En bref
- L’Équateur refuse de payer pour une ancienne dictature.
- L’Islande refuse de payer pour les erreurs d'une banque privée.
- Ce n'est pas toujours un calcul à somme nulle.
Est-il envisageable de ne plus payer ses dettes et de faire table rase du passé ? Quelques pays ont en effet fait le choix unilatéral de ne pas rembourser les leurs.
LA DETTE ODIEUSE
En 2007, lorsque le président équatorien Rafael Correa prend ses fonctions, le pays consacre 32 % de son budget au remboursement de sa dette et 12 % seulement au secteur de la santé. Cette dette, initialement contractée pendant les dictatures des années 1970, n'a cessé d'augmenter jusqu'en 2007. Pour y faire face, le pays a alors reçu l'aide du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) en contrepartie de réformes structurelles : austérité budgétaire, privatisation des entreprises publiques et, dès 2002, instauration d'un Fonds de stabilisation, investissement et réduction de l'endettement public. Ce fonds avait pour but d'allouer 70 % des bénéfices issus de l'exploitation pétrolière au service de la dette.
Quand il accède au pouvoir, Correa met en place une « commission pour l'audit intégral de l'endettement public. Le but : évaluer la légalité et la légitimité de la dette publique équatorienne (1976-2006) afin de distinguer la part des dettes qui doit être honorée par l'État et celle qui ne doit pas l'être. Le comité équatorien conclut que 70 % de la dette publique n'ont pas été contractés dans l'intérêt du peuple et qu'il ne revient donc pas aux citoyens de la payer. L'économie de 7 milliards ainsi réalisée a permis d'augmenter les dépenses sociales de 12 à 25 % du budget et de diminuer la part allouée au remboursement de la dette de 32 à 15 %. Désormais, le pays n'est plus coté par les agences de notation et, depuis 2006, jouit d'un taux de croissance de 4 %. Il ne peut plus retourner sur les marchés des capitaux, mais n'a pas eu à le faire grâce aux apports alternatifs, notamment de la Chine et d'institutions financières d'Amérique du Sud.
L'annulation pure et simple des dettes est une solution radicale prônée par nombre d'organisations de défense des droits sociaux. D'après elles, les créanciers n'ont de toute façon aucun recours. En outre, cela permet aux pays d'investir dans des politiques de relance plutôt que de se soumettre aux politiques d'austérité exigées par des organismes internationaux tels que le Fonds Monétaire International.
REFUS CITOYEN
L'Islande a longtemps été citée en exemple par les économistes. Le secteur financier y tournait à plein, largement soutenu par les politiques qui garantissaient les investissements des institutions bancaires. Mais, en 2006, l'agence de notation Fitch dégrade la note de l'une des trois grandes banques du pays au motif qu'ensemble, ces trois institutions opèrent au-delà de la capacité de la banque centrale islandaise à les soutenir. Les investisseurs deviennent méfiants. Pour les attirer à nouveau, la banque Landsbanki lance Icesave, une caisse d'épargne en ligne, proposant des conditions très attractives. Rapidement, des centaines de milliers de particuliers ainsi que de gros clients institutionnels sont attirés par les rendements offerts par ce placement, particulièrement des investisseurs originaires d'Angleterre et des Pays-Bas.
La crise de 2008 oblige l’État islandais à nationaliser ces trois grandes banques pour leur éviter la faillite. Icesave devient propriété de l’État. Ses dettes envers les épargnants (3,7 milliards d'euros 50 % du PIB islandais – principalement anglais et hollandais – deviennent publiques. En cas de faillite, elles seront à charge du contribuable islandais (100 euros par habitant par mois à payer pendant 8 ans¹). Le FMI propose alors une aide de 2,1 milliards, conditionnée au dédommagement des clients de Icesave et à des coupes budgétaires, notamment sociales, importantes.
Mais les Islandais refusent de prendre en charge la dette bancaire. Le nouveau gouvernement choisit alors de laisser Icesave tomber en faillite. La banque n'est donc plus en capacité de rembourser ses épargnants et doit seule assumer ses dettes. Aujourd’hui, les États anglais et hollandais se sont portés garants pour leurs épargnants et se retournent contre l'Islande pour se faire rembourser. Après cet événement, l'Islande fut présentée comme le pays qui refusait de courber l'échine devant son système financier. Mais tout le monde a-t-il gagné pour autant ? Le point commun entre ces deux exemples est peut-être la nature de la dette.
La première est jugée odieuse, car contractée par un gouvernement dictatorial, tandis que la seconde est non éthique car elle résulte de risques insensés pris par une banque privée. Dans les deux cas, le refus de payer la dette a permis d'éviter l'aide d'organisations internationales, conditionnée à la mise en place de politiques d'austérité. Cela étant, dans le cas de l'Islande en tout cas, la dette est reportée sur les gouvernements anglais et hollandais qui, à leur tour, devront la faire porter sur leurs propres contribuables. Et les épargnants islandais qui avaient cru dans le projet de Icesave ont, quant à eux, perdu leur épargne.
D'après une analyse de Fain, A., La dette publique : petite leçon de démocratie, www.financite.be, rubrique bibliothèque
1. D'après une estimation de la journaliste du Figaro, Stéphanie Kovacs. article disponible en ligne sur www.lefigaro.fr/international/2010/03/08/01003- 20100308ARTFIG00013-les-islandais rejettent-l-accord- icesave-.php>, consulté le 31/10/2012.
LES DETTES JAMAIS REMBOURSÉES
Les emprunts russes
À la fin du XIXe siècle, la France et la Russie se rapprochent. À partir de 1888, Moscou émet des emprunts sous la bénédiction des pouvoirs publics français. En 1914, 1,6 million de porteurs ont prêté 12 milliards de francs-or à la Russie. Mais la révolution de 1917 coupera net les espoirs des épargnants de récupérer un jour leur mise. Deux mois plus tard, Lénine décide de ne plus reconnaître les dettes de l'ancien régime.
Depuis lors, les déceptions n'en finissent pas de prendre le pas sur les espoirs de remboursement. Plusieurs fois, Lénine a proposé de rembourser les coupons aux Français mais, à chaque fois, en échange d'une nouvelle aide financière. En 1990, Gorbatchev a proposé de mettre un terme à cette attente et de rembourser les 400 000 descendants des épargnants de 1914. Quelques remboursements ont eu lieu de-ci, de-là, jusqu'en 2010, année au cours de laquelle le président de l'association française chargée de défendre les intérêts des porteurs français reçoit une lettre du président de la Fédération de Russie annonçant un refus d'indemniser les détenteurs français d'obligations de l’État russe.
Une dette vieille de 400 ans réclamée à l'Espagne
En septembre dernier, un député polonais a réclamé à l'Espagne le remboursement d'une dette de 57,4 millions d'euros, l'équivalent de 430 000 ducats en or, empruntés au XVIe siècle par le roi Philippe II d'Espagne auprès de la reine de Pologne pour couvrir les dépenses de la guerre entre l'Espagne et la France. Des juristes, cités par les médias polonais, restent cependant sceptiques quant à la possibilité de recouvrer la dette !