Enfin, le GSM permet des services financiers plus accessibles financièrement. Au Cameroun et au Nigeria, il faut l’équivalent du PIB/habitant pour ouvrir un compte en banque7. En Afrique du Sud, le coût annuel des services bancaires d'une banque classique équivaut à 11 journées de salaire, tandis que celui des services bancaires d'un fournisseur de ces services par GSM équivaut à 7,5 journées de salaire.
Coûts comparés des banques vs de Wizzit en Afrique du Sud
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Coûts de transaction – utilisateurs WIZZIT ($) |
Mêmes transactions avec les 4 grosses banques ($) |
Charges bancaires par mois |
5 |
7 |
Coût des minutes de téléphone par mois
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0.3 |
0 |
Coût des transports jusqu’à la banque par mois
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1 |
1 |
Coût mensuel total
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6 |
9 |
Coût annuel |
70 |
103 |
Coût annuel en nombre de jours de travail |
7.5 |
11 |
Coût annuel en % du revenu |
2.1% |
3.1% |
Source : Ivatury, Gautam and Pickens, Mark. 2006. ‘Mobile Phone Banking and Low-Income Customers. Evidence from South Africa). CGAP, United Nations Foundation (UNF) and Vodafone Group Foundation
Les effets indirects ne sont pas négligeables : les GSM permettent de stocker de l'argent de façon sécurisée, permettant de réduire les risques liés au fait de se déplacer avec des quantités importantes de cash jusqu'à la banque ou de se le faire voler chez soi. Il permet aux populations pauvres dont les sources de revenus sont faibles, irrégulières et difficiles à prévoir8, de gérer ce flux.
Sucess stories à travers le monde
Selon la Banque Mondiale (CGAP), il y aurait 120 services monétaires par GSM dans le monde en 2009.
Grameen a développé un modèle avec succès au Bangladesh, M-Pesa au Kenya, Wizzit en Afrique du Sud, G-Cash aux Philippines,… Les expériences fleurissent à travers le monde.
WIZZIT en Afrique du Sud est un exemple du modèle bancaire, lancé en 2004 par l'intermédiaire de la Banque sud-africaine d'Athènes.
Il s'agit d'une banque virtuelle, sans succursale physique. Les clients utilisent les SMS pour payer des produits, transférer de l'argent à d'autres détenteurs de comptes WIZZIT ou recharger leur GSM. Leur salaire peut leur être directement versé sur le compte virtuel lié à leur GSM. Les clients peuvent déposer ou retirer leur argent auprès des bureaux de poste ou auprès de certains guichets de banques. Ils peuvent également disposer d'une carte de débit Maestro, utilisable dans tous les distributeurs ou magasins l'acceptant, sans disposer pour autant d'un compte bancaire.
WIZZIT ne fait pas payer d'abonnement mensuel et ne demande pas un solde minimum sur le compte. L'ouverture d'un compte se fait au domicile ou au travail du client potentiel par un agent WIZZIT.
Selon une enquête menée en 2006 par le CGAP (Banque mondiale), la Fondation des Nations Unies et la Fondation Vodafone, les clients utilisent ce service en raison de son faible coût (70 %), de sa sécurité (69 %), de son côté pratique (68 %), et de sa rapidité (68 %) en comparaison avec les banques classiques.
M-PESA au Kenya est un exemple du modèle non bancaire, lancé en 2007 par Safaricom (opérateur kenyan) et Vodafone, pour les utilisateurs de GSM à cartes prépayées.
Un compte virtuel distinct est créé pour les clients et géré par la Commercial Bank of Africa.
Pour ouvrir un compte, il faut une carte d'identité kenyane. Safaricom fournit alors une carte SIM qui permet les transactions financières. Les clients peuvent transférer des fonds à n'importe quel utilisateur de GSM, quel que soit son opérateur téléphonique. Avec le SMS reçu, le bénéficiaire se présente chez un agent habilité (typiquement un petit commerçant) qui l'échange contre du cash. Un compte M-PESA peut servir à acheter des biens et des services (une course de taxi par exemple peut se payer par SMS), effectuer des transactions financières ou des transferts d'argent. La possibilité d'effectuer des transferts d'argent internationaux (par les Kenyans à l'étranger) est en cours de développement.
Aujourd'hui, 7 millions de clients utilisent ce service (sur 38 millions d’habitants, dont 18 millions de détenteurs de GSM), transférant près de 2 millions de dollars par jour à travers le système, à raison de 20 dollars en moyenne par transaction. À ce jour, 1,7 milliard de dollars ont transité par le système. Mais 70 % des clients de M-Pesa étaient déjà bancarisés avant d’utiliser ce service.
Challenges à relever
Ces beaux succès ne doivent pas faire oublier les défis qui attendent encore les opérateurs de mobile banking, particulièrement lorsque l’on sait que 120 projets sont en cours de développement dans ce secteur9
Le premier défi à relever est d'identifier les besoins réels et attentes des utilisateurs du mobile banking. Paiements et transferts d'argent ne sont qu'une première étape, les clients réclament de pouvoir épargner à travers leur GSM (ils le font déjà en pratique pour 30 % des clients de M-PESA), ce qui nécessite une législation adaptée et un produit adéquat.
Un autre défi non négligeable provient de l'illettrisme des clients, qui est aujourd'hui un frein au développement du mobile banking. Cet illettrisme peut être de trois types : 1) les clients ne savent pas lire et/ou écrire ; 2) les populations pauvres et/ou âgées subissent une exclusion technologique ; 3) les clients ne sont pas toujours à même de comprendre les contrats qu'ils signent, et une protection du consommateur s'avère nécessaire.
Les opérateurs réfléchissent actuellement à des moyens de faire face à ces formes d’illettrisme et de proposer une alternative à ces clients.
Un autre défi majeur attend les opérateurs : la régulation. Aujourd'hui, le manque de cadre juridique adéquat pose la question de la responsabilité en cas de problème.
La législation devrait permettre à des opérateurs non bancaires d'entrer dans les différents marchés pour servir les clients, en créant une catégorie spécifique avec sa propre législation pour cette monnaie électronique, et bien sûr une protection du consommateur (information adéquate, transparence, recours, protection des données...).
Ceci sera particulièrement nécessaire si les opérateurs veulent développer la partie épargne de leur service (ce que les clients font déjà en pratique avec M-Pesa). Or la collecte d’épargne est une activité restreinte aux seules banques. Il faudra alors nécessairement aux opérateurs obtenir le statut de banque, ou une dérogation, ou s’associer avec une banque pour proposer ce service.
La Banque centrale des Philippines est souvent citée en modèle dans ce domaine, puisqu’elle a su créer un environnement propice et sécurisé pour le développement de ces acteurs (2 acteurs y existent actuellement pour le mobile banking).
À quand en Belgique ?
À l’heure actuelle, le mobile banking se développe principalement dans les pays du Sud, où le pourcentage de population exclue des services bancaires est très élevé (2 personnes sur 3).
En Belgique, le réseau bancaire est bien développé. Le pays se classe au 13e rang mondial en termes de développement financier, et au 2e rang en termes de pénétration du réseau bancaire (en nombre de comptes et de succursales de banques)10. De même, le pourcentage de population exclue du service bancaire est faible (moins de 5 %). Ces deux facteurs rendent le service moins nécessaire. Le transfert d'argent hors d'Europe serait sans doute un des marchés qui pourrait offrir des opportunités de développement.
Sans perspectives économiques suffisamment prometteuses, il y a peu à parier sur un développement rapide de cette technologie dans nos frontières, d'autant qu'il devrait s'adapter à la législation en place en matière d'activité bancaire et financière. L'enjeu de la protection du consommateur, qui a d'ores et déjà été cité, est évidemment essentiel et ne doit pas être menacé par l'arrivée du mobile banking : ce dernier devra, dès sa mise sur le marché, offrir toutes les garanties pour les consommateurs- épargnants que nous sommes.
Conclusion
Les exemples réussis sont autant de raisons d'espérer, qui ne doivent pas faire oublier les nuages qui planent à l’horizon du mobile banking.
Il y a 10 ans, personne n'aurait imaginé l'importance qu'allait prendre le GSM dans notre vie quotidienne, et encore moins qu'il puisse être utilisé comme moyen d'inclusion financière pour les plus pauvres.
Aujourd'hui, les possibilités offertes par le mobile en termes de services bancaires ou de santé semblent plus qu’attrayantes.
Des facteurs tels qu'un nombre croissant de jeunes dans les pays en développement, la mise en place de cadres légaux par les gouvernements et le développement d'internet via les téléphones portables, plaident en faveur d'une adoption rapide du mobile banking.
On estime que d’ici 10 ans au maximum, quiconque souhaitera avoir accès à un GSM sera en mesure de le faire.
Sans nul doute, le mobile banking a la capacité de révolutionner les services financiers, en permettant à une large majorité de ceux qui en sont exclus aujourd'hui – dans les pays en développement – d'y avoir accès.
Les promesses sont grandes, les obstacles le sont aussi. Gageons que les opérateurs sauront les dépasser pour faire du mobile un outil de développement, de croissance et de lutte contre l'exclusion financière dans les pays en voie de développement.
Le prochain défi sera sans nul doute celui de l’accès à internet. Aujourd’hui, 1 milliard de personnes dans le monde y a accès, ce nombre ne devrait pas dépasser les 2 milliards à l'horizon 2013 (vs 6 milliards attendus de personnes ayant accès à un GSM).
Or, on estime que 10 % de pénétration supplémentaire d’internet se traduit par +1,4 % de PIB/habitant (vs 0,8 % pour le mobile).
Les notebooks seront probablement une des solutions à cette expansion, si leur prix passe en dessous des 100 dollars. Mais le manque d’éducation et l’illettrisme risquent de constituer des freins à ce développement qu’il faudra dépasser.
Aurélie Dagneaux
décembre 2009
Bibiographie
Lyman, Timothy R.; Ivatury, Gautam and Staschen, Stefan. 2006. ‘Use of agents in branchless banking for the poor: rewards, risks and regulation’. Focus Note 38. Washington, DC : CGAP
Lyman, Timothy R., Pickens, Mark and Porteous, David. 2008 ‘Regulating Transformational Branchless Banking: Mobile Phones and Other Technology to Increase Access to Finance.’ Focus Note 43. Washington, DC : CGAP
Mas, Ignacio and Kumar, Kabir. 2008. ‘Banking on Mobiles: Why, How, for Whom?’ Focus Note 48. Washington, DC : CGAP
Morawczynski, Olga and Pickens, Mark. 2009. ‘Poor People Using Mobile Financial Services: Observations on Customer Usage and Impact from M-PESA.’ Brief – August 2009. Washington, DC : CGAP
The Economist. 2007, “A bank in every pocket?” November 15th 2007
The Economist. 2007, “The End of the Cash Era”, February 15th 2007
The Economist. 2009. “Mobile Marvels: A special report on telecoms in emerging markets”, September 26th 2009
Williams, H. & Torma, M., 2007 'Trust and fidelity: from under the mattress to the mobile phone', in D. Coyle (Ed) The Transformational Potential of m-Transactions, Policy Paper Series, No.6, Vodaphone, London. - http://www.vodaphone.com/m-transactions