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Endettement public : une fuite en avant ? Analyse comparée de l'évolution de la dette publique belge et française

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La dette publique de nombreux pays a explosé depuis la crise de 2008. Alors qu’on a longtemps pensé que ces dettes publiques pouvaient augmenter sans réel danger, la situation de la Grèce, au bord de la faillite, sonne comme un avertissement pour les autres pays. À travers cette analyse comparée de la Belgique et de la France, deux États frontaliers qui ont pris des voies différentes, nous allons tenter de tirer quelques enseignements au sujet de la maîtrise de la dette publique.

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Transferts de fonds internationaux : pourquoi ça coûte cher ?

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Bien loin des préoccupations immédiates des citoyens de l'Union européenne, la question des coûts des transferts de fonds extra-européens concerne un nombre important d'immigrés. Comment l'offre se compose-t-elle ? Pourquoi la concurrence semble-t-elle si faible ? Cette analyse lève un premier voile sur des pratiques assez peu transparentes.

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Transferts de fonds des travailleurs émigrés en Belgique

Soumis par Anonyme le

En bref :

• Le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés en Belgique vers les pays non européens s'élevait à environ 394 millions d'euros en 2010.
• Les migrants vivant en Belgique qui, dans leur ensemble, envoient le plus de fonds à leurs proches restés au pays sont, par ordre d'importance, originaires du Maroc, de la Turquie et de la République démocratique du Congo.
• Les moyens les plus utilisés pour envoyer des fonds sont les banques commerciales, la poste, les opérateurs de transfert d'argent non bancaires et les services informels de transfert d'argent.
• Les migrants transfèrent des fonds vers leur pays d'origine pour cinq raisons majeures : l'altruisme, l'intérêt personnel, un accord mutuellement bénéfique, un sentiment d'obligation et une question de prestige.

Introduction

Selon les chiffres publiés par Eurostat, les transferts de fonds des travailleurs émigrés en Europe vers des pays tiers baissent pour la première fois en 2009(1) et se stabilisent en 2010. Ce n'est cependant pas le cas en Belgique, où le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés reste en augmentation constante : de 355 à 389 millions d'euros entre 2008 et 2009, pour atteindre 394 millions d’euros en 2010(2). Dans cette nous nous proposons de faire un tour d'horizon des transferts de fonds en Belgique sur la base de la littérature disponible sur le sujet. Nous nous efforcerons à la fois de poser un cadre conceptuel et de répondre plus concrètement aux questions suivantes : qu'est-ce qu'un transfert de fonds ? Qui transfère des fonds et comment ? Quand et pourquoi ces transferts ont-ils lieu ?

Quoi ?

Définition

Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds se divisent en trois catégories : les transferts des travailleurs, la rémunération des salariés, et les transferts des migrants. Les transferts des travailleurs sont ceux qui sont opérés par des travailleurs émigrés résidant dans un pays hôte en faveur de leurs proches restés au pays. La rémunération des salariés se réfère aux salaires bruts et autres avantages sociaux gagnés par les travailleurs non-résidents. Enfin, les transferts des migrants sont les transferts de capitaux liés à l'ensemble des actifs financiers et non financiers que les migrants emportent quand ils se déplacent vers le pays hôte, ou quand ils retournent dans leur pays d'origine.

Cela dit, la définition des transferts de fonds des travailleurs émigrés qui semble la plus citée est celle du chercheur Orozco, pour qui ce sont les « montants envoyés par les migrants à leurs proches dans leur pays d'origine dans le but de satisfaire à certaines obligations économiques et financières »(3).

Notre analyse cible donc la première catégorie de transfert identifiée par la Banque mondiale, soit les transferts des travailleurs, lesquels visent les transferts en liquide et en nature de ménage à ménage. En effet, la rémunération des salariés vise, entre autres, le personnel des ambassades et des institutions européennes, c.-à-d. des publics qui n'ont pas, a priori, d'obligations économiques et financières envers leurs proches restés au pays. Quant aux transferts des migrants, selon Eurostat, ils sont généralement insignifiants en Europe et ne sont donc pas repris dans les recensements européens. Ne disposant pas de chiffres pour ce volet, nous ne prendrons, en toute logique, pas cet aspect en compte dans la présente analyse.

Chiffres : montant global et montant moyen

En consultant la littérature consacrée aux transferts de fonds, on s'aperçoit vite qu'il est difficile d'obtenir des chiffres exacts sur le sujet. Le montant des transferts des travailleurs au départ de la Belgique vers les pays non européens se situait à environ 394 millions d'euros en 2010. Il ne s'agit que d'une estimation, principalement pour trois raisons. Tout d'abord, il existe encore des ambigüités au niveau des définitions, donc ce ne sont pas systématiquement les mêmes éléments qui sont mesurés dans les différents pays européens. Ensuite, les montants qui passent par des canaux illégaux ou informels ne sont pas pris en compte. Ceux-ci peuvent pourtant être significatifs, même s'ils sont difficiles à quantifier. Enfin, il arrive que les montants individuels transférés soient inférieurs au seuil de reporting des institutions financières et, par conséquent, qu'ils ne soient pas pris en compte en tant que transferts de fonds.

Pour répondre à la question « quel est le montant moyen transféré annuellement par personne ? », plusieurs pistes de réflexion s'ouvrent à nous. Sachant que le nombre de personnes étrangères ne provenant pas d'un pays membre de l'Union européenne en Belgique est de 342 545(4), une simple division pourrait estimer le montant moyen à 394 000 000 € divisés par 342 545, soit 1150 € par personne en 2010. Bien entendu, toutes les personnes étrangères ne transfèrent pas nécessairement des fonds. Cependant, il est intéressant de mettre ce calcul en perspective avec les résultats d'études menées sur la question. Ainsi, une enquête qualitative(5) arrive à la conclusion que les Congolais de Belgique envoient environ 2400 € par an en République démocratique du Congo (RDC). Une autre étude (6) estime que le montant moyen transféré par an au départ de la Belgique est de 777 €. Enfin, une troisième recherche(7) note que, sur l'année 2005, les travailleurs émigrés en Belgique, originaires de la RDC, du Nigéria et du Sénégal, ont envoyé respectivement en moyenne 787 €, 1709 € et 285 € en Afrique.

Qui ?

Couloirs bilatéraux en Belgique

Le marché européen et mondial des transferts de fonds peut être vu comme un réseau de couloirs bilatéraux entre le pays émetteur et le pays récepteur des fonds(8). Ces couloirs représentent les flux d'argent envoyés par les migrants à leurs proches restés au pays.

En ce qui concerne la Belgique, en 2010, la répartition des personnes étrangères ne provenant pas d'un pays membre de l'Union européenne, avec un minimum de 3000 ressortissants(9), est la suivante :


On peut dès lors penser que les trois plus grands « couloirs de transferts » c'est-à-dire les populations vivant en Belgique qui, dans leur ensemble, envoient le plus de fonds à leurs proches restés dans le pays d'origine sont, par ordre d'importance, celles qui proviennent du Maroc, de la Turquie et de la République démocratique du Congo.

Comment ?

Il existe quatre grands types de canaux pour transférer des fonds : les banques commerciales, les postes, les opérateurs de transfert d'argent non bancaires (dits Money Transfer Operators ou MTO en anglais) et, enfin, les services informels de transfert d'argent.

Les banques commerciales, les postes et les opérateurs de transferts d'argent sont des moyens légaux de transfert de fonds. On estime(10) qu'environ deux tiers des flux passent par ces trois grands canaux ; un tiers, environ, emprunterait donc la voie informelle.

Les transferts peuvent se faire par virement électronique, par transfert d'un compte bancaire à l'autre, par support papier (mandat ou chèque, par exemple), par carte prépayée, par téléphonie mobile ou de la main à la main.

Le choix du canal utilisé par le migrant dépend de facteurs tels que l'existence ou la proximité géographique d'infrastructures dans le pays récepteur. Le coût de transfert, la fiabilité et la rapidité du transfert constituent également des facteurs importants de décision.

Les quatre grands types de canaux sont bien présents en Belgique. Les banques commerciales et les opérateurs de transfert d'argent y sont majoritaires. À noter que la poste permet effectivement aussi d'effectuer ce genre d'opération, mais toujours en partenariat avec un opérateur de transfert d'argent. Le tableau ci-dessous présente une liste non exhaustive des principaux canaux légaux présents(11) en Belgique :

Si l'on considère les trois couloirs de transfert principaux en Belgique, il semblerait que le canal le plus utilisé(12) pour les fonds envoyés au Maroc et en Turquie soit celui des banques commerciales. Ce choix s'explique du fait de l'existence d'un bon réseau bancaire dans le pays récepteur. En revanche, pour les fonds transmis en RDC, ce sont les opérateurs de transfert d'argent qui sont les plus populaires(13). En effet, les infrastructures bancaires sont rares, voire inexistantes dans ce pays récepteur, compte tenu des multiples crises politiques et économiques, de l’instabilité monétaire et des effets pervers de la guerre.

À quel prix ?

Les coûts de transfert de fonds se composent de deux éléments : la commission prélevée par l'opérateur (celle-ci peut parfois être répartie entre l'émetteur et le récepteur) et le taux de change (lequel peut être payé au départ ou à l'arrivée des fonds). En termes relatifs, plus les montants transférés sont élevés, plus les coûts diminuent. Différents sites internet proposent de comparer le prix des transferts de fonds. Celui de la Banque mondiale identifie les prix moyens sur les trois principaux couloirs de transferts au départ de la Belgique identifiés supra, c.-à-d. vers le Maroc, la Turquie et la RDC. Les chiffres les plus récents, datant de janvier 2011, se présentent comme suit :

En résumé, les taux varient entre 7,4 % et 12,2 % pour envoyer 160 € et 5,3 % et 7,5 % pour envoyer 390 €.

Quand ?

Fréquence d'envoi

D'après la littérature disponible sur le sujet, il semblerait que l'envoi de fonds est intimement lié à la paie du salaire du travailleur émigré. La fréquence d'envoi est donc, dans la majorité des cas, mensuelle. Ceci est confirmé dans nombre d'enquêtes et il semblerait même que le pic des affaires des opérateurs de transfert d'argent se situe entre le 1er et le 10 de chaque mois.

Phase d'envoi

La réponse à la question « quand est-ce que le migrant envoie des fonds à ses proches ? » varie généralement selon la phase d'intégration dans laquelle se trouve la personne concernée. En effet, si l'on considère les quatre phases d'adaptation du migrant (14), c'est surtout dans les deuxième et troisième phases (phase de légalisation et phase de stabilisation de l'installation) que le migrant envoie des fonds à ses proches. Pendant la première phase, dite « de survie », des transferts peuvent être faits, mais en moindre mesure à cause de la situation précaire du migrant, et, pendant la quatrième phase, dite « de consolidation », des transferts peuvent aussi être opérés, mais ils tendent à diminuer, car le pays hôte a tendance à devenir plus important aux yeux du migrant.

Pourquoi ?

Les raisons qui motivent le migrant à transférer des fonds ont largement été étudiées et s'expliquent par différents facteurs. Cinq types de raisons principales(15) sont souvent cités : l'altruisme, l'intérêt personnel, un accord mutuellement bénéfique, un sentiment d'obligation et une question de prestige.

L'altruisme se traduit par la volonté du migrant d'aider sa famille restée dans le pays d'origine. L'idée est de fournir un revenu supplémentaire aux proches parfois même au détriment de son propre niveau de vie. Les forts liens d'attachement aux parents restés au pays expliquent cette manière d'agir.

L'intérêt personnel vise plutôt à préparer le retour du migrant dans le pays d'origine. Les fonds sont alors destinés à acquérir des biens, souvent immobiliers. Une autre version de la raison « intérêt personnel » consiste à transférer des fonds aux proches dans l'idée d'hériter de ceux-ci plus tard.

L'exemple typique illustrant la raison d'un « accord mutuellement bénéfique » est le fait de rembourser les proches qui ont permis de réunir la somme nécessaire au départ du migrant.

Parfois, cet accord peut aussi être mêlé d'un sentiment d'obligation du migrant envers sa famille. Cette dernière exerçant une pression sociale sur le migrant, qui se sent redevable et transfère des fonds aux proches restés dans le pays d'origine.

Enfin, la notion de prestige est aussi invoquée comme motivation pour envoyer de l'argent. Le migrant souhaite montrer sa réussite dans le pays d'accueil et envoie donc régulièrement des fonds dans le pays d'origine, parfois même à son détriment afin de ne pas perdre la face.

En ce qui concerne plus précisément les migrants congolais vivant en Belgique, une enquête(16) montre que ce sont surtout des raisons altruistes qui les animent lorsqu'ils envoient de l'argent à leurs proches restés au pays. Dans une moindre mesure, le sentiment d'obligation ou l'arrangement mutuel sont aussi des raisons citées. Enfin, l'intérêt personnel par la préparation au retour est évoqué, lui aussi, mais de manière marginale, car peu de Congolais songent réellement à rentrer au pays vu la situation précaire dans laquelle se trouve actuellement cette région.

Conclusion

Il n'existe que relativement peu d'études et de statistiques sur les transferts de fonds des migrants issus de divers pays et résidant en Belgique. Quelques enquêtes tentent d'investiguer sur les manières d'opérer de certaines populations africaines, tels les Congolais, les Nigériens, les Sénégalais, les Burundais et les Rwandais, mais, à notre connaissance, aucune information n'est disponible sur les diasporas turques ou marocaines, pourtant bien représentées dans les populations susceptibles de transférer des fonds au départ de la Belgique.

La présente analyse a permis de définir de manière théorique ce qu'est un transfert de fonds, d'estimer l'ampleur du phénomène en Belgique, d'énumérer les canaux de transferts existants et de lister les raisons qui animent les migrants à transférer des fonds. Nous avons également illustré, autant que possible, ces éléments par des enquêtes menées en Belgique sur le sujet.

Mais ce sujet est vaste et nombre d'aspects mériteraient sans nul doute d'être approfondis. On pourrait ainsi s'intéresser, dans le cadre de futures analyses, aux principaux prestataires de services en Belgique, de manière à mieux cerner leurs clients, à chiffrer avec plus de précision les montants moyens transférés, la fréquence d'envoi et à identifier les besoins des publics concernés. Une autre possibilité serait d'interviewer des migrants sur leurs transferts de fonds. On pourrait limiter l'enquête à un groupe en particulier afin de bien connaître ses habitudes et, si possible, les lier aux aspects culturels du groupe considéré. Ou l'on pourrait, à l'inverse, interviewer de manière aléatoire des migrants entrant chez un prestataire de services afin de mieux identifier les motivations et besoins qui motivent leur démarche.

 

Annika Cayrol

Novembre 2011

 

1 COMINI Daniela, FAES-CANNITO Franca. Remittances from the EU down for the first time in 2009, flows to non-EU countries more resilient. Statistics in Focus [en ligne]. 2009, 40/2010, pp.1-8. Disponible sur : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-10-040/EN/KS-SF-... (consulté le 04/10/2011)
2 Eurostat, Chiffres provisoires, Tableau [bop_remit],. Disponible en ligne : http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do (consulté le 24/10/2011)
3 OROZCO Manuel. Conceptual Considerations, Empirical Challenges and Solutions in Measuring Remittances. CFRM-B001 [en ligne]. Mexico : Centre for Latin American Monetary Studies, 2006. Disponible sur : http://www.cemla-remesas.org/PDF/report-conceptualconsiderations.pdf (consulté le 04/10/2011)
4 SPF ECONOMIE, P.M.E., CLASSES MOYENNES ET ÉNERGIE. Statistique et information économique, Population au 1/1/2010.
5 MUTETA N., Transferts financiers des migrants congolais, de la Belgique vers la République Démocratique du Congo. Étude menée dans le cadre du programme VALEPRO d’OCIV / Migration et développement. Bruxelles : VALEPRO d’OCIV / Migration et développement, 2005, 23 p.
6 COMMISSION EUROPÉENNE, DG Affaires économiques et financières. EU Survey on workers’ remittances from the EU to third countries. ECFIN/235/04-EN (rev 1) [en ligne]. Brussels : Commission européenne, 2004. Disponible sur : http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/publication6422_en.pdf (consulté le 04/10/2011)
7 WORLD BANK. Survey of African diaspora in Belgium. Washington : World Bank, 2005. Disponible sur : http://econ.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/EXTDEC/EXTDECPROSPECTS/0,,cont... (consulté le 04/10/2011)
8 LAJOM ROMAN Estrella. Global Forum on Migration and Development. Résumé de la table ronde Migrations, développement et droits de l'homme, en ligne]. 27-30/2008, Manille, Philippines. Philippines : Global Forum on Migration and Development, 2008, 19 p.
9 Op. cit. 4. Nota bene : la catégorie « Indéterminés » regroupe les apatrides et ceux dont la nationalité n'est pas claire. Les réfugiés sont comptabilisés avec les personnes ayant la même nationalité.
10 Op. cit. 6
11 WORLD BANK. Remittances Prices Worldwide [en ligne]. Washington : 2011. Disponible sur : http://remittanceprices-francais.worldbank.org/Country-Corridors/from-Be... (consulté le 04/10/2011)
12 Op. cit. 6
13 Op. cit. 5
14 ANDERLONI Luisa, VANDONE Daniela. Migrant and financial services [en ligne]. Working paper. Bruxelles : 2008, 43 p. Disponible sur : http://www.fininc.eu/gallery/documents/wp-migrants-financial-services-fi... (consulté le 04/10/2011)
15 DE BRUYN Tom, KUDDUS Umbareen. Dynamics of Remittance Utilization in Bangladesh [en ligne]. Genève : IOM, 2005, 98 p. Disponible sur : http://www.iom.org.bd/publications/6.pdf (consulté le 04/10/2011)
16 Op. cit. 5

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En Belgique, le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés est en augmentation constante : de 355 en 2008 à 394 millions d'euros en 2010. Dans cette nous répondons aux questions suivantes : qu'est-ce qu'un transfert de fonds ? Qui transfère des fonds et comment ? Quand et pourquoi ces transferts ont-ils lieu ?

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Qui est à la barre ?

Soumis par Anonyme le

Mais c'est également le cas de la spéculation sur les matières premières alimentaires de 2008 et, à sa suite, des émeutes de la faim que l'on croyaient révolues, appartenant à un autre siècle désormais très lointain, celui des manifestations de février 1917 à Saint-Pétersbourg et Moscou, celui des conflits du tiers-monde et de l’explosion démographique des pays « sous-développés » des années 1970. On assiste encore, depuis le début de cette année, à une spéculation sur les obligations des États les plus vulnérables, d'abord la Grèce, maintenant l'Irlande, alors que les pouvoirs publics, dans de nombreux pays, ont consacré d'importants moyens et creusé leur déficit pour sauver un secteur bancaire en capilotade.

Ces dysfonctionnements posent une question cruciale : qui dirige la manœuvre ? Sont-ce les élus de la nation ou les marchés financiers ? A dire vrai, on a le très net sentiment que ce sont ces derniers et que les pouvoirs publics n'interviennent qu'a posteriori pour éteindre les incendies. Et les acteurs de la finance, à peine tirés d'affaire, ne trouvent rien de mieux que de se retourner contre leurs sauveurs. Le constat accablant de ces crises est que la finance ne répond qu'aux intérêts particuliers de ses acteurs sans considération aucune pour l'intérêt général. Et que la conception de la main invisible d'Adam Smith, qui veut que des actions guidées par notre seul intérêt puissent contribuer à la richesse et au bien-être commun, mène à l'impasse, pour ne pas dire à la catastrophe.

Pour preuve, depuis des années, la finance n'a de cesse de rentrer dans sa bulle et de s'affranchir de la réalité, c'est-à-dire des besoins économiques qu'elle est censée servir. Jusqu'à ce que, bien sur, cette réalité ne la rattrape. Prenons le marché des produits dérivés. Ceux-ci sont des instruments financiers qui ont été créé, à l'origine, pour permettre aux entreprises de se couvrir contre différents types de risques financiers. C'est ainsi que, pour se couvrir contre les risques d'une augmentation du prix des matières premières dont elle a besoin pour sa production, une entreprise va acquérir, à un prix déterminé, des options d'achat de ces matières premières. Elle aura ainsi la garantie d'acheter celles-ci au prix prévu. En face, celui qui vend ces options prend le risque à la place de l'entreprise, en espérant que ce risque se transforme en opportunité. Une autre utilisation courante de produits dérivés concerne le risque de change, par exemple pour prémunir contre les variations de cours des entreprises qui achètent leur fournitures dans une devise et vendent leur production dans une autre.

Le problème est que les transactions sur les produits dérivés sont en forte croissance depuis le début des années 1980 et représentent désormais l'essentiel de l'activité des marchés financiers. En l'espace de dix ans, de 2000 à 2010, le marché des dérivés est en effet passé de 100.000 milliards de dollars à 600.000 milliards de dollars ! Si la fonction de garantie ou de couverture que ces produits offraient est évidemment essentielle, le développement extraordinaire des pratiques spéculatives auquel on a assisté ces dernières années va bien au-delà de la satisfaction de cette fonction. Bien pire, il détourne les flux financiers de cette autre fonction essentielle, le financement de l'économie réelle. On assiste ainsi à un véritable divorce, à une décorrélation entre les flux financiers et les flux de biens et de services.1

Et l'intérêt général ?

L'intérêt général est ainsi pris en otage de deux manières par cette déviance spéculative : les bulles finissent par éclater comme cela a été le cas avec les subprime américains – on en connaît les conséquences catastrophiques -, mais, en outre, l'économie est asséchée et désorientée. Asséchée car les flux financiers ne sont plus principalement destinés au financement de l'économie, au risque de créer un resserrement du crédit, les emprunteurs, entreprises et particuliers, n'arrivant pas à obtenir de crédit ou seulement à des conditions déraisonnables. Désorientée car la finance est privée de sa capacité à être le bras armé d'une politique économique dont la fonction est précisément d'orienter l'activité dans un sens qui satisfasse au mieux l'intérêt général.

Face à ce constat, il appartient aux pouvoirs publics de reprendre la barre. De deux manières. D'abord resserrer les mesures prudentielles, c'est-à-dire celles qui sont fondées sur la prudence, pour éviter que le système financier ne tremble à nouveau sur ses bases et, avec lui, l'économie et le lien social. Des réformes sont en cours, comme le montre l'adoption récente par le Parlement européen de la directive sur les fonds spéculatifs ou encore, au sein de ce même Parlement, les débats relatifs aux produits dérivés négociés de gré à gré. Même si les résultats peuvent paraître trop lents et incomplets, ils ont le mérite de constituer de premiers jalons dans la bonne direction.

Mais, à côté de mesures prudentielles, les autorités publiques doivent d'urgence se montrer davantage prescriptives et discriminantes pour orienter les activités et les flux financiers. Il ne s'agit pas seulement d'encadrer les pratiques spéculatives et de les rendre plus transparentes, il importe d'en réduire l'importance pour diminuer l'effet d'éviction qu'elles opèrent sur le financement de l'économie réelle.2 Et d'orienter l'allocation des ressources vers des objectifs qui prennent en compte les ambitions sociales et environnementales de nos démocraties. Mais comment y parvenir ?

Un parallèle peut être fait avec l'industrie pharmaceutique où, pour schématiser, il existe trois types de médicaments: ceux qu'il est interdit d'offrir en vente, ceux qu'il est autorisé de vendre mais qui ne donnent droit à aucun remboursement pour le patient et ceux enfin qui peuvent être vendu et dont le prix est partiellement remboursé. Pour ce qui concerne le secteur financier, tout le monde s'accorde à dire qu'une plus grande régulation est indispensable pour interdire certaines pratiques particulièrement nuisibles comme vient de nous le montrer la crise financière. Mais au-delà de ces interdictions, sans doute est-il justifié de favoriser l'éclosion de services financiers qui sont structurellement organisées pour répondre à des objectifs d'intérêt général.

Ceux-ci peuvent avoir trait à la protection du consommateur et à un développement local et durable.

Comment se prémunir ?

Les conditions relatives à la protection du consommateur pourraient ainsi être les suivantes:

  • avoir une activité limitée au métier bancaire de base, récolter l'épargne pour octroyer des crédits, sans aucune activité de banqu d'affaires;
  • favoriser la stabilité, par exemple en évitant la cotation des actions de la banque en bourse;
  • garantir l'inclusion financière de tous par une offre de produits simples et adaptés.

Le développement local, tant en terme économique que social, pourrait quant à lui être assuré par deux éléments:

  • une politique de crédit appropriée pour les agents économiques que sont les ménages, les entreprises et les organisations publiques et privées;
  • une politique qui vise à éviter toute forme d'évasion fiscale.

Le développement durable devrait quant à lui être assuré par l'intégration de critères sociaux et environnementaux dans les politiques de crédit et de placement.

Aux seules structures financières structurellement organisées pour répondre à ces objectifs d'intérêt général seraient réservés des mesures publiques incitatives : garantie publique, avantage fiscal, contrainte en capital plus faible, … Libre à celles qui veulent faire prévaloir leurs intérêts particuliers de le faire, pour autant qu'elles ne mettent pas le système en péril, mais sans l'appui d'une politique économique publique aux objectifs de laquelle elles ne satisfont pas.

Contrairement à ce que pensait Adam Smith, la richesse et le bien-être ne sont pas des conséquences automatiques, presque magiques, du marché. Il faut, pour les atteindre, développer une politique économique adéquate. Celle-ci consiste à contrôler mais aussi à discriminer, c'est-à-dire à privilégier les flux financiers tournés vers l'économie réelle et la satisfaction de l'intérêt général.

 

Bernard Bayot,
novembre 2010

1 Vincent Jacob, Réduire les pratiques spéculatives, Le Monde, 13 novembre 2010.

2 Vincent Jacob, op. cit.

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De nombreux dysfonctionnements ont été mis en exergue au sein de la sphère financière ces derniers mois. On pense bien sûr à la crise financière de 2007-2008 et, dans son sillage, les crises économique et sociale qui ont fait perdre à des millions d'individus leur emploi, leur habitation et les réserves qu'ils avaient constituées pour leurs vieux jour.

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Wal-Mart

Soumis par Anonyme le

Après avoir perdu la place de première entreprise mondiale en termes de chiffre d'affaires en 2009, avec des ventes s'élevant à 405,607 milliards de dollars américains et 13,400 milliards de dollars de bénéfices, Walmart a récupéré celle-ci en 2010.1

Si Wal-Mart est un succès économique, on ne peut en dire autant de sa politique sociale. Certes, leurs produits sont moins chers, en moyenne de 14%, mais à quel prix ? Derrière ces bas prix, se cachent des salaires plancher, régulièrement revus à la baisse. Car pour être rentable et aussi compétitive, Wal-Mart doit payer ses salariés, appelés « associés », 20 à 30% de moins que ses concurrents. De plus, les couvertures sociales sont plus que précaires : 46% des enfants des « associés » sont dépourvus de toute protection sociale digne de ce nom.2

Activisme actionnarial

Cela n'est évidemment pas du goût des syndicats qui, pour réagir, ont opté notamment pour la technique de l'activisme actionnarial. De quoi s'agit-il ? L'investisseur, en sa qualité d'actionnaire, dispose d'un droit de vote aux assemblées générales des entreprises dans lesquelles il a placé ses économies. Et il peut ainsi tenter d'améliorer le comportement éthique, social et environnemental de celles-ci en favorisant le dialogue avec les dirigeants, en exerçant des pressions, en soutenant une gestion responsable, en proposant et en soumettant au vote des assemblées générales annuelles des préoccupations sociétales...3

C'est ainsi qu'au Canada, le Congrès du travail du Canada (CTC), qui s’intéresse à l'activisme actionarial depuis 1986, a mobilisé ce levier d’action dans le cadre d’une campagne corporative qui a ciblé l’entreprise Wal-Mart pour ses pratiques antisyndicales.4 Comme le rappelle Ken Georgetti, président du CTC, les fonds de pensions sont constitués par les capitaux des travailleurs. Ceux-ci sont donc de facto les propriétaires d’une portion non négligeable d’actions dans le monde : 11.000 milliards de dollars US d’actions, selon une estimation datant de 2002,. Et Ken Georgetti de considérer qu’il est nécessaire d’utiliser ces fonds pour participer à la gouvernance des entreprises transnationales. C’est d’ailleurs l’objectif que s’est fixé le Committee for Workers Capital (CWC), à savoir déterminer comment ces fonds peuvent être utilisés pour influencer les entreprises globales.

Selon Ken Georgetti, Wal-Mart est une cible adéquate pour l’exercice de l’activisme par les fonds de pension. En effet, la majorité des fonds de pension ont des investissements dans cette entreprise. Wal-Mart illustre par ailleurs à quel point l’argent des travailleurs peut nuire à leurs propres droits. C'est que, pour parvenir à ces résultats, Wal-Mart contrevient à toutes les règles : travail des enfants, précarité d’emploi, embauche de travailleurs illégaux, etc. L’entreprise a une longue histoire de violations du droit (heures, salaire, etc.) et de discrimination sur les lieux de travail. Les enfants des employés de Wal-Mart sont soit sur des plans d’assistance médicale externe ou non assuré et par conséquent, subventionné par l’État. Certains employés de Wal- Mart ont tenté de se syndiquer et l’entreprise a aussitôt répondu par des menaces et des intimidations.

Pour Ken Georgetti, si cette entreprise parvient à obtenir les conditions qu’elle souhaite par son gigantisme, les fonds de pension peuvent en faire de même. En effet, en termes de capacité financière, ces fonds sont plus importants que les revenus de l’entreprise Wal-Mart. Il faut donc se demander comment les travailleurs peuvent utiliser leur capacité financière collectivement afin de contrer des actes répréhensibles. Les fonds de pensions doivent s’impliquer davantage pour changer le comportement de Wal- Mart et afin que leurs investissements reflètent les valeurs des travailleurs. Ces mesures devraient être suivies par les gouvernements locaux. Les fonds de pensions des fonctionnaires devraient ainsi être investis selon des principes éthiques.

Selon Ken Georgetti, il ne faut pas vendre les actions de Wal- Mart, mais plutôt agir par résolutions pour forcer l’entreprise à agir. Wal-Mart a publié un rapport de développement durable qui visait à apaiser les investisseurs qui ne sont pas satisfaits. Ainsi, on voit que Wal-Mart est sensible à la critique et il faut donc maintenir les pressions. Le 21e siècle peut être une nouvelle ère pour les travailleurs si les syndicats collaborent à travers les frontières. Les géants corporatifs ne sont pas invincibles, mais il faut que les syndicats et les fonds de pensions travaillent ensemble. 5

Les initiatives d'activisme actionnarial contre Wal- Mart n'ont en tous cas pas manqué. En 2001, l’enjeu social dominant des assemblées d’actionnaires a été la question de l’utilisation de codes de conduite visant le respect des droits humains : il représente 30 % des propositions à caractère social. Une proposition demandant à la firme américaine Wal-Mart de produire un rapport de vérification indépendant visant à démontrer que ses fournisseurs respectent les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ratifiées par la plupart des pays dans le monde a obtenu 5,25 % des votes.6

Wal-Mart a également été visée par des campagnes plus larges relatives à la gouvernance d'entreprise. C'est le cas de celle de l'American Federation of Labour - Congress of Industrials Organisations (AFL-CIO), le principal regroupement syndical des États-Unis qui compte dans sa sphère d’influence 400 milliards de dollars investis dans quelque 1.500 fonds. En 2003, les fonds des travailleurs travaillant sous l’égide de l’AFL- CIO ont déposé à eux seuls 381 propositions, contre 198 en 2002 et 105 en 2001; 228 de ces résolutions se rapportaient aux compensations financières excessives des dirigeants. Différentes entreprises étasuniennes ont été ciblées par l’AFL-CIO : Boeing, Citigroup, Coca-Cola, Delta, Halliburton, Walt Disney, Wal-Mart Stores, sont quelques exemples. 7

Par ailleurs, en 2003, Wal-Mart a dû réviser ses politiques pour mettre fin à la discrimination contre ses employés homosexuels, après avoir été la cible de The Equality Project, une coalition d'investisseurs responsables et d'association de défense des homosexuels demandant aux entreprises d'inclure dans leur politique de non-discrimination des termes protégeant explicitement les homosexuels.8

Code de conduite et initiatives judiciaires

Les campagnes de plus en plus virulentes dénonçant Wal-Mart, qui nuisent à son image de marque auprès des consommateurs et donc à ses résultats commerciaux et financiers, ont amené l'entreprise à adopter, en 1992, un code de conduite à l’intention de ses fournisseurs pour éviter les pires abus au chapitre de l’exploitation des travailleurs et pour empêcher que des enfants soient associés à la fabrication de ses propres marques. Selon ce code, aucun enfant de moins de 14 ans ne doit travailler pour les fournisseurs de Wal-Mart.9

L'existence de ce code n'a pas mis fin aux violations constatées notamment en matière de droit du travail et Wal-Mart s'est vue reprocher en justice de commettre ainsi une violation des obligations contractuelles qu’elle s'était elle-même imposées en 1992, en particulier celle de surveiller les usines de ses fournisseurs pour s’assurer de leur respect du code de conduite.

Une action en justice collective (class action) a en effet été introduite devant les juridictions californiennes, pour le compte de travailleurs employés par des sous-traitants de Wal-Mart, établis en Chine, en Indonésie, au Bangladesh, au Swaziland et au Nicaragua.10 Les plaignants invoquent des conditions de travail désastreuses, en particulier des salaires en dessous des minima légaux locaux, des heures supplémentaires obligatoires non payées, ainsi que des coups et mauvais traitements par leurs surveillants.

Sur le plan juridique, les travailleurs exploités dans ces « sweatshops » prétendent être les tiers bénéficiaires de l’accord conclu entre leurs employeurs et Wal-Mart, qu’ils analysent comme incluant une forme de stipulation pour autrui et donc créant des obligations directes dans le chef de la multinationale au profit des personnes employées par ses sous-traitants.

Des travailleurs californiens, employés par des concurrents de Wal-Mart, se sont joints à l’action. Ils reprochent à la firme ce qu’ils qualifient de pratiques commerciales déloyales, lesquelles auraient contribué à une baisse de leurs salaires. 11

Cette affaire, dans laquelle une entreprise se voit rattrapée judiciairement par une politique volontaire de responsabilité sociale conçue initialement en dehors ou en-deçà du droit semble ouvrir une voie dans laquelle les militants des ONG, mais aussi les travailleurs ne vont pas hésiter à s’engouffrer.

Exclusion

Un autre mode de pression est bien sûr l'exclusion de l'entreprise incriminée du portefeuille d'investissement que l'on gère. C'est ce qu'on fait le fonds norvégien du pétrole et le fonds de pension néerlandais PNO Media.

Le Fonds norvégien du pétrole rassemble par transferts budgétaires une partie des revenus tirés de l’exploitation et des ressources pétrolières norvégiennes. Ce fonds est l’un des plus gros fonds de pension du monde. Depuis 2004, il est géré en vue d’un rendement responsable, pour éviter de contribuer, par ses investissements, à des violations de droits humains ou de principes éthiques fondamentaux :

  • les pires formes de travail des enfants et d’autres formes d’exploitation des enfants ;
  • les atteintes graves aux droits individuels dans des situations de guerre ou de conflit ;
  • la dégradation sévère de l’environnement ;
  • la corruption massive ;
  • d’autres violations particulièrement sérieuses des normes éthiques fondamentales.

À ce jour, 29 sociétés ont été exclues du fond, parmi lesquelles EADS, Thalès, BAE systems, Boeing Co., Vedanta Ressources, Rio Tinto, et Wal-Mart.

Cette dernière a été exclue en 2006 sur base du constat suivant : « De nombreux documents indiquent que Wal-Mart, de manière globale et systématique, emploie des mineurs en violation des règles internationales, que les conditions de travail chez plusieurs de ses fournisseurs sont dangereuses, que des ouvriers sont fortement incités à effectuer des heures supplémentaires sans compensation, que la compagnie pratique la discrimination salariale à l’encontre des femmes, que toutes les tentatives des employés pour se syndiquer sont stoppées, que les employés sont, dans un certain nombre de cas, déraisonnablement sanctionnés et enfermés [de force sur leur lieu de travail, ndlr]. » Ceci concerne non seulement les opérations commerciales de Wal-Mart aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi celles de ses fournisseurs au Nicaragua, au Salvador, au Honduras, au Lesotho, au Kenya, en Ouganda, en Namibie, au Malawi, au Madagascar, au Swaziland, au Bangladesh, en Chine et en Indonésie.

La même décision vient d'être prise par le fonds de pension néerlandais PNO Media, qui est un fonds de pension sectoriel pour le secteur néerlandais des médias et qui pèse de 3 milliards €. Elle est fondée sur l'insuffisance de résultat de l'activisme actionnarial pratiquée à l'égard de Wal-Mart. Un dialogue avait été entamé avec l'entreprise qui a été couronné de succès sur certaines questions comme la réduction des émissions de CO2. En revanche, PNO constate que Wal-Mart n'est pas prête à engager un dialogue sur les droits des travailleurs.12

Conclusions

Force est de constater que la puissance économique de Wal-Mart lui a largement permis d'échapper à sa responsabilité sociale. Des avancées ont certes été enregistrées mais on peut les qualifier de très timides.

Quelle stratégie adopter ? L'activisme actionnarial semble produire peu d'effet direct, l'entreprise refusant de dialoguer et le rapport de force actionnarial demeurant défavorable en dépit de l'engagement des fonds de travailleurs. Par contre, il contribue, au même titre que les campagnes de sensibilisation des syndicats et des ONG, à écorner l'image de la société.

Celle-ci est donc amenée à se justifier en montrant patte blanche, ce qu'elle a tenté de faire en édictant un code de conduite. À nouveau, l'effet immédiat de celui-ci est douteux puisque de nombreuses violations ont été établies, mais, au moins, la responsabilité, civile et plus seulement morale, de Wal-Mart a-t-elle pu être mise en cause sur base son obligation de surveiller l'application de ce code auprès de ses fournisseurs.

Une autre stratégie est l'exclusion pure et simple de Wal-Mart des fonds d'investissement, même si cela semble difficile pour les investisseurs institutionnels vu la taille et la rentabilité de l'entreprise.

Aucune de ces stratégies n'est sans doute suffisante par elle-même. Elles ne doivent pas pour autant être délaissées car c'est sans doute leur action conjuguée qui a le plus de chance de voir aboutir des réformes bien nécessaires dans la gestion sociale de ce mastodonte. La taille de celui-ci rend par ailleurs des victoires, mêmes partielles, hautement symboliques et donc sans doute reproductibles auprès des autres entreprises.

 

Bernard Bayot,
novembre 2010
 

2 Serge Halimi, Wal-Mart à l’assaut du monde, Le Monde diplomatique, janvier 2006.

3 Bernard Bayot, "Activisme actionnarial", Hémisphères, n°25, juin 2004.

4 Catherine Sauviat, « Syndicats et marchés financiers : bilan et limites des stratégies nord-américaines. Quelle valeur d’exemple pour les syndicats en Europe ». Revue de l’IRES, no 36, 2001/2, p. 1-33.; Emmanuelle Champion et Chantal Hervieux. « Compte rendu : Atelier III 6 – Global campaigning with workers Capital II : learning from global campaigns », Bulletin Oeconomia Humana, 2006 vol. 4, no 4, p. 24-28.; Emmanuelle Champion, L’expérience syndicale en matière de finance socialement responsable (FSR) : Un état des lieux, Les Cahier de la CRSDD – collection recherche, 2009, No 05-.

5 Emmanuelle Champion et Chantal Hervieux, op. cit.

6 Éric Loiselet, L’engagement actionnarial : l’expérience nord américaine, Cadres CFDT, N° 400, juillet 2002.

7 Rosanna Landis Weaver, « IRRC Corporate Governance Service 2003 Background Report – Labor Shareholder Activism in 2002 and 2003 ». IRRC, 2003, 35 p. ; Emmanuelle Champion, op. cit.

8 Élisabeth Laville, L'entreprise verte: Le développement durable change l'entreprise pour changer le monde, Pearson Education France, 2009, p. 112.

9 « Wal-Mart’s Standards for Suppliers Agreement ».

10 Jane Doe I et al. vs Wal-Mart et al., complaint filed in the Superior Court of the State of California (County of Los Angeles, Central District), September 2005.

11 Thomas Berns, Pierre-François Docquir, Benoît Frydman, Ludovic Hennebel et Gregory Lewkowicz, Responsabilités des entreprises et corégulation, Bruylant, Bruxelles, 2007, pp. 27 et 28.

12 Daniel Brooksbank, Dutch pension fund PNO excludes Wal-Mart over labour standards, 29 octobre 2010, http://www.responsible-investor.com/home/article/dutch_pension_fund_pno_....

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Wal-Mart, c'est au départ un petit commerce qui débute gentiment en Arkansas en 1962, l'un des États les plus pauvres des États-Unis. L'entreprise se développe ensuite rapidement pour dominer tous les États-Unis avant de commencer à s'internationaliser à partir de 1991.

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Mars

La demande en ISR des institutions publiques

Soumis par Anonyme le
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Le Réseau Financement Alternatif a mené une enquête, auprès de promoteurs belges de fonds socialement responsables pour recueillir des informations sur la demande de ce type de produits par les institutions publiques belges. Les principaux enseignements sont, qu'actuellement, les communes et les organismes parapublics sont les institutions publiques les plus intéressées par les produits ISR, que les exigences en termes de qualité extrafinancière sont plutôt faibles et que les freins à l'ISR des institutions publiques, tels qu'identifiés par les promoteurs, sont de l'ordre de la méconnaissance de ce type de produits. Il semble alors qu'un long chemin reste encore à parcourir avant que les deniers publics soient gérés de manière responsable et en cohérence avec l'action publique. Le travail de pédagogie et d'incication citoyenne est plus que jamais nécessaire.

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Mai

La notation financière des États

Soumis par Anonyme le

Définition

Tout comme une entreprise, un État peut être soumis à examen et recevoir une notation – ou « rating » selon l'expression anglo-saxonne – concernant sa solvabilité financière. Les critères de cette notation peuvent varier d'une agence de notation à l'autre, mais portent au moins sur les politiques budgétaire et monétaire de l'État ainsi que la situation économique en général. Un ratio fréquemment utilisé est le rapport endettement/produit intérieur brut (PIB). La stabilité du gouvernement en place constitue aussi un critère important. En résumé, la notation correspond à la capacité de remboursement de l'État, en fonction de ses engagements, envers ses créanciers.

Ce rating, donné par les agences de notation financière, permet à l'investisseur de mieux évaluer le risque de son investissement.

Bref historique

La notation financière existe depuis le début du XXe siècle. C'est en 1909 qu'un dénommé John Moody a publié la première notation d’un titre. En 1916, la compagnie Poor’s Publishing Corporation fait de même et Fitch suit la même voie en 1924. Aujourd'hui encore ce sont ces trois agences de notation qui dominent 95 % du marché1.

En février 2011, la Belgique est bien notée par les agences de notation financière sur le long terme : Standard & Poor’s lui accorde 'AA+', Moody's, 'Aa1' et Fitch Ratings, 'AA+' – notations qui correspondent toutes à la mention « bonne qualité ».

Type de notation

Il existe deux catégories de notation : la notation sollicitée et la notation non sollicitée. La première, on l’aura compris, se fait sur demande de l'émetteur et la seconde à l'initiative de l'agence de notation financière. Un règlement européen2 oblige toute agence de notation à déclarer à quelle catégorie appartient sa notation. Il est intéressant d'observer que la notation de l'État belge par Standard & Poor’s est du type « non sollicitée » : il n'existe, en effet, pas de contrat de notation entre les deux entités.

Construction d'une notation financière d'un État

Chaque agence de notation possède sa propre méthodologie pour évaluer une entité. Afin de mieux comprendre comment une agence de notation note un État en particulier, nous décrirons ici dans les grandes lignes la méthodologie utiliséea href="#sdfootnote3sym">3 par l'agence de notation Standard & Poor’s.

Tout d'abord, elle attribue un score sur 6 (1 étant la meilleure note et 6 la moins élevée) à l'État dans les cinq domaines suivants :

  1. l'efficacité institutionnelle et les risques politiques ;
  2. la structure économique et la possibilité de croissance du pays ;
  3. la liquidité externe et la position internationale d'investissement ;
  4. la performance et la flexibilité fiscale ainsi que la charge de la dette (politique budgétaire) ;
  5. la flexibilité monétaire et de financement.

Les éléments pris en compte par les deux premiers points permettent de dresser le profil sociopolitique de l’État en question. Tandis que les éléments visés par les trois derniers points dessinent les contours de son profil « flexibilité et performance ».

De ces deux profils est tirée une première notation indicative de l'État évalué. Celle-ci peut ensuite être ajustée en fonction de certains paramètres exceptionnels, tels qu'une catastrophe naturelle ou un haut risque de sécurité, par exemple.

La notation globale de l'État obtenue se décline aussi en quatre notations plus spécifiques. Ainsi, l'État se voit attribuer une notation sur sa dette en devises étrangères sur le long terme et le court terme. De même, des notations sur la dette en monnaie locale sont données pour le long terme et le court terme. Cette différentiation faite au niveau de la dette émise en devises étrangères ou en monnaie locale vise à cerner le risque distinct de ces différents types de dettes. En général, il n'y a pas d'écart entre les notations en devises étrangères et en monnaie locale quand un État souverain est membre d'une union monétaire, comme c'est le cas pour la Belgique.

Ainsi, l'État belge est noté globalement 'AAA' par Standard & Poor’s en décembre 2010, ce qui est une notation correspondant à une « très forte capacité à remplir ses engagements financiers ». Ce résultat provient des quatre notations suivantes : 'AA+' (long terme en devise), 'A-1+' (long terme en monnaie locale) et 'AA+' (court terme en devise) et 'A-1+' (court terme en monnaie locale).4

Attachées à la notation financière d'un État, les agences de notation financière utilisent un système de perspective, dit « outlook » en anglais, sur les notations données. Cette perspective vise à évaluer la direction potentielle d'un crédit à long terme sur le moyen terme (entre 6 mois et 2 ans). C'est à ce niveau-là que, le 14 décembre 2010, Standard & Poor’s a annoncé la révision de « stable » à « négative » la perspective de la Belgique. En clair, ceci signifie que la notation globale pourrait être abaissée dans les prochains mois, suivant les évènements.

Pourquoi une agence de notation change-t-elle de perspective ?

Le système de perspective des agences de notation est une sorte de mise en garde pour l'entité en question. Il faut donc que des éléments menaçants dans l'un ou plusieurs des cinq domaines cités plus haut se manifestent. Cela peut être lié par exemple à la stabilité politique ou à la situation économique d'un pays.

Dans le cas de la Belgique, il semblerait que ce soit dû au fait qu'il n'y a pas de réel gouvernement depuis juin 2010.

Dans ce cas, il y a lieu de se demander pourquoi Standard & Poor’s a choisi la mi-décembre pour pour annoncer son changement de perspective de « stable » à « négative » ? Certains analystes5 du marché financier pensent que cette réaction est due, au moins en partie, au rapport du Fonds monétaire international sorti le 13 décembre. Celui-ci dresse un état des lieux de l'économie belge en précisant que le budget 2011 n'est pas encore décidé6. Comme mentionné plus haut, la politique budgétaire est un élément important dans la notation d'un État. En plus de l’absence de gouvernement, le fait de ne pas avoir de vision claire à ce sujet pourrait avoir incité Standard & Poor’s à changer de perspective.

Conséquences de la perspective « négative » pour l’État belge

Le mécanisme de base est que les notations des États reflètent la qualité de leurs dettes. Si une notation d'État est abaissée, cela signifie que celui-ci devra payer un taux d'intérêt plus élevé sur le marché pour pouvoir émettre de la dette.

Dans le cas de la Belgique, il ne s'agit pas de la baisse d'une notation, mais d'une mise sous surveillance d'une notation – à cause de problèmes politiques à résoudre. Les conséquences directement perceptibles de ce changement de perspective n'ont pas été très lourdes. Si l'on regarde la courbe des taux d'intérêt des emprunts de référence à 10 ans de la dette publique tout au long du mois de décembre 2010, on voit qu'elle a légèrement augmenté à l'annonce faite par Standard & Poor’s. Cette fluctuation n'est pas excessive, mais montre tout de même le pouvoir des agences de notation.

 

Source : Banque Nationale de Belgique7

Direction à prendre ?

L'incertitude politique en Belgique est donc à l'origine de ce changement de perspective. Sans gouvernement depuis bientôt neuf mois, la Belgique n'inspire plus autant confiance sur les marchés financiers. Critiqué pour sa politique budgétaire peu marquée, le gouvernement belge en affaires courantes veut rassurer les marchés financiers en réduisant le déficit budgétaire. Ainsi, il a récemment décidé d'un objectif ambitieux : réduire le déficit public à 3,6 % du produit intérieur brut contre 4,1 %, comme initialement prévu8.

Ces objectifs suffiront-ils à convaincre les agences de notation de la bonne santé fiscale de la Belgique ? Ou le fait de ne toujours pas avoir de gouvernement sera-t-il pris comme un facteur déstabilisant ? Affaire à suivre en juin 2011...

 

Annika Cayrol
mars 2011

 

1 Pour une information plus détaillée, voir CAYROL, Annika, Les agences de notation financière, Réseau Financement Alternatif, novembre 2010.

2 Article 10, point 5, RÈGLEMENT (CE) No 1060/2009 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL

sur les agences de notation de crédit, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:302:0001:0031:FR:PDF, 16 septembre 2009

3 Il est intéressant de remarquer que deux méthodologies sont citées pour la notation de l'État belge, l'une datant du 29 mai 2008, Criteria | Governments | Sovereigns: Sovereign Credit Ratings: A Primer, et l'autre plus récente, datant du 26 novembre 2010, soumise à commentaires : Criteria | Governments | Request for Comment: Sovereign Government Rating Methodology And Assumptions, Standard and Poor's, EU Disclosures - EC 1060/2009, 22 février 2011

5 Dont Oscar Bernal, économiste à la Banque ING, voir article La dette de la Belgique sous surveillance, 14 décembre 2010,http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20101214_049

6 Belgique - 2010 Article IV Consultation Concluding Statement of the Mission, Bruxelles, 13 décembre 2010, http://www.imf.org/external/np/ms/2010/121310a.htm

7 Données disponibles sur le site Internet de la Banque Nationale de Belgique, http://www.nbb.be/belgostat/PresentationLinker?Order=true&TableId=527000090&Lang=F&prop=null

8 « La Commission européenne salue la réduction du déficit belge », La Libre Belgique, 21/03/2011, http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/650073/la-commission-europeenne-salue-la-reduction-du-deficit-belge.html

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Mi-décembre 2010, l'une des trois grandes agences de notation financière, Standard & Poor's, a émis la possibilité de revoir la notation financière du Royaume de Belgique dans les six mois, pour cause d'incertitude politique. Effectivement, l'État belge, sans gouvernement depuis juin 2010, semble inquiéter Standard & Poor's sur sa capacité à mettre en place des réformes afin maîtriser sa dette. Mais qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? Comment note-t-on un État ? Les quelques lignes qui suivent proposent un décryptage de la notion de notation financière d'un État à travers l'exemple de la Belgique.

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Mars

Système d'échange local (SEL) : Une monnaie pour les bobos ?

Soumis par Anonyme le

Alors qu'on reconnait aux monnaies alternatives le mérite de repenser la monnaie et ses fondements, on leur reproche souvent de ne s'adresser qu'à un certain public, qui, au fond, vivrait très bien sans. Les systèmes d'échange local n'attirent-ils que des personnes favorisées ? Quelques éléments de réponse...

Introduction

Le SEL ne vise pas, en principe, à toucher un certain public. Au contraire, il cherche plutôt à être ouvert à tous les profils afin « de contribuer par là au renforcement d'un tissu social local qui ne reproduit ni les rapports sociaux ni la hiérarchie des qualifications »(1). Seulement, cette bonne intention n'implique pas pour autant que tout le monde se reconnaisse dans une telle organisation.

Afin d'éclaircir la question, cette analyse dresse en premier lieu un profil, à plusieurs niveaux, de l'utilisateur des SEL. Dans la seconde partie, nous verrons ce qui peut motiver des personnes à y adhérer et pourquoi certains groupes peuvent être, plus que d'autres, tentés par cette expérience.

Un profil des utilisateurs

Les différentes études sur les SEL semblent a priori contradictoires au sujet du profil des utilisateurs. Ainsi, une source2 affirme en 1999 que « l'on compte en moyenne, selon les SEL, entre 40 et 60 % de personnes en situation précaire », tandis que Jérôme Blanc, qui a longtemps étudié ces systèmes, rappelle que « de façon générale, les personnes qui recourent à ces systèmes sont plutôt bien insérées dans des réseaux de sociabilité [...] et, si leurs revenus ne sont pas très élevés, ils ne sont pas dans une situation de stress quotidien pour la survie matérielle »3, ce qui entretient un certain flou sur la question.

L'enquête nationale sur les SEL réalisée en France en 20044 – sans équivalent en Belgique à notre connaissance – apporte un éclairage utile. Cette enquête a permis d’interroger 270 utilisateurs dans 72 SEL, ce qui offre une vision assez générale de la situation des SEL dans ce pays. D'autres enquêtes, réalisées dans des banques de temps (à peu près équivalentes aux SEL), réalisées dans d'autres pays, sont également très instructives et confirment souvent les résultats de l'enquête sur les SEL français.

À la ville ou à la campagne ?

En France, les membres des SEL sont majoritairement urbains : 51 % d'entre eux vivent dans un environnement « relativement urbain », tandis que 29 % habitent dans un environnement « très urbain ». En fait, ceci traduit une évolution assez forte, car, à l'origine, les SEL français étaient situés dans des régions rurales, voire très rurales (le premier SEL est né en Ariège, dans le Massif central). Or, aujourd'hui comme hier, ces SEL ruraux sont en grande majorité composés de... « néo-ruraux ». Tant au niveau géographique que sociologique, le phénomène touche donc désormais en majorité des personnes qui vivent ou ont vécu en ville. Des éléments d'explication à ce sujet seront fournis dans la suite de cette analyse.

Notons qu'en Belgique, les SEL belges francophones sont répartis sur à peu près tout le territoire, à l'exception des régions situées au sud du sillon Sambre-et-Meuse dans les provinces de Namur, Liège et Luxembourg, où la densité de SEL par habitant est plus faible5.

Travailleurs, sans-emplois ou précaires ?

L'enquête sur les SEL français révèle que 23 % des personnes ayant répondu au questionnaire sont sans emploi. Ceci ne veut pas dire que 23 % de tous les utilisateurs (qui sont à peu près 30 000) le soient, mais la proportion est tout de même assez forte et en tout cas au-dessus des statistiques nationales sur le chômage. En deuxième rang se retrouvent les retraités (18 %) et les travailleurs à temps partiel (17 %), ce qui porte à « seulement » 36 % les « sélistes »6 qui travaillent à temps plein.

La question des revenus n'a pas été posée. On peut néanmoins postuler que les sans-emplois, ainsi que les travailleurs à temps partiel et les retraités ne gagnent pas des sommes mirobolantes. Une enquête similaire réalisée aux États-Unis a révélé que le revenu des utilisateurs était plus bas que la moyenne. Savoir si leur situation est précaire est, en revanche, plus difficile à définir, car cette situation tient non seulement compte du statut des personnes concernées, de leurs revenus, mais aussi de la stabilité de leur situation, on se gardera donc d’émettre une hypothèse à ce sujet.

Un public averti

Un trait qui frappe quand on s'intéresse au profil des utilisateurs des SEL est certainement le fait qu'il s'agit majoritairement d'un public « averti », en ce sens qu'il est fort éduqué, mais aussi cultivé et sensible aux questions politiques. Une enquête sur le profil des utilisateurs de banques du temps aux États-Unis montre que 45 % des personnes interrogées sont titulaires d’un diplôme de l'enseignement supérieur.

La forte sensibilisation politique est rapportée par l'enquête sur les SEL français, qui note que c'est un trait courant aux associations de retrouver une prédominance de « profils politiques ». On peut constater aussi que le fait d'être militant est souvent corrélé au niveau du diplôme obtenu7.

En résumé

Une illusion se dissipe donc : les SEL ne sont pas qu'un refuge de nantis, qui pourraient se permettre d'explorer d'autres modes d'échanges parce qu’ils en ont les moyens. A contrario, les SEL ne sont pas non plus, comme certains ont voulu le croire, un refuge destiné aux pauvres et aux exclus de la société qui développeraient une économie de survie via les SEL. Il est en revanche important de noter que les SEL semblent bien s'adresser à un public favorisé lorsqu'on se place du point de vue de l'éducation. D'un point de vue plus sociologique, on pourra dire que les utilisateurs ont un « capital culturel » plus élevé que la moyenne. Ce capital peut être associé à des revenus plus faibles, par exemple lorsqu'on est professeur, militant dans le milieu associatif ou encore sans emploi.

Pourquoi adhérer à un SEL ?

L'enquête sur les SEL français offre une indication assez claire : parmi les répondants, 36 % sont venus dans un SEL en premier lieu pour « défendre une autre vision de la société ». Ils sont ensuite 29 % à déclarer que leur motivation première est d'y « créer des liens » et enfin 13 % disent vouloir avant tout « y faire des échanges ». On pourrait donc dire que la motivation politique prime sur la motivation sociale, laquelle prime sur la motivation économique. Nous allons développer ces différents aspects, ainsi qu'un quatrième point qui nous semble également pertinent : le mode de consommation.

Une volonté politique : défendre une autre vision de la société

Comme expliqué dans une analyse précédente sur les SEL8, la volonté de promouvoir une autre vision de la société et de l'économie via les échanges au sein d'un SEL est assez forte. Pour rappel, on pourrait la résumer en trois grands principes : le premier est de promouvoir des échanges qui soient enrichissants pour les personnes, plutôt que le creuset de conflits d'intérêts entre le producteur et le consommateur. Le second est de promouvoir la démocratie dans le système économique. Le troisième enfin est de chercher à ce que les citoyens soient sur un pied d'égalité dans le cadre de leurs échanges. Le SEL est un moyen opportun de concrétiser ces idéaux lorsqu'on cherche des alternatives au système dominant. En effet, il s'agit réellement de recréer une communauté qui fonctionne selon ces principes. Pour reprendre le titre d'un livre de Smaïn Laacher, à cet égard, les SEL peuvent être qualifiés d'« utopie anticapitaliste en pratique »9. Comme nous l'avons dit, cet engagement militant ne se retrouve pas de manière uniforme dans toutes les couches de la société et, si l'on y trouve des chômeurs ou des personnes en situation difficile, il s'agit en fait des « moins dominés des catégories les plus dominées »10.

Une volonté sociale : créer des liens

Par son fonctionnement11, le SEL offre beaucoup d’occasions de rencontres et de contacts, que ce soit dans le cadre de l'échange d'un bien ou d'un service, ou au cours des réunions régulières. Comme la dimension réciprocitaire est fortement mise en avant dans le SEL (on reste redevable aux autres membres, même si l'on « paie »), ces moments de contacts peuvent facilement se prolonger. Le SEL n'est alors plus seulement l'occasion de faire des échanges, mais aussi de voir certaines personnes. Il devient un cadre propice au développement d'une solidarité entre les membres. Celle-ci peut dépasser le cadre des échanges, les membres s'aidant de manière plus régulière ou sans comptabiliser leurs échanges. Ce rapprochement peut également être vu sous un mode plus relationnel, recréant alors de la convivialité entre les membres. Cette solidarité et cette convivialité offrent à l'adhérent la possibilité de reconstituer un réseau de relations, qu'il avait peut-être perdu. Il trouve également par là une certaine valorisation de sa personne, de ses activités ou de ses compétences, surtout s'il n’est pas actif sur le marché du travail. Tous ces effets combinés facilitent l'insertion des membres dans le groupe, ce qui peut constituer un levier d'insertion dans la société.

Cette création de nouvelles relations peut être vue sous un angle plus théorique, celui du capital social. Ce concept a été développé par Bourdieu (1980) qui a, pour la première fois, établi cette distinction entre capital économique et capital social. Le capital économique réfère logiquement au niveau de richesse matérielle dont dispose un individu. Le capital social exprime, lui, l'ensemble des relations, contacts, réseaux sociaux dans lesquels chacun se trouve. Ce capital peut être mobilisé pour obtenir un service, une aide, une embauche. Tout comme le capital économique, le capital social peut s'accumuler.

Deux chercheurs12 ont ainsi analysé les relations qui se créent dans un SEL et une banque du temps. Ils ont, assez logiquement, conclu que ces systèmes étaient des structures très « productives » en termes de capital social. En effet, chaque échange provoque une nouvelle rencontre, qui est l'occasion de faire la connaissance d'une nouvelle personne. Cette rencontre est d'autant plus « fructueuse » qu'il ne s'agit pas simplement de venir payer pour un service, mais bien de s'accorder ensemble sur la nature du service et sur la valeur de l'échange. Ce qui peut apparaitre au départ comme une contrainte devient alors l'élément provocateur de cette rencontre. Des évènements réunissant tous les membres permettent aussi de développer des contacts et un réseau, en lien avec la création d'une certaine solidarité, évoquée plus haut. Ces contacts ne débouchent pas nécessairement (en fait, plutôt rarement) sur des relations d’amitié, mais le capital social n'en est pas diminué pour autant. En effet, un autre chercheur13 a montré que dans un réseau de relations, ce sont souvent les personnes les plus éloignées du réseau habituel, fréquentant justement d'autres réseaux, qui offrent le plus de nouvelles opportunités. Le SEL réunissant souvent quelques dizaines ou centaines de membres, qui se croisent mais gardent chacun un réseau personnel, correspond très bien à cette description.

Cet aspect fortement social est peut-être celui qui permet d'expliquer pourquoi tant d'utilisateurs des SEL vivent dans un environnement urbain ou en proviennent : le SEL permet de rencontrer des gens. Ce besoin est souvent plus grand en ville où les liens sociaux sont distendus entre les habitants. Dans beaucoup de villages, ces liens sociaux sont encore présents entre les habitants, mais ce réseau s'ouvre assez difficilement aux néo-ruraux qui font face à la même solitude que les urbains. Ceci pousserait donc chacun d'entre eux à rechercher, via le SEL, la constitution d'un nouveau réseau.

Une volonté économique : augmenter son bien-être matériel

Au-delà des aspects politiques et sociaux, il reste tout de même des avantages matériels à utiliser le SEL. Cet avantage peut se traduire en termes de substitution de consommation (« J'achète ma nourriture via le SEL au lieu de l'acheter au magasin »), mais bien plus souvent en termes de complément de consommation (« Grâce au SEL, j'ai pu trouver quelqu'un pour tailler ma haie »). Les utilisateurs peuvent, en effet, s'offrir des biens et services indisponibles ailleurs, soit parce qu'ils seraient trop chers (c'est particulièrement le cas pour les services), soit parce qu'ils sont peu ou pas disponibles dans le circuit conventionnel (on pense ici à des pratiques anciennes, artisanales, trop peu rentables, ou les trois à la fois).

La substitution permet bien de diminuer les dépenses, donc d'épargner de l'argent. Mais l'effet à ce niveau est certainement très faible, car les biens disponibles dans le SEL sont souvent limités et une grande partie des achats doit encore se faire à l'extérieur : c'est le cas du logement, de l'énergie, des transports... En revanche, le complément se traduit par une comptabilité personnelle inchangée : on ne dépense pas moins, mais une plus grande palette de biens et services est disponible. Ces avantages sont mesurés davantage en termes de bien-être : on peut vivre mieux avec le même revenu.

Retenons donc simplement qu'un utilisateur peut potentiellement trouver un avantage économique, mais que cet avantage est obligatoirement limité. Ceci explique peut-être en partie pourquoi si peu d'utilisateurs du SEL cherchent avant tout à réaliser des échanges en y adhérant.

Une autre manière de consommer ?

Le SEL n'engage pas ses adhérents à consommer de manière plus responsable ou écologique. Chacun restant évidemment libre de faire des choix de consommation personnels. Il n'existe pas non plus, à notre connaissance, d'études empiriques visant à déterminer l'impact de l'adhésion à un SEL sur les modes de consommation. On peut malgré tout relever que, par le système qu'il met en place, le SEL promeut de fait certaines habitudes particulières de consommation. Nous pouvons en relever trois.

La première est la promotion de circuits d'échange courts, tant au niveau de la distance qu'au niveau du nombre d'intermédiaires : les échanges se font souvent dans un espace assez réduit et il y a moins souvent un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. La seconde est le développement de pratiques de réparation, de réutilisation, de réemploi ou de fabrication par soi-même. En effet, peu d'utilisateurs trouveront de l'intérêt à acheter une tarte provenant du magasin via le SEL alors qu'il est très courant de proposer des plats qu'on a préparés soi-même. De même, il existe de nombreuses offres de petits travaux (réparation de vélo, petite menuiserie, artisanat), de cours ou d'artisanat. Par là, le consommateur apprend aussi à sortir de son rôle habituel, pour se rapprocher de celui du producteur... jusqu'à devenir lui-même producteur d'autres biens. Les rôles se croisent et chacun prend conscience de la situation de l'autre, ce qui aide à fixer un prix juste entre les deux personnes. La troisième manière de consommer, enfin, est l'absence totale de publicité dans le système. Celle-ci est non seulement interdite, mais elle se révélerait inefficace tant elle est contraire à la logique qui sous-tend le SEL : on n'achète pas quelque chose pour rivaliser avec son voisin, mais bien pour faire vivre la communauté et développer les échanges entre les utilisateurs.

Conclusion

Différents profils peuvent se rencontrer au sein d'un SEL : tant celui du chômeur, que celui du travailleur. Que l'un soit plus pauvre que l'autre, cela importe finalement peu et le SEL permet justement à ces gens de se rencontrer sur un pied d'égalité. Il reste que le phénomène semble cantonné à des personnes plus sensibles aux enjeux sociaux et politiques et majoritairement urbaines. Le fait que le SEL soit aussi un mouvement militant n'y est certainement pas étranger. La possibilité d'y retrouver une convivialité et une solidarité disparues, non plus. Le SEL saura-t-il à l'avenir garder ses principes tout en attirant un public plus large et en l'intéressant à d'autres formes d'échanges ? C'est un défi, qu'il doit en tout cas, selon nous, relever.

 

Julien Didier
Décembre 2010

 

1 Modèle de Charte pour un SEL, http://lesel.be/

2 Servet (1999).

3 Blanc (2006).

4 Lenzi (2004).

6 Nom donné aux utilisateurs des SEL.

7 Mathieu (2004).

8 Julien Didier, Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, janvier 2010.

9 Laacher(2003).

10 Lenzi (2004).

11 Ce paragraphe est issu de l'analyse précédente sur les SEL : Julien Didier, Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, janvier 2010.

12 Hontschoote (2001) et Ozanne (2010).

13 Granovetter (1973).

Bibliographie

BLANC J., (2006), « Introduction générale. Les monnaies sociales : un outil et ses limites », in BLANC J., (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris : Économica, 547 p., disponible en ligne sur http://ideas.repec.org/p/hal/journl/halshs-00085784_v1.html

BLANC J., (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

COLLOM E., (2007), « The Motivations, Engagement, Satisfaction, Outcomes, and Demographics of Time Bank Participants: Survey Findings from a U.S. System », International Journal of Community Currency Research, Vol. 11, pp. 36-83.

GRANOVETTER M., (1973). « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, Vol. 78/6, pp. 1360-1380.

HONTSCHOOTE F., (2001), Les monnaies locales : Création et rentabilité d’un capital social. Analyse comparative de l’Ithaca Hour et du SEL de Paris, Thèse de DEA de sociologie du pouvoir, Université de Paris VII Jussieu.

LAACHER S., (2003), Les SEL. Une utopie anticapitaliste en pratique, Paris, La Dispute, Coll. Comptoir de la politique.

LENZI C.,(2004), « L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse », in BLANC J., (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris, Économica, disponible en ligne sur http://clenzi.free.fr/spip.php?article2

MATHIEU L., (2004), Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, coll. La discorde.

OZANNE L., (2010), « Learning to exchange time : benefits and obstacles to time banking », International Journal of Community Currency Research, Vol. 14, pp. 1-16.

SERVET J.-M., (dir.), (1999), Une économie sans argent : les systèmes d’échange local, Paris, Le Seuil.

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Système d'échange local (SEL) : Un autre monde est-il possible ?

Soumis par Anonyme le

Ce système propose à ses adhérents d'échanger au jour le jour des biens et des services sur de nouvelles bases, en réinventant l'argent. Cette nouvelle approche fait rêver certains : les SEL ne seraient-ils pas la voie rêvée vers une société plus juste ? Cette dernière d'une série de quatre (1), explore les possibilités de cette monnaie, mais aussi ses limites.

Introduction

Dès les premières expériences de LETS (ancêtre anglo-saxon des SEL) au Canada, beaucoup ont voulu croire dans le potentiel formidable que pouvait représenter cette nouvelle forme de monnaie. On lui a attribué tour à tour un rôle de lutte contre la pauvreté, contre le chômage ou, plus dernièrement, contre l'exclusion. Un système citoyen qui revendique de telles qualités peut, dès lors, laisser rêveur et même donner des idées : alors que le budget de l'État est au plus bas, ces systèmes ne peuvent-il pas jouer un rôle social, à moindre coût ?

Avant de conclure à l'existence d'une panacée dans ce domaine, il semble pertinent de s'attarder sur ce que peuvent vraiment faire les SEL, mais aussi sur leurs limites. Nous tenterons donc, en premier lieu, d'analyser l'impact que le SEL peut avoir dans certaines situations : la pauvreté, le chômage ou l'exclusion. Nous analyserons ensuite les potentialités qu'il présente en tant que facteur de transition : le SEL peut-il constituer un des moyens d'accéder à une autre société ?

Un outil de lutte contre la pauvreté ? 

Certaines monnaies sociales, principalement dans les pays du Sud, ont pour objectif affiché de lutter contre la pauvreté2. Les SEL n'annoncent pas aussi clairement ce but, ils se situent plus sur un terrain politique et social3. Mais, par l'égalité et la démocratie qu'ils promeuvent, ne peuvent-ils pas « rendre du pouvoir » aux pauvres, ce qui les aiderait à sortir de la pauvreté ?

La réponse dépend en fait de la définition qui sera donnée à la lutte contre la pauvreté. Si on pense que celle-ci doit passer par une augmentation de revenus pour les plus pauvres, les SEL ne constituent pas un bon moyen. En effet, beaucoup d'utilisateurs ne se servent pas du SEL comme d’un moyen de substitution, mais comme un complément. Par ailleurs, les biens disponibles sont limités dans le système. En particulier, les biens les plus chers, comme le logement, les transports ou l'énergie, sont très rarement proposés (même si le cas d'utilisateurs payant leur loyer ou recevant leur salaire via le SEL a été relaté4).

Si l'on envisage le problème autrement, une réponse différente est néanmoins possible : si le SEL ne résout pas la pauvreté, en augmentant les revenus disponibles, il peut néanmoins la rendre plus douce, moins honteuse et moins dépendante. Ainsi, les premiers SEL créés en France étaient composés d'une grande partie de personnes sans emploi (qui en cherchaient un ou non) et qui compensaient leur pauvreté matérielle et leur faible insertion professionnelle par une richesse relationnelle, culturelle ou associative et par l'échange de petits travaux. Le SEL a pu être d'une grande utilité à ces personnes, car il leur a permis d'avoir une certaine activité et des avantages matériels. Les contacts développés grâce au SEL fournissent aussi un réseau de solidarité sur lequel s'appuyer. Le SEL peut dès lors aider à sortir d'une relation d'assistance, à sentir qu'on reprend la main sur le cours de sa vie.

Les membres de ces premiers SEL ont ainsi pu passer d'une pauvreté « subie » à une pauvreté plus « assumée », moins stigmatisante et moins pénible à vivre au quotidien.

Un outil de lutte contre le chômage ?

Le chômage est, selon les pays et les systèmes sociaux, toujours plus ou moins lié à la pauvreté, il n'en est en tout cas jamais totalement indépendant. La question de l'impact potentiel du SEL sur ce phénomène est donc tout à fait légitime : dans la mesure où il est adopté par des chômeurs, mais aussi par des personnes ayant un emploi, le SEL ne pourrait-il pas, directement ou indirectement, favoriser la reprise d'emploi ?

Le SEL ne crée pas d'emplois directement, car il se destine exclusivement à des activités privées et non professionnelles. Cela veut dire qu'un professionnel ne peut y adhérer pour exercer son métier. Est-il néanmoins possible de créer une activité professionnelle ou semi-professionnelle à l'intérieur du système ? C'est difficile, car les unités gagnées via le SEL ne peuvent être dépensées qu'à l'intérieur du système et, comme nous l'avons précisé plus haut, beaucoup de biens ne sont pas disponibles dans un SEL : cela dépend de ce que les adhérents proposent et il faudrait que beaucoup de professionnels adhèrent au système pour que cela devienne avantageux. La taille des SEL, qui se limitent souvent à quelques dizaines d'adhérents, est aussi un frein.

Malgré cela, certaines personnes peuvent se servir du SEL comme point de départ vers une reprise d'activité. Celle-ci est nécessairement très variée et reste peu enviable en comparaison avec la situation d’un travailleur salarié. Cependant, s'il n'offre pas les avantages d'un emploi stable, ce travail permet à tout le moins de retrouver une dynamique d'activité valorisante, car reconnue et appréciée par les membres du SEL.

En fait, tant en ce qui concerne le chômage que la pauvreté, on voit que le SEL n'apporte pas de réponses directes. Les voies qu'il offre sont indirectes. En premier lieu, parce qu’elles proposent des pistes en dehors du cadre strict de la pauvreté et du chômage, ce qui nous amène à nous intéresser au cadre, plus large, de l'exclusion sociale. En second lieu, parce qu’elles ne se situent pas dans la logique économique dominante, dans laquelle le capital social est nettement moins pris en compte.

Exclusion et insertion

Le phénomène de l'exclusion sociale touche bien sûr, avant tout, des pauvres et des sans-emplois, mais l’exclusion concerne aussi des travailleurs isolés, des mères au foyer ou des retraités. Ce qui caractérise ces personnes, au-delà de difficultés matérielles rencontrées pour certaines, c'est l’insuffisance de moyens de socialisation. Ce manque entraine le manque d'autres moyens, comme des moyens de locomotion, des opportunités pour « s'en sortir » ou même l'estime de soi nécessaire à la vie en société ce qui accentue encore l'exclusion.

Comme déjà évoqué dans une précédente5 le SEL offre beaucoup d'opportunités de rencontres et de contacts, que ce soit à l’occasion de l'échange d'un bien ou d'un service ou dans le cadre des réunions régulières. Comme la réciprocité est fortement mise en avant dans le SEL (on reste redevable aux autres membres, même si on les « paye »), ces moments de contacts peuvent facilement se prolonger. Le SEL n'est dès lors plus seulement le moyen de faire des échanges, il se fait aussi lieu de rencontres. Il devient un cadre propice au développement d'une solidarité entre les membres. Celle-ci peut dépasser le cadre des échanges, les membres s'aidant de manière plus régulière ou sans comptabiliser leurs échanges. Ce rapprochement peut également être vu sous un angle plus relationnel, eu égard à la convivialité qu’il crée entre les membres. Cette solidarité et cette convivialité offrent à l'adhérent la possibilité de reconstituer un réseau de relations, qu'il avait peut-être perdu auparavant. Il trouve également par là une certaine valorisation de sa personne, de ses activités ou de ses compétences, surtout s'il est inactif sur le marché du travail. Tous ces effets combinés facilitent l'insertion des membres dans le groupe et peuvent constituer un levier d'insertion au niveau plus général de la société.

Une réserve doit être toutefois émise : les SEL sont un bon moyen de prévention contre l'exclusion, dans le sens où ils permettent à des personnes seules de ne pas se couper définitivement du reste de la société. Il ne sont, en revanche, pas du tout l'outil approprié lorsqu'il s'agit de réinsérer des personnes déjà exclues au point de ne plus arriver à réintégrer d'elles-mêmes un groupe6. Ces personnes requièrent un suivi personnalisé afin de retrouver le chemin vers l'intégration, ce que le SEL ne peut offrir.

Un SEL plutôt économique ou plutôt social ?

Pour rappel, les SEL ont pu fournir à des inactifs, des chômeurs ou des pauvres l’occasion de trouver des moyens pour compenser les conséquences négatives de leur condition. C'est donc principalement par le biais d'un réseau de solidarité et de convivialité qu'ils ont pu rassembler ces moyens, ce qui leur a permis aussi de se réinsérer, de trouver une place dans la société.

Il faut néanmoins savoir que cette qualité « inclusive » est très dépendante de l'approche que les membres du SEL développent. Les SEL présentant cette qualité sont, en effet, fort orientés vers une approche pratique de fourniture de biens et des services aux meilleures conditions. En ce sens, ils s’apparentent au modèle anglo-saxon des Local Exchange Trading Systems (LETS), qui affichent clairement ce but de service économique7.

Or, comme le signale une enquête sur les SEL en France, c'est un autre type de SEL, plus axé encore sur la réciprocité dans les échanges et la recherche d'une alternative, qui s'y est surtout développé – et c'est également le cas en Belgique. Jérôme Blanc8 résume bien ce glissement : « On lutte moins contre la pauvreté (absence de pouvoir d'achat) que contre l'exclusion (coupure de lien social avec un groupe donné) [...] Plus précisément, on lutte contre une exclusion pour promouvoir, au travers d'une nouvelle inclusion, des comportements différents. » Il y a donc la volonté de réintégrer ces échanges dans une nouvelle logique, hors de la logique dominante. Cette recherche a poussé les SEL à se détourner d'une fonction économique pour se centrer sur une fonction politique (recherche de la démocratie, de l'égalité et d'une autre forme d'échange) et de socialisation.

Seulement, cette transition s'est inévitablement accompagnée d'un glissement du profil des adhérents, les SEL devenant de plus en plus réservés à des profils militants. Ceci n'empêche pas un public défavorisé d'y adhérer, mais, comme nous l'avons précisé dans une autre analyse sur les SEL9, il existe une corrélation entre le niveau de politisation et le niveau d'instruction10, lui-même corrélé à l'origine sociale. Si les SEL comprennent toujours une certaine « proportion » de personnes défavorisées, il s'agit en fait des « [personnes les] moins dominées des catégories les plus dominées »11. La recherche de solidarité et d'égalité reste toujours présente, mais, simplement, elle concerne un public moins diversifié, ce qui amoindrit certainement la force d'action sociale des SEL.

Vers une société plus égalitaire et plus solidaire ?

On peut donc se demander à quel point les SEL sont en mesure de réaliser une réelle transition. Ils semblent en effet bloqué entre deux alternatives :

Il existe, on l'a vu, des exemples où le SEL peut être un outil d'insertion sociale, via la solidarité qu'il crée entre ses membres, et que cette insertion peut compenser, sous certains aspects, les affects personnels dûs au chômage et à la pauvreté. Or, il a été également montré que cette aptitude du SEL à s'orienter vers un public défavorisé (tant au niveau des revenus, que du capital social et que de l'éducation) est assez dépendante de l'orientation qu'il prend. Les exemples les plus tangibles d'insertion sont en effet constatés là où les principes marchands sont les moins rejetés12 : c'est-à-dire les SEL qui assument leur volonté de toucher un public défavorisé par des avantages pratiques. Souvent cette volonté implique d'assouplir le système des SEL : la monnaie devient convertible et, par exemple, les professionnels et les magasins peuvent être inclus. Seulement, ce type de système est aussi plus propice à la reproduction des inégalités sociales13. Il se pose plutôt en complément et non en alternative au système économique actuel.

Les SEL qui parviendraient à réaliser une transtion sociale réuniraient, selon nous, deux conditions : l'insertion sociale de personnes moins favorisées et la concrétisation de principes plus égalitaires dans l'économie. Or, il semble que la réalisation conjointe de ces deux buts soit difficile. Chaque SEL est donc devant le dilemme suivant : doit-on chercher à faire accéder des individus à un certain niveau de bien-être matériel dans un système qui risque de les rendre à nouveau dominés, voire de les exclure à nouveau ? Ou doit-on, au contraire, chercher à réaliser l'intégration de personnes dans un cadre novateur et plus égalitaire ? Ceci quitte à ce que moins de gens, et en premier lieu ceux qui disposent déjà de plus de ressources, bénéficient de cette action.

Une troisième voie ? L'exemple de l'accorderie

Une piste d'évolution peut toutefois être suggérée afin de résoudre ce dilemme. Il s'agit de l'exemple de systèmes similaires au Québec : les accorderies, qui allient des mécanismes égalitaires à une action d'insertion sociale. Elles combinent en fait un système d'échange en monnaie interne complètement égalitaire14 à des systèmes d'échange collectifs en dollars (achats groupés, prêts solidaires) qui présentent des avantages plus directement pratiques. L'accorderie, enfin, rémunère en monnaie interne les personnes qui rendent service à l'association. Il n'y a pas de bénévolat, car celui-ci peut être une source d'inégalité entre des personnes qui n'auraient pas besoin d'argent et d'autres.

L'idée est en fait de rassembler, dans une même organisation, des services pratiques, destinés à tout le monde et un système de monnaie interne égalitaire. L'accorderie espère ainsi faciliter les échanges entre les personnes utilisant les différents services, chacune profitant en partie des avantages des deux systèmes.

Conclusion

Le constat est donc le suivant : malgré une perspective novatrice et une réelle recherche de justice, les SEL ne parviennent pas à résoudre l'équation suivante : comment toucher un public défavorisé, qui pourrait bénéficier de l'apport du SEL, tout en gardant l'âme des SEL, c'est-à-dire une volonté de démocratie, d'égalité et de convivialité ? La réponse est peut-être simplement que le SEL n'est pas l'outil approprié pour enclencher une transition sociale de cette envergure. Il peut être un moyen parmi d'autres, certainement, mais aux perspectives limitées.

Ceci doit aussi nous amener à conclure que d'autres acteurs, comme l'État, gardent leur place. Il est illusoire de penser qu'une initiative purement citoyenne, fût-elle novatrice et pleine de bonnes intentions, puisse engendrer des changements significatifs dans la société. L'État doit prendre conscience de son rôle et ne pas simplement compter sur la force associative de ses citoyens pour assumer ses missions. Et ce, d’autant plus en période de crise économique et budgétaire, lorsque la tentation se fait la plus grande d'oublier ce genre de responsabilités.

 

Julien Didier
Décembre 2010

 

1 Julien Didier, Système d'échange local : une monnaie, mais différente ; Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes ; Système d'échange local : une monnaie pour les bobos ?, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

2 Voir notamment le cas de la banque Palmas au Brésil.

3 Voir Julien Didier, Systèmes d'échange local : À quoi ça sert ? Objectifs et principes, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

4 Servet (1999)

5 Julien Didier, Système d'échange local : une monnaie pour les bobos ?, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010

6 Servet (1999)

7 Mais qui sont également ceux qui, suite à une logique plus marchande, constatent plus d'inégalités dans les échanges.

8 Économiste qui a fait des monnaies complémentaires sa spécialité, Blanc (2000)

9 Julien Didier, Systèmes d'échange local : une monnaie pour les bobos ?, Réseau Financement Alternatif, décembre 2010.

10 Mathieu (2004)

11 Lenzi (2004)

12 Servet (1999)

13 Bowring (2000)

14 La monnaie n'est pas convertible et une heure de travail est payée au prix d'une autre heure de travail, quel que soit le travail réalisé.

Bibliographie

BLANC J., (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

BOULIANNE M., (2008), L’Accorderie de Québec, Résultats de l’enquête par questionnaire réalisée auprès des membres du réseau à l’hiver 2008 dans le cadre du projet de recherche, Université de Laval, Département d'anthropologie, disponible en ligne sur http://www.accorderie.ca/spip.php?article119

BOWRING F., (1998), LETS: An Eco-Socialist Initiative?, New Left Review, Vol 232, pp. 91-111.

LENZI C.,(2004), « L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse », in BLANC J., (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris : Économica, disponible en ligne sur http://clenzi.free.fr/spip.php?article2

MATHIEU L., (2004), Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, coll. La discorde.

SERVET J.-M., (dir.), (1999), Une économie sans argent : les systèmes d’échange local, Paris, Le Seuil.

SIMONSON M., (2006), Étude d'un système d'échange de services sans argent, Mémoire de sociologie. Promoteur : BASTENIER A., Université Catholique de Louvain, Département des sciences politiques et sociales.

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12/2010
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Décembre

Système d'échange local (SEL) : À quoi ça sert ? Objectifs et principes

Soumis par Anonyme le

Quels sont les objectifs de la monnaie nationale ? Favoriser les échanges, permettre des prêts, des emprunts, des achats..., faire de l'argent. Un peu court, non ? Surtout quand d'autres monnaies se targuent de promouvoir la démocratie, la rencontre entre les gens, l'égalité. Utopique ? Ou pas ?

Introduction

Faisant suite à l'analyse sur le fonctionnement des systèmes d'échanges local (SEL)(1), cette analyse s'attache à définir les principaux objectifs poursuivis par ces systèmes. Nous nous attarderons également sur les différents moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, qui s’apparentent parfois à des idéaux inaccessibles, mais qui permettent de nourrir une réflexion utile sur le rôle de la monnaie. Cette analyse reprendra trois fonctions accomplies par les SEL, ainsi que trois principes qui fondent l'idéal de cette monnaie très particulière.

Les fonctions économiques des SEL

Jérôme Blanc2 attribue au système des SEL les trois fonctions économiques suivantes : localiser les échanges, dynamiser les échanges locaux et promouvoir d'autres formes d'échange. Les deux premières sont en fait secondaires dans le cas des SEL et sont plus caractéristiques d'autres monnaies alternatives. La troisième fonction est, elle, centrale dans les SEL.

La relocalisation des échanges découle assez naturellement de la structure des SEL : la monnaie interne est inconvertible, ce qui signifie que les membres sont obligés de la dépenser à l'intérieur de la communauté des membres. Cette communauté étant souvent localisée sur un territoire restreint, les échanges réalisés via le SEL sont automatiquement locaux.

La dynamisation des échanges au sein de cet espace est également favorisée par les SEL. Ceux-ci permettent en effet à des personnes, qui ne se connaissaient pas avant, de rentrer en contact. Grâce au mécanisme de dette et de créance, ces personnes se sentent également plus libres de solliciter un service. La peur de paraitre pressant ou intrusif empêche en effet souvent des voisins de se demander de l'aide, surtout dans des milieux urbains où les liens sociaux sont distendus.

La volonté de promouvoir d'autres formes d'échange est, quant à elle, réellement centrale dans les SEL. Seulement, il convient avant tout de préciser ce que l’on entend par « d’autres formes d’échange ». Bien souvent, dans le chef d’adhérents des SEL, est ainsi visé le système dominant, ressenti comme néfaste parce que trop « marchand » ou trop « capitaliste ». Une fois défini cet « ennemi » ou, en tout cas, le système duquel on veut se démarquer, il reste à savoir comment se positionner par rapport à lui.

Il existe, a priori, des divergences assez fortes entre les SEL à ce sujet. Certains veulent inclure le SEL dans le système économique, mais comme complément adapté à certains biens et services, tandis que d'autres voient le SEL comme porteur d'une alternative au système : « le SEL est surtout un acte de résistance constructive, de militantisme, contre la mondialisation »3. Les derniers vont jusqu'à définir le SEL comme uniquement social et non économique et ne souhaitent pas : « être des acteurs de la réforme économique, ni écologique, ni politique »4, aspirant simplement à recréer des endroits de partage et de sociabilité.

Ces approches semblent contradictoires, mais nous allons voir qu'elles sont en fait sous-tendues par des principes communs. Nous en avons retenu trois qui seront développés ici : accorder de la valeur à l'échange, promouvoir la démocratie dans le système économique et rendre les rapports plus égalitaires.

L'échange à sa juste valeur

Ce premier principe se focalise sur la place qui est donnée à l'échange de biens ou de services entre deux personnes. Très souvent, on considère l'échange comme un moyen utilisé par les agents économiques pour maximiser leur bien-être matériel, c'est-à-dire, pour avoir plus et plus de choix. Cette idée est à ce point dominante dans la société qu'une très grande partie de l'économie, du supermarché au taxi, est organisée sur cette base.

Au contraire, les utilisateurs du SEL cherchent à démontrer que l'échange a de la valeur en soi et qu'il doit aussi être pensé comme une fin – pas seulement comme un moyen. L'échange a de la valeur car il permet de créer du lien entre les personnes et, partant, de renforcer le tissu social. Ainsi, les utilisateurs du SEL estiment que, si les structures économiques ne cherchaient plus à nous mettre en compétition par le prix, mais nous amenaient plutôt à coopérer et à nous rencontrer par l'échange, les citoyens ne s'en porteraient pas plus mal. Le système économique serait, quant à lui, construit sur de meilleures bases. Les SEL se sont donc mis en tête de construire eux-mêmes ces nouvelles bases.

Cette volonté est confirmée par une enquête nationale sur les SEL en France, réalisée en 20045,

de laquelle il ressort que la première motivation qui pousse les adhérents à choisir la forme d'échange promue par le SEL est de « défendre une autre vision de la société » (36 %), suivie par celle de « créer des liens » (29 %)6.

Cette manière de concevoir l'échange n’est pas si farfelue qu’il y paraît. Elle se rapproche en fait très fort de théories alternatives en économie qui mettent en avant un mode d'échange différent du mode marchand : la réciprocité. Ce concept de réciprocité est inspiré des travaux de Karl Polanyi, économiste, et de Marcel Mauss, anthropologue, sur l'importance du don entre les individus dans les sociétés dites « primitives ». Le don renvoie à une logique d'échange dans laquelle deux individus sont mutuellement liés par l'obligation de donner, recevoir et rendre. Un exemple actuel pourrait être l'obligation (sociale, non juridique évidemment) que chacun ressent d'accepter une invitation faite par un ami ou une connaissance (à moins d'avoir un réel empêchement). On se sent donc obligé de recevoir ce don et, par la suite, on se sent redevable envers la personne qui nous a invités, ce qui donnera souvent lieu à une nouvelle invitation et ainsi de suite. Toute la société se trouve alors liée, de proche en proche, par ces mécanismes de réciprocité et c'est ce qui constitue notre tissu social.

Mauss et Polanyi affirment que ce don revêt toujours une importance majeure dans les sociétés modernes, via la logique réciprocitaire. Ils estiment en revanche que les structures économiques, trop tournées vers le marché, détruisent petit à petit cette logique et qu'elles détricotent en même temps le tissu social : la solidarité, la proximité, la convivialité sont autant de valeurs associées à cette logique de réciprocité qui semblent de moins en moins présentes dans les sociétés modernes.

Les SEL cherchent en fait à recréer cette logique réciprocitaire7 en valorisant l'échange et le lien qu'il crée entre ses membres. La solidarité et la convivialité que l'échange apporte sont le tissu social qui permet de renforcer les liens entre les utilisateurs

En ce sens, on dit souvent des SEL qu'ils sont un système de réciprocité multilatérale. La réciprocité « classique » engage une personne par rapport à une autre et ce que la personne reçoit, elle le rendra à celle qui lui a donné quelque chose. Dans un SEL en revanche, le service rendu ou le bien échangé n'engage pas le bénéficiaire par rapport au donateur précisément, mais bien par rapport à l'ensemble de la communauté des adhérents. Il pourra en effet rembourser sa dette à n'importe quel autre membre. Cette innovation permet ainsi de passer de la relation entre deux personnes à un mécanisme plus large où les échanges circulent de manière multilatérale et où tout le monde est redevable envers la communauté.

À la lumière de ces éléments, on comprend que le rôle du prix dans le SEL est central. Celui-ci devient un révélateur de la valeur que chacun accorde à l'échange, voire à la personne avec qui l'échange est réalisé. L'objectif n'est donc pas de tout faire pour obtenir le prix le plus bas, mais plutôt de s'accorder sur un prix, qui refléterait tant le travail réalisé que la satisfaction de l'acheteur et que le plaisir pris par les deux parties à échanger entre elles.

La démocratie dans le système économique

Ce principe part du constat que le système économique ne fonctionne pas selon des bases démocratiques. En effet, même si les rapports économiques sont censés se faire sous le contrôle de l'État, qui fixe les règles dans un cadre démocratique, les acteurs des SEL perçoivent que les grandes décisions économiques (et particulièrement celles qui concernent la monnaie) sont prises dans des cénacles fermés. Ceux-ci sont, en effet, composés d'un petit groupe de décideurs, au pouvoir bien plus étendu que le simple citoyen, du fait de leur expertise ou de leur pouvoir économique. Pour (ré)instaurer la démocratie dans les décisions économiques, il faudrait notamment que l'État dispose d'une plus grande étendue régulatrice et que les décideurs économiques soient responsables devant la population, y compris au sein des entreprises.

Ce programme semble évidemment vaste et peut-être même trop flou, mais on peut pourtant définir certaines lignes directrices.

En ce qui concerne les SEL, on pourrait dire qu'il faut respecter deux conditions. La première est que le SEL obtienne le pouvoir de décision concernant sa monnaie et la seconde est que, à l'intérieur même du SEL, les décisions soient prises de manière démocratique. Si les deux conditions sont remplies, alors on peut parler d'un « processus de réintroduction de la monnaie dans la sphère démocratique, ou, pour le dire autrement, [d’]une réappropriation citoyenne de la monnaie »8.

En ce qui concerne le pouvoir de décision du SEL, le jeu est assez clair : si la monnaie interne est inconvertible et que son cours est détaché de celui de la monnaie officielle, comme c'est très majoritairement le cas, le SEL dispose en théorie de toute liberté pour fixer les modalités (taux d'intérêt, masse monétaire, crédits...) de cette monnaie.

La deuxième condition, celle d'une démocratisation interne au SEL demande par contre une attention particulière. Le problème est que, souvent, la démocratie dans les groupes humains se limite à des déclarations de bonnes intentions (« Oui, on va l'installer, mais c'est difficile vous savez ») ou à une illusion optimiste (« Les gens chez moi ont l'air content, je leur parle souvent avant de prendre une décision »). Les SEL eux-mêmes en sont conscients et ont développé, à cet égard un certain nombre de bonnes pratiques et de principes.

Le cadre classique est bien sûr celui de l'ASBL, censé garantir l'absence de but lucratif et un certain contrôle démocratique de la part des membres envers les gestionnaires. Il formalise l'existence d'une assemblée générale réunissant tous les membres, qui décide des orientations de l'association et élit le conseil d'administration. Ce dernier, responsable de ses actes devant l'assemblée générale, est chargé de la gestion quotidienne et de l'exécution des décisions prises par l'ensemble des membres. Cependant, comme nous l'apprennent beaucoup d'expériences en économie sociale, ce cadre est loin de garantir l'existence réelle de pratiques démocratiques.

En raison de cette faiblesse, mais aussi de la forme de démocratie qu'il promeut, ce statut d'ASBL est rejeté par beaucoup de SEL. La démocratie en ASBL est en effet représentative, forme jugée trop institutionnalisée et trop peu démocratique par ces SEL, qui cherchent le moyen d'exercer une démocratie plus participative ou plus radicale9. Ainsi, comme le montre l'enquête nationale sur les SEL (2004), si 70 % des SEL français sont des associations de loi 190110, 40 % d'entre eux n'ont pas mis de bureau en place, lui préférant des « pratiques participatives ». Le constat est similaire en Belgique où les SEL préfèrent souvent la possibilité de constituer une association de fait à l'ASBL.

Les SEL ne nient pas la fonction de représentant, ni celle de coordinateur, mais essayent de trouver des formes plus horizontales et participatives qui concrétisent ces fonctions. Ainsi, conscients de la nécessité de formaliser certaines règles, ils rédigent souvent, avec tous les membres intéressés, une charte propre au SEL. Cette charte fixe les modalités monétaires développées plus haut, comme la fixation du prix, les limitations du montant crédité ou débité, mais aussi le processus de décision interne.

Une autre pratique mise en place est la formation de groupes par thèmes (communication, fêtes, web, coordination...). Chaque adhérent est tenu d'être membre passif d'au moins un des groupes et la participation active est fort conseillée. Les efforts sont également réalisés au niveau de l'assemblée des adhérents, que les coordinateurs, quand il y en a, essayent de faire vivre.

Seulement, ce n'est pas parce que les SEL refusent le cadre établi des ASBL et leur préfèrent des pratiques plus innovantes, qu'ils évitent tous les problèmes auxquels font face beaucoup d'associations. Plusieurs chercheurs11 ont ainsi décrit les difficultés à mettre en place ce processus démocratique dans les SEL, dès le stade de leur création. Ils observent un engagement très inégal selon les membres ; le retrait de compétences à des représentants se traduit par un allongement des discussions en séance plénière, ce qui a pour effet de décourager certains membres ; l'équilibre entre l'autorégulation et l'excès de règles se révèle difficile à trouver ; le risque de dérive autoritaire autour d'un leader charismatique, enfin, ne peut pas toujours être évité.

En résumé, les SEL, en créant une monnaie différente, n'ont pas de problème à être indépendants pour la gestion de cette monnaie. Et la volonté d'installer la démocratie à l'intérieur du SEL est sincère, mais parfois plus difficile à mettre en œuvre qu'on ne le pensait.

Des rapports plus égalitaires

Si la question de l'égalité des rapports économiques et sociaux est à ce point importante dans les SEL, c'est qu'elle représente une réponse possible aux inégalités engendrées par le système économique et ressenties comme profondément injustes. Une plus grande égalité entre les citoyens constitue également un corollaire presque indispensable à l'idéal de démocratie. En effet, des inégalités fortes menacent inévitablement le principe démocratique qui voudrait qu'un homme égale une voix. C'est pourquoi la volonté de restaurer cette égalité est invariablement exprimée dans les chartes des différents SEL.

Il s'agit d'un objectif très ambitieux car, pour garantir l'égalité au sein du SEL, il ne s'agit pas, dans une perspective réductrice, d'accorder les mêmes droits à tout adhérent. Il faut surtout empêcher que le système offre la possibilité de reproduire les inégalités existantes. En d'autres mots, le chef d'entreprise doit pouvoir échanger avec le chômeur, qui doit pouvoir échanger avec le professeur d'université, d'égal à égal.

C'est en partie cette ambition qui justifie que les SEL adoptent strictement la règle de non-convertibilité de leur monnaie et la liberté de cours de celle-ci. L'inconvertibilité empêche un adhérent fortuné de se fournir en monnaie interne en grande quantité et de profiter davantage du système qu'une personne à faibles revenus. La liberté du cours permet de libérer le prix des conventions officielles et de rémunérer les biens ou les services « à leur juste valeur », c'est-à-dire à la valeur de l'échange réalisé. Si ceci n'empêche pas les adhérents de réfléchir eux-mêmes à la valeur marchande des biens ou des services, on peut s'attendre à ce que la différence de prix entre biens luxueux et biens de base diminue.

La liberté du cours de la monnaie implique aussi qu'il est possible de décider que le prix de l'heure de travail échangée est unique. C'est-à-dire qu'un utilisateur payera le même prix, que ce soit pour une heure de baby-sitting, de cours de cuisine ou de réparation de plomberie. Cette approche permet de résoudre les inégalités de qualification, mais ne résout quand même pas le problème de la pénibilité12 : une heure de baby-sitting ne demande pas le même effort qu'une heure de taille de haie. Comme nous l'avons expliqué dans l'analyse précédente, cette règle ne peut pas non plus s'appliquer pour l'échange des biens. À moins de le fabriquer soi-même (ce qui ne tient pas encore compte du prix de la matière première), on ne peut pas calculer le temps que « vaut » un objet. Ceci pousse certains SEL à ne plus autoriser que les échanges de services.

Ces règles peuvent paraître très strictes et assez peu justifiées, mais l'expérience tend à donner raison aux SEL. Une étude13 a en effet montré que lorsqu’une monnaie complémentaire devient partiellement ou totalement convertible14 et que son cours suit davantage le cours de la monnaie officielle, les inégalités présentes dans la société ont tendance à se reproduire à l'intérieur même du système. Pire, étant donné le caractère informel et peu contrôlé de ces systèmes, cela peut parfois constituer une occasion d'employer des travailleurs à moindres frais et hors du cadre du droit social.

Conclusion

Le principal objectif des SEL est donc de promouvoir des échanges qui se baseraient sur des principes nouveaux : au lieu d'échanger pour simplement avoir plus, nous pourrions échanger pour rencontrer des gens et faire vivre l'esprit de la communauté ; au lieu de voir notre monnaie gérée par des institutions aussi floues que lointaines, nous pourrions discuter ensemble du rôle que nous voulons lui donner ; enfin, au lieu de faire rentrer en compétition des gens qui ne partent pas sur la même ligne de départ, nous pourrions les faire coopérer sur un pied d'égalité. En fait, tout ceci existe déjà et porte un nom : il s'agit de chercher à construire une économie solidaire15. C'est certainement un idéal lointain, mais rien qu'en cherchant à l'atteindre, les SEL participent déjà à sa construction.

 

Julien Didier
Décembre 2010

 

1 Julien Didier, Système d'échange local (SEL) : une monnaie, mais différente, Réseau Financement Alternatif, janvier 2010.

2 Blanc (2000)

5 Lenzi (2004)

6 Ce qui n'empêche pas la plupart des adhérents de trouver des avantages pratiques au SEL ; la motivation « faire des échanges » était d'ailleurs la troisième citée.

7 Blanc (2000).

8 Blanc (2006).

9 Neamtan (2003).

10 Statut français d'association, équivalent, sous beaucoup d'aspects au statut belge d'ASBL.

11 Liatard (2005) et Hubaud (2002).

12 Servet (1999)

13 Bowring (2000)

14 Comme en Angleterre, où les SEL sont habituellement plus orientés vers les rapports marchands.

15 Laville (2008)

Bibliographie

BLANC J., (2006), « Les enjeux démocratiques des dispositifs de monnaies sociales », IVth International Conference PEKEA, « Democracy and Economy », Université de Rennes 2, 4-6 novembre 2005, disponible en ligne sur http://ideas.repec.org/p/hal/journl/halshs-00078575_v1.html#provider

BLANC J. (2000), Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

HUBAUD M., (2002), Une expérience associative dans un système d'échange local, Connexions, Vol. 77/1, pp. 77-88.

LENZI C.,(2004), « L’enquête nationale sur les systèmes d’échanges locaux (SEL) en 2004 : éléments d’analyse », in, BLANC J., dir., Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Paris : Économica, disponible en ligne sur http://clenzi.free.fr/spip.php?article2

LIATARD B. et LAPON D., (2005), « Un SEL entre idéal démocratique et esprit du capitalisme », Revue du MAUSS, Vol. 26/2; pp. 317-338.

NEAMTAN N., (2003), « L'économie solidaire comme radicalisation de la démocratie », Revue du MAUSS, Vol. 21/1, pp. 128-134.

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