Transferts de fonds des travailleurs émigrés en Belgique
En bref :
• Le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés en Belgique vers les pays non européens s'élevait à environ 394 millions d'euros en 2010.
• Les migrants vivant en Belgique qui, dans leur ensemble, envoient le plus de fonds à leurs proches restés au pays sont, par ordre d'importance, originaires du Maroc, de la Turquie et de la République démocratique du Congo.
• Les moyens les plus utilisés pour envoyer des fonds sont les banques commerciales, la poste, les opérateurs de transfert d'argent non bancaires et les services informels de transfert d'argent.
• Les migrants transfèrent des fonds vers leur pays d'origine pour cinq raisons majeures : l'altruisme, l'intérêt personnel, un accord mutuellement bénéfique, un sentiment d'obligation et une question de prestige.
Introduction
Selon les chiffres publiés par Eurostat, les transferts de fonds des travailleurs émigrés en Europe vers des pays tiers baissent pour la première fois en 2009(1) et se stabilisent en 2010. Ce n'est cependant pas le cas en Belgique, où le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés reste en augmentation constante : de 355 à 389 millions d'euros entre 2008 et 2009, pour atteindre 394 millions d’euros en 2010(2). Dans cette nous nous proposons de faire un tour d'horizon des transferts de fonds en Belgique sur la base de la littérature disponible sur le sujet. Nous nous efforcerons à la fois de poser un cadre conceptuel et de répondre plus concrètement aux questions suivantes : qu'est-ce qu'un transfert de fonds ? Qui transfère des fonds et comment ? Quand et pourquoi ces transferts ont-ils lieu ?
Quoi ?
Définition
Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds se divisent en trois catégories : les transferts des travailleurs, la rémunération des salariés, et les transferts des migrants. Les transferts des travailleurs sont ceux qui sont opérés par des travailleurs émigrés résidant dans un pays hôte en faveur de leurs proches restés au pays. La rémunération des salariés se réfère aux salaires bruts et autres avantages sociaux gagnés par les travailleurs non-résidents. Enfin, les transferts des migrants sont les transferts de capitaux liés à l'ensemble des actifs financiers et non financiers que les migrants emportent quand ils se déplacent vers le pays hôte, ou quand ils retournent dans leur pays d'origine.
Cela dit, la définition des transferts de fonds des travailleurs émigrés qui semble la plus citée est celle du chercheur Orozco, pour qui ce sont les « montants envoyés par les migrants à leurs proches dans leur pays d'origine dans le but de satisfaire à certaines obligations économiques et financières »(3).
Notre analyse cible donc la première catégorie de transfert identifiée par la Banque mondiale, soit les transferts des travailleurs, lesquels visent les transferts en liquide et en nature de ménage à ménage. En effet, la rémunération des salariés vise, entre autres, le personnel des ambassades et des institutions européennes, c.-à-d. des publics qui n'ont pas, a priori, d'obligations économiques et financières envers leurs proches restés au pays. Quant aux transferts des migrants, selon Eurostat, ils sont généralement insignifiants en Europe et ne sont donc pas repris dans les recensements européens. Ne disposant pas de chiffres pour ce volet, nous ne prendrons, en toute logique, pas cet aspect en compte dans la présente analyse.
Chiffres : montant global et montant moyen
En consultant la littérature consacrée aux transferts de fonds, on s'aperçoit vite qu'il est difficile d'obtenir des chiffres exacts sur le sujet. Le montant des transferts des travailleurs au départ de la Belgique vers les pays non européens se situait à environ 394 millions d'euros en 2010. Il ne s'agit que d'une estimation, principalement pour trois raisons. Tout d'abord, il existe encore des ambigüités au niveau des définitions, donc ce ne sont pas systématiquement les mêmes éléments qui sont mesurés dans les différents pays européens. Ensuite, les montants qui passent par des canaux illégaux ou informels ne sont pas pris en compte. Ceux-ci peuvent pourtant être significatifs, même s'ils sont difficiles à quantifier. Enfin, il arrive que les montants individuels transférés soient inférieurs au seuil de reporting des institutions financières et, par conséquent, qu'ils ne soient pas pris en compte en tant que transferts de fonds.
Pour répondre à la question « quel est le montant moyen transféré annuellement par personne ? », plusieurs pistes de réflexion s'ouvrent à nous. Sachant que le nombre de personnes étrangères ne provenant pas d'un pays membre de l'Union européenne en Belgique est de 342 545(4), une simple division pourrait estimer le montant moyen à 394 000 000 € divisés par 342 545, soit 1150 € par personne en 2010. Bien entendu, toutes les personnes étrangères ne transfèrent pas nécessairement des fonds. Cependant, il est intéressant de mettre ce calcul en perspective avec les résultats d'études menées sur la question. Ainsi, une enquête qualitative(5) arrive à la conclusion que les Congolais de Belgique envoient environ 2400 € par an en République démocratique du Congo (RDC). Une autre étude (6) estime que le montant moyen transféré par an au départ de la Belgique est de 777 €. Enfin, une troisième recherche(7) note que, sur l'année 2005, les travailleurs émigrés en Belgique, originaires de la RDC, du Nigéria et du Sénégal, ont envoyé respectivement en moyenne 787 €, 1709 € et 285 € en Afrique.
Qui ?
Couloirs bilatéraux en Belgique
Le marché européen et mondial des transferts de fonds peut être vu comme un réseau de couloirs bilatéraux entre le pays émetteur et le pays récepteur des fonds(8). Ces couloirs représentent les flux d'argent envoyés par les migrants à leurs proches restés au pays.
En ce qui concerne la Belgique, en 2010, la répartition des personnes étrangères ne provenant pas d'un pays membre de l'Union européenne, avec un minimum de 3000 ressortissants(9), est la suivante :
On peut dès lors penser que les trois plus grands « couloirs de transferts » c'est-à-dire les populations vivant en Belgique qui, dans leur ensemble, envoient le plus de fonds à leurs proches restés dans le pays d'origine sont, par ordre d'importance, celles qui proviennent du Maroc, de la Turquie et de la République démocratique du Congo.
Comment ?
Il existe quatre grands types de canaux pour transférer des fonds : les banques commerciales, les postes, les opérateurs de transfert d'argent non bancaires (dits Money Transfer Operators ou MTO en anglais) et, enfin, les services informels de transfert d'argent.
Les banques commerciales, les postes et les opérateurs de transferts d'argent sont des moyens légaux de transfert de fonds. On estime(10) qu'environ deux tiers des flux passent par ces trois grands canaux ; un tiers, environ, emprunterait donc la voie informelle.
Les transferts peuvent se faire par virement électronique, par transfert d'un compte bancaire à l'autre, par support papier (mandat ou chèque, par exemple), par carte prépayée, par téléphonie mobile ou de la main à la main.
Le choix du canal utilisé par le migrant dépend de facteurs tels que l'existence ou la proximité géographique d'infrastructures dans le pays récepteur. Le coût de transfert, la fiabilité et la rapidité du transfert constituent également des facteurs importants de décision.
Les quatre grands types de canaux sont bien présents en Belgique. Les banques commerciales et les opérateurs de transfert d'argent y sont majoritaires. À noter que la poste permet effectivement aussi d'effectuer ce genre d'opération, mais toujours en partenariat avec un opérateur de transfert d'argent. Le tableau ci-dessous présente une liste non exhaustive des principaux canaux légaux présents(11) en Belgique :
Si l'on considère les trois couloirs de transfert principaux en Belgique, il semblerait que le canal le plus utilisé(12) pour les fonds envoyés au Maroc et en Turquie soit celui des banques commerciales. Ce choix s'explique du fait de l'existence d'un bon réseau bancaire dans le pays récepteur. En revanche, pour les fonds transmis en RDC, ce sont les opérateurs de transfert d'argent qui sont les plus populaires(13). En effet, les infrastructures bancaires sont rares, voire inexistantes dans ce pays récepteur, compte tenu des multiples crises politiques et économiques, de l’instabilité monétaire et des effets pervers de la guerre.
À quel prix ?
Les coûts de transfert de fonds se composent de deux éléments : la commission prélevée par l'opérateur (celle-ci peut parfois être répartie entre l'émetteur et le récepteur) et le taux de change (lequel peut être payé au départ ou à l'arrivée des fonds). En termes relatifs, plus les montants transférés sont élevés, plus les coûts diminuent. Différents sites internet proposent de comparer le prix des transferts de fonds. Celui de la Banque mondiale identifie les prix moyens sur les trois principaux couloirs de transferts au départ de la Belgique identifiés supra, c.-à-d. vers le Maroc, la Turquie et la RDC. Les chiffres les plus récents, datant de janvier 2011, se présentent comme suit :
En résumé, les taux varient entre 7,4 % et 12,2 % pour envoyer 160 € et 5,3 % et 7,5 % pour envoyer 390 €.
Quand ?
Fréquence d'envoi
D'après la littérature disponible sur le sujet, il semblerait que l'envoi de fonds est intimement lié à la paie du salaire du travailleur émigré. La fréquence d'envoi est donc, dans la majorité des cas, mensuelle. Ceci est confirmé dans nombre d'enquêtes et il semblerait même que le pic des affaires des opérateurs de transfert d'argent se situe entre le 1er et le 10 de chaque mois.
Phase d'envoi
La réponse à la question « quand est-ce que le migrant envoie des fonds à ses proches ? » varie généralement selon la phase d'intégration dans laquelle se trouve la personne concernée. En effet, si l'on considère les quatre phases d'adaptation du migrant (14), c'est surtout dans les deuxième et troisième phases (phase de légalisation et phase de stabilisation de l'installation) que le migrant envoie des fonds à ses proches. Pendant la première phase, dite « de survie », des transferts peuvent être faits, mais en moindre mesure à cause de la situation précaire du migrant, et, pendant la quatrième phase, dite « de consolidation », des transferts peuvent aussi être opérés, mais ils tendent à diminuer, car le pays hôte a tendance à devenir plus important aux yeux du migrant.
Pourquoi ?
Les raisons qui motivent le migrant à transférer des fonds ont largement été étudiées et s'expliquent par différents facteurs. Cinq types de raisons principales(15) sont souvent cités : l'altruisme, l'intérêt personnel, un accord mutuellement bénéfique, un sentiment d'obligation et une question de prestige.
L'altruisme se traduit par la volonté du migrant d'aider sa famille restée dans le pays d'origine. L'idée est de fournir un revenu supplémentaire aux proches parfois même au détriment de son propre niveau de vie. Les forts liens d'attachement aux parents restés au pays expliquent cette manière d'agir.
L'intérêt personnel vise plutôt à préparer le retour du migrant dans le pays d'origine. Les fonds sont alors destinés à acquérir des biens, souvent immobiliers. Une autre version de la raison « intérêt personnel » consiste à transférer des fonds aux proches dans l'idée d'hériter de ceux-ci plus tard.
L'exemple typique illustrant la raison d'un « accord mutuellement bénéfique » est le fait de rembourser les proches qui ont permis de réunir la somme nécessaire au départ du migrant.
Parfois, cet accord peut aussi être mêlé d'un sentiment d'obligation du migrant envers sa famille. Cette dernière exerçant une pression sociale sur le migrant, qui se sent redevable et transfère des fonds aux proches restés dans le pays d'origine.
Enfin, la notion de prestige est aussi invoquée comme motivation pour envoyer de l'argent. Le migrant souhaite montrer sa réussite dans le pays d'accueil et envoie donc régulièrement des fonds dans le pays d'origine, parfois même à son détriment afin de ne pas perdre la face.
En ce qui concerne plus précisément les migrants congolais vivant en Belgique, une enquête(16) montre que ce sont surtout des raisons altruistes qui les animent lorsqu'ils envoient de l'argent à leurs proches restés au pays. Dans une moindre mesure, le sentiment d'obligation ou l'arrangement mutuel sont aussi des raisons citées. Enfin, l'intérêt personnel par la préparation au retour est évoqué, lui aussi, mais de manière marginale, car peu de Congolais songent réellement à rentrer au pays vu la situation précaire dans laquelle se trouve actuellement cette région.
Conclusion
Il n'existe que relativement peu d'études et de statistiques sur les transferts de fonds des migrants issus de divers pays et résidant en Belgique. Quelques enquêtes tentent d'investiguer sur les manières d'opérer de certaines populations africaines, tels les Congolais, les Nigériens, les Sénégalais, les Burundais et les Rwandais, mais, à notre connaissance, aucune information n'est disponible sur les diasporas turques ou marocaines, pourtant bien représentées dans les populations susceptibles de transférer des fonds au départ de la Belgique.
La présente analyse a permis de définir de manière théorique ce qu'est un transfert de fonds, d'estimer l'ampleur du phénomène en Belgique, d'énumérer les canaux de transferts existants et de lister les raisons qui animent les migrants à transférer des fonds. Nous avons également illustré, autant que possible, ces éléments par des enquêtes menées en Belgique sur le sujet.
Mais ce sujet est vaste et nombre d'aspects mériteraient sans nul doute d'être approfondis. On pourrait ainsi s'intéresser, dans le cadre de futures analyses, aux principaux prestataires de services en Belgique, de manière à mieux cerner leurs clients, à chiffrer avec plus de précision les montants moyens transférés, la fréquence d'envoi et à identifier les besoins des publics concernés. Une autre possibilité serait d'interviewer des migrants sur leurs transferts de fonds. On pourrait limiter l'enquête à un groupe en particulier afin de bien connaître ses habitudes et, si possible, les lier aux aspects culturels du groupe considéré. Ou l'on pourrait, à l'inverse, interviewer de manière aléatoire des migrants entrant chez un prestataire de services afin de mieux identifier les motivations et besoins qui motivent leur démarche.
Annika Cayrol
Novembre 2011
1 COMINI Daniela, FAES-CANNITO Franca. Remittances from the EU down for the first time in 2009, flows to non-EU countries more resilient. Statistics in Focus [en ligne]. 2009, 40/2010, pp.1-8. Disponible sur : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-10-040/EN/KS-SF-... (consulté le 04/10/2011)
2 Eurostat, Chiffres provisoires, Tableau [bop_remit],. Disponible en ligne : http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do (consulté le 24/10/2011)
3 OROZCO Manuel. Conceptual Considerations, Empirical Challenges and Solutions in Measuring Remittances. CFRM-B001 [en ligne]. Mexico : Centre for Latin American Monetary Studies, 2006. Disponible sur : http://www.cemla-remesas.org/PDF/report-conceptualconsiderations.pdf (consulté le 04/10/2011)
4 SPF ECONOMIE, P.M.E., CLASSES MOYENNES ET ÉNERGIE. Statistique et information économique, Population au 1/1/2010.
5 MUTETA N., Transferts financiers des migrants congolais, de la Belgique vers la République Démocratique du Congo. Étude menée dans le cadre du programme VALEPRO d’OCIV / Migration et développement. Bruxelles : VALEPRO d’OCIV / Migration et développement, 2005, 23 p.
6 COMMISSION EUROPÉENNE, DG Affaires économiques et financières. EU Survey on workers’ remittances from the EU to third countries. ECFIN/235/04-EN (rev 1) [en ligne]. Brussels : Commission européenne, 2004. Disponible sur : http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/publication6422_en.pdf (consulté le 04/10/2011)
7 WORLD BANK. Survey of African diaspora in Belgium. Washington : World Bank, 2005. Disponible sur : http://econ.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/EXTDEC/EXTDECPROSPECTS/0,,cont... (consulté le 04/10/2011)
8 LAJOM ROMAN Estrella. Global Forum on Migration and Development. Résumé de la table ronde Migrations, développement et droits de l'homme, en ligne]. 27-30/2008, Manille, Philippines. Philippines : Global Forum on Migration and Development, 2008, 19 p.
9 Op. cit. 4. Nota bene : la catégorie « Indéterminés » regroupe les apatrides et ceux dont la nationalité n'est pas claire. Les réfugiés sont comptabilisés avec les personnes ayant la même nationalité.
10 Op. cit. 6
11 WORLD BANK. Remittances Prices Worldwide [en ligne]. Washington : 2011. Disponible sur : http://remittanceprices-francais.worldbank.org/Country-Corridors/from-Be... (consulté le 04/10/2011)
12 Op. cit. 6
13 Op. cit. 5
14 ANDERLONI Luisa, VANDONE Daniela. Migrant and financial services [en ligne]. Working paper. Bruxelles : 2008, 43 p. Disponible sur : http://www.fininc.eu/gallery/documents/wp-migrants-financial-services-fi... (consulté le 04/10/2011)
15 DE BRUYN Tom, KUDDUS Umbareen. Dynamics of Remittance Utilization in Bangladesh [en ligne]. Genève : IOM, 2005, 98 p. Disponible sur : http://www.iom.org.bd/publications/6.pdf (consulté le 04/10/2011)
16 Op. cit. 5
En Belgique, le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés est en augmentation constante : de 355 en 2008 à 394 millions d'euros en 2010. Dans cette nous répondons aux questions suivantes : qu'est-ce qu'un transfert de fonds ? Qui transfère des fonds et comment ? Quand et pourquoi ces transferts ont-ils lieu ?
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Qui est à la barre ?
Mais c'est également le cas de la spéculation sur les matières premières alimentaires de 2008 et, à sa suite, des émeutes de la faim que l'on croyaient révolues, appartenant à un autre siècle désormais très lointain, celui des manifestations de février 1917 à Saint-Pétersbourg et Moscou, celui des conflits du tiers-monde et de l’explosion démographique des pays « sous-développés » des années 1970. On assiste encore, depuis le début de cette année, à une spéculation sur les obligations des États les plus vulnérables, d'abord la Grèce, maintenant l'Irlande, alors que les pouvoirs publics, dans de nombreux pays, ont consacré d'importants moyens et creusé leur déficit pour sauver un secteur bancaire en capilotade.
Ces dysfonctionnements posent une question cruciale : qui dirige la manœuvre ? Sont-ce les élus de la nation ou les marchés financiers ? A dire vrai, on a le très net sentiment que ce sont ces derniers et que les pouvoirs publics n'interviennent qu'a posteriori pour éteindre les incendies. Et les acteurs de la finance, à peine tirés d'affaire, ne trouvent rien de mieux que de se retourner contre leurs sauveurs. Le constat accablant de ces crises est que la finance ne répond qu'aux intérêts particuliers de ses acteurs sans considération aucune pour l'intérêt général. Et que la conception de la main invisible d'Adam Smith, qui veut que des actions guidées par notre seul intérêt puissent contribuer à la richesse et au bien-être commun, mène à l'impasse, pour ne pas dire à la catastrophe.
Pour preuve, depuis des années, la finance n'a de cesse de rentrer dans sa bulle et de s'affranchir de la réalité, c'est-à-dire des besoins économiques qu'elle est censée servir. Jusqu'à ce que, bien sur, cette réalité ne la rattrape. Prenons le marché des produits dérivés. Ceux-ci sont des instruments financiers qui ont été créé, à l'origine, pour permettre aux entreprises de se couvrir contre différents types de risques financiers. C'est ainsi que, pour se couvrir contre les risques d'une augmentation du prix des matières premières dont elle a besoin pour sa production, une entreprise va acquérir, à un prix déterminé, des options d'achat de ces matières premières. Elle aura ainsi la garantie d'acheter celles-ci au prix prévu. En face, celui qui vend ces options prend le risque à la place de l'entreprise, en espérant que ce risque se transforme en opportunité. Une autre utilisation courante de produits dérivés concerne le risque de change, par exemple pour prémunir contre les variations de cours des entreprises qui achètent leur fournitures dans une devise et vendent leur production dans une autre.
Le problème est que les transactions sur les produits dérivés sont en forte croissance depuis le début des années 1980 et représentent désormais l'essentiel de l'activité des marchés financiers. En l'espace de dix ans, de 2000 à 2010, le marché des dérivés est en effet passé de 100.000 milliards de dollars à 600.000 milliards de dollars ! Si la fonction de garantie ou de couverture que ces produits offraient est évidemment essentielle, le développement extraordinaire des pratiques spéculatives auquel on a assisté ces dernières années va bien au-delà de la satisfaction de cette fonction. Bien pire, il détourne les flux financiers de cette autre fonction essentielle, le financement de l'économie réelle. On assiste ainsi à un véritable divorce, à une décorrélation entre les flux financiers et les flux de biens et de services.1
Et l'intérêt général ?
L'intérêt général est ainsi pris en otage de deux manières par cette déviance spéculative : les bulles finissent par éclater comme cela a été le cas avec les subprime américains – on en connaît les conséquences catastrophiques -, mais, en outre, l'économie est asséchée et désorientée. Asséchée car les flux financiers ne sont plus principalement destinés au financement de l'économie, au risque de créer un resserrement du crédit, les emprunteurs, entreprises et particuliers, n'arrivant pas à obtenir de crédit ou seulement à des conditions déraisonnables. Désorientée car la finance est privée de sa capacité à être le bras armé d'une politique économique dont la fonction est précisément d'orienter l'activité dans un sens qui satisfasse au mieux l'intérêt général.
Face à ce constat, il appartient aux pouvoirs publics de reprendre la barre. De deux manières. D'abord resserrer les mesures prudentielles, c'est-à-dire celles qui sont fondées sur la prudence, pour éviter que le système financier ne tremble à nouveau sur ses bases et, avec lui, l'économie et le lien social. Des réformes sont en cours, comme le montre l'adoption récente par le Parlement européen de la directive sur les fonds spéculatifs ou encore, au sein de ce même Parlement, les débats relatifs aux produits dérivés négociés de gré à gré. Même si les résultats peuvent paraître trop lents et incomplets, ils ont le mérite de constituer de premiers jalons dans la bonne direction.
Mais, à côté de mesures prudentielles, les autorités publiques doivent d'urgence se montrer davantage prescriptives et discriminantes pour orienter les activités et les flux financiers. Il ne s'agit pas seulement d'encadrer les pratiques spéculatives et de les rendre plus transparentes, il importe d'en réduire l'importance pour diminuer l'effet d'éviction qu'elles opèrent sur le financement de l'économie réelle.2 Et d'orienter l'allocation des ressources vers des objectifs qui prennent en compte les ambitions sociales et environnementales de nos démocraties. Mais comment y parvenir ?
Un parallèle peut être fait avec l'industrie pharmaceutique où, pour schématiser, il existe trois types de médicaments: ceux qu'il est interdit d'offrir en vente, ceux qu'il est autorisé de vendre mais qui ne donnent droit à aucun remboursement pour le patient et ceux enfin qui peuvent être vendu et dont le prix est partiellement remboursé. Pour ce qui concerne le secteur financier, tout le monde s'accorde à dire qu'une plus grande régulation est indispensable pour interdire certaines pratiques particulièrement nuisibles comme vient de nous le montrer la crise financière. Mais au-delà de ces interdictions, sans doute est-il justifié de favoriser l'éclosion de services financiers qui sont structurellement organisées pour répondre à des objectifs d'intérêt général.
Ceux-ci peuvent avoir trait à la protection du consommateur et à un développement local et durable.
Comment se prémunir ?
Les conditions relatives à la protection du consommateur pourraient ainsi être les suivantes:
- avoir une activité limitée au métier bancaire de base, récolter l'épargne pour octroyer des crédits, sans aucune activité de banqu d'affaires;
- favoriser la stabilité, par exemple en évitant la cotation des actions de la banque en bourse;
- garantir l'inclusion financière de tous par une offre de produits simples et adaptés.
Le développement local, tant en terme économique que social, pourrait quant à lui être assuré par deux éléments:
- une politique de crédit appropriée pour les agents économiques que sont les ménages, les entreprises et les organisations publiques et privées;
- une politique qui vise à éviter toute forme d'évasion fiscale.
Le développement durable devrait quant à lui être assuré par l'intégration de critères sociaux et environnementaux dans les politiques de crédit et de placement.
Aux seules structures financières structurellement organisées pour répondre à ces objectifs d'intérêt général seraient réservés des mesures publiques incitatives : garantie publique, avantage fiscal, contrainte en capital plus faible, … Libre à celles qui veulent faire prévaloir leurs intérêts particuliers de le faire, pour autant qu'elles ne mettent pas le système en péril, mais sans l'appui d'une politique économique publique aux objectifs de laquelle elles ne satisfont pas.
Contrairement à ce que pensait Adam Smith, la richesse et le bien-être ne sont pas des conséquences automatiques, presque magiques, du marché. Il faut, pour les atteindre, développer une politique économique adéquate. Celle-ci consiste à contrôler mais aussi à discriminer, c'est-à-dire à privilégier les flux financiers tournés vers l'économie réelle et la satisfaction de l'intérêt général.
1 Vincent Jacob, Réduire les pratiques spéculatives, Le Monde, 13 novembre 2010.
2 Vincent Jacob, op. cit.
De nombreux dysfonctionnements ont été mis en exergue au sein de la sphère financière ces derniers mois. On pense bien sûr à la crise financière de 2007-2008 et, dans son sillage, les crises économique et sociale qui ont fait perdre à des millions d'individus leur emploi, leur habitation et les réserves qu'ils avaient constituées pour leurs vieux jour.
Wal-Mart
Après avoir perdu la place de première entreprise mondiale en termes de chiffre d'affaires en 2009, avec des ventes s'élevant à 405,607 milliards de dollars américains et 13,400 milliards de dollars de bénéfices, Walmart a récupéré celle-ci en 2010.1
Si Wal-Mart est un succès économique, on ne peut en dire autant de sa politique sociale. Certes, leurs produits sont moins chers, en moyenne de 14%, mais à quel prix ? Derrière ces bas prix, se cachent des salaires plancher, régulièrement revus à la baisse. Car pour être rentable et aussi compétitive, Wal-Mart doit payer ses salariés, appelés « associés », 20 à 30% de moins que ses concurrents. De plus, les couvertures sociales sont plus que précaires : 46% des enfants des « associés » sont dépourvus de toute protection sociale digne de ce nom.2
Activisme actionnarial
Cela n'est évidemment pas du goût des syndicats qui, pour réagir, ont opté notamment pour la technique de l'activisme actionnarial. De quoi s'agit-il ? L'investisseur, en sa qualité d'actionnaire, dispose d'un droit de vote aux assemblées générales des entreprises dans lesquelles il a placé ses économies. Et il peut ainsi tenter d'améliorer le comportement éthique, social et environnemental de celles-ci en favorisant le dialogue avec les dirigeants, en exerçant des pressions, en soutenant une gestion responsable, en proposant et en soumettant au vote des assemblées générales annuelles des préoccupations sociétales...3
C'est ainsi qu'au Canada, le Congrès du travail du Canada (CTC), qui s’intéresse à l'activisme actionarial depuis 1986, a mobilisé ce levier d’action dans le cadre d’une campagne corporative qui a ciblé l’entreprise Wal-Mart pour ses pratiques antisyndicales.4 Comme le rappelle Ken Georgetti, président du CTC, les fonds de pensions sont constitués par les capitaux des travailleurs. Ceux-ci sont donc de facto les propriétaires d’une portion non négligeable d’actions dans le monde : 11.000 milliards de dollars US d’actions, selon une estimation datant de 2002,. Et Ken Georgetti de considérer qu’il est nécessaire d’utiliser ces fonds pour participer à la gouvernance des entreprises transnationales. C’est d’ailleurs l’objectif que s’est fixé le Committee for Workers Capital (CWC), à savoir déterminer comment ces fonds peuvent être utilisés pour influencer les entreprises globales.
Selon Ken Georgetti, Wal-Mart est une cible adéquate pour l’exercice de l’activisme par les fonds de pension. En effet, la majorité des fonds de pension ont des investissements dans cette entreprise. Wal-Mart illustre par ailleurs à quel point l’argent des travailleurs peut nuire à leurs propres droits. C'est que, pour parvenir à ces résultats, Wal-Mart contrevient à toutes les règles : travail des enfants, précarité d’emploi, embauche de travailleurs illégaux, etc. L’entreprise a une longue histoire de violations du droit (heures, salaire, etc.) et de discrimination sur les lieux de travail. Les enfants des employés de Wal-Mart sont soit sur des plans d’assistance médicale externe ou non assuré et par conséquent, subventionné par l’État. Certains employés de Wal- Mart ont tenté de se syndiquer et l’entreprise a aussitôt répondu par des menaces et des intimidations.
Pour Ken Georgetti, si cette entreprise parvient à obtenir les conditions qu’elle souhaite par son gigantisme, les fonds de pension peuvent en faire de même. En effet, en termes de capacité financière, ces fonds sont plus importants que les revenus de l’entreprise Wal-Mart. Il faut donc se demander comment les travailleurs peuvent utiliser leur capacité financière collectivement afin de contrer des actes répréhensibles. Les fonds de pensions doivent s’impliquer davantage pour changer le comportement de Wal- Mart et afin que leurs investissements reflètent les valeurs des travailleurs. Ces mesures devraient être suivies par les gouvernements locaux. Les fonds de pensions des fonctionnaires devraient ainsi être investis selon des principes éthiques.
Selon Ken Georgetti, il ne faut pas vendre les actions de Wal- Mart, mais plutôt agir par résolutions pour forcer l’entreprise à agir. Wal-Mart a publié un rapport de développement durable qui visait à apaiser les investisseurs qui ne sont pas satisfaits. Ainsi, on voit que Wal-Mart est sensible à la critique et il faut donc maintenir les pressions. Le 21e siècle peut être une nouvelle ère pour les travailleurs si les syndicats collaborent à travers les frontières. Les géants corporatifs ne sont pas invincibles, mais il faut que les syndicats et les fonds de pensions travaillent ensemble. 5
Les initiatives d'activisme actionnarial contre Wal- Mart n'ont en tous cas pas manqué. En 2001, l’enjeu social dominant des assemblées d’actionnaires a été la question de l’utilisation de codes de conduite visant le respect des droits humains : il représente 30 % des propositions à caractère social. Une proposition demandant à la firme américaine Wal-Mart de produire un rapport de vérification indépendant visant à démontrer que ses fournisseurs respectent les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ratifiées par la plupart des pays dans le monde a obtenu 5,25 % des votes.6
Wal-Mart a également été visée par des campagnes plus larges relatives à la gouvernance d'entreprise. C'est le cas de celle de l'American Federation of Labour - Congress of Industrials Organisations (AFL-CIO), le principal regroupement syndical des États-Unis qui compte dans sa sphère d’influence 400 milliards de dollars investis dans quelque 1.500 fonds. En 2003, les fonds des travailleurs travaillant sous l’égide de l’AFL- CIO ont déposé à eux seuls 381 propositions, contre 198 en 2002 et 105 en 2001; 228 de ces résolutions se rapportaient aux compensations financières excessives des dirigeants. Différentes entreprises étasuniennes ont été ciblées par l’AFL-CIO : Boeing, Citigroup, Coca-Cola, Delta, Halliburton, Walt Disney, Wal-Mart Stores, sont quelques exemples. 7
Par ailleurs, en 2003, Wal-Mart a dû réviser ses politiques pour mettre fin à la discrimination contre ses employés homosexuels, après avoir été la cible de The Equality Project, une coalition d'investisseurs responsables et d'association de défense des homosexuels demandant aux entreprises d'inclure dans leur politique de non-discrimination des termes protégeant explicitement les homosexuels.8
Code de conduite et initiatives judiciaires
Les campagnes de plus en plus virulentes dénonçant Wal-Mart, qui nuisent à son image de marque auprès des consommateurs et donc à ses résultats commerciaux et financiers, ont amené l'entreprise à adopter, en 1992, un code de conduite à l’intention de ses fournisseurs pour éviter les pires abus au chapitre de l’exploitation des travailleurs et pour empêcher que des enfants soient associés à la fabrication de ses propres marques. Selon ce code, aucun enfant de moins de 14 ans ne doit travailler pour les fournisseurs de Wal-Mart.9
L'existence de ce code n'a pas mis fin aux violations constatées notamment en matière de droit du travail et Wal-Mart s'est vue reprocher en justice de commettre ainsi une violation des obligations contractuelles qu’elle s'était elle-même imposées en 1992, en particulier celle de surveiller les usines de ses fournisseurs pour s’assurer de leur respect du code de conduite.
Une action en justice collective (class action) a en effet été introduite devant les juridictions californiennes, pour le compte de travailleurs employés par des sous-traitants de Wal-Mart, établis en Chine, en Indonésie, au Bangladesh, au Swaziland et au Nicaragua.10 Les plaignants invoquent des conditions de travail désastreuses, en particulier des salaires en dessous des minima légaux locaux, des heures supplémentaires obligatoires non payées, ainsi que des coups et mauvais traitements par leurs surveillants.
Sur le plan juridique, les travailleurs exploités dans ces « sweatshops » prétendent être les tiers bénéficiaires de l’accord conclu entre leurs employeurs et Wal-Mart, qu’ils analysent comme incluant une forme de stipulation pour autrui et donc créant des obligations directes dans le chef de la multinationale au profit des personnes employées par ses sous-traitants.
Des travailleurs californiens, employés par des concurrents de Wal-Mart, se sont joints à l’action. Ils reprochent à la firme ce qu’ils qualifient de pratiques commerciales déloyales, lesquelles auraient contribué à une baisse de leurs salaires. 11
Cette affaire, dans laquelle une entreprise se voit rattrapée judiciairement par une politique volontaire de responsabilité sociale conçue initialement en dehors ou en-deçà du droit semble ouvrir une voie dans laquelle les militants des ONG, mais aussi les travailleurs ne vont pas hésiter à s’engouffrer.
Exclusion
Un autre mode de pression est bien sûr l'exclusion de l'entreprise incriminée du portefeuille d'investissement que l'on gère. C'est ce qu'on fait le fonds norvégien du pétrole et le fonds de pension néerlandais PNO Media.
Le Fonds norvégien du pétrole rassemble par transferts budgétaires une partie des revenus tirés de l’exploitation et des ressources pétrolières norvégiennes. Ce fonds est l’un des plus gros fonds de pension du monde. Depuis 2004, il est géré en vue d’un rendement responsable, pour éviter de contribuer, par ses investissements, à des violations de droits humains ou de principes éthiques fondamentaux :
- les pires formes de travail des enfants et d’autres formes d’exploitation des enfants ;
- les atteintes graves aux droits individuels dans des situations de guerre ou de conflit ;
- la dégradation sévère de l’environnement ;
- la corruption massive ;
- d’autres violations particulièrement sérieuses des normes éthiques fondamentales.
À ce jour, 29 sociétés ont été exclues du fond, parmi lesquelles EADS, Thalès, BAE systems, Boeing Co., Vedanta Ressources, Rio Tinto, et Wal-Mart.
Cette dernière a été exclue en 2006 sur base du constat suivant : « De nombreux documents indiquent que Wal-Mart, de manière globale et systématique, emploie des mineurs en violation des règles internationales, que les conditions de travail chez plusieurs de ses fournisseurs sont dangereuses, que des ouvriers sont fortement incités à effectuer des heures supplémentaires sans compensation, que la compagnie pratique la discrimination salariale à l’encontre des femmes, que toutes les tentatives des employés pour se syndiquer sont stoppées, que les employés sont, dans un certain nombre de cas, déraisonnablement sanctionnés et enfermés [de force sur leur lieu de travail, ndlr]. » Ceci concerne non seulement les opérations commerciales de Wal-Mart aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi celles de ses fournisseurs au Nicaragua, au Salvador, au Honduras, au Lesotho, au Kenya, en Ouganda, en Namibie, au Malawi, au Madagascar, au Swaziland, au Bangladesh, en Chine et en Indonésie.
La même décision vient d'être prise par le fonds de pension néerlandais PNO Media, qui est un fonds de pension sectoriel pour le secteur néerlandais des médias et qui pèse de 3 milliards €. Elle est fondée sur l'insuffisance de résultat de l'activisme actionnarial pratiquée à l'égard de Wal-Mart. Un dialogue avait été entamé avec l'entreprise qui a été couronné de succès sur certaines questions comme la réduction des émissions de CO2. En revanche, PNO constate que Wal-Mart n'est pas prête à engager un dialogue sur les droits des travailleurs.12
Conclusions
Force est de constater que la puissance économique de Wal-Mart lui a largement permis d'échapper à sa responsabilité sociale. Des avancées ont certes été enregistrées mais on peut les qualifier de très timides.
Quelle stratégie adopter ? L'activisme actionnarial semble produire peu d'effet direct, l'entreprise refusant de dialoguer et le rapport de force actionnarial demeurant défavorable en dépit de l'engagement des fonds de travailleurs. Par contre, il contribue, au même titre que les campagnes de sensibilisation des syndicats et des ONG, à écorner l'image de la société.
Celle-ci est donc amenée à se justifier en montrant patte blanche, ce qu'elle a tenté de faire en édictant un code de conduite. À nouveau, l'effet immédiat de celui-ci est douteux puisque de nombreuses violations ont été établies, mais, au moins, la responsabilité, civile et plus seulement morale, de Wal-Mart a-t-elle pu être mise en cause sur base son obligation de surveiller l'application de ce code auprès de ses fournisseurs.
Une autre stratégie est l'exclusion pure et simple de Wal-Mart des fonds d'investissement, même si cela semble difficile pour les investisseurs institutionnels vu la taille et la rentabilité de l'entreprise.
Aucune de ces stratégies n'est sans doute suffisante par elle-même. Elles ne doivent pas pour autant être délaissées car c'est sans doute leur action conjuguée qui a le plus de chance de voir aboutir des réformes bien nécessaires dans la gestion sociale de ce mastodonte. La taille de celui-ci rend par ailleurs des victoires, mêmes partielles, hautement symboliques et donc sans doute reproductibles auprès des autres entreprises.
2 Serge Halimi, Wal-Mart à l’assaut du monde, Le Monde diplomatique, janvier 2006.
3 Bernard Bayot, "Activisme actionnarial", Hémisphères, n°25, juin 2004.
4 Catherine Sauviat, « Syndicats et marchés financiers : bilan et limites des stratégies nord-américaines. Quelle valeur d’exemple pour les syndicats en Europe ». Revue de l’IRES, no 36, 2001/2, p. 1-33.; Emmanuelle Champion et Chantal Hervieux. « Compte rendu : Atelier III 6 – Global campaigning with workers Capital II : learning from global campaigns », Bulletin Oeconomia Humana, 2006 vol. 4, no 4, p. 24-28.; Emmanuelle Champion, L’expérience syndicale en matière de finance socialement responsable (FSR) : Un état des lieux, Les Cahier de la CRSDD – collection recherche, 2009, No 05-.
5 Emmanuelle Champion et Chantal Hervieux, op. cit.
6 Éric Loiselet, L’engagement actionnarial : l’expérience nord américaine, Cadres CFDT, N° 400, juillet 2002.
7 Rosanna Landis Weaver, « IRRC Corporate Governance Service 2003 Background Report – Labor Shareholder Activism in 2002 and 2003 ». IRRC, 2003, 35 p. ; Emmanuelle Champion, op. cit.
8 Élisabeth Laville, L'entreprise verte: Le développement durable change l'entreprise pour changer le monde, Pearson Education France, 2009, p. 112.
9 « Wal-Mart’s Standards for Suppliers Agreement ».
10 Jane Doe I et al. vs Wal-Mart et al., complaint filed in the Superior Court of the State of California (County of Los Angeles, Central District), September 2005.
11 Thomas Berns, Pierre-François Docquir, Benoît Frydman, Ludovic Hennebel et Gregory Lewkowicz, Responsabilités des entreprises et corégulation, Bruylant, Bruxelles, 2007, pp. 27 et 28.
12 Daniel Brooksbank, Dutch pension fund PNO excludes Wal-Mart over labour standards, 29 octobre 2010, http://www.responsible-investor.com/home/article/dutch_pension_fund_pno_....
Wal-Mart, c'est au départ un petit commerce qui débute gentiment en Arkansas en 1962, l'un des États les plus pauvres des États-Unis. L'entreprise se développe ensuite rapidement pour dominer tous les États-Unis avant de commencer à s'internationaliser à partir de 1991.
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