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Et si l’économie sociale créait une mutuelle d’épargne solidaire ?

Soumis par Anonyme le

Les entreprises d'économie sociale placent encore souvent leurs réserves dans des banques classiques. Aujourd’hui, la crise financière a largement démontré l’échec de ces banques axées uniquement sur le profit et les risques qu'elles représentent pour les épargnants. Pourquoi dès lors ne pas mutualiser l'épargne des entreprises d'économie sociale pour répondre à leurs besoins de financement et pour donner du sens à leur argent ?

Une réflexion a été menée au sein du Réseau Financement Alternatif et s'est développée avec le concours de Crédal et de SAW-B. Cette dernière a organisé un Petit Déjeuner de l’Économie sociale sur la thématique le 27 mai 2009, qui a permis de recueillir les avis et de mieux cerner les besoins d’une vingtaine d’entreprises(1). Il nous a paru intéressant de prolonger cette réflexion en analysant deux exemples étrangers qui peuvent constituer des sources de réflexion à ce sujet.

Le premier nous vient d'Italie et offre la particularité d'être une forme d'épargne obligatoire instituée par la loi pour le monde coopératif. Le second, québécois, est développé sur base volontaire au sein du mouvement d'aide au développement des collectivités et aux entreprises. Deux exemples qui présentent des différences notables entre eux, mais qui ont aussi un double point commun : d'une part, être fondé sur une solidarité entre les adhérents à ces initiatives et, d'autre part, favoriser la circulation et l’accès au capital pour créer toujours de nouvelles opportunités de travail et d'entreprise.

En Italie, les fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération

La loi italienne 59/92 « Nouvelles normes en matière de société coopérative » prévoit en son article 11 la création de fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération dont l'objet social doit consister exclusivement dans la promotion et dans le financement de nouvelles entreprises et d'initiatives de développement de la coopération, avec une préférence pour les programmes dirigés vers l'innovation technologique, l'accroissement de l'emploi et le développement du Sud(2).

Pour réaliser leurs objectifs, ces fonds peuvent promouvoir la constitution de sociétés coopératives ou de sociétés contrôlées par celles-ci, mais aussi financer des programmes spécifiques de développement de sociétés coopératives ou de consortium de telles sociétés, organiser et gérer des cours de formation professionnelle relatifs au parcours de dirigeant administratif ou technique du secteur de la coopération, promouvoir des études et des recherches sur des thèmes économiques et sociaux qui offrent un intérêt important pour le mouvement coopératif.

Les sociétés coopératives doivent destiner à la constitution et à l'accroissement de ces fonds une somme correspondant à 3 % de leurs profits annuels. En outre, ces fonds reçoivent le boni de liquidation des coopératives en liquidation, après déduction du capital versé et réévalué et des dividendes éventuellement dus.

Cette législation met ainsi en oeuvre le principe selon lequel le mouvement coopératif est composé d'entreprises solidaires entre elles. Les fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération réalisent en effet, avec l'argent collecté, une des règles fondamentales que s'est données le mouvement coopératif depuis sa naissance, en récoltant et en réinvestissant une partie des profits réalisés des coopératives existantes pour créer toujours plus de nouvelles opportunités de travail et d'entreprise.

Au Québec, le Fonds commun des SADC(3)

Depuis plus de 25 ans, les 67 sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC) et le Centre d'aide aux entreprises (CAE) sont en relation avec 1240 municipalités et en contact avec 4 220 000 personnes, soit plus d'un Québécois sur deux. Le Réseau des SADC du Québec est un regroupement de ces organismes à but non lucratif qui travaillent à faire émerger le meilleur des régions et à assurer leur développement. Il compte 1 350 bénévoles et 400 professionnels qui trouvent des solutions et qui agissent pour le mieux-être des collectivités locales.

En novembre 1996, la gestion des liquidités dans les fonds d’investissement des SADC s'est révélée une préoccupation importante. Le gouvernement était réticent à l'idée de recapitaliser des SADC dont les fonds n'étaient pas entièrement utilisés. Mais, par ailleurs, d'autres SADC manquaient sérieusement de capital et ne pouvaient répondre aux besoins des entreprises de leur région. Au sein du Réseau, s'est alors développé le projet de création d’une « caisse commune » où les SADC pourraient mettre leurs liquidités pour qu’elles puissent être utilisées par d’autres corporations du Réseau.

Dans un rapport déposé en mai 1998, un consultant recommande de créer un fonds dont la gestion serait confiée à Valeurs mobilières Desjardins, de placer les liquidités dans des actions et obligations pour assurer un rendement attrayant pour les membres, et de prêter les sommes aux SADC sous forme de lettres de garantie de prêt, en partenariat avec le Mouvement Desjardins. Le 30 avril 1999, le Fonds a été créé avec 14 SADC membres.
Le 3 juin 1999, à l’Assemblée de constitution du Fonds commun, les modalités de placement et d’emprunt ont été définies

 

  • le Fonds devra fournir à ses membres un rendement d’au minimum .5 % de plus que ce qu’ils auraient en gardant leur fonds dans leur institution financière locale ;
  • le Fonds ne sera qu’une mesure de dépannage temporaire, dans l’attente de solutions à plus long terme, pour gérer le problème des liquidités et du manque de capitalisation ;
  • les membres devront investir un minimum de 5 millions CAD, soit 3,18 millions €, collectivement avant que le Fonds ne soit définitivement créé ;
  • l’adhésion au Fonds demeurera toujours volontaire et le retrait des membres devra être sans conséquence ;
  • les modalités de placement et de retrait devront être simples, rapides et efficaces.

    En quelques semaines, 15 SADC ont adhéré au Fonds qui a récolté plus de 6 millions CAD (3,82 millions €) auprès de ses membres : le Fonds commun s'est donc mis en place. Cependant, les discussions avec Desjardins sur les garanties de prêts achoppaient. Les administrateurs du Fonds commun ont alors décidé de changer les modalités et de faire des prêts directement aux membres. De son côté, Valeurs mobilières Desjardins qui gérait le Fonds a obtenu, pour la première année, un rendement de 5,9 %. Les SADC pouvaient donc emprunter à des taux très intéressants et le rendement était plus que satisfaisant. Ces résultats ont été suffisants pour convaincre les membres du Réseau de la pertinence de cette solution. À la fin de la première année, 39 SADC avaient adhéré au Fonds commun dont les actifs étaient de 7,3 millions CAD (4,64 millions €).

    Nous sommes alors en 2000 et la Bourse fléchit, entraînant pour tous des pertes importantes. Insatisfaits du travail de Valeurs mobilières Desjardins dans le contexte, le Conseil d’administration du Fonds lui retire le mandat et confie la gestion des placements à Elantis, une filiale de Desjardins spécialisée dans la gestion de ce type de fonds. Les administrateurs s’engagent de plus à récupérer les pertes des membres dans les meilleurs délais.

    Pendant trois ans, le rendement sera pratiquement nul et l’avenir du Fonds précaire. Cependant, pour les huit SADC qui ont déjà emprunté au Fonds, les résultats sont suffisamment importants pour convaincre leurs collègues de poursuivre l’expérience. En 2003, après deux années d’essai avec la firme de placement, le Fonds, conseillé par la Caisse d’économie solidaire, prend un autre virage et simplifie ses modalités de gestion. À l’avenir, les fonds seront placés par la Caisse dans des véhicules complètement sécuritaires, sans pertes de capital. Le rendement sera assuré par les intérêts – très compétitifs – chargés aux emprunteurs. En 2003-04, le Fonds retrouve un rendement positif de 2,6 %.

    En 2006, il est proposé de mettre en place, en collaboration avec les sociétés de capital de risque, un fonds de capital de risque pour stimuler l’injection de capitaux de risque en région et ainsi susciter la relève et le démarrage d’entreprises. Le Fonds de capital de risque porte ses fruits : 40 projets d’investissement réalisés entre janvier 2007 et mars 2008, 26 en relève et 14 en démarrage d’entreprises. Et pour faire face à la crise financière qui frappe les PME, fort de l’expertise de ses membres en financement d’entreprises, le Réseau des SADC met à la disposition des PME depuis janvier 2009 des capitaux pour consolider leur fonds de roulement. En quelques semaines, 14 millions CAD (8,9 millions €) de demandes seront analysées et 91 entreprises auront accès à cette mesure de 9,6 millions CAD (6,1 millions €).

    Le Fonds commun, qui fête ses 10 années, est ainsi devenu un véhicule financier performant et très utile tant à ses membres qu’aux entreprises des régions. L’actif du Fonds commun est de 41,2 millions CAD (26,22 millions €). Le rendement de 2008-09 est à 4 %, ce qui constitue un grand succès à l’heure où toutes les Bourses et les propriétaires de fonds ont vu leurs avoirs réduits de façon importante. Plus de 369 transactions sont effectuées annuellement pour des prêts totaux de 18 millions CAD (11,45 millions €). Les problématiques de départ – la gestion des liquidités et l’accès au capital – qui ont engendré la création du Fonds, ont ainsi trouvé des solutions.

Et en Belgique ?

De l'exemple italien, nous tirerons une idée forte, celle de l'appartenance au secteur de l'économie sociale et de la solidarité des entreprises composant celle-ci. Ne nous voilons pas la face : au-delà d'un discours convenu, cette appartenance et cette solidarité en Wallonie et à Bruxelles sont encore largement à conforter, même si on peut considérer l'évolution de ces dernières années comme positive. La création d'un outil financier systémique qui, tout à la fois, symbolise et matérialise cette appartenance et cette solidarité viendrait donc à point nommé pour les renforcer.

Du Québec, nous retiendrons la nécessaire confiance dans les capacités du secteur. Nul besoin – et la récente crise financière nous le confirme – de se laisser attirer par les sirènes du marché des capitaux; bien plus, gare à leurs chants qui peuvent s'avérer dangereux pour une gestion financière saine et durable. L'économie sociale peut et doit donc se tourner vers elle-même pour trouver des canaux de financement de ses activités, qui soient à la fois sûrs et accessibles à nos entreprises.
Appartenance à, solidarité et capacité de l'économie sociale, des enjeux qu'une mutuelle d'épargne pourrait utilement rencontrer en Wallonie et à Bruxelles, en se fondant sur les précédents italiens et québécois.

Bernard Bayot

Décembre 2009

(1) Ariane Dewandre et Isabelle Philippe, Mutualiser l’épargne des entreprises d’économie sociale : une réponse aux besoins de financement du secteur ?, SAW-B, juin 2009, http://saw-b.be/EP/2009/A0905.pdf.

(2) http://www.ilfontanile.it/areasociale/legge_59_92.htm.

(3) Ce chapitre a pu être écrit grâce aux informations aimablement communiquées par Madame Hélène Deslauriers, Directrice générale du Réseau des SADC du Québec.

http://www.ilfontanile.it/areasociale/legge_59_92.htm.

Annexe 1

Loi italienne 59/92 « Nouvelles normes en matière de société coopérative »

Article 11

Fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération

1.Les associations nationales de représentation, d'assistance et défense du mouvement coopératif, reconnues au sens de l'article 5 du décret législatif précité du Chef provisoire de l'État du 14 décembre 1947, n.1577, et les modifications ultérieures, et celles reconnues sur la base des lois adoptées par les régions à statut spécial, peuvent constituer des fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération. Les fonds peuvent être gérés sans but de lucre par des sociétés par actions ou des associations.

2.L'objet social doit consister exclusivement dans la promotion et dans le financement de nouvelles entreprises et d'initiatives de développement de la coopération, avec une préférence pour les programmes dirigés vers l'innovation technologique, l'accroissement de l'emploi et le développement du Sud.

3.Pour réaliser leurs objectifs, les fonds visés à l'alinéa 1 peuvent promouvoir la constitution de sociétés coopératives ou de sociétés contrôlées par celles-ci. Ils peuvent aussi financer des programmes spécifiques de développement de sociétés coopératives ou de consortium de telles sociétés, organiser et gérer des cours de formation professionnelle relatifs au parcours de dirigeant administratif ou technique du secteur de la coopération, promouvoir des études et des recherches sur des thèmes économiques et sociaux qui offrent un intérêt important pour le mouvement coopératif.

4.Les sociétés coopératives et leurs consortiums, membres des associations reconnues visées à l'alinéa 1, doivent destiner à la constitution et à l'accroissement du fonds constitué par l'association à laquelle ils adhèrent une somme correspondant à 3 % de leurs profits annuels. Pour les organismes coopératifs régis par le décret royal du 26 août 1937, n.1706, et les modifications ultérieures, la somme correspondant à 3 % est calculée sur la de base des profits nets des réserves obligatoires.

5.Il doit en outre être transmis aux fonds visés à l'alinéa 1 le patrimoine restant des coopératives en liquidation, après déduction du capital versé et réévalué et des dividendes éventuellement dus, dont il est question au premier alinéa, c), de l'article 26 du décret législatif précité du Chef provisoire de l'État du 14 décembre 1947, n.1577, et les modifications ultérieures.

6.Les sociétés coopératives et leurs consortiums qui ne sont pas membres d'associations reconnues visées à l'alinéa 1, ou qui sont membres d'associations qui n'ont pas constitué le fonds dont il est question à cet alinéa, répondent à l'obligation visée à l'alinéa 4 par le versement d'une partie des profits conformément à l'art.20.

7.Les sociétés coopératives et leurs consortiums soumis au contrôle des régions à statut spécial, qui ne sont pas membres d'associations reconnues visées à l'alinéa 1 ou qui sont membres d'associations qui n'ont pas constitué le fonds dont il est question à cet alinéa, effectuent le paiement prévu à l'alinéa 4 dans le fonds régional ad hoc, là où un tel fonds a été constitué, ou, à défaut, selon les modalités visées à l'alinéa 6.

8.L'État et les organismes publics peuvent financer des projets spécifiques qui sont mis en oeuvre par les organismes de gestion des fonds visés à l'alinéa 1 ou par l'administration publique et qui poursuivent les objectifs visés à l'alinéa 2. Les fonds peuvent être aussi alimentés par des contributions provenant de sujets privés.

9.Les versements effectués au profit des fonds par les sujets visés à l'article 87, alinéa 1, a), du texte unique des impôts sur les revenus, approuvé par le décret du Président de la République du 22 décembre 1986, n. 917, sont exemptés d'impôts et sont déductibles, dans la limite des 3 pour cent, de la base imposable du sujet qui effectue le paiement.

10.Les sociétés coopératives et leurs consortiums qui n'obéissent pas aux dispositions du présent perdent le droit aux bénéfices de nature fiscale et autre prévues par la réglementation en vigueur.

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Décembre

L'investissement socialement responsable II. Le marché

Soumis par Anonyme le
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L'investissement socialement responsable I. Le contexte législatif et politique

Soumis par Anonyme le
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2005

Et si l'économie sociale créait une mutuelle d'épargne solidaire?

Soumis par Anonyme le

Les entreprises d'économie sociale placent encore souvent leurs réserves dans des banques classiques. Aujourd’hui, la crise financière a largement démontré l’échec de ces banques axées uniquement sur le profit et les risques qu'elles représentent pour les épargnants. Pourquoi dès lors ne pas mutualiser l'épargne des entreprises d'économie sociale pour répondre à leurs besoins de financement et pour donner du sens à leur argent ?

Une réflexion a été menée au sein du Réseau Financement Alternatif et s'est développée avec le concours de Crédal et de SAW-B. Cette dernière a organisé un Petit Déjeuner de l’Économie sociale sur la thématique le 27 mai 2009, qui a permis de recueillir les avis et de mieux cerner les besoins d’une vingtaine d’entreprises (1). Il nous a paru intéressant de prolonger cette réflexion en analysant deux exemples étrangers qui peuvent constituer des sources de réflexion à ce sujet.

Le premier nous vient d'Italie et offre la particularité d'être une forme d'épargne obligatoire instituée par la loi pour le monde coopératif. Le second, québécois, est développé sur base volontaire au sein du mouvement d'aide au développement des collectivités et aux entreprises. Deux exemples qui présentent des différences notables entre eux, mais qui ont aussi un double point commun : d'une part, être fondé sur une solidarité entre les adhérents à ces initiatives et, d'autre part, favoriser la circulation et l’accès au capital pour créer toujours de nouvelles opportunités de travail et d'entreprise.

 

En Italie, les fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération

La loi italienne 59/92 « Nouvelles normes en matière de société coopérative » prévoit en son article 11 la création de fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération dont l'objet social doit consister exclusivement dans la promotion et dans le financement de nouvelles entreprises et d'initiatives de développement de la coopération, avec une préférence pour les programmes dirigés vers l'innovation technologique, l'accroissement de l'emploi et le développement du Sud (2).

Pour réaliser leurs objectifs, ces fonds peuvent promouvoir la constitution de sociétés coopératives ou de sociétés contrôlées par celles-ci, mais aussi financer des programmes spécifiques de développement de sociétés coopératives ou de consortium de telles sociétés, organiser et gérer des cours de formation professionnelle relatifs au parcours de dirigeant administratif ou technique du secteur de la coopération, promouvoir des études et des recherches sur des thèmes économiques et sociaux qui offrent un intérêt important pour le mouvement coopératif.

Les sociétés coopératives doivent destiner à la constitution et à l'accroissement de ces fonds une somme correspondant à 3 % de leurs profits annuels. En outre, ces fonds reçoivent le boni de liquidation des coopératives en liquidation, après déduction du capital versé et réévalué et des dividendes éventuellement dus.

Cette législation met ainsi en oeuvre le principe selon lequel le mouvement coopératif est composé d'entreprises solidaires entre elles. Les fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération réalisent en effet, avec l'argent collecté, une des règles fondamentales que s'est données le mouvement coopératif depuis sa naissance, en récoltant et en réinvestissant une partie des profits réalisés des coopératives existantes pour créer toujours plus de nouvelles opportunités de travail et d'entreprise.

Au Québec, le Fonds commun des SADC (3)

Depuis plus de 25 ans, les 67 sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC) et le Centre d'aide aux entreprises (CAE) sont en relation avec 1240 municipalités et en contact avec 4 220 000 personnes, soit plus d'un Québécois sur deux. Le Réseau des SADC du Québec est un regroupement de ces organismes à but non lucratif qui travaillent à faire émerger le meilleur des régions et à assurer leur développement. Il compte 1 350 bénévoles et 400 professionnels qui trouvent des solutions et qui agissent pour le mieux-être des collectivités locales.

En novembre 1996, la gestion des liquidités dans les fonds d’investissement des SADC s'est révélée une préoccupation importante. Le gouvernement était réticent à l'idée de recapitaliser des SADC dont les fonds n'étaient pas entièrement utilisés. Mais, par ailleurs, d'autres SADC manquaient sérieusement de capital et ne pouvaient répondre aux besoins des entreprises de leur région. Au sein du Réseau, s'est alors développé le projet de création d’une « caisse commune » où les SADC pourraient mettre leurs liquidités pour qu’elles puissent être utilisées par d’autres corporations du Réseau.

Dans un rapport déposé en mai 1998, un consultant recommande de créer un fonds dont la gestion serait confiée à Valeurs mobilières Desjardins, de placer les liquidités dans des actions et obligations pour assurer un rendement attrayant pour les membres, et de prêter les sommes aux SADC sous forme de lettres de garantie de prêt, en partenariat avec le Mouvement Desjardins. Le 30 avril 1999, le Fonds a été créé avec 14 SADC membres. Le 3 juin 1999, à l’Assemblée de constitution du Fonds commun, les modalités de placement et d’emprunt ont été définies :

  • le Fonds devra fournir à ses membres un rendement d’au minimum .5 % de plus que ce qu’ils auraient en gardant leur fonds dans leur institution financière locale ;
  • le Fonds ne sera qu’une mesure de dépannage temporaire, dans l’attente de solutions à plus long terme, pour gérer le problème des liquidités et du manque de capitalisation ;
  • les membres devront investir un minimum de 5 millions CAD, soit 3,18 millions €, collectivement avant que le Fonds ne soit définitivement créé ;
  • l’adhésion au Fonds demeurera toujours volontaire et le retrait des membres devra être sans conséquence ;
  • les modalités de placement et de retrait devront être simples, rapides et efficaces.

En quelques semaines, 15 SADC ont adhéré au Fonds qui a récolté plus de 6 millions CAD (3,82 millions €) auprès de ses membres : le Fonds commun s'est donc mis en place. Cependant, les discussions avec Desjardins sur les garanties de prêts achoppaient. Les administrateurs du Fonds commun ont alors décidé de changer les modalités et de faire des prêts directement aux membres. De son côté, Valeurs mobilières Desjardins qui gérait le Fonds a obtenu, pour la première année, un rendement de 5,9 %. Les SADC pouvaient donc emprunter à des taux très intéressants et le rendement était plus que satisfaisant. Ces résultats ont été suffisants pour convaincre les membres du Réseau de la pertinence de cette solution. À la fin de la première année, 39 SADC avaient adhéré au Fonds commun dont les actifs étaient de 7,3 millions CAD (4,64 millions €).

Nous sommes alors en 2000 et la Bourse fléchit, entraînant pour tous des pertes importantes. Insatisfaits du travail de Valeurs mobilières Desjardins dans le contexte, le Conseil d’administration du Fonds lui retire le mandat et confie la gestion des placements à Elantis, une filiale de Desjardins spécialisée dans la gestion de ce type de fonds. Les administrateurs s’engagent de plus à récupérer les pertes des membres dans les meilleurs délais.

Pendant trois ans, le rendement sera pratiquement nul et l’avenir du Fonds précaire. Cependant, pour les huit SADC qui ont déjà emprunté au Fonds, les résultats sont suffisamment importants pour convaincre leurs collègues de poursuivre l’expérience. En 2003, après deux années d’essai avec la firme de placement, le Fonds, conseillé par la Caisse d’économie solidaire, prend un autre virage et simplifie ses modalités de gestion. À l’avenir, les fonds seront placés par la Caisse dans des véhicules complètement sécuritaires, sans pertes de capital. Le rendement sera assuré par les intérêts – très compétitifs – chargés aux emprunteurs. En 2003-04, le Fonds retrouve un rendement positif de 2,6 %.

En 2006, il est proposé de mettre en place, en collaboration avec les sociétés de capital de risque, un fonds de capital de risque pour stimuler l’injection de capitaux de risque en région et ainsi susciter la relève et le démarrage d’entreprises. Le Fonds de capital de risque porte ses fruits : 40 projets d’investissement réalisés entre janvier 2007 et mars 2008, 26 en relève et 14 en démarrage d’entreprises. Et pour faire face à la crise financière qui frappe les PME, fort de l’expertise de ses membres en financement d’entreprises, le Réseau des SADC met à la disposition des PME depuis janvier 2009 des capitaux pour consolider leur fonds de roulement. En quelques semaines, 14 millions CAD (8,9 millions €) de demandes seront analysées et 91 entreprises auront accès à cette mesure de 9,6 millions CAD (6,1 millions €).

Le Fonds commun, qui fête ses 10 années, est ainsi devenu un véhicule financier performant et très utile tant à ses membres qu’aux entreprises des régions. L’actif du Fonds commun est de 41,2 millions CAD (26,22 millions €). Le rendement de 2008-09 est à 4 %, ce qui constitue un grand succès à l’heure où toutes les Bourses et les propriétaires de fonds ont vu leurs avoirs réduits de façon importante. Plus de 369 transactions sont effectuées annuellement pour des prêts totaux de 18 millions CAD (11,45 millions €). Les problématiques de départ – la gestion des liquidités et l’accès au capital – qui ont engendré la création du Fonds, ont ainsi trouvé des solutions.

Et en Belgique ?

De l'exemple italien, nous tirerons une idée forte, celle de l'appartenance au secteur de l'économie sociale et de la solidarité des entreprises composant celle-ci. Ne nous voilons pas la face : au-delà d'un discours convenu, cette appartenance et cette solidarité en Wallonie et à Bruxelles sont encore largement à conforter, même si on peut considérer l'évolution de ces dernières années comme positive. La création d'un outil financier systémique qui, tout à la fois, symbolise et matérialise cette appartenance et cette solidarité viendrait donc à point nommé pour les renforcer.

Du Québec, nous retiendrons la nécessaire confiance dans les capacités du secteur. Nul besoin – et la récente crise financière nous le confirme – de se laisser attirer par les sirènes du marché des capitaux; bien plus, gare à leurs chants qui peuvent s'avérer dangereux pour une gestion financière saine et durable. L'économie sociale peut et doit donc se tourner vers elle-même pour trouver des canaux de financement de ses activités, qui soient à la fois sûrs et accessibles à nos entreprises.

Appartenance à, solidarité et capacité de l'économie sociale, des enjeux qu'une mutuelle d'épargne pourrait utilement rencontrer en Wallonie et à Bruxelles, en se fondant sur les précédents italiens et québécois.

Bernard Bayot

Décembre 2009

 

(1) Ariane Dewandre et Isabelle Philippe, Mutualiser l’épargne des entreprises d’économie sociale : une réponse aux besoins de financement du secteur ?, SAW-B, juin 2009, http://saw-b.be/EP/2009/A0905.pdf.

(2) http://www.ilfontanile.it/areasociale/legge_59_92.htm.

(3) Ce chapitre a pu être écrit grâce aux informations aimablement communiquées par Madame Hélène Deslauriers, Directrice générale du Réseau des SADC du Québec.

 

Annexe 1

Loi italienne 59/92 « Nouvelles normes en matière de société coopérative »

Article 11
Fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération

1.Les associations nationales de représentation, d'assistance et défense du mouvement coopératif, reconnues au sens de l'article 5 du décret législatif précité du Chef provisoire de l'État du 14 décembre 1947, n.1577, et les modifications ultérieures, et celles reconnues sur la base des lois adoptées par les régions à statut spécial, peuvent constituer des fonds mutualistes pour la promotion et le développement de la coopération. Les fonds peuvent être gérés sans but de lucre par des sociétés par actions ou des associations.

2.L'objet social doit consister exclusivement dans la promotion et dans le financement de nouvelles entreprises et d'initiatives de développement de la coopération, avec une préférence pour les programmes dirigés vers l'innovation technologique, l'accroissement de l'emploi et le développement du Sud.

3.Pour réaliser leurs objectifs, les fonds visés à l'alinéa 1 peuvent promouvoir la constitution de sociétés coopératives ou de sociétés contrôlées par celles-ci. Ils peuvent aussi financer des programmes spécifiques de développement de sociétés coopératives ou de consortium de telles sociétés, organiser et gérer des cours de formation professionnelle relatifs au parcours de dirigeant administratif ou technique du secteur de la coopération, promouvoir des études et des recherches sur des thèmes économiques et sociaux qui offrent un intérêt important pour le mouvement coopératif.

4.Les sociétés coopératives et leurs consortiums, membres des associations reconnues visées à l'alinéa 1, doivent destiner à la constitution et à l'accroissement du fonds constitué par l'association à laquelle ils adhèrent une somme correspondant à 3 % de leurs profits annuels. Pour les organismes coopératifs régis par le décret royal du 26 août 1937, n.1706, et les modifications ultérieures, la somme correspondant à 3 % est calculée sur la de base des profits nets des réserves obligatoires.

5.Il doit en outre être transmis aux fonds visés à l'alinéa 1 le patrimoine restant des coopératives en liquidation, après déduction du capital versé et réévalué et des dividendes éventuellement dus, dont il est question au premier alinéa, c), de l'article 26 du décret législatif précité du Chef provisoire de l'État du 14 décembre 1947, n.1577, et les modifications ultérieures.

6.Les sociétés coopératives et leurs consortiums qui ne sont pas membres d'associations reconnues visées à l'alinéa 1, ou qui sont membres d'associations qui n'ont pas constitué le fonds dont il est question à cet alinéa, répondent à l'obligation visée à l'alinéa 4 par le versement d'une partie des profits conformément à l'art.20.

7.Les sociétés coopératives et leurs consortiums soumis au contrôle des régions à statut spécial, qui ne sont pas membres d'associations reconnues visées à l'alinéa 1 ou qui sont membres d'associations qui n'ont pas constitué le fonds dont il est question à cet alinéa, effectuent le paiement prévu à l'alinéa 4 dans le fonds régional ad hoc, là où un tel fonds a été constitué, ou, à défaut, selon les modalités visées à l'alinéa 6.

8.L'État et les organismes publics peuvent financer des projets spécifiques qui sont mis en oeuvre par les organismes de gestion des fonds visés à l'alinéa 1 ou par l'administration publique et qui poursuivent les objectifs visés à l'alinéa 2. Les fonds peuvent être aussi alimentés par des contributions provenant de sujets privés.

9.Les versements effectués au profit des fonds par les sujets visés à l'article 87, alinéa 1, a), du texte unique des impôts sur les revenus, approuvé par le décret du Président de la République du 22 décembre 1986, n. 917, sont exemptés d'impôts et sont déductibles, dans la limite des 3 pour cent, de la base imposable du sujet qui effectue le paiement.

10.Les sociétés coopératives et leurs consortiums qui n'obéissent pas aux dispositions du présent perdent le droit aux bénéfices de nature fiscale et autre prévues par la réglementation en vigueur.

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Activisme actionnarial: le cas Chevron

Soumis par Anonyme le

L'investisseur, en sa qualité d'actionnaire, dispose d'un droit de vote aux assemblées générales des entreprises dans lesquelles il a placé ses économies. Et il peut ainsi tenter d'améliorer le comportement éthique, social et environnemental de celles-ci en favorisant le dialogue avec les dirigeants, en exerçant des pressions, en soutenant une gestion responsable, en proposant et en soumettant au vote des assemblées générales annuelles des préoccupations sociétales... C'est ce que l'on appelle « l'activisme actionnarial »(1).

Cette pratique commence à être bien connue des géants pétroliers outre-Atlantique. On sait qu’Exxon subit depuis plusieurs années le feu des activistes en matière de changement climatique. Des résolutions sont déposées à ce sujet en assemblée générale par des actionnaires qui se rassemblent au sein d'organisations comme l’Investor Network on Climate Risk (INCR), créé en novembre 2003 pour favoriser une meilleure compréhension par les investisseurs institutionnels des risques et des opportunités résultant du changement climatique, l’Interfaith Center on Corporate Responsibility (ICCR) composé de 275 investisseurs institutionnels religieux qui poussent les entreprises à adopter un comportement responsable sur les plans sociaux et environnementaux ou encore le CERES qui est quant à lui un réseau nord-américain d'investisseurs, d'organismes de protection de l'environnement et autres groupes d'intérêt public travaillant avec des entreprises et des investisseurs pour relever des défis de développement durable comme le changement climatique(2).

Chevron dans la tourmente

C'est à présent Chevron qui est dans la tourmente pour d'autres motifs. Une longue liste reprenant des abus commis par Chevron, des Philippines au Kazakhstan, du Tchad au Cameroun, d'Irak en Équateur et en Angola ainsi qu'en Birmanie, aux États-Unis et au Canada, a en effet été détaillée dans un « rapport annuel alternatif », préparé par un groupe d'organisations non gouvernementales, qui a été distribué aux actionnaires de Chevron lors de leur assemblée annuelle du 27 mai 2009(3).

En outre, lors de cette assemblée, a été soumise au vote des actionnaires une résolution qui rappelle un certain nombre d'éléments factuels. D'abord, le gouvernement des États-Unis a, par trois fois, décrété des sanctions économiques contre la Birmanie, à savoir une interdiction de tout nouvel investissement en 1997, une interdiction des importations en 2003 et d'autres restrictions à l'importation en 2008. Ensuite, Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et chef de la Ligue nationale pour la démocratie, qui a gagné plus de 80 % des sièges lors des élections birmanes de 1990, a réclamé à plusieurs reprises des sanctions économiques contre la Birmanie. Elle a déclaré que les sociétés étrangères installées en Birmanie « créent des emplois pour certains, mais que ce qu'elles réussissent surtout à faire est de rendre une élite déjà riche plus riche encore, et d’augmenter sa cupidité et son désir de s'accrocher au pouvoir » et de poursuivre : « Ces sociétés nuisent beaucoup au processus démocratique. »

Pourtant, Chevron, en partenariat avec le groupe français Total, l'Autorité pétrolière de Thaïlande et Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), est propriétaire du plus grand projet d'investissement en Birmanie – le champ de gaz Yadana ainsi que le gazoduc qui transporte le gaz en Thaïlande – et aurait versé des millions de dollars au régime birman. Les organisations de défense des droits de l'Homme ont fait état de violations majeures des droits de l'Homme par les troupes birmanes chargées de la sécurité autour du gazoduc, notamment le déplacement forcé de villageois et le recours au travail forcé pour des travaux d'infrastructure liés au projet de pipeline.

En mars 2005, la société Unocal a conclu un règlement transactionnel à hauteur de plusieurs millions de dollars, selon ce qui a été rapporté, dans le cadre d'une action judiciaire fondée sur le fait que la société était complice de violations des droits de l'Homme commises par les troupes birmanes embauchées par le projet Yadana pour assurer la sécurité du pipeline. En achetant Unocal, Chevron a acquis l'investissement d'Unocal en Birmanie, en ce compris ses responsabilités légales, morales et politiques. Chevron fait également des affaires dans d'autres pays controversés sur le plan des droits de l’Homme : l'Angola, la Chine, le Kazakhstan, et le Nigéria.

Le dossier Yadana s'est d'ailleurs encore alourdi en septembre dernier, lorsque l’ONG américano-thaïlandaise EarthRights International (ERI) a rendu publics deux rapports dans lesquels elle accuse Total et Chevron d’être les principaux soutiens financiers de la junte ainsi que d’avoir « contribué à un haut niveau de corruption en Birmanie » et de se rendre indirectement complices de « travail forcé et d’exécutions » sur le site du gisement gazier de Yadana.

Après deux ans d’enquête, ERI révèle en effet que le gisement de Yadana a permis au régime birman d’engranger 4,83 milliards de dollars (3,31 milliards d’euros) entre 2000, début de l’exploitation du site, et 2008. Sur la même période, les enquêteurs avancent que « Total aurait perçu approximativement 483 millions de dollars (331 millions d’euros) et Chevron, 437 millions de dollars (299 millions d’euros) après avoir déduit 30 % de taxes imposées par le régime et 10 % de coûts de production ». Selon les enquêteurs, « 75 % des revenus du projet Yadana vont directement au régime militaire ». Loin d’être versée au budget national, cette manne détournée par les généraux « est localisée dans deux grandes banques offshore à Singapour, réputées pour abriter des fonds des gouvernements de la région et des diasporas ». D’après ERI, il s’agit d’une part de la « Overseas Chinese Banking Corporation (OCBC), qui détient la plupart de ces revenus », d’autre part de « DBS Group ».

EarthRights International conclut que « Yadana a été un élément décisif permettant au régime militaire birman d’être financièrement solvable ». Autrement dit, il a pu « à la fois ignorer la pression des gouvernements occidentaux et refuser au peuple birman toute demande démocratique ».

Une résolution en assemblée générale

Le constat semble donc accablant. Il est évidemment fait pour interpeller des ONG, des syndicats ou encore des congrégations religieuses. Rien d'étonnant à ce que la résolution déposée à l'assemblée générale de Chevron ait été supportée par Amnesty International, mais aussi par la Confédération syndicale internationale (CSI), qui représente 170 millions de travailleuses et de travailleurs au travers de 312 organisations nationales de 157 pays, la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l’énergie, des mines et des industries connexes (ICEM) qui est une fédération syndicale internationale (FSI) représentant 467 syndicats de 132 pays, l'American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO), dont les syndicats membres gèrent près de 1.500 fonds, soit environ 400 milliards de dollars d’encours (environ 328,7 milliards d’euros), l'International Brotherhood of Teamsters qui représente 1,4 million de travailleurs aux États-Unis, Canada et à Porto Rico, ainsi que des congrégations religieuses comme The Maryknoll Fathers and Brothers, Mercy Investment Program, the Unitarian Universalist Association, the Ursuline Sisters of Tildonk et des conseillers financiers tels Newground Social Investment.

Cette résolution, qui invitait le conseil d'administration à rédiger en vue de l'assemblée générale de 2010 un rapport sur les critères utilisés par Chevron pour (i) investir, (ii) maintenir des activités, et (iii) se retirer de certains pays, a remporté un succès certain, quoiqu’encore insuffisant, avec 25 % des suffrages(4).

Mais quels sont les arguments qui peuvent sensibiliser les actionnaires de sociétés comme Chevron ou Total ? Du point de vue des investisseurs, les entreprises courent des risques importants liés à la réputation, ainsi que sur les plans financier, juridique et politique, en opérant en Birmanie qui a été condamnée à l’échelon international en raison de son recours au travail forcé, au déplacement forcé et à la répression des minorités ethniques. En reconnaissant ces risques, un grand nombre de sociétés ont désinvesti de la Birmanie au cours de la dernière décennie, notamment British American Tobacco, Texaco (États-Unis), Levi Strauss (États-Unis), Triumph International (Suisse), Premier Oil (Royaume-Uni), Anheuser-Busch (États-Unis), Heineken (Pays-Bas), Adidas (Allemagne) et IKEA (Suède). En 2007, la société Rolls-Royce (Royaume-Uni) a annoncé qu’elle n’opérerait plus en Birmanie. Ivanhoe Mines (CAN) a également annoncé son intention de désinvestir. La campagne britannique Burma Campaign UK tient à jour à ce sujet une liste « sale » (dirty list) des entreprises qui opèrent toujours en Birmanie et une liste « propre » (clean list) des entreprises qui ont désinvesti.

Le premier risque est donc lié à la qualité d'investisseur des sociétés : l’adoption de nouvelles sanctions et l’intensification des campagnes publiques peuvent empêcher les entreprises de vendre leurs actions dans des projets liés à la Birmanie ou les forcer à les vendre à des prix nettement réduits (c'est ce qui est arrivé à la société canadienne Ivanhoe Mines).

Il y a ensuite les risques liés à la réputation: les entreprises opérant en Birmanie sont associées directement ou indirectement à un régime militaire bien connu. La sensibilisation accrue des consommateurs, la couverture médiatique et les campagnes publiques sur la situation en Birmanie peuvent avoir un impact sur la bonne volonté des consommateurs et/ou entraîner une augmentation des risques de boycott des consommateurs.

Ce sont ensuite des risques financiers qui sont encourus, résultant de litiges ou de sanctions. Les entreprises étrangères ne sont en effet pas en mesure de veiller à ce que les transactions financières soient effectuées de manière transparente et responsable, conformément aux normes comptables internationales. Il existe également un risque élevé d’expropriation sans indemnité en raison d’un cadre réglementaire insuffisant et imprévisible en matière d’investissement, d’application irrégulière de la loi et de corruption endémique. Plusieurs entreprises ont ainsi vu saisir leurs avoirs ou ont été forcées par le régime militaire à quitter le pays. Des risques financiers supplémentaires sont liés aux taux de change officiels peu réalistes, au manque permanent de devises étrangères de la junte et au large déficit de la balance des paiements courants.

Il existe enfin des risques juridiques et politiques liés à un renforcement du régime des sanctions internationales, notamment de l’Union européenne, des États-Unis et du Canada. Les opérations en Birmanie courent en outre un plus grand risque de faire l’objet de procès dans des tribunaux étrangers pour violations des droits humains. C'est ainsi qu'une action judiciaire a été portée devant un tribunal américain qui, en 2005, a conclu qu’Unocal, qui avait engagé les services des militaires pour garantir la sécurité dans l’un de ses projets de pipeline, « savait ou devrait avoir su que les militaires commettaient, étaient en train de commettre et continueraient de commettre ces actes atroces ». On se souviendra également du procès intenté en Belgique contre le groupe Total du chef de crimes contre l’humanité.(5)

Conclusions

Comme on le voit, l'activisme actionnarial est loin d'être, tout au moins en Amérique, une activité marginale. Réunir les votes d'un quart des capitaux d'une société comme Chevron n'est pas une mince affaire.

Il se fonde, formellement tout au moins, davantage sur des arguments tirés du risque et donc de la valeur financière des capitaux investis que du respect des droits de l'Homme ou d'enjeux citoyens. Ces risques sont toutefois liés à l'instabilité politique des zones d'activité, mais aussi largement aux réactions citoyennes face à l'inacceptable, qui influencent la réputation de l'entreprise et l'adoption d'éventuelles mesures politiques. C'est dire que les mouvements de défense des droits de l'Homme, au travers de leurs activités de boycott et de plaidoyer, jouent un rôle énorme et apportent de l'eau au moulin des actionnaires activistes.

C'est la bonne compréhension de ces rouages qui peut offrir toute leur force aux mouvements sociaux. Nous avons certainement beaucoup d'enseignements à en tirer dans notre vieille Europe, où l'activisme actionnarial est nettement moins développé, mais ne demande sans doute qu'à s'épanouir.

Bernard Bayot,
décembre 2009

(1) Bernard Bayot, "Activisme actionnarial", Hémisphères, n°25, juin 2004.

(2) Bernard Bayot, "Comment améliorer les pratiques en matière environnementale?", Réseau Financement Alternatif, décembre 2007, http://www.financite.be/s-informer/bibliotheque,fr,11,3,2,1,367.html.

(3) The Ture Cost of Chevron, mai 2009, http://truecostofchevron.com/report.html.

(4)http/::www.workerscapital.org/Chevron_Shareholders_Support_Teamsters_Country_Selection_Criteria_Proposal_%2827_May_2009%29/

(5) Fiche d'information sur la Birmanie et sur les propositions d'actionnaires, http://www.ftq.qc.ca/librairies/sfv/telecharger.php?fichier=5572

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