Les bad banks : solution miracle ?
Depuis le début de la crise financière, l'idée de regrouper les actifs toxiques des banques dans une structure spécifique (une bad bank) chargée de les liquider est devenue à la mode, comme le montrent en Belgique les exemples de Fortis et, plus récemment, de Dexia. En quoi consiste une « bad bank » ? Quelle est son efficacité ? Existe-t-il des alternatives ?
Quand la soif industrielle déshydrate les peuples
Pendant de nombreuses années, l'eau, bien commun par excellence, était associée à la gestion publique. Pourtant, les années 90 ont connu une vague de privatisation un peu partout sur le globe. Quelles conclusions tirer de cette nouvelle tendance ? L'eau doit-elle forcément passer par le secteur privé afin d'être assurée d'une gestion efficace ? Qu'en est-il de son usage à des fins industrielles ?
Et l'eau devint or « bleu »
La logique économique transformant l'eau en or bleu n'est pas très compliquée : d'une part, les ressources de la Terre se raréfient, d'autre part, la croissance de la demande en eau, liée à la consommation privée et aux besoins de l'industrie, ne faiblit pas. Comment ces pressions prennent-elles forme sur le marché de l'eau et comment cela se reflète-t-il sur la finance ? Comment l'eau, bien commun par excellence, pourrait-elle devenir le « pétrole du XXIe siècle » ?
L'eau : une marchandise ?
L'eau, bien commun par excellence, indispensable à la vie, n'en devient pas moins objet de marchandisation. Sa production, sa distribution, son épuration ou sa collecte génèrent des coûts, qu'il faut couvrir soit au titre de consommateur final, soit au titre de collectivité. Une question essentielle demeure toutefois, à savoir si ces activités doivent générer des bénéfices privés. Si la question se pose de manière brûlante aux décideurs européens, sous influence de puissants lobbys, quel est l'état de la situation au niveau belge ?
La spéculation alimentaire
On se souvient des émeutes de la faim qui avaient éclaté dans de nombreux pays en développement début 2008, en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Cette crise alimentaire n'aurait pas eu lieu sans spéculation, selon Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation. Et le même de tirer la sonnette d'alarme le 11 janvier dernier : « Nous vivons le début d'une crise similaire à celle de 2008 ». Alors, même cause, mêmes effets ? Et comment y remédier ?
La crise de 2008
On se souvient de ces scènes d'émeutes à la fin de l'année 2007 et au début de l'année 2008 : au Burkina Faso, au Cameroun, au Sénégal, en Mauritanie, en Côte d'Ivoire, en Égypte, au Maroc et dans bien d'autres pays encore, les populations affamées manifestaient contre le prix élevé des denrées de base. Dans le même temps, « Tirez avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires ! », clamait la KBC pour vanter les mérites d'un produit financier qui investissait dans six denrées alimentaires. La pénurie d'eau et de terres agricoles exploitables ayant pour conséquence une pénurie de produits alimentaires et une hausse du prix des denrées alimentaires, y était présentée comme une opportunité...1 Même s'ils se montraient plus discrets sur leurs intentions, de nombreux autres fonds spéculaient eux aussi sur la hausse des prix des aliments en ce début d'année 2008 : aux dires de la commissaire européenne chargée de l’Agriculture, Mariann Fischer Boël, 140 fonds indexés partiellement ou totalement sur les prix des matières premières agricoles avaient été lancés en février 2008 dans l’Union européenne2.
Cette spéculation a-t-elle à l'époque attisé la hausse vertigineuse des prix des matières premières alimentaires ? En novembre 2007 déjà, la FAO, Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, estimait que la tendance à la hausse des prix internationaux de la plupart des produits agricoles était seulement en partie le reflet de la contraction des approvisionnements, c'est-à-dire du jeu de l'offre et de la demande. C'est que nous sommes alors en pleine crise des subprimes et que les spéculateurs, qui cherchent de nouvelles formes d'investissement, ont l’attention attirée par les instruments financiers liés au fonctionnement des marchés des produits agricoles (par exemple, marchés des instruments à terme et des options3). Ceux-ci représentaient pour eux un moyen de diversifier les risques et d’obtenir des rendements supérieurs4.
En septembre 2010, Olivier De Schutter a rendu public un rapport sur les causes de la crise de 20085. Ses conclusions sont plus nettes encore quant à l'impact de la spéculation sur la crise alimentaire. « Il n'y aurait pas eu de crise alimentaire sans spéculation », estime le rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation. « Ce n'était pas la seule cause de la crise, mais elle l'a accélérée et aggravée. Les marchés agricoles sont naturellement instables, mais la spéculation amplifie les brutales augmentations, tout comme les chutes des prix, qui sont aussi très dommageables pour les pays producteurs. Cela rend difficile la planification de la production et peut brutalement augmenter la facture alimentaire des pays importateurs de denrées. »6
2011, la réplique ?
Le 11 janvier dernier, Olivier De Schutter mettait en garde : « Nous vivons aujourd'hui le début d'une crise alimentaire similaire à celle de 2008. Quatre-vingts pays environ sont en situation de déficit alimentaire. Une hausse continue des prix peut être très dangereuse pour ces pays. C'est pourquoi il ne faut pas répéter les erreurs commises il y a trois ans »7. Et de pointer qu'aujourd'hui, comme en 2008, il n'y a pas de problème de pénurie, mais seulement un manque de transparence sur les stocks. Ce défaut de transparence alimente une réaction de panique sur les marchés, qui est le fait des traders, mais aussi des gouvernements qui imposent des restrictions aux exportations, ce qui accélère le mouvement.
À la tête du G20, la France, qui a mis les questions agricoles au centre de sa présidence, préconise également plus de transparence sur le niveau des stocks mondiaux des matières premières agricoles et un encadrement des limitations à l'export des différents pays. La présidence française du G20 a par ailleurs chargé, le 9 mars 2011, le Programme alimentaire mondial (PAM) de réfléchir à la mise en place d'un système de stocks de denrées alimentaires humanitaires pour parer à des émeutes de la faim.
Au-delà de la nécessaire transparence des stocks se pose, en effet,Réguler le marché la question de leur existence même. Si la constitution de stocks de denrées alimentaires humanitaires va certainement dans la bonne direction, sans doute convient-il d'élargir la réflexion et d'encourager les pays à reconstituer des stocks alimentaires, non pas seulement pour faire face à des crises alimentaires, mais comme outils de régulation des prix, pour protéger les producteurs et les consommateurs contre la volatilité de ceux-ci.
Réguler le marché
Agir sur les stocks est indispensable, mais sans doute insuffisant, surtout à court terme, pour enrayer la spéculation alimentaire si on n'adopte pas, dans le même temps, une réglementation appropriée du marché des matières premières agricoles. Certes, il est très difficile, voire impossible, faire la distinction entre les investisseurs commerciaux, qui ont une fonction utile sur ces marchés, à savoir la couverture des risques, et les investisseurs purement financiers qui parient sur la hausse ou la baisse des cours dans une logique purement spéculative. Car tous deux utilisent les mêmes outils financiers, seules leurs intentions diffèrent.
Cela n'empêche pas d'exercer un contrôle nettement plus strict des marchés dérivés8 de matières premières. À cet égard, les États-Unis ont une longueur d'avance sur l'Europe ! C'est ainsi que les Américains ont créé un régulateur financier spécifique pour les matières premières, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), qui dès 2006, a régulé ce marché de deux manières : en publiant les positions spéculatives9 et en limitant la spéculation excessive. Elle travaille à présent à la standardisation des transactions de gré à gré, c'est-à-dire celles qui se font en dehors du marché organisé qui est soumis à sa réglementation.
Rien de tel n'existe à ce jour en Europe, mais, dans le cadre de la révision des différentes directives financières, la Commission semble ouverte à une meilleure régulation des instruments financiers dérivés sur matières premières. Le commissaire Barnier a ainsi présenté le 15 septembre dernier des propositions législatives sur les dérivés échangés de gré à gré et la Commission a organisé le 21 septembre une audition publique sur les dérivés de matières premières. Elle doit faire cette année une proposition pour encadrer les positions spéculatives sur les matières premières.
Il serait souhaitable d’interdire sur ces marchés toute transaction n’impliquant que des opérateurs financiers. Une telle mesure permettrait de juguler l’afflux actuel de capitaux vers les marchés de matières premières - afflux qui participe à l’accroissement du déséquilibre entre l’offre et la demande. En effet, les acheteurs de produits alimentaires de l’économie réelle entrent en concurrence avec les banques et les fonds spéculatifs qui n’achètent ces produits que pour les revendre plus cher un peu plus tard... à ceux qui en ont vraiment besoin10.
D'autres mesures peuvent être envisagées : la subordination de la vente de produits structurés11 aux acteurs de la filière agricole et agroalimentaire à un agrément délivré par une agence publique, la mise en place d’une taxe sur les bonus des opérateurs de marché et la rémunération des gestionnaires de fonds, ou encore la modification des règles comptables autorisant l’évaluation des produits structurés agricoles au « prix de modèle »12 dont le contrôle est difficile13.
Conclusions
Constitution et transparence des stocks des matières premières agricoles et réglementation du marché de ces dernières sont les urgences du moment, pour contrecarrer la spéculation et éviter de nouvelles crises alimentaires. Ces deux impératifs ne doivent pas nous faire oublier, dans une optique de plus long terme, le soutien à une agriculture familiale à même de donner corps à ce « droit à la souveraineté alimentaire » que portent de nombreux mouvements paysans.
Bernard Bayot,
avril 2011
;
1 Bernard Bayot, « Spéculateurs affameurs », dans FINANcité Cahier, n° 11, Réseau Financement Alternatif, Namur, 2008.
2 Julie Majercza, « La famine fait spéculer », dans Libération, 13 mai 2008.
3 Une option est un produit dérivé qui établit un contrat en vertu duquel l'acheteur de l'option obtient le droit d'acheter ou de vendre un actif (par exemple des matières premières) à un prix fixé à l'avance, pendant un temps donné ou à une date fixée. Ce contrat peut se faire dans une optique de spéculation ou d'assurance.
4 FAO, Prix élevés et volatilité des produits agricoles, Perspectives de l'alimentation, novembre 2007, http://www.fao.org/docrep/010/ah876f/ah876f13.htm.
5 Food Commodities Speculation and Food Price Crises, Regulation to reduce the risks of price volatility, Briefing note 02 - septembre 2010.
6 Isabelle Hachey, « La spéculation au coeur de la crise alimentaire », cyberpresse.ca, 16 octobre 2010.
7 Marie Christine Corbier, Olivier de Schutter : « Vers une nouvelle crise alimentaire », dans Les Échos, 11 janvier 2011.
8 Un dérivé est un contrat entre deux parties qui prévoit un échange (un achat par exemple) dans le futur à des conditions fixées au préalable. Normalement, il sert à couvrir le risque, mais il est de plus en plus utilisé à des fins spéculatives.
9 Une position est un engagement contraignant d'acheter ou de vendre une quantité donnée d'instruments financiers, tels que les titres, devises ou des marchandises, pour un prix donné.
10 Pascal Canfin, « Spéculation sur les matières premières : l’Europe doit aller de l’avant », terraeco.net, 28 février 2011.
11 Produit financier consistant dans la combinaison d’un placement classique (obligation, par exemple) et d’un instrument financier dérivé.
12 La valeur d’un instrument financier peut être estimée par son prix de marché ou, à défaut, par un prix de modèle réalisé à partir de données observables ou non observables.
13 Didier Marteau, « Limiter l’aléa moral sur les marchés de matières premières agricoles »,dans Les Échos, 4 mars 2011.
L'action collective
À l'heure actuelle, les consommateurs qui s'estiment victimes de pratiques abusives et qui souhaitent entamer des poursuites se heurtent à des barrières en termes d'accès, d'efficacité et de coût, surtout lorsque les litiges portent sur de petits montants. Les fournisseurs de services financiers sont particulièrement visés. Bilan et perspectives.
L'inclusion financière des migrants est-elle facilitée par les mécanismes de transferts de fonds internationaux ?
En bref :
-
La demande de services financiers des migrants, et notamment le transfert d'argent en direction du pays d'origine, est déterminée par le cycle de migration.
-
Il existe différentes approches au niveau politique en termes de régulation des transferts d'argent.
-
Ces dernières années, l'harmonisation des services de paiement a permis l'apparition sur le marché de nouvelles technologies.
-
Grâce à l'instauration de bases de données comparatives et au renforcement de la concurrence, les coûts moyens de transfert se sont réduits.
Introduction : l'inclusion financière
L'exclusion financière fait référence à une incapacité pour les personnes d'accéder aux services financiers nécessaires afin de mener une vie sociale normale et sous une forme appropriée à leurs besoins. L'exclusion diffère par sa forme et son importance. Elle peut résulter de problèmes d'accès, de prix, de conditions, voire d'une auto-exclusion en réponse à des expériences ou des perceptions négatives.
Dans le cas des migrants, le concept de « sous-bancarisation » est souvent mis en avant, car les services offerts sont généralement peu adaptés à leurs besoins spécifiques. Quels sont ces besoins spécifiques ?
Besoins spécifiques des migrants
Les groupes d'immigrants possèdent souvent des caractéristiques typiques comparables à d'autres groupes socialement exclus, comme un faible revenu, un faible niveau de compétence (des exceptions existent, mais la non-équivalence des diplômes est fréquente dans ces cas), un manque de connaissance de la langue et des aspects techniques (légaux et financiers), une méfiance envers les fournisseurs et des barrières psychologiques incluant un manque de confiance en soi. Cependant, les groupes d'immigrants peuvent différer des autres groupes socialement exclus, au fur et à mesure qu’ils surmontent l’exclusion économique initiale, trouvent un travail, un logement, commencent à épargner et à utiliser des produits et services bancaires.
La demande de services financiers est ainsi déterminée par le cycle de migration et l’ambition migratoire. En effet, selon Anderloni et Vandonne (2008), l'implantation du migrant dans son pays d'accueil peut être divisée en une succession de phases, chacune d'entre elles possédant des priorités différentes en termes de besoins de base et de besoins financiers.
La première phase est celle de l’installation initiale, lorsque les immigrants arrivent dans le pays d’accueil. Leurs besoins basiques concernent alors le logement, le travail et la langue. Il s’agit d’une étape de survie, instable, où il est pratiquement impossible d’épargner de l’argent et donc d’en envoyer aux proches restés au pays. De plus, les immigrants en situation d’illégalité n’auront généralement pas d’accès officiel aux services fournis par les institutions financières.
La deuxième phase est celle de la légalisation. Les migrants en situation illégale cherchent à obtenir un permis de séjour régulier et à trouver un travail régulier. Si le but est de rester de façon permanente dans le pays d’accueil, ils vont tenter de faire venir leur famille en lui envoyant de l’argent. Si la migration n’est que temporaire, alors les migrants effectueront des transferts de fonds vers leur pays d’origine.
Dans cette phase, les besoins financiers consistent donc principalement à épargner et envoyer de l’argent sous la forme de transferts de fonds. La fréquence de ces transferts dépend de leur importance pour la survie de la famille restée dans le pays d’origine. Le montant des transferts dépend, quant à lui, de la part du salaire (parfois faible) que le migrant parvient à mettre de côté.
La troisième phase, « la stabilisation de l’installation », implique un plus grand degré d’intégration dans le pays d’accueil. Les priorités vont au démarrage d'une activité économique, à la consommation et, dans certains cas, à l'achat immobilier. Le montant et la fréquence des transferts de fonds ont tendance à diminuer étant donné que de nombreux migrants ont vu leur famille les rejoindre. Ils préfèrent alors investir la plupart de leurs ressources à l'amélioration de leurs conditions de vie dans le pays d'accueil.
Les services financiers demandés lors de la quatrième phase (« la consolidation ») dépendent des ambitions migratoires. Lorsqu'un retour dans le pays d'origine est prévu, les besoins sont relativement les mêmes qu'à l'étape de stabilisation, avec éventuellement la recherche de plans d'épargne et de pension transférables. Si l'installation est définitive, les besoins financiers deviennent plus sophistiqués, similaires à ceux de la population locale. Les transferts de fonds deviennent moins importants que dans les phases précédentes.
Dans toutes ces phases, les transferts d'argent constituent un service important pour les populations migrantes, même si leur importance relative tend à diminuer alors que les autres besoins augmentent.
Les instruments de transferts de fonds
Il existe différents types de canaux pour envoyer des fonds. La première distinction concerne les transferts formels et informels.
Les canaux informels peuvent prendre une multitude de formes : le transport sur soi, par les migrants eux-mêmes ou par des tiers ; l'envoi d'argent par courrier ; ou l'utilisation de structures parfois très anciennes basées sur des appartenances ethniques et/ou religieuses (1).
Souvent, le recours à l’informel se fait par défaut de systèmes plus performants dans la sphère d'activité formelle, ou en raison de contraintes d’accès ou de coûts, et non par choix délibéré guidé par des motifs d’ordre sociologique ou culturel. Dans les pays dont la capacité financière est limitée, les systèmes informels de transfert de fonds comblent une lacune importante.
Les canaux formels regroupent principalement les opérateurs de transfert d'argent non bancaires, les banques commerciales et les réseaux postaux.
On peut décomposer le transfert de fonds en trois étapes. Premièrement, le migrant confie les fonds à transférer à un agent chargé du transfert, en utilisant des espèces, un support papier (chèque, mandat), une carte de crédit ou de débit, ou une instruction de débit envoyée par courrier électronique, téléphone ou via Internet. Ensuite, l'agent chargé du transfert donne à l'agent dans le pays d'origine l'ordre de délivrer le transfert. Enfin, l'agent du pays d'origine effectue le paiement auprès du bénéficiaire.
Les dispositifs de transfert mis au point par les banques(2) obligent l’émetteur du transfert à ouvrir un compte courant dans une banque de son pays d’accueil. Cependant, de nombreux migrants ne possèdent pas les documents d’identité appropriés et sont en situation irrégulière, ce qui les empêche d’ouvrir un compte. De plus, le processus demeure coûteux dans certains pays (États-Unis notamment), principalement à cause de l’obligation de maintien d’un solde minimum sur le compte et des frais facturés. L’ignorance des méthodes qui peuvent être utilisées pour effectuer des transferts de fonds internationaux, et la médiocrité de l’infrastructure bancaire dans le pays d’origine du migrant jouent aussi un rôle.
Tous ces facteurs expliquent que les migrants finissent souvent par s'adresser aux opérateurs non bancaires (les sociétés de transfert international d’argent telles que Western Union ou MoneyGram), même s’ils craignent de payer des frais élevés.
Les critères de choix du mode de transfert relèvent des contraintes à la fois des bénéficiaires et des migrants. Pour effectuer un choix entre les différents canaux de transfert de fonds, la décision se base d'abord sur l'accessibilité et la rapidité du service. La proximité géographique (et donc la couverture géographique du réseau de distribution) et la facilité d'utilisation sont en effet primordiales. Les coûts de transfert, la sécurité et la diversité des services proposés sont aussi des facteurs importants de décision.
Le prix n’intervenant qu’en deuxième niveau dans la prise de décision, les opérateurs restent évasifs sur ce sujet, privilégiant une communication axée sur la qualité des services proposés (proximité, rapidité). Moins ils sont nombreux sur un corridor (3) donné, plus ils font preuve de rétention d’information sur les prix et les volumes afin de préserver un certain niveau de marge.
Le coût du transfert d’argent varie considérablement d’un pays à l’autre, mais il varie aussi en fonction de la méthode de transfert retenue. Les dispositifs plus formels réduisent considérablement les risques associés aux transferts. En revanche, ils sont aussi beaucoup plus coûteux par rapport aux dispositifs informels. En moyenne, on estime le coût des transferts de fonds internationaux par les canaux formels à 13 % des sommes transférées(4), alors que le coût des canaux informels varie généralement entre 1 et 5 % du montant transféré (5).
Orozco (2003) a établi une comparaison intéressante des coûts des transferts de fonds formels de petites sommes entre pays (depuis 6 pays d’expédition vers 14 pays de destination). L’étude inclut des banques, des « ethnic stores » (6) et des sociétés de transfert international de fonds. Pour envoyer 200 USD, les frais s’élevaient en moyenne à 6 % si l’on passait par un « ethnic store », 7 % si l’on s’adressait à une banque et 12 % si l’on passait par une société de transfert de fonds.
Depuis quelques années, des innovations technologiques ‒ telles que l'utilisation de cartes bancaires de débit dans le pays d'origine sur un compte rechargeable par le migrant dans son pays d'accueil ou l'utilisation des téléphones portables pour transférer des fonds (mobile banking) ‒ ont permis une baisse effective du prix des transferts de fonds. Dans certains corridors, les entreprises de transfert de fonds sont également de plus en plus nombreuses et efficaces, ce qui entraîne une baisse des coûts de transaction.
Les approches en termes de régulation
Étant donné l'importance croissante des transferts de fonds sur la scène internationale (en tant que source potentielle de financement du développement et de relations interétatiques), la problématique des mécanismes de transferts de fonds est de plus en plus abordée au niveau politique. Certains pays d’accueil et d’origine ont ainsi mis en place des politiques nationales d’optimisation des transferts de fonds. Pour les pays d’accueil, l’optimisation des transferts correspond à une politique nationale de transferts Nord-Sud. Ces politiques nationales ont évidemment un impact sur l'inclusion financière des migrants et sur les outils utilisés afin de transférer leur argent.
Une étude récente de la Banque africaine de développement (7) (2007) distingue trois approches de la régulation des transferts de fonds pour le cas de l’Afrique. Elle les qualifie d’approches anglo-saxonne, hispanique et francophone. Ces approches correspondent à des visions différentes de l’efficacité des transferts d’argent de la part des pays d’accueil.
L’approche anglo-saxonne se concentre sur les modes et les coûts des transferts dans une logique de libre marché qui encourage la concurrence et l’innovation dans les techniques financières. La réduction des coûts et la levée des obstacles à la libre concurrence permettraient ainsi d’augmenter le volume global des fonds utilisables par les bénéficiaires, et d’inciter les opérateurs à plus de performances et d’innovations vis-à-vis de la clientèle. Le Royaume-Uni possède, par exemple, une règlementation plus souple que les autres pays d'Europe.
Cette stratégie permet aussi de réduire fortement la part des transferts informels en améliorant sensiblement le rapport qualité/prix des transferts formels. Adoptée récemment par l’Italie, elle a permis de résorber de plus de 30 % la part des transferts informels au départ de ce pays et de réduire de moitié le coût des opérateurs non bancaires.
Les pouvoirs publics jouent dans ce cas un rôle de facilitateur du libre marché en relâchant les contraintes règlementaires pour les opérateurs non bancaires, et en incitant financièrement les opérateurs à innover et à coopérer, par le biais d'appels à propositions ciblés par exemple. Le principal levier de cette approche est la régulation de marché, nationale et internationale.
Cette approche a permis l’émergence d’opérateurs majeurs du secteur (Western Union, MoneyGram) qui ont eu l’intelligence de choisir un positionnement complémentaire au circuit financier bancaire traditionnel. Elle a aussi donné naissance, plus récemment, à des expériences enrichissantes utilisant la technologie de Mobile-Banking et associant des opérateurs de téléphonie au secteur bancaire.
En termes de règlementation, citons l’exemple des « Matricula consular » entre les États-Unis et le Mexique (8) (lois d’identification bancaire). Il s’agit d’un accord bilatéral qui délivre des cartes d’identification aux migrants mexicains aux États-Unis et qui leur donne un accès officiel au secteur bancaire sans pour autant leur offrir un statut régulier. Ce type d’accord vise à attirer plus de transactions dans le secteur formel et à diminuer les coûts de transaction.
L’approche d’inspiration hispanique (également développée par le Maroc et dans l’espace lusophone) met l’accent sur la bancarisation des migrants eux-mêmes et souligne l’importance du développement potentiel du secteur financier. Elle se fonde sur l’idée que ce secteur est une niche de marché à fort potentiel pour l’économie.
Les migrants se voient proposer par le marché bancaire une offre de plus en plus performante et diversifiée portant sur des thématiques spécifiques qui intéressent cette catégorie de population (conditions préférentielles concernant le logement, les compléments aux retraites, les assurances maladie et le rapatriement des corps en cas de décès). Cette offre groupée, mixant produits d’épargne et produits d’appel, doit inciter les migrants à se bancariser et à utiliser les produits d’épargne et d’assurance.
La politique consiste alors à prélever des commissions aussi faibles que possible sur les transferts vers l’étranger ‒ ces transferts devenant un produit d’appel, parfois à perte, afin d'attirer la clientèle et de l’inciter à épargner. Pour ce faire, les pouvoirs publics, des deux côtés du corridor, facilitent l’implantation des banques du pays récepteur dans le pays expéditeur (les migrants semblent toujours plus attachés aux institutions et entreprises issues de leur pays d’origine lorsque les services sont performants), en visant à améliorer les canaux de transfert entre les deux pays pour faciliter les transferts interbancaires.
Selon la Banque africaine de développement, c'est une approche de long terme, car elle repose sur un suivi rapproché de l'évolution comportementale des bénéficiaires et des migrants vis-à-vis des transferts : « tous les pays montrant un fort taux de bancarisation des migrants (supérieur à 40 %) ont initié ce type de politique volontariste par phases sur plusieurs décennies ».
C'est sans conteste cette approche qui se rapproche le plus des besoins spécifiques des migrants énoncés à travers les 4 phases du cycle migratoire. Le rang des produits et services financiers offerts est ainsi appelé à s'élargir, le besoin initial d'ouvrir un compte pour transférer de l'argent étant complété par des services additionnels plus complexes et plus profitables pour la banque, mais d'une importance grandissante pour les migrants au fur et à mesure de leur installation dans le pays d'accueil.
Enfin, l’approche des pays francophones se place dans une optique de codéveloppement et de cofinancement de projets. Le but est d’inciter les migrants et les bénéficiaires à investir une partie des fonds dans des projets collectifs (des infrastructures telles que des écoles ou des services de santé), la plupart du temps à travers des partenariats public-privé qui contiennent une part de subventions publiques et qui associent des ONG et des associations de migrants. L’État est donc ici un catalyseur et un financeur de projets.
Des régulations nationales et, dans certains cas, bilatérales semblent donc émerger, suivant des logiques différentes aussi bien du côté des pays d’accueil que de celui des pays d’origine. Ces expériences ne font pourtant pas disparaître les cas où l’intermédiation des transferts de fonds est laissée au marché et au secteur informel, de sorte que l’absence ou l'hétérogénéité des régulations peuvent être à l'origine de coûts parfois non négligeables. Dès lors, la reconnaissance croissante de l’enjeu que constituent les transferts de fonds soulève la question de la transition vers un régime international.
Depuis quelques années, un relatif consensus apparaît au niveau international sur l'intérêt d'une régulation globale des transferts de fonds afin de maximiser leurs effets bénéfiques dans les pays d'origine et de lutter contre les transferts informels, soupçonnés d'être des canaux pour l'argent du terrorisme ou le blanchiment d'argent. En 2008, au sommet d'Aquila, les chefs d’État du G8 ont ainsi appelé à réduire de 50 % le coût des transferts de fonds dans les 5 années à venir (en les faisant passer de 10 à 5 %). Cet objectif se retrouve également dans la déclaration finale du sommet du G20 de Cannes en 2011 (réduction de 50 % des coûts moyens pour 2014).
En 2006, un groupe de travail réuni sous l’égide de la Banque mondiale a publié cinq principes généraux (9) concernant les systèmes de paiement des transferts de fonds des travailleurs migrants. Ces principes ont été donnés à titre de recommandations pour les pays désireux d'améliorer leur marché des services de transferts de fonds et visent :
1) la transparence et la protection des consommateurs ;
2) l'amélioration des infrastructures de paiement ;
3) un environnement juridique et règlementaire stable, proportionné et non discriminatoire (les prestataires de services doivent être sur un même pied d'égalité) ;
4) un renforcement de la structure de marché et de la concurrence, à travers notamment l'accès aux infrastructures de paiement nationales ;
5) des pratiques appropriées en termes de gouvernance et de gestion des risques ;
Un ensemble de mesures possibles en réponse à ces principes ont également été abordées. Ces principes se rapprochent de la vision anglo-saxonne. En effet, ceux-ci ont pour objectif une meilleure efficacité du marché à travers l'augmentation de la concurrence et la baisse des coûts. Cependant, ils ne prennent pas en compte le rôle de l'intervention publique dans les pays d'origine, ni les autres approches, en termes de bancarisation du migrant notamment.
Dans le cadre du principe de transparence, l'accès à l'information doit être gratuit et avoir une transparence totale en termes de prix et de caractéristiques du service. Un outil efficace consiste en la création de bases de données comparatives sur le coût des transferts de fonds et accessibles au public. Afin d'uniformiser les méthodes employées et de favoriser la création d'un réseau mondial, la Banque mondiale s'est penchée sur ces bases de données régionales et nationales et a instauré l'octroi d'un certificat basé sur 12 critères qui font office de minimum obligatoire :
1. Recueil de données en double sur les prix des points de vente
2. Recensement des frais à la charge de l’émetteur
3. Recensement des taux de change appliqués
4. Énoncé du montant total des coûts identifiés
5. Rapidité de la transaction
6. Type de service offert
7. Couverture minimale de 60 % du marché par couloir
8. Indépendance des enquêteurs
9. Validation par des exercices d’achat anonyme
10. Politique proscrivant toute forme de publicité
11. Politique proscrivant tout abonnement, mécanisme de financement clair
12. Lien avec d’autres bases de données approuvées par la Banque mondiale
Ces critères sont relativement complets. Cependant, remarquons qu'ils n'incluent pas de façon claire les frais éventuels pour le récepteur, ni la somme que celui-ci recevra effectivement à la fin de la transaction. Il n'y a pas non plus d'obligation de collecter les données à une certaine fréquence. Enfin, il serait utile de préciser la fiabilité et la sécurité offertes par les opérateurs.
Au niveau européen, la directive européenne sur les services de paiements (DSP) adoptée en mars 2007 (10) a également eu des effets sur les transferts de fonds. Cette règlementation européenne a pour but d'harmoniser les règles de fonctionnement de certains moyens de paiement et les exigences des États membres en matière de lancement d'une activité de transferts de fonds, afin d'assurer le passage à un système unique de paiement européen.
La principale nouveauté introduite est que des acteurs autres que les banques(11) peuvent maintenant proposer la fourniture de certains moyens de paiements (cartes, virements, services de paiement par téléphone ou internet...), afin d'accroître la concurrence et de diminuer les coûts des services de paiement. L'apparition de ces établissements de paiement devrait faciliter les transferts de fonds pour les migrants.
Quid des banques belges ?
À notre connaissance et après recherche d'informations auprès des principales banques belges, il ne semble pas exister en Belgique d'offres marketing spécifiques destinées aux migrants.
Comme certains autres pays, la Belgique offre toutefois un « compte bancaire de base », dont les fonctions sont limitées, à l’intention des personnes ne répondant pas aux critères leur permettant de prétendre à un compte bancaire standard. Ces comptes bancaires de base sont uniquement destinés à la réalisation de paiements, et notamment d’envois de fonds.
Conclusion : Comment faciliter l'inclusion financière au niveau des banques ?
Même si une prise de conscience semble avoir lieu et que des efforts sont peu à peu entrepris au niveau international, les coûts des transferts de fonds restent élevés. Comme on l'a vu, la concurrence ne peut pas toujours jouer librement étant donné l’absence de services bancaires dans les localités rurales des pays destinataires, le manque de confiance dans les circuits formels, les obstacles à la réalisation d’opérations bancaires du fait du statut juridique, mais aussi le déficit d’information sur les méthodes bancaires modernes de transfert d’argent.
Or, les études montrent que les banques ont un intérêt grandissant pour le secteur de marché des migrants. La question primordiale pour les banques est de savoir si une réponse peut être apportée à ces besoins financiers spécifiques (à travers de nouveaux produits financiers ou des approches marketing spécifiques ?) et si les gains potentiels sont suffisants pour couvrir le coût initial des services et la couverture du risque.
Une réponse positive à cette question nécessite d'adopter une perspective de long terme qui prend en compte la dynamique de changement des besoins des migrants et leur évolution au cours du temps (les 4 phases d'Anderloni). Dans ce cadre, les transferts de fonds, spécifiques de la population migratoire, font partie des services que les banques peuvent être amenées à offrir à leurs clients, avec, pourquoi pas ?, des stratégies marketing spécifiques. En effet, la diminution des coûts des transferts de fonds dans les banques pourrait inciter les migrants à ouvrir un compte, faciliter l'accès à d'autres produits financiers et améliorer l'inclusion financière. L'approche espagnole en est un excellent exemple.
La transparence dans l’établissement des prix et l'amélioration de l'accès à l'information sont des mesures également importantes pour que la concurrence soit équitable et que l'efficience du marché des transferts d’argent soit améliorée.
Arnaud Marchand
Décembre 2011
1 Les « hawala » (au Pakistan et au Bangladesh) ou les « hundi » (en Inde) par exemple sont des systèmes qui reposent sur la confiance dans des intermédiaires.
2 Idem pour les caisses de crédit mutuel.
3 On entend par « corridor » un ensemble constitué d'un pays d'accueil de migrants et de leur pays d'origine.
4 Freund & Spatafora, 2005.
5 Freund & Spatafora, 2008.
6 Il s'agit d'entreprises ayant pignon sur rue, créées par des immigrés, qui opèrent des transferts de fonds internationaux. Ces entreprises sont connues sous le nom d'« ethnic stores » aux États-Unis.
7 « Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement », disponible sur www.afdb.org/fr
8 D’autres pays d’Amérique centrale et d'Amérique du Sud sont aussi concernés par ce type d’accord : Argentine, Brésil, Guatemala…
10 Entrée en vigueur en Belgique le 01/04/2010.
11 Opérateurs de téléphonie mobile, fournisseurs internet, grands magasins...
En observant les régulations mises en place au sein des pays et les différents canaux utilisés par les migrants pour transférer des fonds vers leur pays d'origine, on peut se demander dans quelle mesure ces transferts sont accessibles aux migrants et facilitent leur inclusion financière.
Quelles alternatives aux circuits traditionnels de transfert de fonds ?
|
Méthodes informelles
Il existe différentes méthodes informelles pour envoyer de l'argent, des méthodes au sujet desquelles il est difficile de trouver de l'information, car elles se situent dans l’anonymat et échappent aux contrôles officiels. Pour ces mêmes raisons, ces canaux informels sont généralement perçus comme étant aussi les principaux canaux utilisés pour le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cependant, ils constituent souvent la seule alternative valable pour les migrants. Les raisons principales qui poussent les expéditeurs à emprunter les canaux informels sont les coûts de transaction, l’accessibilité géographique, le taux de change et les conditions d’accès juridiques.
Les transferts informels peuvent se faire en espèces, en nature, sous forme de donation à des institutions ou de paiements de services. Le système de porteur est le plus courant : l’argent d’un ou plusieurs membres de la diaspora est transmis à l'un des membres retournant au pays. Ces réseaux informels sont organisés par les migrants eux-mêmes et tissés sur la base des liens familiaux, des solidarités communautaires. Il est aussi possible de faire appel à un porteur spécialisé.
Des structures plus élaborées existent également, parfois anciennes et basées sur des appartenances ethniques ou religieuses (les « hawala » au Moyen-Orient ou « hundi » en Inde), parfois via des commerçants. Elles reposent sur les contacts entre deux agents, l’un dans le pays d’accueil et l’autre dans le pays d’origine. Ce système repose sur la confiance. Les fonds ne transitent pas de façon effective à chaque transaction mais virtuellement, les agents réglant leur solde à intervalles réguliers (système des chambres de compensation). Toutefois, ces systèmes informels n’offrent ni traçabilité, ni couverture du risque (risques de détournement de l’argent, pas de documents écrits), et ne sont pas toujours moins chers.
Une dernière méthode de transfert informelle repose sur l’intervention des ONG ou des missions religieuses. L’expéditeur remet l’argent à une ONG ou à une mission religieuse installée en Belgique. Celle-ci contactera alors des partenaires dans le pays d’origine qui transmettront le montant équivalent au bénéficiaire. Dans ce cas aussi, une petite commission peut être prélevée. Ce système est également utilisé pour faire parvenir de l’argent à des bénéficiaires qui habitent des régions isolées dans lesquelles l’ONG ou la mission religieuse a un partenaire.
Méthodes formelles : des alternatives aux canaux traditionnels
1. Les systèmes financiers décentralisés
Les institutions de microfinance (IMF) et les coopératives d'épargne et de crédit ont un rôle à jouer dans le système des transferts de fonds, en servant d’intermédiaire entre les opérateurs de transfert d’argent et les bénéficiaires. Elles participent à la densification du réseau de distribution et augmentent la concurrence des services de transfert d’argent sur le secteur informel. Le développement du système de microfinance peut ainsi ouvrir de nouvelles perspectives dans l’accès des populations rurales et des personnes disposant d’un faible revenu aux services de transfert de fonds. Les familles de migrants se voient en outre offrir d'autres produits financiers, tels que l'épargne et le crédit.
Problème de taille, toutefois, les IMF ne sont généralement pas autorisées à effectuer des transferts internationaux (en fonction des législations nationales ou transnationales en vigueur), ce qui les oblige à collaborer avec les banques ou les sociétés de transfert d’argent. La mise au point de services de transfert nécessite également des ressources financières, techniques et logistiques que beaucoup de ces organismes ne possèdent pas.
2. Les nouvelles technologies : l’usage du téléphone mobile
Ces dernières années ont vu l’émergence de solutions alternatives de transfert de fonds, comme l'e-banking et, surtout, la technologie du m-banking (mobile banking), qui offre des services bancaires par l’intermédiaire du téléphone mobile et voit s’associer des opérateurs de téléphonie au secteur bancaire : on parle de « banque à distance ».
Dans des endroits (comme l’Afrique) où le taux de bancarisation est faible, où l’accès des populations rurales aux services financiers est réduit et où la pénétration du téléphone mobile est forte, le m-banking constitue un marché prometteur. Il pourrait radicalement abaisser le coût des transferts et accroître leur rapidité et leur fluidité, tout en offrant un accès permanent aux services et la possibilité d’effectuer des transferts d’argent même très faibles de personne à personne.
Le développement de cette technologie a offert aux opérateurs de téléphonie mobile l’opportunité d’intégrer le marché des transferts de fonds, renforçant ainsi la concurrence. Les opérateurs historiques tels que Western Union ne sont, quant à eux, pas en reste et multiplient les partenariats avec des opérateurs de télécommunication afin de commercialiser une offre de transfert par mobile.
Toutefois, si la banque par téléphonie mobile a convaincu des millions de clients dans le monde, il existe encore peu de systèmes à grande échelle de transfert de fonds par téléphonie mobile entre pays et monnaies différents. En Europe, rares sont les services de transferts internationaux par téléphone mobile qui ont été lancés à ce jour : Belgacom, qui a développé à travers ses filiales quelques partenariats en ce sens, est l'un des pionniers.
En Belgique : des partenariats avec Belgacom pour les envois de fonds à destination du Maroc
L’opérateur Belgacom, à travers sa filiale MobiSud, a noué un partenariat avec Maroc Telecom en juillet 2010 afin de proposer le transfert d’argent via le mobile entre la Belgique et le Maroc, la première communauté d’origine étrangère (hors Europe) de Belgique.
Concrètement, ce nouveau service permet de transférer de l'argent d'un téléphone mobile en Belgique vers un téléphone mobile au Maroc. Le service est accessible à tous les titulaires d'un compte PingPing1, la plateforme de paiement mobile de Belgacom, indépendamment de l’opérateur de téléphonie mobile utilisé. Une fois ce compte chargé, il est possible de transférer de l'argent, que ce soit par GSM ou par internet, aux clients de Maroc Telecom ayant souscrit au service MobiCash.
Les tarifs pratiqués sont inférieurs à ceux de certains opérateurs traditionnels, mais, surtout, transférer de l'argent devient également plus pratique, à la fois pour l'expéditeur, qui n'est plus soumis à aucune contrainte de lieu ou de temps, et pour le destinataire, qui voit son compte MobiCash crédité immédiatement. Il peut alors retirer cet argent auprès des agences Maroc Telecom ou d'un distributeur agréé MobiCash, voire même payer certaines factures et certains achats directement à partir de son téléphone mobile.
Récemment, fin septembre 2011, une nouvelle solution de transfert d’argent vers le Maroc au moyen de la téléphonie mobile a été mise en place. Baptisée « Homesend », elle a été lancée par Wafacash (filiale d'Attijariwafa Bank) et BICS (filiale de Belgacom).Les transferts d’argent effectués pourront être récupérés auprès du réseau d’agences de Wafacash au Maroc (500 agences environ). Ils sont facilités par l’interconnexion du module HomeSend de BICS avec la plateforme AlloCash de Wafacash.
Une autre manière d’envoyer de l’argent
1. Les coopératives de transfert d’argent
Les coopératives de transfert de fonds permettent de mutualiser l’épargne afin de réduire les coûts d’envois, tout en améliorant parfois l’utilisation qui en sera faite en attribuant une partie des bénéfices de ces envois au cofinancement de projets de développement.
Contrairement aux opérateurs traditionnels, le regroupement en collectivité permet notamment aux adhérents d'envoyer de faibles sommes à un coût limité, ce qui est d'une grande utilité pour les migrants vivant dans la précarité et qui ont, dès lors, peu d'argent à envoyer. Des systèmes d'épargne solidaire offrent également la possibilité de financer des microprojets dans le pays d'origine.
En Belgique : l'exemple de CODIBU au Burundi de 2001 à 2008
Une initiative intéressante fut celle de la Mutualité des Grands Lacs, issue de la diaspora burundaise, qui a créé une coopérative, la CODIBU2.Moyennant une cotisation mensuelle de 5 euros par membre, l'adhésion à la coopérative supprimait tout frais d'envoi monétaire à destination du Burundi, quel qu'en soit le montant.
Le montant envoyé par l'expéditeur était versé sur un compte en Belgique et la somme des envois était envoyée groupée au Burundi à la fin de chaque semaine, ce qui garantissait des tarifs peu élevés. Entretemps, MUTEC3, le partenaire au Burundi, avançait au bénéficiaire la somme d'argent qui lui était due, dans les deux jours suivant le versement du migrant.
2. Des services à valeur ajoutée
De nombreux migrants se rendent compte que l’argent envoyé n’est pas toujours utilisé pour répondre à l’objectif initial, souvent un besoin bien précis (frais scolaires, santé). Ils cherchent dès lors des moyens pour garantir un emploi utile, efficient, voire durable des fonds envoyés. Des initiatives existent en réponse à ce problème, qui offrent la possibilité pour le migrant de cotiser pour sa famille directement dans des mutuelles de santé ou dans des coopératives alimentaires. L'épargne du migrant peut également permettre l'accès au crédit à un tiers4.
En Belgique : les partenariats avec Moneytrans
Afin de se démarquer de la concurrence, Moneytrans cherche à apporter des services à valeur ajoutée par rapport au produit standard « cash-to-cash » au travers de projets avec des partenaires locaux et internationaux qui partagent un même objectif : répondre à un besoin de la clientèle rarement assouvi, celui de garantir l’utilisation des fonds à la destination.
1. Envoyer l’argent sous forme de chèques : Silver Finance
En partenariat avec la société congolaise Silver Finance, Moneytrans a mis au point en République démocratique du Congo un moyen de transférer l’argent en bons d’achat afin que le migrant puisse déterminer à l’avance l’usage qui sera fait de son envoi par le bénéficiaire à destination.
Concrètement, Moneytrans récolte les fonds et s’occupe du transfert. Une fois l’argent sur place, il se met en contact avec la société locale qui émet des chèques spécifiques (scolarité, alimentation…) pour le bénéficiaire et qui dispose d’un réseau de fournisseurs reconnaissant ces chèques comme moyen de paiement.
2. Combiner services à valeur ajoutée et développement : le Projet Mides de la CAAD
Autre exemple, la CAAD, ONG née au Sénégal et créée en Belgique en 2001, cherche à travers le Projet Mides (en voie de finalisation) à améliorer le système de transfert de fonds vers le Sénégal, en collaboration avec une société de transfert d'argent en Belgique (Money Trans) et une banque africaine.
L'objectif est de fournir une réponse au coût élevé des transferts de fonds et d'offrir au migrant la liberté d’utiliser ses fonds à distance comme il le souhaite, tout en participant au développement économique du pays.
Comment ce système fonctionne-t-il ? Moneytrans collecte les fonds en Europe en tant que société de transfert d’argent et les crédite sur un compte au Sénégal ouvert au nom du client. Cela nécessite un intermédiaire bancaire sur place.
La CAAD intervient alors en fournissant la technologie qui permet à distance une utilisation efficiente des fonds se trouvant sur le compte, grâce à la possibilité offerte au migrant d’utiliser un téléphone mobile pour gérer ses fonds, payer des factures ou des prestataires de services. Le faible coût des envois est lié à une stratégie de réduction des charges de la CAAD : elle possède un seul bureau par pays, l’usage du téléphone mobile permettant un service à distance. Ainsi, le partenariat avec la société de transfert d'argent devrait permettre au migrant client du service de payer un taux réduit (2 % maximum) pour envoyer de l'argent à sa famille.
De plus, une partie de la commission payée par le migrant sera automatiquement ristournée sur un compte de la banque partenaire africaine, fonds qui servira pour la banque de garantie et rendra le migrant bancable, lui permettant l'accès au crédit et à l'investissement. La possibilité est donnée au migrant de participer au fonds afin d'obtenir des possibilités de crédit plus élevées. La CAAD permet ainsi d’épargner une partie des coûts de transfert pour les investir dans un projet futur.
Enfin, devant les coûts élevés des denrées alimentaires, des centrales d'achat et de services (« MIDES Social Market ») sont peu à peu créées dans le pays d'accueil afin d'obtenir des tarifs favorables pour les familles bénéficiaires des transferts d'argent effectués par les migrants. Les bénéfices retirés sont utilisés pour financer des microprojets. De plus, la possibilité est laissée aux migrants et à leur famille d'investir collectivement dans le capital des centrales d'achat, ce qui permet alors à la CAAD de réinvestir cet argent dans de nouvelles centrales.
3. Codéveloppement : les organisations de solidarité internationale issues de la migration (OSIM)
Le codéveloppement consiste à impliquer les migrants dans la coopération au développement en faveur de leur pays d’origine.
Les transferts financiers peuvent créer de la dépendance et, comme nous l'avons vu, les migrants n'ont généralement pas la possibilité de contrôler l'utilisation de l'argent qui sera faite par le bénéficiaire de l'envoi. De plus, on constate que les générations immigrées nées dans le pays d'accueil envoient généralement moins d'argent à leur famille que la première génération de migrants ; ce qui ne les empêche pas d'entretenir des liens étroits avec leur pays d'origine. En réponse à ces constats, une méthode d'expression de la solidarité avec le pays d'origine consiste à s'investir et soutenir des programmes de développement dans le pays d'accueil.
Les OSIM, des organisations créées par des membres des diasporas installées en Belgique, rentrent dans ce cadre. Encore peu connues, elles seraient pourtant environ 300 en Belgique, et contribuent à l'aide au développement, en complément des ONG. Malgré le manque de structures et un fonctionnement généralement bénévole, elles interviennent dans des domaines divers tels que la santé, le développement économique ou culturel. Souvent, elles sont portées par un petit nombre de personnes issues d'une même région et agissent ainsi de manière très localisée. Avec l'avantage qu'elles peuvent, de la sorte, intervenir dans des régions difficilement accessibles aux opérateurs traditionnels.
Certaines organisations tentent peu à peu de quitter le fonctionnement informel et de se professionnaliser, en cherchant du soutien auprès des pouvoirs publics ou en collaborant avec des ONG. Une Coordination générale des migrants pour le développement (CGMD), regroupant environ 130 OSIM, a été fondée, il y a quelques années, afin de faire entendre leur voix.
Conclusion : Quelle méthode privilégier ?
Tout dépend bien sûr des besoins du migrant et de ses attentes par rapport au service : l’argent est-il destiné à sa famille ou au développement de sa communauté ? À la consommation ou à l’investissement ? Quels sont les besoins des bénéficiaires sur place ? Le migrant est-il avant tout intéressé par le coût, l'accessibilité, la qualité du service ? Quelle est la fréquence d’envoi, le montant généralement envoyé ?
D’autre part, la question se pose de savoir si les alternatives proposées sont en état de prendre la relève des opérateurs traditionnels ou si ces derniers sauront adapter leur offre aux nouvelles méthodes étudiées. Ce qui est certain, c’est que le développement des partenariats entre associations de migrants, institutions de microfinance, banques ou encore sociétés de transfert d’argent ne peut qu’être bénéfique au système des transferts de fonds, en augmentant la concurrence sur les marchés, en diminuant les coûts et en offrant au migrant une plus grande variété de choix.
La multitude de moyens utilisés et l’apparition de nouvelles approches garantissent une plus grande liberté au migrant et une plus grande efficience quant à l’utilisation de son argent. Le mot clé est bien celui de liberté. Rien ne sert de chercher à canaliser à tout prix les transferts de fonds vers le développement. En effet, les transferts de fonds constituent au départ une épargne privée pour le migrant et sa famille. De ce fait, l'utilisation de cet argent résulte avant tout d’un choix individuel, et ce n’est qu’en garantissant au migrant la primauté de ce choix, tout en lui offrant une gamme appropriée de services, que l’on pourra allier intérêt individuel et collectif.
La liberté du choix implique de ne pas se limiter essentiellement au coût du transfert, mais également à la disponibilité du service et à sa qualité. Améliorer les transferts de fonds nécessite de travailler sur ces trois fronts en même temps. S’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de service idéal, nous pouvons espérer que la saine concurrence qui doit s’installer entre les opérateurs et le développement des nouvelles technologies permettra à terme de générer une offre optimale pour les migrants et leurs familles.
Arnaud Marchand
Décembre 2011
1 L'ouverture du compte est gratuite.
2 Coopérative de la diaspora burundaise.
3 Mutuelle d’épargne et de crédit.
4 Cf. les systèmes financiers décentralisés.
Devant les prix élevés pratiqués par les opérateurs de transferts de fonds et le manque d'intérêt dont font montre les banques pour ce type de service, d'autres modes opératoires d'acheminement des fonds envoyés par les migrants dans leur pays d'origine se mettent en place. Les services de transferts de fonds sont multiples et variés (méthodes formelles ou moins formelles, transferts liés au développement ou non, tarifs et partenaires variables). Nous recensons ici quelques autres possibilités face aux opérateurs traditionnels en Belgique.
Les valeurs refuges : mythe ou réalité ?
Avec la crise de 2008 et la baisse prononcée des marchés boursiers depuis quelque temps, les investisseurs ont eu tendance à se tourner davantage vers des valeurs refuges, comme le montre la frénésie entourant les cours de l'or ces derniers mois. Il semble dès lors utile de se familiariser un peu plus avec ce concept de valeur refuge, avec un intérêt particulier pour l'or et son rôle dans l'histoire en tant que valeur d'échange.
Pagination
- Page précédente
- Page 37
- Page suivante