Cahier FINANcité n°14 : Recherche juridique relative aux financiers alternatifs - Seconde partie
Wechselseitiges Lernen über Finanzielle Eingliederung
Rapport ISR 2007
Rapport d'évaluation sur la gestion de l'argent public ou à caractère public sous l'angle de l'investissement socialement responsable.
Rapport d'évaluation sur la gestion de l'argent public ou à caractère public sous l'angle de l'investissement socialement responsable.
La banque Triodos fête ses quinze ans d'existence : bilan et perspectives
Contexte
Fin des années soixante, quatre Néerlandais — Adriaan Deking Dura (économiste), Dieter Brüll (professeur de droit fiscal), Lex Bos (conseil en organisation) et Rudolf Mees (banquier) — joignent leurs forces pour repenser la manière de gérer l’argent. Ils créent une fondation qui se charge de mettre en relation prêteurs et entrepreneurs novateurs. Sous leur impulsion, Triodos Bank NV commence ses activités bancaires et de crédit en 1983. Dix ans plus tard, la Banque Triodos belge voit le jour. Depuis lors, elle s’est taillé une réputation solide dans le domaine bancaire et fête, cette année, ses quinze ans de présence en Belgique.
La philosophie de la Banque Triodosest de se dédier au financement « des entreprises, des institutions et des projets à valeur ajoutée dans les domaines social, environnemental et culturel2 ». Ceci se fait à travers « les capitaux que lui confient les épargnants et les investisseurs désireux d'encourager le développement d'entreprises novatrices et responsables ».
Ainsi, sa manière de fonctionner s’inscrit clairement dans la démarche du développement durable, car elle désire implicitement considérer les aspects environnementaux et sociaux en plus des aspects financiers des projets qu’elle finance. Il s’agit, en fait, de la « triple approche, dite des trois 'P' (Personne, Planète, Profit) »,d’où le nom Triodos venant du grec tri hodos signifiant 'trois chemins'.
Bilan
En quinze ans d’activités, la Banque Triodos peut se targuer de toute une série de succès sur différents plans. Citons quelques exemples, parmi les plus récents. À commencer par la création, dès 1994, en collaboration avec des ONG — dont le Réseau Financement Alternatif —, des particuliers et des entreprises, de la société coopérative Alterfin. Cet organisme vise à promouvoir le microcrédit et le commerce équitable par des investissements en Asie, Afrique et Amérique latine3
En 2000, afin de marquer de manière plus officielle et systématique son engagement en faveur de l’environnement, toutes les succursales de Triodos obtiennent la certification de la norme ISO 14001. Plus récemment et ici en Belgique, en 2007, l’Institut bruxellois pour la gestion de l'environnement (IBGE) a attribué le label « Entreprise écodynamique » à deux étoiles4 à la succursale belge pour sa gestion environnementale en termes d’impacts et de performance.
La même année, Test-Achats mène une enquête sur « l’éthique générale » de sept banques belges, les questionnant sur leurs politiques éthiques (au regard des droits de l’homme, du réchauffement climatique…), leurs politiques sectorielles (par exemple, en matière d’armement, de secteur minier…), leur politique fiscale (présence ou non dans des paradis fiscaux) et leur transparence en général. Il en ressort que la Banque Triodos se situe clairement « au-dessus du lot »5.
De même, cette position de banque responsable et durable est largement corroborée par l’étude6 menée par Netwerk Vlaanderen sur le risque d’investissement nuisible. Une fois de plus, par rapport aux autres banques belges étudiées, la Banque Triodos se positionne première et obtient le score « faible » en termes d’investissement nuisible. Il est à noter, toutefois, que ce n’est pas la meilleure note possible – il existe un score « très faible » qu’aucune des banques étudiées n’obtient –, Netwerk Vlaanderen déclarant que la Banque Triodos mène « une politique d'investissement insuffisante sur le thème de la liberté et de la démocratie »7.
Enfin, le magazine Trends-Tendances nomine le directeur de la Banque Triodos, Olivier Marquet, au titre de Manager de l'Année 2008, parmi d’autres entrepreneurs de tous horizons. Cette nomination donne un coup de projecteur sur la réussite de la banque à conjuguer développement durable et activité bancaire, mais souligne aussi les défis à venir, comme la manière dont la direction devra gérer la croissance de la banque en restant fidèle à ses principes. Reste à voir si cette candidature se transformera en tenant du titre…
Sur le plan des produits et services, la succursale belge s’adresse aux particuliers comme aux entreprises avec une gamme variée. Aux premiers, elle propose quatre comptes d’épargne ciblant différents types d’épargnants8 et trois fonds de placement9 qui investissent tous dans des entreprises durables et innovantes. Une troisième manière de placer son argent éthiquement est d’acquérir directement des certificats d'actions de la Banque Triodos. Enfin, pour les épargnants plus fortunés (au-dessus de 400 000 EUR), elle propose une gestion de fortune durable10.
À ses clients professionnels, la banque Triodos offre également des comptes d’épargne et des comptes à terme11, mais aussi des comptes à vue – non disponibles dans l’offre pour les particuliers. Toutefois, c’est son offre crédit qui la rend si attrayante pour les entrepreneurs soucieux d’obtenir des liquidités. Elle propose diverses possibilités, allant du crédit d'investissement au crédit de caisse, en passant par des avances fixes, une garantie bancaire ou un préfinancement de subsides. De plus, en octobre 2008, elle lance le crédit hypothécaire « passif », prêt innovant, car internalisant les économies à venir dans le calcul du montant prêté12.
La qualité de ses produits au regard des critères extrafinanciers est reconnue. D’après un rapport rédigé par un groupe d’ONG13, l’un de ses fonds de placement – le Triodos Values Pioneer Fund – est classé comme le « meilleur fonds écologique durable » parmi une série de fonds dits verts sélectionnés dans six banques belges. De plus, l’ensemble de ses produits et fonds est très bien coté sur les plans éthique et solidaire par la dernière mise à jour de la base de données des produits bancaires dits d’investissements socialement responsables mise en lignepar le Réseau Financement Alternatif14.
Du fait de son approche pionnière dans la manière d’exercer l’activité bancaire, Triodos a acquis une importante expertise dans les dossiers concernant la technologie des énergies renouvelables et la culture en général. En ce qui concerne le premier de ces aspects, comme les préoccupations écologiques occupent une place de plus en plus importante dans les esprits, les grandes banques se penchent désormais aussi sur le sujet. Mais selon le directeur de la Banque Triodos, celle-ci aurait « toujours une longueur d’avance dans ce domaine. »15 Seconde spécialisation de la Banque Triodos : sa longue expérience dans le secteur culturel, qui fait d’elle une référence en la matière. Ces expertises font certainement partie des plus grands atouts de la Banque Triodos.
Mais alors quelles sont les faiblesses de la Banque Triodos ? Si l’on considère les trois axes du développement durable, elle est incontestablement exemplaire sur le plan environnemental. En revanche, sur le plan social, malgré les efforts déployés, la Banque Triodos Belgique n’y investit, en 2007, que 10,1 % de ses projets. Si l’on compare avec les 55,3 % investis dans le secteur « nature et environnement » et les 30,4 % investis dans le domaine « culture et non-marchand », un meilleur équilibre serait envisageable et même souhaitable16. C’est d’ailleurs le cas quand on regarde l’ensemble de Triodos : « nature et environnement » 39,4 % ; « économie sociale » 23,1 % ; et « culture et non-marchand » 34,9 % (autres : 2,2%). Enfin, sur le plan strictement économique, certains lui reprochent ses taux d'intérêt peu alléchants, bien que ceux-ci au bout du compte se situent tout à fait dans la moyenne. D'autres pointent son retour sur investissement, inférieur à celui des autres banques belges. Mais, il faut savoir que ses actionnaires n’ont pas choisi la Banque Triodos par hasard, ils préfèrent très probablement un rendement financier moindre pour un rendement éthique plus élevé.
La Banque Triodos est un modèle en termes de transparence dans un secteur invoquant souvent le « secret bancaire ». Elle publie régulièrement la destination des crédits qu’elle accorde dans son magazine, affiche sur son site Internet les pourcentages d’octroi de crédit par secteur et les modalités précises pour introduire une demande. Toutefois, elle ne mentionne pas les montants octroyés et ne fournit pas une liste exhaustive des crédits accordés. Il est donc toujours possible de s’améliorer…
Un handicap certain de la Banque Triodos réside dans le fait qu’elle soit une « deuxième » banque. L’excellent service qu’elle propose en termes de placement et d’investissement ne remplace pas le fait qu’elle n’offre pas de compte courant (avec une carte de débit) aux particuliers. Les clients belges sont donc obligés de disposer d’un compte dans une autre banque pour leurs opérations courantes. À quand le compte courant pour réunir plus de clients ?
Une dernière critique souvent citée, mais qui semble déplacée, vise le fait que Triodos soit proche du mouvement anthroposophe17. Ce mouvement est controversé, car il semblerait que son fondateur, l’Autrichien-hongrois Rudolf Steiner, ait tenu des propos racistes et discriminatoires18. Toutefois, nous trouvons que cela ne doit pas entacher la réputation de la Banque Triodos, car celle-ci n’adhère en rien à des pratiques discriminatoires ou racistes. De plus, il semblerait que « quelques-unes des banques qui s’étaient d’abord clairement orientées sur la philosophie anthroposophique s’en sont entre-temps distanciées, notamment le groupe Triodos ».19
Perspectives
Le sujet incontournable du moment est la crise financière. Comment réagit la Banque Triodos face à ces turbulences ? Elle reste zen et rassure, comme toutes les banques, ses clients sur l’avenir. Toutefois, même si la crédibilité des institutions bancaires auprès du grand public est fortement ébranlée, les arguments avancés par Triodos sont cohérents avec une réelle tradition de transparence. Peter Blom, directeur général de la Triodos Bank NV affirme que la crise ne touche pas Triodos, car elle possède « une forte solvabilité, une bonne liquidité et de solides atouts »20. Plus concrètement, le directeur de la Banque Triodos explique ceci par le fait que la banque « finance exclusivement l’économie réelle et garantit une transparence absolue »21.
Et dans un futur plus lointain ? La Banque Triodos souhaite poursuivre sa croissance selon sa recette actuelle en quatre points dévoilée dans La Libre Belgique22 :
- continuer sa politique de transparence ;
- n’investir que dans l’économie réelle ;
- chercher à faire des bénéfices, mais « comme un moyen et non comme un but en soi » ;
- ne pas être cotée en Bourse.
Sur ce dernier élément, il est intéressant de noter, surtout dans le contexte actuel de crise financière, que Triodos a mis en place un dispositif particulier pour ne pas être victime d’OPA hostile – dispositif qui se révèle également précieux pour éviter des spéculations contrastées. Afin de préserver son identité et son indépendance, toutes ses actions sont détenues par le Stichting Administratiekantoor Aandelen Triodos (SAAT), une fondation spécifique régie par la loi néerlandaise. Le SAAT émet des certificats pour les actions de la Banque Triodos qui sont, elles, détenues par le grand public. Toutefois – et c’est là l’envers de la médaille –, ce dispositif a une approche top-down qui limite sérieusement l’influence des détenteurs de certificats d’actions, des clients et de la société. Ceci amène à s’interroger sur la démocratie économique de ce système.
Quoi qu’il en soit, pour continuer à croître, la Banque Triodos devra agir sur différents plans. Du point de vue des services, l’élargissement de sa gamme — offrir un compte à vue paraît l’option la plus logique — semble crucial afin de pouvoir se présenter comme une banque complète. La Banque Triodos a également sondé ses clients actuels sur leur intérêt par rapport à une épargne-pension éthique. Ce pourrait être un complément intéressant aux services déjà proposés. Sur le plan de l’expertise, il faudra rester la référence dans les domaines environnementaux et culturels qui deviennent de plus en plus compétitifs.
Côté chiffres, la Banque Triodos devra veiller à ne pas être victime de son succès. Elle a toujours joué son rôle de banquier, certes cherchant à financer des activités promouvant le développement durable, mais invariablement dans une démarche économiquement viable. Elle doit donc, si la demande de crédit venait à devenir trop grande par rapport à l’encours de dépôts, veiller à ne pas créer une tension au niveau de la gestion du risque. Et inversement, si l’encours de l’épargne venait à dépasser trop largement la demande de crédit, être sûre d’avoir assez de projets culturels, environnementaux et sociaux pour absorber l’épargne des clients23. Il faut donc contrôler la croissance en gardant un bon équilibre financier, mais également en restant en accord avec ses principes.
En quinze ans de présence en Belgique, la Banque Triodos a connu une croissance constante, joui d’une réputation grandissante et construit une solide expertise. C’est un bilan très positif tant pour la banque que pour le développement des activités culturelles, environnementales et sociétales belges. Les perspectives semblent réjouissantes, même si la Banque Triodos devra faire face à de nouveaux défis, au nombre desquels celui de maîtriser sa croissance tout en demeurant fidèle à son credo tri hodos…
Annika Cayrol, décembre 2008
1 Pour plus de clarté, dans cet article nous désignerons la succursale belge par Banque Triodos et la maison mère par Triodos Bank NV. Nous utiliserons Triodos tout simplement quand il s'agit d'éléments concernant l'esprit général de la banque.
2 Voir le site www.triodos.be
3 Voir site Internet d’Alterfin : www.alterfin.be
5 Dixit Christian Rousseau, en charge de la responsabilité sociale des entreprises chez Test-Achats.
6 Netwerk Vlaanderen i.s.m. BankTrack, Ending Harmful Investments, juin 2008.
7 Pour plus de détails, lire « Risque d'investissements nuisibles par Triodos Bank », consultable en ligne : http://www.netwerkvlaanderen.be/fr/index.php?option=com_content&task=view&id=290&Itemid=265
8 Les comptes d'épargne Triodos, Triodos Junior et Triodos Plus ainsi que le compte à terme Triodos.
9 Triodos Values Pioneer Fund, Triodos Values Equity Fund et Triodos Values Bond Fund.
10 En partenariat avec Puilaetco-Dewaay Private Bankers.
11 Compte à terme Triodos (court), Compte d'épargne Triodos, Compte d'épargne Triodos Plus, Compte à terme Triodos, Compte à vue Triodos Business et Compte à vue Triodos Internet Banking Business.
12 Voir https://www.triodos.be/be/whats_new/news/general/1211053 pour plus de détails.
13 Bond Beter Leefmilieu, Friends of the Earth, Greenpeace et WWF, Beleggers op hete kolen, mai 2008, disponible en ligne : http://www.netwerkvlaanderen.be/nl/index.php?option=com_content&task=view&id=522&Itemid=314
14 Pour plus de détails sur les cotations des produits de la Banque Triodos, voir la base de données mise en ligne en décembre 2008 : https://www.financite.be/mon-argent/les-produits-ethiques-et-solidaires,fr,412,95,1.html
15 « Olivier Marquet dans Triodos n’est plus une banque alternative! », sur trends.be, 28/02/2008
16 Les 4, 2% restants sont catégorisés dans « autres » et incluent les octrois de crédits aux particuliers.
17 Commission d’enquête parlementaire belge sur les pratiques illégales des sectes - Audition de MM. J. Borghs et L. Vandecasteele, administrateurs de la Société Anthroposophique en Belgique, 28 mars 1997, disponible en ligne : www.voltairenet.org/article3193.html
18 Pour plus de détails sur le sujet, lire l’article du dictionnaire Les Sceptiques du Québec : http://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/steiner.html
19 Eric Gremmelmaier et René Hornung, « Anthroposophie, éthique et politique » in Moneta, 26 juin 2006
20 Peter Blom, Our response to the financial crisis, 02/10/2008
21 Olivier Marquet, « Résultats semestriels 2008 de la Banque Triodos », 2008, disponible en ligne : https://www.triodos.be/be/whats_new/news/press_releases/
22 « Investir à Triodos peut changer le monde », G.A. (St.), 20/10/2008, disponible en ligne : http://www.lalibre.be/actu/actualite/article/454127/investir-a-triodos-peut-changer-le-monde.html
23 En effet, les taux de replacement de la Banque Triodos ont été critiqués par le passé car étant relativement bas. Les résultats de 2007 montrent une « proportion entre l’encours des crédits et les fonds confiés à la banque de 45 % ». Alors que la coopérative Crédal a la même année un taux de replacement « frisant les 90 % »…
Née en 1980 à Zeist, aux Pays-Bas, Triodos Bank NV ouvrait une succursale en Belgique en 1993. En quinze ans, la Banque Triodos1 est passée du statut d'acteur bancaire marginal à celui de banque respectable et respectée. Cette analyse se propose de retracer les débuts de la Banque Triodos, d'établir un bilan de son activité en Belgique et d'en détailler les perspectives.
Engagement ou exclusion : quelle est la méthode la plus efficace pour un gestionnaire d'actifs institutionnels ?
Introduction
Dans les faits, un gestionnaire d'actifs institutionnels peut être, entre autres, une société de gestion, une compagnie d'assurance, une caisse de retraite ou un fonds commun de placement. En tout état de cause, son but est d'investir les capitaux qui lui sont confiés dans des actions. Fort de cette mission, il peut influencer la manière dont est utilisé cet argent. C'est ainsi qu'historiquement ce sont des fonds publics, syndicaux ou religieux qui ont voulu orienter les politiques de gestion des entreprises dans lesquelles ils investissaient vers une meilleure prise en compte des facteurs sociaux, environnementaux ou de bonne gouvernance1.
De nos jours – et dans une plus forte mesure encore depuis la crise financière –, les gestionnaires d'actifs institutionnels mettent en place des garde-fous pour assurer une certaine cohérence dans leurs placements. Ainsi, pour augmenter la prise de conscience des critères extrafinanciers, ces différentes organisations appliquent diverses démarches dont celles dites « d'engagement »2 et « d'exclusion »3.
Examinons tout d'abord, ce que signifient ces termes dans le domaine de l'ISR. L'engagement, selon le glossaire de Novethic, média français expert du développement durable et de l’investissement socialement responsable,« est un terme, utilisé surtout dans les pays anglo-saxons, pour désigner une activité de dialogue entre un actionnaire institutionnel (fonds de pension, sociétés de gestion, etc.) et une entreprise dont le but est d'améliorer sa performance financière, à moyen et long terme, en facilitant une meilleure prise en compte des facteurs de risques environnementaux et sociétaux. Quand ce dialogue ne donne aucun résultat, l'investisseur-actionnaire porte le débat sur la place publique, lors des assemblées générales. »4 C’est une sorte d'activisme actionnarial, où le dialogue reste tant que possible dans l'arène privée des entreprises. Il s’agit dès lors d'une méthode dynamique et progressive pour entraîner les entreprises à considérer des aspects environnementaux, sociaux et de transparence.
L'exclusion, ou « screening négatif », ou encore « tamisage négatif », est quant à elle une technique plus brusque. L'auteur de l'article Évolution sémantique de l’investissement socialement responsable5, définit ce concept comme visant « à exclure de son univers d'investissement des entreprises impliquées dans certains secteurs d'activités ou produits et services. [...] L'exclusion sera soit globale – exclusion de l’ensemble du secteur d'activité ou exclusion géographique – soit nuancée, par exemple, exclusion des entreprises dont plus de 10 % du chiffre d'affaires proviennent de la vente d'armes. » Dès lors, la manière dont cette exclusion se fait est plutôt directe et elle peut être perçue comme agressive. Les exemples qui suivent illustrent les avantages et les inconvénients respectifs de ces pratiques.
Deux exemples : F&C Investments en Grande-Bretagne et Kommunal Landspensjonskasse (KLP) en Norvège
Le premier exemple concerne la société de placement F&C Investments. Avec 3 millions de clients, 120 milliards d'euros d'actifs et une présence dans une cinquantaine de pays sur trois continents, cette compagnie de taille relativement importante applique une méthode qu'elle a baptisée Reo ("Responsible Engagement Overlay") qui consiste en trois grandes actions :
- utiliser les actions de leurs clients comme levier pour encourager les entreprises à améliorer leur performance à long terme à travers une meilleure gestion des risques environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance ;
- exercer cette influence à travers l'engagement et le vote ;
- mettre en œuvre les PRI6.
Plus concrètement, l'équipe de Karina Litvack, directrice de la Gouvernance et des Investissements durables, s'attache à faire évoluer les choses de l'intérieur par la technique de l'engagement7. Cette technique se déroule en plusieurs temps. Autant de rendez-vous de dialogue avec l'entreprise ou le secteur concerné que nécessaire sont mis en place pour orienter les décisions des présidents d’entreprises vers un comportement plus respectueux du développement durable.
Le secteur bancaire en Grande-Bretagne fournit depuis plusieurs années un bon exemple de cette pratique. Le gestionnaire F&C Investments interpelle les grandes banques anglaises sur une série de sujets, dont la bonne gouvernance, la tension salariale ou le changement climatique. Une des clefs de la réussite de cette méthode est la fréquence des réunions de dialogue, la participation active à des formations internes des banques ainsi que des sessions de consultation et de feedback avec les décideurs.
Plus particulièrement, la Banque HSBC s’est vu demander des comptes en termes de gestion prudente des risques sur les opérations subprimes aux États-Unis. À la suite de cette démarche d’engagement, la banque a détaillé une série de mesures afin de gérer au mieux ces opérations. F&C Investments continue à exprimer ses craintes à ce sujet et à évaluer les progrès faits en la matière.
La stratégie de dialogue employée par F&C Investments dans ce cas est donc de longue haleine, mais semble apporter une amélioration aux pratiques de la banque en question.
Un deuxième exemple décrit la méthode utilisée par KLP. Malgré son statut « d’une des plus grandes compagnies d'assurance-vie en Norvège », cette entreprise est relativement petite avec ses 442 000 clients et ses 23,12 milliards d’euros d’actifs. Sa manière de gérer les fonds est toutefois très intéressante.
Jeanett Bergan, directrice de l’Investissement socialement responsable, explique la manière de procéder de KLP : « Nous utilisons une stratégie en deux parties : nous utilisons la synergie des méthodes d’engagement et d’exclusion »8. En effet, KLP pratique, d’un côté, l’exclusion selon des critères stricts sur les droits humains, le droit du travail, la protection de l’environnement, l’anti-corruption et les armes9 et, de l’autre, l’engagement afin de faire connaître aux entreprises les démarches à mettre en place ou à rectifier pour faire partie de leur univers d’investissement.
Si certaines entreprises sont exclues d'office du fait de la nature de leurs activités10, comme les entreprises de tabac par exemple, d’autres risquent l’exclusion si elles ne changent pas leur comportement à la suite d’un avertissement du Global Ethic Service (GES), département de KLP analysant les compagnies de manière régulière. Un élément important de la stratégie de KLP : elle publie deux fois par an la liste des entreprises qu’elle exclut de son univers d’investissement et les raisons de cette exclusion.
Un exemple concret est le cas de l’entreprise de services de restauration et de chèques services Sodexho. KLP a d’abord dialogué avec Sodexho pour dénoncer les conditions inhumaines de l’« Immigration Removal Centre — IRC »11 de Harmondsworth en Angleterre géré par Kalyx, une filiale de Sodexho12. Vu les faits de violation des droits humains, elle décide d’exclure Sodexho de son univers d’investissement en 2007 et publie un communiqué de presse sur cette exclusion13. Cette action publique mène Sodexho à régler rapidement la situation à l’IRC et à développer une politique d’entreprise globale sur les droits humains. En décembre 2008, Sodexho réintègre l’univers d’investissement de KLP.
La stratégie de KLP consiste donc en un mélange de dialogue et d’action publique d’exclusion, qui a permis des améliorations concrètes dans le cas décrit.
Conclusions
À travers les deux exemples cités, nous observons que chaque méthode présente des avantages et des inconvénients pour le gestionnaire d'actifs institutionnels. Le tableau ci-dessous en recense les principaux :
|
Avantages de la démarche |
Inconvénients de la démarche |
engagement |
- progressive, dynamique et évolutive - possibilité de réel changement corporatif - identification des risques à la source - maintien de bonnes relations entreprises-actionnaires |
- chronophage - relativement coûteuse |
exclusion |
- impact de levier du public - telle que pratiquée par KLP, non définitive - obtention possible de résultats rapides |
- peut couper court à une relation actionnaire-entreprise |
Ce tableau permet d’observer qu’aucune des deux méthodes n’est radicalement « meilleure » que l’autre. Il montre également que ces techniques peuvent se compléter et faire partie d’une même stratégie pour tendre vers une meilleure prise en compte des facteurs de risques environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance. KLP semble bien tabler sur la complémentarité pour arriver à faire changer le comportement d’importantes multinationales. F&C Investments, quant à elle, cherche plutôt un changement à long terme à coups de rendez-vous et de votes.
En conclusion, les deux méthodes sont valables et une utilisation « synergique » des deux est probablement la voie la plus ferme et la plus efficace pour orienter les entreprises vers un univers d’investissement socialement responsable.
Annika Cayrol
mars 2009
1 Lire les articles L'actionnaire public au balcon ? et Les syndicats et l'investissement responsable de Bernard Bayot, disponibles sur www.financite.be
2 D'origine anglo-saxonne, le terme "engagement" est parfois traduit par l'expression "accompagnement" en français.
3 L’exclusion est une partie de la technique de screening, celle-ci pouvant être négative (exclusion) ou positive (best-in-class). Cet article se limite volontairement à comparer deux pratiques – « engagement » et « exclusion » – qui, à elles deux, ne représentent pas l'ensemble des techniques utilisées.
5 Demoustiez, Alexandra, Évolution sémantique de l’ISR, disponible en ligne : http://www.financite.be/publications/mes-articles/evolution-semantique-de-l-isr-investissement-socialement-responsable,fr,372.html
6 UNPrinciples for Responsible Investment, pour plus d'informations voir : http://www.unpri.org/principles/french.php
7 Conférence Novethic, « Environnement, Social et Gouvernance : nouvelle donne pour les investisseurs institutionnels », 5 décembre 2008
8 Conférence Novethic, « Environnement, Social et Gouvernance : nouvelle donne pour les investisseurs institutionnels », 5 décembre 2008
9 Ces critères proviennent de guidelines tels que les dix principes de l’UN Global Compact, les lignes directrices de l’OCDE sur les multinationales et certaines normes de l’UN.
10 Les entreprises exclues du Fonds de pension du gouvernement norvégien sont automatiquement exclues de leur univers d’investissement.
11 Sorte de lieu de détention où les immigrants sont en attente de rapatriement dans leur pays d’origine, plus d’informations sur : http://www.kalyxservices.com/locations/harmondsworth_irc.aspx
12 Plus d’informations sur : www.klp.no/web/klpmm.nsf/lupgraphics/KLP_list_december_2007.pdf/$file/KLP_list_december_2007.pdf
De plus en plus de gestionnaires d'actifs institutionnels placent leurs avoirs dans l'investissement socialement responsable (ISR). Ils décident de leur univers d'investissement et peuvent influencer les entreprises ou les États qui les composent par divers stratagèmes. Cet article s'attache à comparer les méthodes dites, d'une part, « d'engagement » et, d'autre part, « d'exclusion », à travers deux exemples en Europe.
Les conditions d'un développement de l'économie sociale en Belgique
Netherlands summary CR stage 2
Country report stage 2: Netherlands
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