre 8,72 % et 20,35 % de TAEG – en fonction, de la somme empruntée et du type de crédit utilisé. L'Italie possède 15 taux différents. Aux Pays-Bas, il n'y a qu'un seul plafond fixé à 17 % au-dessus du taux de base de la Banque centrale ; en Pologne, c'est quatre fois le taux de base.
Examen critique des propositions de loi déposées récemment en la matière au regard des revendications formulées par les acteurs de terrain.
Octroi de crédit : la minimisation des risques de défaillance n'a pas le dernier mot
De l'accès au crédit
Il existe en Belgique différents types de professionnels du crédit : banque ou organisme de crédit, ou encore fournisseur de carte de crédit ou compagnie d'assurances.
Chaque acteur développe sa stratégie en matière d'offre de crédit, peut choisir de se spécialiser dans l'offre de certains produits ou cibler certains publics particuliers ; l'accès au crédit n'étant pas, en tant que tel, un droit du citoyen. La politique « risque » qui est décidée au sein d'un établissement déterminera le taux de défaut de paiement acceptable, compte tenu du rendement projeté du type de crédit envisagé. Cette politique commerciale se construit en grande partie sur ce qui est généralement qualifié de « credit scoring » ou « scoring d'octroi », qui établit une probabilité de défaillance pour tout profil de demandeur de crédit.
En fonction de leur positionnement sur le marché, certains prêteurs auront donc plus que d'autres tendance à s'approcher de publics financièrement plus fragiles (organismes proposant des cartes de paiement et des cartes de crédit) alors que d'autres s'en éloigneront (banques s'orientant vers la gestion de fortune).
Et si tous, sans exception, cherchent à minimiser leur risque de perte sur crédit, le pourcentage de risque de défaillance « acceptable » peut différer d'un prêteur à l'autre, puisqu'il dépend, notamment :
- des politiques poursuivies (s'ouvrir une niche de clientèle particulière, élargir sa part de marché, tester un nouveau produit...) ;
- de l'image de marque du prêteur et de son positionnement sur le marché ;
- des particularités des crédits proposés (taux, durée, montant, marketing, process...) qui influencent le niveau de rentabilité du produit.
Autrement dit, si les prêteurs cherchent à minimiser les risques de défaillance, ils le font dans un souci de maximisation du profit. Mais cette recherche du profit maximal peut amener certaines institutions à tolérer une part d'impayé plus ou moins significative, car cela permet de dégager plus de bénéfices.
Maximisation du profit : notion de base
La maximisation du profit se calcule de manière précise en théorie microéconomique, ce qui permet de déterminer avec justesse le niveau de production idéal à mettre en oeuvre pour l'atteindre.
Pour ce faire, cette théorie démontre qu'une entreprise a intérêt à augmenter sa production aussi longtemps que le revenu supplémentaire (appelé le revenu marginal) tiré d'une unité supplémentaire vendue (en l'occurrence, ici, un crédit supplémentaire) est supérieur aux coûts supplémentaires qui ont dû être mis en oeuvre pour produire cette nouvelle unité. Elle atteindra son niveau de profit maximum précisément au moment où les revenus dégagés égalisent les coûts engagés.
Une autre manière d'illustrer schématiquement cette recherche de profit maximum est donc de trouver la meilleure combinaison entre coûts fixes et coûts variables. On sait que les coûts fixes sont d'autant plus faibles à l'unité produite que le volume produit est important (on réalise alors des économies d'échelle). Ceci est vrai à l’intérieur de certaines marges, au-delà desquelles il devient à nouveau nécessaire d’accroître les coûts fixes (ex. : surface de l'entreprise, standard téléphonique, publicité...).
Dans le cas qui nous occupe, la maximisation du profit déterminera le volume idéal de crédits à réaliser, qui correspond lui-même à un niveau de score spécifique, comme nous allons l'illustrer dans le paragraphe suivant.
Illustration
Le graphique ci-dessous représente la répartition des clients selon qu'ils ont ou non remboursé leur crédit ; ces clients sont classés en fonction du niveau de score obtenu (axe des abscisses). On comprend que pour chaque niveau de score, un certain nombre de clients n'ont pas remboursé (ligne pointillée) et qu'un certain nombre d'autres ont remboursé (ligne continue).
On constate aussi que, pour chaque niveau de score, la proportion change. À 400, le nombre de crédits non remboursés est supérieur à celui des crédits remboursés. Autour de 500, on se trouve à environ 50 % remboursés / 50 % non remboursés. Au-delà, la part des crédits remboursés est supérieure à celle des défaillances.
Mais où placer le niveau idéal de production ? À 600 à 700 ? Au-delà ? Comment être sûr de faire le bon choix, de fixer le bon objectif ?
Graphe :
Afin d'établir le volume de production idéal, les informations contenues dans ce graphique ne sont donc pas suffisantes.
On constate, en effet, que si le seul critère de décision était la minimisation des risques de défaillance, on se situerait dans des niveaux d'exigence de score très élevés, qui dans notre graphique dépasseraient les 750 points. À ces niveaux, force est de constater que les volumes de production sont faibles, car rares sont les clients qui obtiennent de tels niveaux de score. Et pour atteindre cette « élite », il est nécessaire de traiter un très gros volume de dossiers, traitement qui implique des coûts importants alors que presque toutes les demandes seront refusées. Il y a fort à parier que ces coûts seront bien plus élevés que les bénéfices réalisés sur le seul volume atteint grâce à « l'élite ».
La minimisation des risques ne maximise-t-elle donc pas le profit ?
Certes, les pertes sur crédits alourdissent les coûts de l'entreprise, raison pour laquelle le prêteur cherchera à les contenir, comme il le fait d'ailleurs pour l'ensemble des autres coûts. Toutefois, en fonction des volumes d'affaires envisagés, d'autres éléments interviennent qui peuvent impacter la rentabilité, et, en particulier, les économies d'échelles susceptibles d'être réalisées grâce à un volume d'affaires plus grand. Ces économies d'échelle permettent notamment de répartir les coûts fixes – personnel de base, administration, équipement, marketing et communication... – sur un plus grand volume et, donc, de réduire le coût unitaire de production. Cette dernière permet à l'entreprise d'envisager d'augmenter son profit en augmentant sa production jusqu'au moment où coûts et revenus supplémentaires s'égalisent.
Conclusions
Ce recadrage nous paraît important à l'heure où la responsabilité du prêteur dans la phase précontractuelle fait l'objet d'une attention particulière, que ce soit de la part des médiateurs de dettes, d'organisations de défense du consommateur, et d'organismes régionaux tels que le Grepa, l’Observatoire du crédit et de l'endettement ou encore le Vlaams Centrum Schuldebemiddeling, acteurs de prévention et de traitement du surendettement.
Alors que de plus en plus souvent, également, les prêteurs ou leurs représentants mettent en avant et insistent sur l'évidence de l'intérêt qu'ils ont à réduire autant que possible le nombre de défaillances1 et en profitent ainsi pour éluder le débat. On l'a vu, le coût des défaillances est un des coûts pris en compte dans le calcul de rentabilité, mais quelles que soient les circonstances, le niveau de score se déduit d'une politique de rentabilité et non l'inverse. Des marges existent donc à ce niveau, et sans doute pour les types de crédits qui connaissent des taux importants de défaillance, à savoir les ouvertures de crédit. D'ailleurs, ce n'est sans doute pas un hasard si ce type de crédit connaît le taux de défaillance le plus élevé : c'est aussi celui dont le volume en nombre est en forte croissance depuis des années. Le seuil de maximisation du profit des producteurs n'est donc sans doute pas encore atteint sur ce produit.
Dans ce cadre plus spécifique, des espaces de progrès sont donc envisageables du côté de la performance générale du credit scoring utilisé. C'est en améliorant ce dernier (l'analyse risque réalisée avant l'octroi) pour réduire les probabilités de défaillances (et donc, « aplatir » la courbe pointillée du graphique) que l'offre de crédit sera plus adéquate.
Aucun prêteur, c'est entendu, n'octroie de crédit à une personne qu'il ne considérerait pas comme potentiellement solvable. Et pourtant, c'est en tolérant un certain taux de défaillance que les prêteurs peuvent accroître leur rentabilité... Recadrage d'un élément classique du discours des professionnels du crédit.
Credit scoring : une approche objective dans l'octroi de crédit ?
Elements de contexte
Les évolutions de ces dernières années ont profondément réformé le paysage des professionnels du crédit (concentration bancaire, arrivées de nouveaux opérateurs...), de l'offre de crédits (ouvertures de crédit : croissance de 1.500.000 contrats entre 1999 et 20061 !) et les habitudes des consommateurs, de plus en plus nombreux à recourir au crédit en dehors de l'achat d'un immeuble ou d'un véhicule.
Cette forte croissance n'a été rendue possible que grâce à une forte rationnalisation des process2, dans laquelle se trouve en bonne place l'analyse risque réalisée pour l'octroi des crédits. De manière simple et schématique, on peut considérer que l'analyse risque s'articule autour de deux matières principales:
La mesure de la fiabilité
Celle-ci cherche à répondre à la question : « Cette personne est-elle digne de confiance? Respectera-t-elle ses engagements? Est-elle capable de gérer adéquatement son crédit? »
Elle s'intéresse à la nature du client, son comportement général, son attitude face à ses engagements.
La mesure de la solvabilité
S'intéresse aux données budgétaires du/des demandeurs – le niveau de revenu, les dépenses du ménage et les engagements en cours. L'objectif est de déterminer si le demandeur (et son ménage) dispose des moyens nécessaires au remboursement du crédit envisagé.
Principes généraux du « credit scoring »
Pour élaborer un tel outil statistique, il est nécessaire de disposer :
- d'un produit de crédit (ex : l'ouverture de crédit de 2.500 €)
Idéalement, le prêteur mettra au point un credit scoring par type de crédit proposé. En effet, selon les caractéristiques propres à chacun d'eux (montants minima et maxima, taux d'intérêt, durées de remboursement, mode de vente - agences, web, grandes surfaces,...), le credit scoring différera; - d'un échantillon de clients ayant eu accès à ce crédit, pour lesquelles les informations personnelles ont été conservées. Ces données sont principalement collectées grâce à un formulaire de demande de crédit, imprimé ou « en ligne ». Dans la phase de construction, les décisions d'octroi sont mises en oeuvre par un Comité de crédit qui travaille sans le support du score, de façon traditionnelle;
- de l'historique de remboursement de ces clients : pour réaliser un bon credit scoring, il est important de disposer, parmi ceux-ci, d'un nombre suffisant de clients défaillants (n'ayant pas honorés leurs engagements), idéalement de plusieurs centaines d'unités.
Sur base de ces informations, une analyse statistiques des données personnelles des clients sera réalisée. Le travail peut se révéler complexe, puisque cette analyse doit permettre d'identifier les combinaisons de données qui sont les plus fréquentes lors de défaillances, et à partir de là, construire une grille de score qui permettra de prédire la probabilité de défaillance (versus de remboursement) de chacun des clients.
Voici quelques illustrations qui rendront nos propos plus concrets.
Quant à la neutralité des données :3 :
En tant que telle, aucune d'entre elles n'est ni « bonne » ni « mauvaise » : elles seront chacunes plus ou moins fréquentes dans les situations de défaillances, en fonction de certaines combinatoires.
Exemple :
- une femme sera plus rarement défaillante qu'un homme;
- une femme célibataire sera plus rarement défaillante qu'un homme célibataire;/li>
- une femme célibataire sera plus souvent défaillante qu'une femme mariée;
- une mère célibataire sera plus souvent défaillante qu'un père célibataire
L'exemple ci-dessus ne reprend que les données « sexe – état civil – situation parentale », mais en réalité, il s'agit toujours de combinatoires complexes, puisqu'en permanence c'est au moins 15 données qui sont observées simultanément.
Quant aux types de données utilisées dans le score4 :
Caractéristiques du modèle | Sujet X | Score |
Age de l'emprunteur | 52 ans | 51 |
Situation maritale | Concubinage ou PACS | 19 |
Statut résidentiel | Locatire | 24 |
Lieu de résidence | Provence-Alpes-Côtes d'Azur | 20 |
Ancienneté à l'adresse actuelle | 9 ans | 17 |
Nature du contrat de travail ET ancienneté à l'emploi actuel de l'emprunteur | CDI ET 25 ans | 56 |
Fonction professionnelle de l'emprunteur | Agent de service | 31 |
Fonction professionnelle du conjoint | Agent de sécurité et de surveillance | 11 |
Nature du contrat de travail ET ancienneté à l'emploi actuel du conjoint | CDD ET 5 mois | 0 |
Revenu du ménage ET nombre de personnes du ménage | 2.200 € ET 2 personnes | 67 |
Pourcentage actuel des remboursements mensuels du ménage | 0% | 89 |
SCORE FINAL | 385 |
Les données reprises dans cet exemple sont particulièrement élémentaires. Parmi d'autres données qui sont recueillies et qui peuvent se révéler statistiquement significatives, on peut trouver aussi : le type d'habitat (certains formulaires proposent même les catégories « chalet », « caravane »,...), le type de magasin où la demande a été faite (Inno ou Carrefour), le type d'intermédiaire utilisé (le cas échéant)...
Dans les faits...on retiendra également...
Que la qualité prédictive des données n'est pas liée à leur « légitimité » dans le cadre d'une demande de crédit.
Si le type d'habitat se révèle très efficace d'un point de vue statistique, on peut s'étonner légitimement d'une telle question dans le cadre d'une demande de crédit : cet élément n'entretient pas de relation causale avec la fiabilité individuelle du client, sa capacité de remboursement ou son honnorabilité. Cet absence de lien causal entre la donnée collectée et l'objet de la demande soulève ce que nous désignons précisément par « légitimité ». Ne devrait-on pas se limiter à la collecte d'informations en lien avec l'objet sollicité : historique du remboursement de crédits, capacité financière, stabilité des revenus, niveau de dépenses incompressible...
Des dérives sont possibles sur ce point, et pour illustration supplémentaire, nous évoquerons celle qui se développe au Royaume-Uni concernant l'usage du domicile comme critère déterminant dans l'évaluation du risque (crédit, assurance,...) : ce dernier peut devenir tellement déterminant dans certaines transactions (il est vrai que cette donnée est par ailleurs très peu coûteuse à collecter et à vérifier) que des personnes sont soit amenées à déménager pour intégrer des quartiers « mieux côtés », soit à faire du lobbying pour que leur rue change de « catégorie de risque ».
Que le credit scoring est un sujet délicat pour l'industrie, car...
La construction d'un credit scoring représente un investissement lourd pour le prêteur. Il se construit sur base d'un traitement « manuel » d'un volume significatif de demandes et il n'atteint sa pleine puissance prédictive que si un volume suffisant de défaillances a pu être observé (ce qui signifie, autrement dit, des pertes significatives).
Un tel investissement requiert donc de l'entreprise qu'elle puisse amortir ce dernier par une rationnalisation de son process et une capacité de traitement futur importante, d'où le marketing agressif mis en oeuvre par certains.
Puisque le credit scoring est particulier à chaque « type de crédit », il permet aux prêteurs de dégager un avantage concurrentiel sur une niche qu'il se sera ainsi construite. Dans cette mesure, tenter de lever le voile sur ce qu'ils considèrent comme des secrets maisons à propos du contenu de « la boîte noire » relève de l'espionage industriel.
Une qualité prédictive et une objectivité limitées
En ce qui concerne la qualité prédictive...
Le credit scoring est donc un outil prédictif d'autant plus efficace que les demandeurs ont des profils proches de ceux qui composent l'échantillon d'origine. Mais ce dernier, bien qu'il soit élaboré sur une base large, n'est pas en soi représentatif de la population belge majeure : n'oublions pas que son but est de permettre un traitement industriel des demandes, pas d'éviter que certaines personnes n'accèdent pas au crédit parce que leur profil est trop éloigné de la norme de l'échantillon.
Il se révéle dès lors peu adéquat pour estimer le risque de défaillance de profils qu'il n'a pas intégrés, qu'il n'a pas « appris à reconnaître » dans sa phase de construction. Des refus peuvent naître d'une « non reconnaissance » plutôt que d'un lien effectif avec une probabilité de défaillance.
Ces refus sont particulièrement dommageables pour les candidats clients (et notamment ceux qui auraient mené à bien le remboursement de leur crédit), puisqu'ils n'y accèdent pas. Mais ils le sont aussi pour les prêteurs, puisqu'ils ratent autant d'occasion de ventes.
En ce qui concerne l'objectivité de la méthode...
Si on comprend assez aisément que la « boîte » que constitue la méthode statistique du credit scoring traite de manière neutre les données qu'on lui fournit, on perçoit moins intuitivement que l'échantillon sur lequel elle a été construite ne l'est pas. Cet échantillon repose sur des décisions prises par les membres du Comité de crédit dans la phase de création, et intégre donc leur subjectivité de manière structurelle !
Les profils refusés, les données considérées comme rédibitoires dans la phase de construction du scoring le seront aussi par la suite... Les données qui ne sont considérées dans l'analyse le seront donc pour longtemps, car la capacité « d'apprentissage » du système est toujours lente, et sur certaines dimensions, tout à fait impossible.
Exemples :
Apprentissage possible :
Si la donnée « type de contrat » associait, dans l'échantillon, le statut « intérim » , mais que très peu de dossier aient été accepté car les membres du Comité étaient en général défavorable, les quelques dossiers comprenant cette information ont été généralement défaillant. Toutefois, cette observation peut progressivement évoluer si dans les faits, les nouveaux clients en itérim remboursent adéquatement leur crédit.
Apprentissage impossible :
Prenons l'hypothèse que les pratiques de crédit social à la consommation mise en oeuvre par des projets « sociaux » confirment que, parmi les nombreuses données collectées dans leur analyse crédit, une des plus pertinente pour distinguer les bons payeurs des mauvais est l'analyse des « dettes hors crédit » et la transparence du client à leur propos.
Si un organisme bancaire souhaite profiter de cet enseignement en intégrant cette information dans son analyse risque, il devra tout bonnement construire un nouveau credit scoring, il ne pourra pas intégrer progressivement cette dernière. Compte tenu des coûts déjà évoqués d'une telle démarche, on comprend dès lors pourquoi l'accès au crédit, quand il repose sur certains a priori, peut générer pour longtemps des refus inadéquats.
Conclusion
Le credit scoring a fortement réformé l'analyse risque crédit des prêteurs. En rendant possible un traitement massif des demandes, il a rendu le crédit accessible à une plus large frange de la population.
Sa nature statistique en fait un outil prédictif fiable, pour autant que les profils des clients ciblés soient similaires à ceux des clients ayant composé l'échantillon d'origine. Mais même établit sur une base large, l'échantillon n'est toutefois pas construit pour garantir la représentativité de la population dans son ensemble.
Cette limite méthodologique impacte donc profondément et pour longtemps l'accessibilité du crédit aux profils « hors normes ». Dans quelle mesure l'industrie prendra-t-elle cette question en main ? Comment envisage-t-elle d'y apporter une solution ?
Il est en effet indispensable que les scores, d'une manière ou d'une autre , apprennent à reconnaître ces publics et à distinguer parmi ceux-ci les différents niveaux de risque... Car sans cela, ils resteront exclus pour de mauvaises raisons, simplement parce qu'ils n'ont pas intégré l'échantillon d'origine. Et cela, n'est-ce pas de la discrimination indirecte?
1Données extraites des rapports annuels de la Centrale des Crédits aus Particuliers, Banque Nationale de Belgique
2Ensembles des modalités liées à la procédure d'octroi d'un crédit par un prêteur.
3Il ne s'agit pas ici de cas réel, même s'ils sont réalistes.
4« Mémo technique Modèles Génériques de score de crédit ou le scoring de crédit « prêt à l'emploi » », www.softcomputing.com
Le credit scoring, ou encore scoring d'octroi, est un des outils mis en oeuvre lors de l'analyse risque d'une demande de crédit par les prêteurs. Méthode statistique adaptée à une pratique massive du crédit, son impartialité est souvent citée parmi ses vertus par l'industrie. Elle génère toutefois des refus de crédit qui n'auraient pas lieu d'être : mise en lumière d'une limite méthodologique.
Credit scoring : décryptage d'une pratique discriminante... et discriminatoire ?
Éléments de contexte
Dans toute vente à paiement différé, l'entreprise s'expose à un risque de défaillance du client. Si c'est particulièrement vrai pour le crédit, au coeur de cette ça l'est aussi dans d'autres domaines : énergie (électricité, gaz), téléphonie... Pour cette raison, les entreprises développent des moyens censés réduire ce risque.
La question est de savoir si cette recherche « légitime » de réduction du risque n'aboutit pas, in fine, à des pratiques discriminatoires.
Poser le problème sous cet angle est particulier, car cela va à l'encontre de deux évidences :
- a) l'outil statistique et l'analyse probabiliste du 'credit scoring' développé par l'industrie du crédit offrent une image de parfaite objectivité1 ;
- b) la discrimination ne sert pas les intérêts de l'insdustrie : dans une stricte recherche de maximisation du profit, le credit scoring doit chercher à réduire le « risque de défaillance », certes, mais pour le plus grand nombre de personne possible.
Si nous avons battu en brèche la première évidence dans une précédente analyse2, la seconde peut être facilement démontée : le credit scoring est considéré comme « la meilleure méthode connue » pour permettre à l'industrie de maximiser son profit en pratiquant une activité crédit, mais cette méthode n'est tout simplement pas parfaite : sa base méthodologique a des limites et elle génère une discrimination dont les prêteurs pourraient avoir intérêt de se débarrasser.
Cette approche n'est d'ailleurs pas considérée comme la panacée et les professionnels du crédit tentent d'améliorer en permanence leur technique d'analyse risque pour être toujours plus performants, toujours plus compétitifs. La contrainte absolue dans laquelle tout se joue est toutefois claire : la méthode doit rester peu coûteuse, ne doit pas remettre en cause les marges dégagées. Au contraire, elle doit tenter de les améliorer.
Paradoxe de la situation : dans l'absolu (hors logique de profit), la discrimination nuit à toutes les parties prenantes.
Clarification des concepts
Avant de poursuivre, il est nécessaire de clarifier la base sémantique.
Lorsqu'un prêteur cherche à distinguer, parmi les demandeurs de crédit, ceux qui auront le plus de chance de rembourser leur crédit, il discrimine. Cette action n'est en rien condamnable, bien au contraire : en fonction de sa politique prudentielle, de son éthique, de la pertinence des outils mis en oeuvre et des données collectées, il pourra faire plus ou moins preuve de responsabilité en prodiguant informations et conseils adaptés.
Il en va tout autrement quand, volontairement ou involontairement, la sélection opérée comporte une dimension « discriminatoire » : dans ce cas, en effet, la distinction réalisée se fait au détriment du demandeur.
Cadre légal
La question soulève certes une réflexion de nature philosophique, mais également de nature juridique, puisqu'au moins trois textes de loi peuvent venir l'alimenter.
- La loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination. Cette législation fait une distinction entre le « discriminant » (ici, le prêteur) et le « discriminé » (le client) et interdit toute discrimination directe ou indirecte (c'est-à-dire non intentionnellement discriminatoire).
- La loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation. En son article 12, elle oblige notamment l’établissement de crédit à donner la raison de son refus d’octroi d’un crédit.
- La loi du 8 décembre 1992, enfin, relative au traitement automatique de données personnelles interdit, quant à elle, l’utilisation de données non mises à jour, erronées… Elle impose, en outre, que l’utilisation qui est faite des données soit loyale, licite et conforme aux objectifs poursuivis. Aucune prescription particulière n’existe quant à la conservation des données utilisées.
Les différentes facettes du problème
La limite « méthodologique »
Par essence, le credit scoring est discriminatoire : en effet, son élaboration repose sur l'étude des données relatives à une population de clients ayant obtenu un certain type de crédit.
Il pourrait en être autrement si le protocole de mise en oeuvre comprenait :
- de disposer d'une clientèle représentative de la population belge répondant aux critères légaux d'accès au crédit ;
- d'accorder à cette clientèle le crédit demandé sans analyse de fiabilité.
Dans tous les autres cas, l'échantillon obtenu reflète immanquablement une non-représentativité... CQFD.
Cette démonstration a le mérite de montrer que si l'outil est discriminatoire par essence, c'est parce que, sans cela, son élaboration se ferait en totale contradiction avec les règles les plus élémentaires de prudence. Ainsi donc, si le credit scoring est une méthode performante, elle devra à terme céder la place à une autre méthodologie si l'industrie veut un jour dépasser cette limite.
On comprend également que, sous l'angle légal, cette pratique soulève la question de la « discrimination indirecte ».
En ce qui concerne les données
Les pratiques observées sur le terrain soulèvent un certain nombre de questions : parmi celles-ci, on retiendra celle de la légitimité, celle de la loyauté, et enfin celle de la sensibilité.
Légitimité
Ce que l'on entend par légitimité d'une donnée, d'une information, c'est la relation logique qu'elle entretient avec le but de sa collecte.
Dans le cadre d'une demande de crédit, une donnée légitime aura un lien logique direct avec la fiabilité de l'emprunteur, sa capacité de remboursement, sa capacité de gestion, sa compréhension des termes du contrat...
À l'opposé, les données non légitimes seront celles qui n'entretiennent pas cette relation. L'intérêt qu'elles offrent aux prêteurs n'apparaît qu'au travers du traitement statistique et de la part qu'elle tient dans sa qualité prédictive.
À titre d'exemple, citons dans le champ des données légitimes : le niveau de revenu, sa stabilité passée, les éventuels changements envisagés dans le futur, l'existence passée ou présente de découvert bancaire, de dettes, la structure familiale, les charges incompressibles du ménage, la capacité d'épargne...
Au menu des données « non légitimes », on peut citer, par exemple, le sexe, l'âge, l'état civil, le domicile, le type d'habitat..
Loyauté
La question de la loyauté se situe, en matière de scoring, au niveau de l'usage 'stratégique' de certaines informations. On entend par 'stratégiques' des données / informations que le consommateur n'identifie pas comme pouvant avoir un impact sur sa capacité d'emprunt, puisqu'elles se situent à un niveau différent d'information (méta), hors du champ des questions posées dans le formulaire de demande de crédit.
À titre d'illustration, on peut citer la prise en compte par certains prêteurs : du type d'intermédiaire utilisé (certains sont plus prudents et perfectionnistes que d'autres dans le montage des demandes), du moyen utilisé pour solliciter le crédit (e-mail, agence, téléphone), de l'enseigne du magasin dans lequel l'ouverture de crédit est sollicitée...
Si on ne remet pas en question l'éventuelle efficacité de ces informations dans les qualités prédictives du score, elles n'en sont pas moins recueillies et utilisées à l'insu du client, et ne sont pas non plus légitimes, au sens défini préalablement.
Sensibilité
On évoquera rapidement la question de la collecte directe ou par proxy de données sensibles, formellement interdites par la loi, et notamment celles relatives à la race, l'orientation sexuelle, la religion...
Sans vouloir jeter l'anathème, la situation actuelle ne nous permet pas :
- d'être certains qu'aucun abus n'existe (pas de contrôle organisé);
- de confirmer que ces données n'auraient pas de pouvoir prédictif et donc pas de raison d'être.
Conclusions
Des pistes de solutions existent pour réduire, voire résoudre, les problèmes soulevés dans cette analyse.
Le contrôle relatif à la légalité :
Il serait sans doute utile de confier à une autorité la vérification de la légalité de la collecte des données utilisées dans le credit scoring ;
Le remplacement des données non légitimes et stratégiques par des données légitimes :
Il ne s'agit pas de fournir une solution à l'emporte-pièce, mais force est de constater :
- que la réduction du risque dans les affaires est une recherche légitime des entreprises ;
- que les technologies de l'information comportent des marges de progrès importantes dans l'estimation du risque crédit ;
- que ces opportunités de progrès peuvent tout autant être orientées pour résoudre les questions soulevées que pour les aggraver ;
- qu'un service dédié à cette problématique ferait fortement avancer la connaissance et la pratique durable et responsable de l'industrie du crédit.
1 Voir analyse intitulée «'' Credit scoring '' : une approche objective dans l'octroi de crédit ? » - Réseau Financement Alternatif asbl, O. Jérusalmy, septembre 2007
2 Op. cit.
Le credit scoring est au coeur de l'activité de crédit : il joue un rôle déterminant dans l'analyse risque. Sésame de l'accès au crédit, il est essentiel d'en analyser le fonctionnement pour vérifier qu'il n'ouvre la porte à de la discrimination.
Hypothèque inversée : du crédit à la consommation garanti par une hypothèque ?
Contexte politique et social
Peu après une annonce du ministre de l'Économie, dans laquelle ce dernier a présenté l'hypothèque inversée comme pouvant répondre à un besoin réel en raison du vieillissement de la population, des représentants de l'industrie du crédit ont notamment réagi en organisant le 8 mai 2007, via le Forum financier belge, un colloque sur « le crédit logement inversé ». En juin, l'Union professionnelle du crédit éditait un feuillet d'information sur ce thème1, envisageant les adaptations nécessaires du cadre légal pour son introduction en Belgique.
A priori, en effet, compte tenu de certains traits de la société belge, ce type de produit pourrait rencontrer les besoins d'un public précis : les personnes âgées, propriétairesà tout le moins de leur logement, qui souhaitent continuer d'y vivre et dont le pouvoir d'achat est insuffisant pour couvrir leurs besoins courants.
Principales caractéristiques
Sous des vocables variés « crédit-logement inversé », « prêt viager hypothécaire », « hypothèque inversée »2, se cache un produit financier dont les caractéristiques principales procurent au client :
- la disposition d'une somme d'argent, en un versement ou sous la forme éventuelle d'une rente ;
- le maintien de son droit de propriété sur l'immeuble, en ce compris le droit de jouissance, pour autant qu'il y ait eu constitution d'une hypothèque ;
- la possibilité de lier généralement le remboursement du crédit à la survenance d'un événement particulier, le décès ou la vente de l'immeuble.
La mise à disposition d'une somme d'argent pourra prendre des formes variées :
- montant versé en une fois ;
- montant versé sous la forme de versements réguliers pendant une période déterminée, dont la fréquence sera le plus souvent mensuelle.
Une variante de cette formule est également possible lorsque la durée n'est pas prédéterminée, mais correspond à la période d'occupation effective de l'immeuble hypothéqué (en anglais « tenure »);
- montant versé à la demande (à l'instar d'une ouverture de crédit), à concurrence du montant maximum prédéterminé.
En matière de remboursement, ce crédit peut prévoir que le montant emprunté et le coût du crédit deviennent exigibles soit :
- au moment du décès ou de la vente de l'immeuble hypothéqué (le contrat est alors à durée indéterminée) ;
- au terme d'un certain délai déterminé contractuellement (20 - 25 ans, contrat à durée déterminée).
Conditions envisagées par l'Union professionnelle du crédit (UPC)3
- Puisque le remboursement du montant prêté et le paiement du coût du crédit seront a priori couverts par la réalisation de l'immeuble, l'analyse de solvabilité du client n'a pas d'importance (principe de capitalisation des intérêts). Dès lors, plus jeune sera le senior, moins grand sera le capital.
- Une inscription hypothécaire en premier rang est prise sur le bien immobilier pour la valeur entière du bien immobilier (résidence habituelle / autre habitation).
- L'emprunteur agit exclusivement/principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales.
- Mentions particulières dans l'offre de crédit – Ajout d'un tableau illustratif de libération des fonds (évolution de l'augmentation de la dette sur une période forfaitaire de 20 ans).
- L'emprunteur, qui a accepté l'offre de crédit avant la passation de l'acte, a le droit de renoncer au contrat de crédit jusqu'à la passation de l'acte.
- Un expert indépendant évalue la valeur du bien immobilier.
- Conseil indépendant par le notaire préalablement à la passation de l'acte (Loi Ventôse). Les héritiers peuvent y être associés.
- Compensation dans les cas où l'emprunteur reste en défaut de prélever le capital.
- Indemnité de remploi spécifique dans la mesure où il y a plus d'interventions, de contrôles et d'estimations dont l'emprunteur pourrait déroger.
- L'emprunteur a l'obligation d'entretenir soigneusement le bien immobilier grevé d'une hypothèque et de le traiter en bon père de famille, afin que la valeur du bien immobilier évolue normalement (contrôle périodique par l'expert). La prime d'assurance d'incendie et l'impôt sur l'immobilier doivent être payés à temps.
- À la fin du crédit, un choix s'impose. Soit la famille veut garder le bien et elle paye la dette finale du crédit (qui sera toujours plafonnée à la valeur de la maison). Soit la dette finale n'est pas payée et la maison est vendue. Si la vente rapporte plus que la dette finale, le surplus reviendra à la famille.
Les éléments positifs
Par rapport à une vente viagère :
Pour les personnes qui envisagent une vente viagère, la formule présente une série d'avantages non négligeables :
- maintien du droit de propriété : en cas de décès prématuré, seuls le montant réellement prélevé et les intérêts échus sont redevables. Les héritiers peuvent les prendre en charge sans devoir obligatoirement mettre en vente l'immeuble hypothéqué ;
- la formule viagère ne prévoit qu'une seule modalité de versement du montant : un montant déterminé versé périodiquement;
- la rente viagère est généralement moins élevée lorsque le vendeur souhaite continuer à occuper le logement.
C'est très probablement dans ces circonstances particulières (alternative à la vente viagère) que le produit semble le plus pertinent.
En complément du pouvoir d'achat des seniors :
Compte tenu des évolutions démographiques, du prolongement de l'espérance de vie, des coûts croissants de certains soins de santé et d'un système de pension fragile dans ces circonstances, le public potentiel existera réellement. Ce crédit pourrait sensiblement améliorer le quotidien de certains seniors à moins que des solutions politiques soient trouvées pour maintenir un pouvoir d'achat raisonnable et un accès peu coûteux aux soins de santé.
En outre, face à une réduction du niveau général des solidarités intergénérationnelles, qui s'explique à la fois par un changement dans les relations et les mentalités, mais aussi parfois à cause de la réduction du pouvoir d'achat des plus jeunes. Ce type de crédit permet de compenser l'absence de transferts de fonds intrafamiliaux des plus jeunes vers les plus âgés par une réduction du volume du patrimoine transmis des plus âgés vers leurs héritiers.
Une conjoncture économique favorable4
- Les taux élevés de propriétaires occupants5 : dans un nombre croissant de pays, et, en particulier, dans le nôtre, la part de la population propriétaire de sa résidence dans la population totale est particulièrement élevée.
- Le marché immobilier en forte croissance6 : la valeur des biens immobiliers s’est accrue de manière importante et cette plus-value tend à se maintenir7.
- Les taux d’intérêt faibles : la conjoncture est basse depuis de nombreuses années et les taux auxquels sont consentis les prêts destinés à financer le logement sont inférieurs à ceux appliqués aux autres formes de crédit à la consommation.
Les questions pendantes...
Aspects légaux
Si le crédit envisagé prend la forme d'une ouverture de crédit à durée indéterminée, l'hypothèque peut être affectée à la garantie des dettes futures (les montants prélevés) : sur cet aspect, il ne semble pas que la loi belge s'oppose à sa mise en oeuvre.
Mais la question de savoir si ce crédit relèvera de la loi relative au crédit à la consommation ou plutôt à celle du crédit hypothécaire reste ouverte. Comment qualifier un crédit dont la finalité première est la consommation quotidienne ? Les cas où ce type de crédit sera utilisé pour rénover ou transformer l'immeuble hypothéqué soulèvent évidemment moins la question.
Aspects socio-économiques
On peut aussi s'interroger sur les bienfaits d'un crédit consommation qui s'octroie « sur garantie », compte tenu de l'impact que cela peut avoir sur la transmission patrimoniale. Cela peut être source de tensions familiales et il serait utile d'envisager les modalités de publicité à l'attention des héritiers.
Les éléments positifs du contexte économique précédemment cités ne sont pas éternels : l'accès à la propriété (coût / financement / pouvoir d'achat) sera-t-il dans le futur aussi bon qu'il l'a été par le passé ? Si, jusqu'ici, la classe moyenne a pu accéder largement à la propriété, sera-ce encore le cas pour les générations futures ? Il serait nécessaire de vérifier qu'un tel produit ne favorise pas à long terme l'appauvrissement net des familles aux revenus modestes.
Dans certaines circonstances, en effet, il existe également un risque de surendettement de l'emprunteur ou de ses héritiers. On constate en effet dans les pays où ce type de crédit est commercialisé (États-Unis, Royaume-Uni ...) que les emprunteurs sont de plus en plus jeunes. Dès lors, la période sur laquelle le coût du crédit se calcule est plus grande et majore d'autant ce dernier. Si, dans le même temps, la valeur du bien hypothéqué n'a pas évolué aussi favorablement (marché immobilier, niveau d'entretien du bien, performance énergétique), il est possible que la valeur vénale du bien soit inférieure aux remboursements à opérer, et puisse être source de difficultés financières pour les héritiers... Inutile de rappeler que ces circonstances ont présidé à certains des drames sociaux générés par la crise des sub-primes.
La stabilité des taux d'intérêt faibles ou encore la croissance du marché immobilier sont quant à eux beaucoup plus volatiles encore...
Conclusion - recommandations
L'apparition d'un tel produit sur le marché n'est donc pas anodine et mérite à tout le moins un encadrement adapté.
Afin d'éviter les risques de surendettement évoqués, une mesure déjà en vigueur aux États-Unis permet notamment de limiter la créance résultant du crédit, soit à la valeur vénale, soit au produit de la vente du bien hypothéqué. Dans ces cas, les dettes nées du crédit s'éteignent en toute hypothèse à la vente de l'immeuble.
Il est également possible d'aller plus loin en envisageant de limiter le montant emprunté à maximum 50 % de la valeur vénale. Dans cette configuration, on ménage à la fois la possibilité d'améliorer son pouvoir d'achat sans compromettre toute transmission patrimoniale : une voie intermédiaire, donc.
Le plus inquiétant dans la proposition de l'UPC est la volonté manifestée, pour mettre en oeuvre le produit imaginé, de lever l'interdiction de capitalisation des intérêts. Le cadre légal actuel s'y oppose8, et les conditions dans lesquelles elle peut s'opérer sont définies par l'article 1154 du Code civil (elles relèvent de l'ordre public économique). Il est fondamental que les intérêts ne puissent être calculés que sur le capital prélevé, sans souffrir aucune forme d'exception telle que la capitalisation des intérêts débiteurs. Ceci impacterait gravement la protection du consommateur telle qu'elle existe à ce jour et rendrait complexes la compréhension et la comparaison du coût du crédit.
Enfin, nous retiendrons comme bonne pratique le passage prévu des candidats clients9 devant un service-conseil professionnel et indépendant (type ASBL) afin que leur soient présentés les avantages et inconvénients de la formule ainsi que des simulations adaptées à leur situation personnelle.
1 « Le crédit-logement inversé », Union professionnelle du crédit, 2007
2 Cette dernière dénomination est calquée sur le terme anglais « reverse mortgage »
3 Op. cit.
4 « Le prêt viager hypothécaire:analyses et réflexions », Échos du Crédit et de l'Endettement, nº 14,
5 Taux de ménages propriétaires : 74,4 %; sans prêt à rembourser : 37,5 %; avec prêt à rembourser : 36,9 %. Source : DG Statistique et information économique – Enquête sur le budget des ménages 97/98.
6 Entre 2000 et 2006, le prix de vente moyen des maisons d’habitation ordinaire a augmenté de plus de 86 %, alors que celui des appartements a augmenté de plus de 75 %. Source : DG Statistique et information économique
7 Si elle venait à se résorber, voire si la valeur des biens immobiliers tendait à diminuer, la vente viagère pourrait davantage tenter les consommateurs âgés.
8 Art. 10 de la loi du 4 août 1992 et l'art. 14, §2, 5ème alinéa, de la loi du 12 juin 1991.
9 « Le prêt viager hypothécaire ou hypothèque inversée : une solution au financement des retraites et de la dépendance? » ,mémoire de T. Dubocage – promotion 2005 CHEA, p. 7
lien : http://www.silverlife-institute.com/uploaded_files/docs/rapportreversefr_1137753264.pdf
Effet d'annonce ou projet réel, depuis quelques mois, l'industrie du crédit réfléchit aux conditions de mise en oeuvre de ce nouveau type de crédit en Belgique. De quoi s'agit-il ? À qui ce type de crédit s'adresse-t-il? Quels dangers recèle-t-il ? Éléments de réponses
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