Aller au contenu principal

Faut-il supprimer l'intérêt ?

Soumis par Anonyme le

Qu'est-ce que l'intérêt ?

En finance, l'intérêt est la rémunération d'un prêt, sous forme, généralement, d'un versement périodique de l'emprunteur au prêteur.

Pour le prêteur, cela représente le prix de sa renonciation temporaire à une consommation : il ne peut utiliser son argent puisqu'il l'a prêté. Pour l'emprunteur, c'est un coût correspondant à une consommation anticipée : il peut faire usage d'une somme d'argent, par exemple pour payer l'achat d'un bien ou d’un service, avant d'avoir acquis les ressources nécessaires pour se l’offrir.

Une épargne rémunérée par un intérêt est assimilable à un prêt, l'emprunteur étant la banque ou l'organisme bénéficiaire de cette épargne. En d'autres termes, le client qui dépose de l'argent sur un compte à la banque prête en réalité cette somme à celle-ci et reçoit donc un intérêt correspondant à ce prêt.

Comment se calcule l'intérêt ?

L'intérêt est proportionnel au capital et au temps couru. Il est calculé par application d'un pourcentage annuel, appelé le taux d'intérêt. Si quelqu'un prête pour un an une somme de 100 € avec un taux d'intérêt de 10 % l'an, il récupérera à l'issue de cette année les 100 € augmentés de 10 € d'intérêt.

Celui-ci est fixé en tenant compte, comme déjà précisé ci-dessus, de la renonciation temporaire à faire usage de la somme prêtée, mais également du risque que prend le prêteur. Ce risque est de deux ordres. D'abord le risque d'inflation, à savoir une perte du pouvoir d'achat de la monnaie, qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. En d'autres termes, en cas d'inflation, la somme que j'ai prêtée ne me permet plus obtenir, entre le moment du prêt et celui du remboursement, qu'une quantité moindre de biens et de services. L'autre risque est lié à la probabilité de ne pas être remboursé, en tout ou en partie, par l'emprunteur.

Ces risques sont plus ou moins intégrés dans le calcul du taux d'intérêt selon que celui-ci est fixe ou ajusté d'une période à l'autre selon une formule d'indexation. Dans ce cas, il peut être révisable (fixé en début de chaque période) ou variable (déterminé à la fin de chaque période). Ce choix entre un taux fixe et un taux ajusté est souvent d'application en matière de prêts hypothécaires, qui sont conclus à long terme. C'est que, bien entendu, plus le délai de remboursement est long, plus les risques augmentent.

Qui fixe l'intérêt ?

Si, en théorie, c'est le marché qui fixe le taux de l'intérêt, c'est-à-dire le jeu de l'offre et de la demande, en pratique, les banques centrales jouent un rôle déterminant, en l'occurrence la Banque centrale européenne (BCE) pour la zone euro. Celle-ci fixe un « taux de refinancement » qui est son principal « taux directeur », celui auquel elle-même prête aux banques et institutions financières. Ce taux, qui est un des principaux instruments de politique monétaire, est à 1 % depuis le mois de mai 2009.

La fixation de ce taux directeur est évidemment déterminante dans la dynamique économique : lorsque les taux d'intérêt sont élevés, les entreprises et les ménages hésitent à emprunter pour investir ou consommer, tendance qui s'inverse lorsque les taux sont bas.

Quelle différence y a-t-il entre l'intérêt et l'usure ?

On connaît l'usure d'un tissu, par exemple, qui est la détérioration de celui-ci par suite du long usage qu’on en fait. Par extension, en matière financière, l'usure correspondait au prix de l'usage de la monnaie, c'est-à-dire à « toute espèce d'intérêt que produit l'argent ». Ce n'est que, par extension, qu’on en est venu à utiliser l'usure dans son acception actuelle, à savoir un « profit qu'on retire d'un prêt au-dessus du taux légal ou habituel »1.

Comment expliquer le glissement sémantique de cette notion d'usure qui, initialement, désignait tout intérêt indépendamment du taux avant de viser l'intérêt d'un prêt consenti à un taux abusif ? Sans doute par les débats âpres et difficiles sur la justification de l'intérêt, dans son principe, et, à supposer cette justification de l’intérêt acquise, par les débats sur la fixation d’un taux convenable.

Critique morale de l'intérêt

Déjà le Deutéronome, écrit vers 630 av. J.-C., condamnait le prêt à intérêt : « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, intérêt d'argent ou intérêt de nourriture, de toute chose qui se prête à intérêt »2. Platon (428-427 av. J.-C., 347-346 av. J.-C.) condamnait, lui aussi, le goût du profit et l'accumulation de richesses.

C'est ensuite Aristote (vers 384-322 av. J.-C.) qui a fait une distinction, qu'il jugeait fondamentale, entre l'économique et la chrématistique. Si l'économie (de oïkos, la maison, donc la communauté au sens élargi, et nomia, la règle, la norme) désigne la norme de conduite du bien-être de la communauté, ou maison au sens très élargi du terme, la chrématistique est quant à elle l'art de s'enrichir, d’acquérir des richesses. S'il admettait une chrématistique « naturelle » ou « nécessaire », liée à la nécessité de l'approvisionnement de l'oïkos, il condamnait fermement la chrématistique proprement dite ou « commerciale » qui consiste à « placer la richesse dans la possession de monnaie en abondance ». La chrématistique est, pour lui, une activité « contre nature » qui déshumanise ceux qui s'y livrent puisque, selon lui toujours, l'homme est par nature un zoon politikon, littéralement un « animal politique » (politikos, citoyen, homme public). Pour Aristote, la chrématistique commerciale substitue l’argent aux biens ; l’usure crée de l’argent à partir de l’argent ; les marchands ne produisent rien : en l'absence de règles strictes visant leurs activités et sans un contrôle de la communauté dans son ensemble, tous sont condamnables d'un point de vue politique, éthique et philosophique.

Les rabbins ont réagi à l'interdiction biblique en codifiant les choses dans le Talmud de Jérusalem au IVe siècle, et dans le Talmud de Babylone au VIe siècle. Avec, pour conséquence, de grandes innovations sur l'organisation sociale, en particulier les taux d'intérêt, l'usage des lettres de change, et les limites du profit par l’introduction de la notion de « juste prix ».

De son côté, l'Église catholique, tout au long du Moyen Âge, reprend la critique aristotélicienne contre cette pratique économique et la déclare contraire à la religion. Thomas d'Aquin (1224 ou 1225-1274), dans sa Somme théologique, affirme ainsi : « Le négoce consiste à échanger des biens. Or Aristote distingue deux sortes d'échanges. L'une est comme naturelle et nécessaire, et consiste à échanger [...] pour les nécessités de la vie ». L'autre forme, au contraire, « consiste à échanger [...] non plus pour subvenir aux nécessités de la vie, mais pour le gain. [...] Voilà pourquoi le négoce, envisagé en lui-même, a quelque chose de honteux, car il ne se rapporte pas, de soi, à une fin honnête et nécessaire. »

La Réforme protestante, par la voix de Jean Calvin en particulier, a contribué à la levée progressive de l'interdit du prêt à intérêt dans les pays européens. Sous la plume de Calvin, dans sa lettre sur l’usure, en 1545, le protestantisme justifie la légitimité de l’intérêt : le capital a un « caractère de bien immédiatement productif » et l’intérêt acquiert ainsi un caractère licite.

De son côté, le Coran prohibe également l’intérêt : « Dieu a rendu licite le commerce et illicite l’intérêt »3.

Critique politique de l'intérêt 

Karl Marx, dans des pages fameuses du Capital reprend l'analyse des conséquences sur les personnes de ce qu'il nomme, après Virgile (Énéide, III, 57), auri sacra fames (maudite soif de l’or), du nom latin donné à cette passion dévorante de l'argent pour l'argent, c'est-à-dire de la chrématistique commerciale instaurée par ceux qu'il appelle « les économistes ». En élaborant une analyse de la « métamorphose » du capital, Marx montre que le capitalisme est un système permettant avant tout de faire de l'argent pour de l'argent.

Pour Pierre-Joseph Proudhon, ce n'est parce que l'usure est immorale qu'elle doit être interdite, comme le prétend l'argumentation théologique. Loin de voir l'intérêt comme la manifestation du vice de l'usurier, il considère dans un premier temps l'intérêt comme une rémunération légitime du service rendu, des risques et de la privation qu'il implique.

Cette légitimité est toutefois limitée, dans son esprit, au crédit négocié sur le marché entre deux agents car, dans ce cas, la réalisation des promesses de paiement est incertaine et varie selon la garantie que présente le signataire. C'est donc à ces circonstances qu'il faut s'attaquer pour rendre l'intérêt du crédit illégitime. Car ce modèle n'est pas celui de Proudhon qui propose un programme de coopération financière mutuelle entre travailleurs en vue de transférer le contrôle des relations économiques depuis les capitalistes et les financiers vers les travailleurs.

C'est dans ce cadre que Proudhon entend « prouver que la gratuité du crédit est possible, facile, pratique » et que, par voie de conséquence, « l'intérêt est désormais chose nuisible et illégitime »4. Pour y arriver, il préconise l'intervention d'une banque centrale qui offrirait toute garantie quant à ses promesses de paiement et ferait circuler la monnaie par des mécanismes essentiellement non marchands, rendant inutile, voire impossible, l'existence d'un marché monétaire5.

Loin de condamner le crédit et l'intérêt, il entendait les traiter comme ce que nous appellerions aujourd'hui un « service public ». Son projet s'appuyait sur l'établissement d'une « banque d'échange» qui accorderait des crédits à un très faible taux d’intérêt (le taux n’étant pas nul en raison des coûts de fonctionnement), ainsi que sur la distribution de billets d’échange qui devaient circuler à la place de la monnaie basée sur l'or, qui devait être supprimée. Il créa à cet effet une banque populaire (la Banque du Peuple) au début de l'année 1849 qui, malgré l'inscription de plus de 13 000 personnes, prit fin rapidement en raison notamment de l'incarcération de Proudhon pendant trois ans pour le délit de presse d'« offense au Président de la République ».

Même si elle n'est pas exclusivement basée sur l'intérêt, force est de constater que la croissance financière de ces dernières années a été construite sur l’écrasement des coûts salariaux et des dépenses sociales. Dans tous les pays européens, la part des revenus du travail dans le produit intérieur brut (PIB) a diminué significativement depuis le début des années 806. À l’exception de la Belgique, le niveau actuel de la part des revenus du travail dans le PIB est inférieur à celui du début des années 60. Cette évolution négative résulte notamment d’une progression des salaires inférieure à celle de la productivité. Même un pays comme l’Irlande qui a connu un taux de croissance économique soutenu pendant plus de dix ans a vu la part de la rémunération du travail chuter et la plus forte diminution du salaire réel. Si on se limite à la rémunération des salariés, c'est-à-dire sans prendre en compte les revenus du travail des indépendants et professions libérales, la part de la rémunération des salariés dans le PIB belge a fortement chuté depuis 1981, passant de 57 % à 51 % 7.

Critique économique de l'intérêt

À côté de critiques de nature morale ou politique, s'en élèvent d'autres, qui tiennent davantage aux conséquences économiques de l'intérêt. Cette question est étroitement liée à celle de la monnaie, qu'a longuement étudiée Silvio Gesell (1862-1930), l’inventeur de la monnaie franche, une monnaie dite « fondante » car sa valeur diminue à intervalle fixe (tous les mois par exemple). Silvio Gesell développa des théories qu’il a résumées dans son livre L’Ordre économique naturel.

Ses théories se fondent sur diverses observations. Tout d’abord, la quantité de monnaie gagée par l’or ne suit pas le rythme de l’accroissement de la production et de la richesse. Et cette disproportion est la cause principale des désastres économiques. D’autre part, la monnaie est détournée de son véritable emploi pour servir surtout à la thésaurisation, ce qui provoque un ralentissement des échanges et, la quantité de denrées restant identique, cela cause la chute des prix. Contrairement aux marchandises, l’argent ne perd pas de sa valeur. Le détenteur d’argent peut alors attendre que le commerçant baisse ses prix. Quant à ce dernier, il se voit obligé de couvrir ses frais par des crédits, sur lesquels il doit payer des intérêts. Celui qui reçoit ces intérêts peut à nouveau les prêter à un autre. On se retrouve donc face à une quantité de plus en plus grande de monnaie qui est extraite du circuit économique.

Pour casser ce cercle « vertueux », Gesell propose que l’argent perde périodiquement de sa valeur, de sorte qu’il devienne inintéressant de le garder et de telle manière qu’il perde ainsi sa position dominante par rapport au travail humain.

En Suède, la banque coopérative JAK pratique, depuis 1970, un système de prêts et d’épargne sans taux d’intérêt. Elle avance trois arguments pour justifier ce choix. Un argument moral : il n'est pas légitime de gagner de l’argent avec de l’argent lorsqu'il n'y a ni travail presté, ni prise de risques. Un argument d'équité : dans une économie basée sur l’intérêt, l’argent est transféré de ceux qui en ont le moins à ceux qui en ont le plus et, de cette façon, les actifs se concentrent entre les mains de quelques-uns. Enfin un argument économique : depuis que notre système monétaire moderne se base sur des dettes et que pratiquement tout l’argent est sous forme de dettes qui doivent être remboursées avec des intérêts, nous avons un système d’argent qui croît exponentiellement et qui va forcément un jour atteindre son point de rupture.

Pour éviter l'intérêt, JAK pratique le « prêt-épargne équilibré » : le montant mensuel à rembourser pour le prêt doit s'accompagner d'un montant identique d’épargne. Cette épargne peut être constituée avant de solliciter le prêt ou concomitamment à celui-ci et devra être maintenue aussi longtemps que le prêt n'aura pas été totalement remboursé, dans certains cas trois mois plus tard. À noter toutefois que l’administration et les coûts de développement sont couverts par les cotisations d’adhésion annuelle et les frais des prêts (environ 2,5 %).

Conclusions

Est-il juste de créer de l’argent à partir de l’argent et d'attiser de la sorte l'appât du gain ? Quels transferts financiers des travailleurs aux capitalistes sont-ils induits par l'intérêt ? La croissance induite par l'intérêt ne va-t-elle pas mener le système à son point de rupture ?

Autant de questions qui suscitent réflexion et débat autour de ce qui constitue pourtant un axe central de la finance contemporaine. Pour autant doivent-elles être évacuées au nom du réalisme économique ou d'une sorte de fatalité ? La récente crise économique nous a assez montré le risque que présentent l'un et l'autre pour que nous soyons vigilants. Et que nous vérifiions si intérêt s’accorde bien avec intérêt général.

Bernard Bayot
Novembre 2010

 

1 Littré, 1863.

2 Deutéronome (23-19). Le verset suivant (23-20) ajoute cependant une restriction importante : « Tu pourras tirer un intérêt de l'étranger, mais tu n'en tireras point de ton frère, afin que l'Éternel, ton Dieu, te bénisse dans tout ce que tu entreprendras au pays dont tu vas entrer en possession. » L'interdiction du prêt à intérêt figure également dans l'Exode (22-24), le Lévitique (25,35-37) et dans le Livre d’Ezéchiel (18,8 ; 13,7 ; 22,12).

3 Verset 275 de la deuxième sourate.

4 P.-J. Proudhon, Intérêt et principal, Paris, Garnier, 1850, p. 69.

5 « Le Crédit, quel intérêt ? », dans Actes des colloques de la Société P.-J. Proudhon, Paris, 1er décembre 2001. — Paris : Société Pierre-Joseph Proudhon, 2002. — 180 p. : ill. ; 21 cm. — (Les Cahiers de la Société P.-J. Proudhon).

6 Direction Générale de l’Emploi et des Affaires sociales de la Commission européenne, L'Emploi en Europe 2007, COM(2007) 733 final, 23.10.2007.

7 Robert Plasman, Michael Rusinek, François Rycx et, Ilan Tojerow, La structure des salaires en Belgique, document de travail, n° 08-01.RR, Dulbea, février 2008.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Sommaire

Qu'est-ce que l'intérêt ? Comment se calcule-t-il ? Qui le fixe ? ...

Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
DE-BAYO2010-10
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
11/2010
Mois d'édition
Novembre

Mon toit et mes finances

Soumis par Anonyme le
La crise financière de 2007-2008 a trouvé son origine dans les crédits immobiliers « subprime » aux États-Unis. De quoi s'agit-il ? Les banques et assurances classent leurs clients en non-prime, prime et subprime selon les risques estimés de défaillance de l’emprunteur, les subprimes étant les plus potentiellement défaillants : petits salariés, voire chômeurs. Des institutions financières, de moins en moins regardantes sur le profil de l’emprunteur, leur ont donc proposé des crédits avec un taux d’intérêt très élevé, de 4 à 5 points supérieur au taux normal. Ces prêts ont connu un grand succès, en particulier lorsque les taux d’intérêt de base étaient très faibles (inférieurs à 2 %, de 2002 à 2004).

Mais, à partir de 2005, ces taux de base sont rapidement montés, pour atteindre 5,25 % à la mi-2006, et de nombreux ménages emprunteurs ont alors connu des difficultés à rembourser leurs mensualités en hausse : près de 1,2 million de prêts immobiliers ont fait défaut en 2006, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2005, avec, bien sûr, pour conséquence immédiate et dramatique, la mise en vente des logements, mais aussi la perte de valeur des obligations émises sur base de ces crédits, entraînant la crise financière que l'on a connue1.

Depuis l'éclatement de la bulle des titres subprime, 3,3 millions de logements ont fait l'objet d'une saisie en 2008, et 3,9 en 2009. Cette année, le chiffre devrait dépasser les 4 millions, malgré les mesures de l'Administration Obama, qui ont permis à 500 000 propriétaires de renégocier leur emprunt. Après un délai de 22 mois en moyenne, à la demande de l'organisme de crédit qui n'est plus remboursé, le shérif du comté procède à l'expulsion des membres du foyer concerné. En 2008-2009, 2,2 millions de personnes se sont retrouvées à la rue ; 1,2 million de personnes supplémentaires pourraient venir gonfler encore les statistiques d'ici à la fin de cette année 2.

L'exemple des subprimes pose évidemment la question de la qualité de l'activité de crédit: d'une part, celle-ci peut générer des revenus très élevés grâce à des taux d'intérêt usuraires, car les pauvres n'ont souvent pas d'autre solution et, d'autre part, les marchés de capitaux s’intéressent très sérieusement à ce marché des crédits aux pauvres, au moins pour spéculer sur la période durant laquelle ceux-ci sont encore en capacité de rembourser 3. Mais il pose aussi la question de l'opportunité d'accéder à la propriété immobilière.

Tous proprios ?

Aux États-Unis, ils étaient propriétaires à 70 % à la veille de l’explosion de la crise. Ils ne sont plus que 67 % en juin 2010 !4 Certes, les nouveaux propriétaires ont été victimes des pratiques de prêteurs peu scrupuleux, mais, par ailleurs, était-ce opportun qu'ils se lancent dans l’achat de leur logement ?

La question peut paraître saugrenue tant les gouvernements favorisent le fait d'être propriétaire avec des exemptions de taxes ou des aides à l'emprunt afin de faciliter l'accession à la propriété. Que l'on pense au projet de « société de propriétaires » porté par le président républicain George W. Bush (2001-2009) et dont les graines avaient été semées par son prédécesseur, le démocrate Bill Clinton, avec sa Stratégie nationale pour la propriété, lancée en 1994. Le but était alors de porter à 67,5 % le taux des ménages propriétaires de leur logement en 2000. L'objectif sera atteint et M. Bush voudra aller encore plus loin et « faire accéder tous les Américains à la propriété », y voyant l'achèvement du rêve américain. Plus près de chez nous, en France, la réforme des aides à l'accession à la propriété, annoncée en septembre dernier par Nicolas Sarkozy, vise à augmenter le taux de propriétaires de 58 % à 70 %, grâce, principalement, au nouveau prêt à taux zéro qui sera « ciblé sur les nouveaux primo-accédants », « universel » c'est-à-dire « accordé sans condition de revenu » et « plus favorable pour les familles avec enfants »5.

Depuis l'enfance, on nous assène qu'il est malin d'être propriétaire. Le Belge n'a-t-il d'ailleurs pas une brique dans le ventre ? Et ne dit-on pas que plus on possède, plus on gagne d'argent ? Un des meilleurs vecteurs de cette vérité universellement admise est le Monopoly, où en jouant on peut rêver d'acheter des rues entières. Ce que l'on sait moins, c'est que ce jeu a été inventé en 1903 par Elizabeth « Lizzie » Philips, une idéaliste de gauche qui prétendait stigmatiser, avec son jeu, la petite minorité de propriétaires qui vit de la sueur des locataires. Une trentaine d’années plus tard, le jeu sera perfectionné par Charles Darrow, chômeur, qui colorie le plateau, y dessine les rues d’Atlantic City et sculpte lui-même les maisons miniatures en bois, avant que le jeu ne soit finalement racheté en 1935 par un fabricant de jeux de plateau et ne connaisse le succès mondial que l'on sait6.

Pour autant, la question de l'opportunité de devenir propriétaire doit être posée. Car une augmentation du taux de propriétaires, c'est-à-dire de la proportion des ménages qui sont propriétaires de leur logement, peut avoir plusieurs origines. Il peut s'agir d'une augmentation des revenus qui favorise cet accès à la propriété, auquel cas, sauf baisse ultérieure de ceux-ci, l'acquisition peut être justifiée. Mais il arrive, comme cela a été le cas aux États-Unis, que la hausse du taux de propriétaires soit due au fait qu'un certain nombre d'acheteurs ont tenu à bénéficier de taux d'intérêt bas, susceptibles de remonter en flèche par la suite.

De ce fait, un taux élevé de propriétaires couplé à une augmentation du taux de prêts à risques peut signaler une bulle gonflée par l'endettement. On observe, à cet égard, que les pays où la crise immobilière a été la plus violente sont ceux qui connaissent un taux de propriétaires élevé : États-Unis (67 %), Royaume-Uni (71 %), Espagne (84 %), Irlande (77 %), contre 45 % seulement en Allemagne ou 37 % en Suisse, deux pays à l'abri de la tempête7. À noter qu'en Flandre et en Wallonie le taux de propriétaires n'a cessé d'augmenter depuis la Deuxième Guerre mondiale pour atteindre 70 % environ aujourd'hui. À Bruxelles, il plafonne à 40 % depuis le début des années nonante8.

Le mirage espagnol

Parmi les crises immobilières les plus importantes, celle qu'a connue l'Espagne. C'est que l’économie espagnole s’est construite autour du bâtiment. À l'époque franquiste, le secteur du logement et celui du tourisme dominaient l'économie espagnole. Une panoplie d'avantages fiscaux conséquents fabriquait des générations de propriétaires. Cette politique pèse encore lourdement sur le secteur immobilier qui représente 21 % du produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire de l'ensemble des richesses créées pendant une année en Espagne. Depuis 2000, l'Espagne a construit 700 000 habitations chaque année. Autant que la France, l'Allemagne et l'Angleterre réunies !

Investir dans la brique étant considéré comme un investissement sûr, nombre de personnes se sont portées acquéreuses d’un logement, tablant sur une plus-value à la revente. Les mesures mises en place à l’époque ont accentué la crise : allongement de crédit sur 50 ans et particuliers autorisés à acquérir un logement sans apport personnel initial. Beaucoup ont alors contracté des crédits à taux variables (monnaie courante en Espagne) mais aujourd’hui leur taux de remboursement atteint des sommets et ils se trouvent dans l’impossibilité de rembourser.9

La spéculation immobilière allait bon train mais, avec la crise, la bulle a explosé, entrainant avec elle le secteur immobilier, mais aussi tous ceux qui lui sont liés. Or les ménages espagnols étaient parmi les plus endettés de l’OCDE : entre 2000 et 2006, le ratio dette/revenu disponible net est passé de 85 % à plus de 100 % dans la zone euro, mais a atteint 150 % en Espagne10. Surendettés, ces ménages doivent à présent se résoudre à vendre ou hypothéquer leurs biens.

Conclusion

Le surendettement lié à la charge de remboursement d'un crédit peut avoir deux origines qui peuvent, le cas échéant, se cumuler. Ces caractéristiques se retrouvent dans le crédit immobilier avec d'autant plus d'acuité que ce dernier porte sur des montants importants. La première tient à la qualité du crédit, la seconde à son existence même.

Commençons par cette dernière : on ne devrait pas accorder pas de crédit si la charge de celui-ci est disproportionnée par rapport à la faculté de remboursement de l'emprunteur ! Cet examen préalable paraît une évidence et pourtant on en a largement fait l'économie aux États-Unis, avec les conséquences que l'on sait, tandis que Nicolas Sarkozy annonce que son prêt à taux zéro sera accordé sans condition de revenu...

Si la situation économique de l'emprunteur est jugée suffisante au jour de l'octroi du crédit, rien ne permet évidemment de garantir que cela va durer, ni que des événements qui lui sont personnels – comme une perte d'emploi – ou qui lui sont extérieurs – comme l'évolution des taux d'intérêt – ne viendront pas modifier profondément la donne. Il est donc indispensable que le crédit proposé soit de qualité pour prévenir, autant que faire se peut, de telles éventualités. Et cette qualité s'apprécie évidemment en fonction de la personne à laquelle il est proposé ; en d'autres termes, un crédit doit être adapté à la situation de l'emprunteur. Par exemple, si celle-ci ne permet pas d'absorber de grosses variations dans la charge de remboursement, il faudra veiller à ce que le taux d'intérêt soit le moins variable possible pour éviter toute mauvaise surprise.

Certes, le crédit immobilier semble plus rassurant qu'un autre car, en cas de coup dur, l'immeuble hypothéqué sert de garantie. Mais, il ne faut pas oublier qu'une vente forcée sera toujours ressentie comme un échec et aura une répercussion sur l'estime de soi, mais qu'en outre elle peut être génératrice de coûts financiers importants qui viendront obérer encore la situation de l'emprunteur malheureux. Par ailleurs, la qualité de cette garantie peut se réduire considérablement lorsque le marché de l’immobilier baisse, comme on l'a vu par exemple aux États-Unis.

Même si le crédit porte sur la brique, la prudence reste donc de mise !

Bernard Bayot
Novembre 2010

1 Bernard Bayot, « La bulle des pauvres », dans FINANcité Magazine, n° 7, septembre 2007.

2 Sylvain Cypel, « Une affaire saisissante », dans Le Monde, 13 octobre 2010.

3 Bernard Bayot, op. cit.

4 Emmanuel Lévy, « Au secours, les subprimes reviennent en Amérique ! », dans Marianne, 26 octobre 2010.

5 Dépêche AFP, 14 septembre 2010.

6 Niall Ferguson et Pascale-Marie Deschamps, L'irrésistible ascension de l'argent : De Babylone à Wall Street, Saint-Simon, 2099.

7 Pierre-Antoine Delhommais, « Locataires de tous les pays, unissez-vous ! », dans Le Monde, 3 octobre 2010.

8 Alice Romainville, « À qui profitent les politiques d'aide à l'acquisition de logements à Bruxelles ? », dans Brussels studies, n° 34, 25 janvier 2010.

9 Élodie Carcolse, « Logement. Espagne: quand le ‘Tous proprios !’ prend l’eau... », dans Marianne, 22 octobre 2010.

10 Études économiques de l’OCDE 2008 : Espagne.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-BAYO2010-5
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
11/2010
Mois d'édition
Novembre

Les alternatives financières dans le secteur de la distribution

Soumis par Anonyme le

Le secteur de la distribution est largement aux mains de grands groupes qui développent leurs activités dans des zones géographiques de plus en plus vastes, avec pour conséquence un éloignement des préoccupations de ses parties prenantes, que sont ses travailleurs et ses clients. À l'occasion de l'annonce d'une vague de licenciements par la direction de Carrefour, en février dernier, s'est ainsi posée la question de l'existence d'une stratégie adéquate de développement commercial durable et respectueuse des travailleurs. Des alternatives sont possibles, basées sur les échanges de proximité.

Les accorderies

Quand on évoque les échanges de proximité, on pense aux systèmes d’échange local (SEL), dont le premier a été créé à Vancouver en 1983. Les SEL sont des réseaux dont les membres, une personneisolée ou une famille complète, sont mis en contact les uns avec les autres et s’échangent des services non professionnels ou des biens et du savoir(-faire). Le grand principe des SEL est que les échanges qu’on y fait ne sont pas payés en monnaie sonnante et trébuchante. Ils sont comptabilisés en unités dont les noms varient d’un SEL à l’autre.

Proximité n'est pas synonyme d'égalité et des interrogations se sont fait jour sur le point de savoir si les SEL sont aussi nettement favorables aux démunis qu’on le prétend généralement et s'ils ne pourraient avoir au contraire pour effet pervers de creuser les inégalités, étant plus favorables aux classes moyennes1.

La volonté d’éviter cet écueil est en tout cas clairement au cœur du projet de l'Accorderie de Québec qui a été fondée en 2002 par la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation St-Roch de Québec. Ces deux organismes souhaitaient en effet répondre aux besoins des ersonnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale tout en favorisant l’organisation de nouvelles formes de solidarité. Il s'agit d'un système d’échange de services qui regroupe toutes les personnes intéressées à échanger entre elles différents services tels que du dépannage informatique, de la traduction de texte, du transport, des formations, de l’aide pour remplir une déclaration d’impôts, etc. Outre à Québec, des accorderies se sont aujourd'hui développées à Montréal et Trois-Rivières et on attend pour bientôt celle de Shawinigan.

Les membres d’une accorderie, les accordeurs, ont accès aux services des membres de « leur » accorderie locale, ainsi qu’aux services offerts dans n’importe quelle accorderie implantée ailleurs au Québec. De plus, en devenant accordeur, une personne a accès aux activités collectives d’échange offertes par son accorderie locale, soit à des services d’intérêt général qui s’adressent à l’ensemble des accordeurs. Ces activités peuvent prendre différentes formes. À Québec, par exemple, un service d’achat regroupé de produits alimentaires et un système de crédit solidaire ont été mis en place.

Chaque accordeur met à la disposition des autres ses compétences et savoir-faire sous la forme d’offres de services. À peu près n’importe quel service peut être offert : des conseils pour cuisiner, la restauration de meubles, l’apprentissage d’un sport, la garde d’animaux, etc. Chaque offre apparaît sur la page web de l’accorderie locale dont la personne est devenue membre et dans un bottin imprimé pour les accordeurs qui n’ont pas accès à Internet. Dans l’Espace membre du site Internet et dans le bottin, les accordeurs ont accès aux coordonnées des personnes qui offrent les services. Ils peuvent donc entrer en contact directement avec celles-ci pour s’entendre sur le service désiré et le moment de l’échange. Chaque échange de services est comptabilisé dans une banque de temps sur la base des heures échangées, selon le principe qu’« une heure de service rendu égale une heure de service reçu ». Tous les services sont ainsi mis sur un pied d’égalité.

Dans la banque de temps, chaque accordeur dispose d’un compte Temps où sont inscrites les heures données et reçues, comme dans un « vrai » compte. La comptabilité se fait à partir de chèques temps que les accordeurs reçoivent lorsque des services sont rendus. Lorsqu’une personne devient accordeur, 15 heures sont déposées sur son compte, ce qui lui permet d’échanger des services immédiatement.

Le système d’échange s'opère donc à trois niveaux. Tout d’abord, le niveau d’échange individuel qui comprend les échanges de temps entre accordeurs. Ces échanges s’apparentent fortement à ceux des SEL. Ensuite, le niveau d’échange collectif qui correspond aux activités du groupement d’achat et du crédit solidaire. Ces deux services collectifs font la singularité de l’accorderie. En effet, le couplage microcrédit-monnaie sociale n’apparaît que rarement dans les autres dispositifs, sauf dans le cas particulier de Fortaleza au Brésil. L’objectif de ces services collectifs est double : donner un accès au crédit à des personnes qui ne peuvent y accéder par ailleurs et offrir un accès à des produits de qualité (biologiques, équitables ou locaux) qui deviennent accessibles grâce à un coût plus faible compte tenu de l’achat groupé.

Enfin, troisième niveau, le niveau d’échange associatif c'est-à-dire les services qui vont être achetés par l’accorderie aux accordeurs pour les besoins de son organisation et son fonctionnement. En effet, à l’accorderie, il n’y a pas de bénévolat, toute heure effectuée au service de l’association, ou dans le cadre des services collectifs donne droit à un crédit en temps. Il peut s’agir d’accueillir les nouveaux membres, de distribuer le courrier ou d’organiser les activités collectives. Par exemple, dans le cadre du groupement d’achat, les accordeurs sont chargés de l’animation du « souper mensuel », de la commande aux fournisseurs, de la réception et du partage de la commande et de la comptabilité. Pour le crédit solidaire, les accordeurs doivent rencontrer l’accordeur demandant un prêt, participer au comité de prêt, faire signer le contrat de prêt et s’assurer du suivi. Ainsi, l’accorderie sert d’intermédiaire : elle verse aux accordeurs chargés des activités collectives des heures et elle les facture en contrepartie aux accordeurs qui ont bénéficié du service collectif. L’accorderie pose aussi un strict principe d’équité, c'est-à-dire qu’une heure est égale à une heure quelle que soit l’activité fournie et le statut social de la personne2.

Les SEL sont donc, à proprement parler, des réseaux de troc de crédits permettant de confronter l’offre et la demande de biens et de services. Ils se situent à mi-chemin entre le simple troc bilatéral et une économie monétaire complète et autonome. En toute hypothèse, une des limites des SEL consiste dans le fait que les « crédits de service » ne circulent pas librement, car l’offre et la demande doivent y être confrontées. Pour contourner cette difficulté, ont été imaginées les monnaies locales qui sont, par leur structure et leur mode de fonctionnement, plus proches d’un véritable système monétaire que les SEL. La notion d’étalon de valeur de substitution n'est pas nouvelle, elle est évoquée depuis longtemps par les auteurs socialistes égalitaristes, mais on doit la version moderne des « time dollars » à Edgar Cahn, professeur de droit à Washington, qui se prit à l’imaginer dès 19863.

Les « Ithaca Hours »

Les « Ithaca Hours », lancées en 1991 dans la ville d’Ithaca (30 000 habitants) dans l’État de New York, constitue l’un des exemples les plus connus de monnaie locale.

Le système a été organisé par un groupe d’activistes locaux, qui visent à défendre les intérêts des petits commerces locaux contre ceux des grandes enseignes nationales, comme Wal Mart. En 1991, Paul Glover, ancien publicitaire et journaliste, diplômé en gestion municipale, observe les mouvements de l'argent dans sa ville et constate les dégâts classiques du capitalisme : de grandes sociétés multinationales et des chaînes de magasins envahissent le marché, pompent l'argent local et le réinvestissent ailleurs, menaçant ainsi la production et les emplois locaux. Paul Glover, tenant d'un nouvel ordre économique basé sur les échanges de proximité, et écologiste jusqu'au bout des doigts, se rend compte alors que le seul moyen de permettre à l'économie locale de bénéficier de l'argent local est de créer une unité monétaire que l'on ne pourrait gagner et dépenser que dans la ville. Il passe alors de la réflexion à l'action et imprime lui-même des billets dont la valeur unitaire est l'Ithaca Hour. « Le billet de base, l’Ithaca Hour, vaut 10 dollars, ce qui représente en gros le salaire moyen horaire payé dans cette ville, explique Paul Glover. Prenons maintenant un fermier qui vend pour 20 dollars de fromage. À la place de la monnaie nationale, il reçoit donc deux heures de travail gratuit. Avec ce petit capital, il achète par exemple les services d’un menuisier, qui lui-même fait appel au savoir-faire d’un mécanicien, lequel utilise ces heures pour payer son chiropraticien, qui se sert de ces billets pour s’offrir quatre places de cinéma, et ainsi de suite. C’est un système sans fin qui grandit de lui-même, une économie écologique, en vase clos, qui s’écarte du dollar et où le temps de travail réel remplace les liquidités abstraites. »4

Dans sa forme originale – et respectant l’idée de monnaie à taux zéro –, elle permet aux commerçants de se préfinancer. Ils achètent des biens ou des services avec la monnaie locale et remboursent ensuite leurs achats en acceptant cette monnaie locale dans leur propre établissement. Plus de 900 participants acceptent publiquement les Ithaca Hours pour les biens et services dans un périmètre de 50 miles (80 kilomètres). Certains employeurs locaux et leurs employés acceptent de payer et de recevoir une partie du salaire en Ithaca Hours. Celles-ci sont acceptées en outre par l'hôpital de la ville ainsi que par une Community Development Financial Institution (CDFI) appelée Alternatives Federal Credit Union, qui offre des comptes courants à taux zéro en Ithaca Hours5. En 1996, elle avait déjà servi à financer des transactions pour de 1,5 milliard de dollars6.

Ce modèle favorise en effet la proximité. Mais il ne reproduit pas les inégalités observées dans l’économie officielle « dans la mesure où toutes les heures travaillées... ont la même valeur ». Il faut, pour qu’il en soit ainsi, qu’une autorité ait créé un espace monétaire en y imposant une monnaie de compte et un étalon de valeur égalitariste et non marchand, soit en vertu d’un consensus, soit par la force ou grâce aux deux moyens à la fois. Ce n'est pas le cas des Ithaca Hours où chaque unité a une valeur de 10 dollars. Comme on le voit à Montpelier (capitale de l’État du Vermont, aux États-Unis), les avocats facturent cinq « Ithaca Hours » l’heure travaillée et les baby-sitters, une demie7.

Conclusions

Comme on le voit, des alternatives à la grande distribution existent. Mais les modalités de leur mise en œuvre déterminent le bonheur avec lequel elles atteignent les objectifs qu'elles se sont fixés. Ainsi, celui de remplacer les « liquidités abstraites » par du temps de travail n'a pas été concrétisé par les Ithaca Hours. Certes cette monnaie a perdu un peu de son abstraction de par le fait qu'elle n'a de valeur que dans une zone limitée, favorisant en cela, de manière mécanique, les échanges au niveau local. En revanche, elle demeure suffisamment abstraite pour permettre à ses détenteurs de facturer une heure de travail entre une demie et cinq fois l'unité monétaire. Aucune autorité extérieure aux parties prenantes à l'échange, ni aucun sentiment suffisamment fort de solidarité ne pousse ceux-ci à respecter l'égalité de valeur entre les heures de travail.

Pour atteindre un tel objectif égalitaire, sans doute est-il nécessaire de restreindre la libre circulation des crédits de service, à l'instar de ce qui se pratique dans un SEL. C'est ce que l'on fait dans les accorderies, dont la version québécoise développe en outre des services collectifs qui permettent une réelle mixité sociale au sein des participants, évitant de la sorte l'écueil auquel se heurtent bien des SEL et qui consiste à ne finalement générer de l'égalité qu'au sein d'une même caste, souvent bien nantie. Le sentiment d'appartenance à un club, aux règles claires et précises, fondées sur l'égalité et l'entraide, et l'offre de services collectifs pour les moins favorisés, semble être la double condition pour le développement d'échanges égalitaires et solidaires.

Quoi qu'il en soit, ces mécanismes citoyens permettent d'éviter les travers de la grande distribution et de développer les échanges locaux, voire de leur donner en outre un tour égalitaire et solidaire.

 

Bernard Bayot
mai 2010

 

1 Boyle, D., Funny Money: In search of Alternative Cash, Harper Collins, London, 1999; Geoffrey Ingham, “De nouveaux espaces monétaires ?”, in L’Avenir de l’argent, OCDE, 2002.

2Marie Fare, L’Accorderie, un dispositif québécois de monnaie sociale basé sur le temps, 7 avril 2010, http://www.alpesolidaires.org/l-accorderie-un-dispositif-quebecois-de-mo....

3 Boyle, D., op. cit.; Geoffrey Ingham, op. cit.

4 Jean-Paul Dubois, « Le dollar est mort à Ithaca », dans Le Nouvel Observateur, 5 décembre 1996; Frédéric Hontschoote, Les monnaies locales : Création et rentabilité d’un capital social. Analyse comparative de l’Ithaca Hour et du SEL de Paris, Université de Paris VII Jussieu, juin 2000.

5 Http://www.alternatives.org/ithacahours.html ; les CDFI sont des institutions financières dont l'objectif principal est de fournir (directement ou indirectement) des financements (prêts ou investissements), accompagnés ou non d’une activité de conseil, aux entreprises engagées dans les communautés défavorisées.

6 Wall Street Journal, 27 juin 1996; Geoffrey Ingham, op. cit.

7 Bowring F., « LETS : An Eco-Socialist Alternative ? », dans New Left Review, 232, 1998, pp. 91-111 ; The Economist, 28 juin 1997, p. 65 ; Geoffrey Ingham, op. cit.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-BAYO2010-4
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
05/2010
Mois d'édition
Mai

La finance solidaire au Québec

Soumis par Anonyme le

Pratiquer une finance responsable, qui, à un niveau ou un autre, prend en compte l'impact social et/ou environnemental de l'acte financier, c'est prendre le contrepied d'une finance désincarnée, qui, de manière aussi naïve que dangereuse, pense pouvoir échapper à la réalité des hommes et de leur planète. La crise financière de 2008 nous a démontré, si besoin en était, les limites de cette vision étroite, égocentrique et – pour tout dire – égoïste.

Pour autant, la responsabilité financière peut se décliner de multiples façons, au gré des engagements, des besoins et des cultures. Le microcrédit, l’épargne solidaire ou l’investissement socialement responsable, pour ne citer que ces quelques cousins, s'ils appartiennent à la même famille de la finance responsable, présentent néanmoins des différences conceptuelles notables. C'est ainsi que, par exemple, les solutions développées en réponse aux problèmes particuliers qui se posent dans le Sud ne peuvent être reprises comme telles dans le Nord. Par contre, des expériences qui se développent dans des contextes similaires peuvent bien entendu constituer d'utiles sources d'inspiration. Démonstration par la finance solidaire québécoise.

Le Mouvement Desjardins

Le Mouvement des caisses Desjardins est un mouvement de coopératives d'épargne et de crédit fondé en 1900 par Alphonse Desjardins à Lévis (Québec). Il trouve son origine dans la situation socioéconomique de la province. C'est qu'à la fin du XIXe siècle, l'accès à l'épargne et au crédit est difficile pour une population essentiellement composée d'agriculteurs qui, à la suite d’une série de mauvaises récoltes, ont accumulé de lourdes dettes et font face à des banques très conservatrices qui ne font affaire qu'avec les commerçants, les industriels et les familles fortunées. Il ne leur reste que le recours à des prêteurs usuraires qui, libres de toute contrainte, finissent souvent par mettre la main sur les biens de leurs malheureux clients.

Cette histoire n'est pas sans rappeler celle qui prévalait à la moitié du XIXe siècle en Europe, où l’émancipation paysanne eut pour conséquence une liberté et une autonomie économiques telles qu’elles n’avaient encore jamais existé, en particulier pour la population rurale. Comme celle-ci était totalement inexpérimentée en matière économique, elle tomba très vite aux mains d’usuriers sans scrupules, s’endetta immodérément, perdit ainsi ses propriétés et sombra dans la misère1.

Ce n'est donc pas un hasard si Alphonse Desjardins, après avoir lu le livre que Henry W. Wolff consacra en 1893 aux expériences de coopératives d'épargne et de crédit existant à l'époque en Europe, prit contact avec ce dernier2. Wolff mit Desjardins en relation épistolaire avec une dizaine de représentants du mouvement coopératif en France, en Italie, en Belgique, en Suisse et en Allemagne et c'est ainsi que Desjardins établit sa caisse à partir d’une synthèse de quatre modèles européens : les Caisses d’Épargne en France, les Caisses de crédit de F.W. Raiffeisen ainsi que les Banques populaires de H. Schulze en Allemagne et les Banques populaires de L. Luzzati en Italie.

3.

Plus d'un siècle plus tard, le Mouvement des caisses Desjardins est le plus grand groupe financier coopératif au Canada, avec 5,8 millions de membres et un actif global de 157 milliards de dollars canadiens (116 milliards d'euros). Il regroupe un réseau de coopératives de services financiers – les caisses et les credit unions – de même qu'une vingtaine de sociétés filiales, notamment en assurances de personnes et de dommages, en valeurs mobilières, en capital de risque et en gestion d'actifs.

Les caisses d'économie

Issues des milieux de travail et des grandes associations syndicales, la grande majorité des caisses d'économie sont nées au Québec dans les années 1960.

Durant cette période, désignée sous le nom de « révolution tranquille », les travailleurs éprouvaient en effet des difficultés à emprunter auprès des institutions financières traditionnelles. Ne possédant ni maison, ni terre, ni capital et n'ayant pour garantie que leur seule force de travail, ils se voyaient contraints, pour obtenir du financement, de recourir au crédit des compagnies de finance dont les taux d'intérêt étaient alors très élevés. Les effets de ce phénomène ont tôt fait de se manifester et les travailleurs se sont retrouvés dans de graves situations d'endettement.

C'est alors que des groupes de travailleurs, avec l'aide de leur syndicat ou de leur association, se sont dotés de leur propre outil financier avec, comme premier moyen d'épargne, la retenue à la source.

En économisant quelques dollars par semaine sur leur paye, les travailleurs ont eu vite fait de se constituer un capital et de se doter de services à travers des coopératives de services financiers, propriétés des membres, gérées par eux et bâties à leur image.

Fruit de l’alliance entre le mouvement coopératif et le mouvement syndical, ces caisses se sont progressivement implantées dans les milieux du travail avec l’objectif pour les travailleurs de mieux contrôler leurs destinées, tant individuelles que collectives. Elles sont issues d’un syndicalisme de projet, pour défendre les travailleurs dans la communauté, comme consommateurs, particulièrement ceux qui à une époque étaient victimes de prêts usuraires.

En 1962, les caisses de groupes se sont constituées en une fédération francophone, soit la Fédération des caisses d'économie du Québec, et dix-sept ans plus tard, en 1979, elles se sont affiliées au Mouvement Desjardins. En 2001, elles ont fusionné avec la Fédération des caisses Desjardins du Québec pour se regrouper au sein de la Première Vice-présidence des caisses de groupes.

Les caisses de groupes, aujourd'hui au nombre de 39, servent les intérêts de plus de 265 000 membres dans 700 entreprises et organismes publics et parapublics du Québec. Elles sont présentes dans plusieurs secteurs : éducation, santé, services publics (municipal et gouvernemental), industrie, économie solidaire, culture, télécommunications, haute technologie. Elles apportent aussi leur contribution auprès des communautés portugaise, polonaise et lituanienne4.

L'une d'entre elles, la Caisse d'économie solidaire Desjardins est née en 1971 de la fusion de huit caisses, dont la plus ancienne, la Caisse populaire des syndicats catholiques de Montréal, remonte à 1923. Elle est devenue la plus importante institution bancaire spécialisée en économie sociale, mais également la seule à s'y consacrer pleinement. Avec plus de 9800 membres individuels et près de 2400 entreprises collectives, elle est porteuse d’une idée coopérative au service du bien commun, de la démocratie, du « vivre ensemble », de l’écologie et de la solidarité. Ses membres ont choisi de poursuivre la pratique d’une utilisation des excédents, au travers de la collecte de l'épargne collective par la voie syndicale, à des fins de développement collectif. Ils ont ainsi engagé la Caisse à investir dans le bâtiment écologique par l’offre de services et de produits financiers écologiques et à développer un programme visant l’accompagnement et la formation de la relève entrepreneuriale sociale5. Au 31 décembre 2009, la Caisse gérait une épargne de 565 millions de dollars canadiens (419 millions d'euros)6. Son volume d’affaires dépassait le milliard de dollars (740 millions d'euros).

Les fonds de développement

Au début des années 1980, le Québec traverse une difficile récession. Près du quart des jeunes sont sans emploi. Plus de 14 % de la main-d'œuvre québécoise est au chômage. Les taux d'intérêt démentiels obligent plusieurs petites et moyennes entreprises à fermer leurs portes. En avril 1982, le premier ministre du Québec, René Lévesque, lance un appel à la solidarité lors du Sommet socio-économique convoqué d'urgence à Québec par le gouvernement québécois.

Consciente de la gravité de la situation, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) se dit prête à collaborer. Louis Laberge, alors président de la FTQ, la plus importante centrale syndicale du Québec, propose à ses membres de se doter d'une nouvelle politique syndicale face aux licenciements et aux fermetures d'entreprises. « Nous devons répondre à l'urgence de l'heure chez nos membres et dans la société québécoise : le maintien et la création d'emplois, déclare-t-il. Sinon, à quoi servent les syndicats ? »

Un des moyens préconisés est la création d'un fonds d'investissement de solidarité contrôlé par la FTQ. L'objectif est d'investir du capital de risque dans les PME québécoises. Le gouvernement du Québec exprime son appui en accordant aux futurs actionnaires du Fonds des conditions fiscales avantageuses. Il sera d'ailleurs suivi par le gouvernement fédéral quelque temps après. Le 3 mars 1983, la FTQ annonce son projet de créer le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ), une première dans les annales du monde syndical7. Treize ans plus tard, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) crée à son tour un fonds de développement qu'il baptise « Fondaction », le fonds de développement de la CSN pour la coopération et l’emploi.

Tout en facilitant l’accès à l’épargne retraite des travailleuses, des travailleurs et de la population en général, ces fonds contribuent à maintenir ou créer des emplois et à stimuler l’économie du Québec par le biais de prises de participation, de prêts ou de garanties de prêt en faveur des PME québécoises auxquelles ils sont tenus de consacrer au moins 60 % de leurs actifs. Ces fonds veillent en outre à procurer à leurs actionnaires un rendement équitable.

Au 31 mai 2009, le Fonds de solidarité FTQ gérait des actifs de 7,4 milliards de dollars canadiens (5,5 milliards d'euros)8 et au 30 novembre 2009, Fondaction gérait 667 millions de dollars canadiens (494 millions d'euros)9.

Travailleur européen, où plces-tu ton épargne ?

Alphonse Desjardins a donc eu la bonne idée, à l'aube du XXe siècle, d'étudier les formes de finance solidaire qui s'étaient développées en Europe au cours des cinquante années précédentes. Il les a adaptées à la réalité québécoise pour construire un modèle solide et pérenne qu'on appellera le Mouvement Desjardins. Progressivement, les mouvements syndicaux vont s'impliquer dans cette finance solidaire au travers des caisses d'économie, puis des fonds de développement. Cette caractéristique est sûrement l’un des aspects les plus originaux du modèle québécois.

À notre tour, en Europe, d'étudier ces formes d'engagement syndical dans la finance solidaire. Les contextes et les besoins, ici et là-bas, sont-ils finalement si différents ? Chez nous aussi, les questions du rapport au travail, à la production et à la consommation ne méritent-elles pas d'être posées et des solutions innovantes ne pourraient-elles pas être trouvées ? L'expérience québécoise doit au moins nous interpeller, sans doute nous inspirer. Et nous permettre de dégager des pratiques innovantes en lien avec les besoins du moment. C'est que la crise financière ne nous laisse guère d'autre possibilité que de nous retrousser les manches pour développer cette alternative financière pour une économie plus solidaire.

Bernard Bayot

septembre 2010

 

1 Bernard Bayot, « Friedrich Wilhelm Raiffeisen », dans FINANcité Cahier, n° 1, Réseau Financement Alternatif, mars 2006.

2 Henry William Wolff, People's Banks: A Record of Social and Economic Success, 1893.

5 Colette Harvey et Pascale Caron, « Le modèle coopératif québécois », dansFINANcité, nº 13, Réseau Financement Alternatif, mars 2009.

6 Caisse d'économie solidaire Desjardins, États financiers, Rapport annuel 2008.

7 Bernard Bayot, « Les syndicats et l'investissement responsable », dans FINANcité Cahier, nº 14, Réseau Financement Alternatif, juin 2009.

8 Fonds de solidarité FTQ, États financiers aux 31 mai 2009 et 2008.

9 Fondaction, États financiers aux 31 mai 2009 et 2008.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-BAYO2010-3
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
09/2010
Mois d'édition
Septembre

Créer une banque publique ?

Soumis par Anonyme le

Nous écrivions il y a quelques mois que le succès populaire impressionnant de la Kiwibank – lancée par la Poste néo-zélandaise début 2002 et totalement épargnée par la crise actuelle car n'ayant pas misé sur le marché spéculatif mondial – d'une part, et la lamentable saga de la CGER – vendue à une banque commerciale que l'État a ensuite dû renflouer pour qu'elle ne tombe pas en faillite – d'autre part, donnent à réfléchir sur le rôle de l'État dans le marché financier.

Ne doit-il pas être plus interventionniste et, aujourd'hui, recréer une banque publique sur les cendres de cette privatisation financière qui, c'est le moins que l'on puisse écrire, ne semble pas s'apparenter à un grand succès ? La question est complexe et recouvre divers aspects qui, sans aucun doute, méritent un examen approfondi. Ceci ne nous dispense pas de la poser et de la débattre de toute urgence, notamment au regard des expériences passées1.

Cette question a été relancée en ce début d'année à l'occasion de la proposition de la FGTB de créer une banque publique qui pourrait irriguer le système économique et conduire à la création d’emplois nouveaux et durables2. Quelques semaines plus tard paraissait le livre de Marco Van Hees, Banques qui pillent... Banques qui pleurent, qui charge le capitalisme financier et propose également la création d'une banque publique3.

Cette question a encore rebondi fin mars à l'occasion de la décision du Labour britannique, en précampagne électorale, de créer une « banque du peuple » basée dans les 11 500 bureaux de poste du royaume. L'objectif est d'y proposer un plus grand nombre de produits financiers, d'y encourager l'épargne et de faciliter l'accès au crédit approprié pour les particuliers à bas revenus4. Cette décision fait suite à la publication des résultats d'une consultation sur les activités financières des bureaux de poste, à l'occasion de laquelle le secrétaire d'État Lord Mandelson a déclaré : « Since the banking crisis, we have set about reinventing the financial services industry piece-by-piece, building a system that is fairer, trusted and more reliable. » (« Depuis la crise bancaire, nous nous sommes mis à réinventer l'industrie des services financiers morceau par morceau, construisant un système qui soit équitable, de confiance et plus fiable. »)a href="#sdfootnote5sym">5

La contrainte juridique

Encore faut-il vérifier dans quelles conditions les pouvoirs publics peuvent créer une banque publique compte tenu des contraintes juridiques auxquel les ils doivent se soumettre.

C’est en effet à partir de la fin des années 1970 qu’a été amorcée l’intégration ou la libéralisation du marché bancaire. Les deux premières directives bancaires européennes ont été adoptées respectivement le 12 décembre 1977 et le 15 décembre 1989. Pour regrouper et codifier ces deux directives et d’autres adoptées depuis lors, une nouvelle directive a été adoptée le 20 mars 2000, qui a été elle-même modifiée de façon substantielle à plusieurs reprises. Le 14 juin 2006 enfin, à l'occasion de nouvelles modifications de ladite directive, le législateur européen a, dans un souci de clarté, procédé à une refonte de celle-ci.

Ces directives bancaires ont gommé autant que possible les différences entre les banques commerciales et les banques de développement. Toutes les particularités qu’avaient ces dernières, comme des avantages fiscaux, des garanties publiques..., qui leur permettaient de remplir leurs fonctions de développement local, ont en grande partie disparu. Une série de banques avaient droit à une exemption dans la première directive bancaire – il s’agissait surtout des organismes publics. La liste nominative de ces banques s’est réduite au fil du temps, l’objectif de la Commission européenne étant de faire disparaître toute distorsion de concurrence entre les différents types de banques. Cette liste est à présent fermée puisqu’a été supprimée la faculté, qui était encore prévue dans la directive de 2000, que le Conseil, sur proposition de la Commission, modifie cette liste d’exemptions6.

Il n'est donc pas formellement interdit aux pouvoirs publics de créer ou de maintenir des banques publiques, mais, si celles-ci ne figurent pas dans la liste d'exemption, elles doivent être mises sur un strict pied d'égalité avec les banques privées :

  1. Les relations financières entre le propriétaire public et l'établissement public de crédit ne diffèrent pas d'une relation commerciale normale de propriété régie par les principes de l'économie de marché, à l'instar de la relation existant entre un actionnaire privé et une société anonyme.
  2. Toute obligation du propriétaire public d'accorder un soutien économique à l'établissement public de crédit et tout mécanisme automatique de soutien économique du propriétaire à l'établissement public de crédit est exclu. Il ne peut y avoir responsabilité illimitée du propriétaire pour les engagements de l'établissement public de crédit. Il ne peut y avoir ni déclaration d'intention ni garantie concernant l'existence de l'établissement public de crédit (exclusion de toute "bestandsgarantie").
  3. Les établissements publics de crédit sont soumis aux mêmes règles d'insolvabilité que les établissements privés, leurs créanciers étant ainsi placés dans la même situation que les créanciers des établissements privés.
  4. Ces principes sont sans préjudice de la possibilité pour le propriétaire d'accorder un soutien économique dans le respect des règles du traité CE concernant les aides d'État.

Les principes qui précèdent ont été dégagés dans le cadre d'un accord conclu entre l'Allemagne et la Commission sur les garanties d'État en faveur des Landesbanken et des banques d'épargne. Les Landesbanken sont des établissements publics de crédit régionaux, comparables aux caisses d'épargne françaises. Elles bénéficiaient d'apports financiers et d'une garantie illimitée de la part des Länder allemands, qui leur permettaient de se refinancer sur le marché à des conditions avantageuses. Les banques privées allemandes, se considérant victimes d'une distorsion de concurrence, ont déposé plainte auprès de la Commission européenne.

Au mois de juillet 1999, celle-ci a engagé des procédures d'enquête contre six Landesbanken et demandé à celle contrôlée par la Rhénanie du Nord-Westphalie de rembourser à sa région de tutelle 808 milliards d'euros, au titre d'un apport d'actifs considéré comme une aide d'État. Refusant d'obtempérer, le Land concerné et le gouvernement fédéral allemand ont porté l'affaire devant la Cour de justice, au mois de mai 2000. La Fédération bancaire européenne (FBE) s'est à son tour jetée dans la bataille et a porté plainte auprès de la Commission, au mois de juillet 2000, contre le régime des garanties accordées aux Landesbanken, s'attirant en retour les foudres des Caisses d'épargne européennes. Au final, l'accord précité a pu être dégagé7.

Conclusions

Aucun avantage particulier ne peut donc être offert à une banque publique, auquel une banque privée n'aurait pas accès. Mais tant l'un que l'autre peuvent bénéficier d'un soutien économique dans le respect des règles du traité CE concernant les aides d'État.

La question se pose dès lors de savoir quand et à quelles conditions il est indiqué, voire nécessaire, de créer une banque publique. Pour y répondre, deux ordres de considérations nous paraissent devoir être distingués. D'abord, il faut déterminer quelles sont les missions d'intérêt économique général qui doivent être assumées par le secteur financier dans son ensemble ou par certains opérateurs en particulier. On pense notamment à l'irrigation du système économique, pour reprendre les termes de la FGTB, ou à la nécessité d'éradiquer l'exclusion financière8. Et il convient de vérifier si ces services sont correctement assumés et, à défaut, de créer les incitants qui permettent qu'ils le soient 9. Ensuite, si aucune institution existante n'a la volonté ou la capacité d'assumer ces missions, il conviendra effectivement de combler cette lacune en créant un organisme public adéquat.

Si la banque publique peut donc certainement constituer un outil précieux de politique publique en matière financière, sa mise en place nous paraît devoir être précédée d'une définition claire des missions d'intérêt économique général qui doivent être assumées par le secteur financier. Sans doute une telle définition aurait-elle d'ailleurs permis d'éviter les crises à répétition dont la planète finance nous a gratifiés ces dernières années. Des incitants, comme une compensation financière entre opérateurs, peuvent alors être prévus pour éviter toute distorsion de concurrence au détriment de ceux qui assument de telles missions.

Si aucun opérateur privé n'assume celles-ci, les pouvoirs publics devront pallier cette carence en créant une institution publique qui pourra, du reste, obtenir auprès de ses concurrents privés une juste compensation pour assumer ses missions d'intérêt économique général.

Bernard Bayot
mai 2010

1 « L'interventionnisme public dans la finance », dans FINANcité Cahier, nº 15, Réseau Financement Alternatif, octobre 2009, page 91.

2 Bernard Demonty, « La FGTB exige une relance », dans Le Soir, 7 janvier 2010 ; Henri Simons, « Quel avenir pour la Banque de la Poste ? », dans Le Soir, 12 janvier 2010 ; Martine Vandemeulebroucke et Dominique Berns, « Qui veut d’une banque publique ? », dans Le Soir, 14 janvier 2010.

3 Éditions Aden, février 2010.

4 Jill Treanor, “Post Office told to cut Bank of Ireland ties as it expands banking services”, in The Guardian, 29 mars 2010.

5 Department for Business, Innovation and Skills, Post Office Banking Government Response to Consultation, mars 2010.

6 Bernard Bayot, « L'Europe réglemente l'activité des banques », dans FINANcité Cahier, nº 3, Réseau Financement Alternatif, octobre 2006, page 2.

7 « L'Allemagne accepte la mise en oeuvre de l'accord conclu avec la Commission sur les garanties d'État en faveur des Landesbanken et des banques d'épargne », IP/02/343, 28 février 2002 ; Hubert HAENEL, Rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur les services d’intérêt général en Europe, Annexe au procès-verbal de la séance du 16 novembre 2000, Sénat de France, session ordinaire de 2000-2001, nº 82.

8 On parle d'exclusion financière « lorsqu'une personne qui s'adresse aux principaux opérateurs présents sur le marché rencontre des difficultés à utiliser ou à accéder à des produits ou services financiers appropriés qui lui permettent de vivre une vie sociale normale dans la société à laquelle elle appartient » ( Commission européenne, Offre de services financiers et prévention de l’exclusion financière, VC/2006/0183).

9 Bernard Bayot, La banque de base, Réseau Financement Alternatif, avril 2009, https://www.financite.be/s-in-former/bibliotheque,fr,11,3,2,1,2004.html.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-BAYO2010-2
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
05/2010
Mois d'édition
Mai

L'ISR peut-il changer l'économie ?

Soumis par Anonyme le

L'investissement socialement responsable (ISR) est celui qui est réalisé non pas sur la base de critères exclusivement financiers, mais en tenant compte également de préoccupations sociales, éthiques et environnementales. Par glissement sémantique, on en vient à qualifier certains produits financiers d'« ISR » alors que, bien entendu, ce ne sont pas ceux-ci qui sont socialement ou sociétalement responsables, mais les investisseurs qui les acquièrent, voire l'acte d'investir posé par ceux-ci.

Cette première observation n'est pas de pure forme : elle repose sur le postulat que c'est l'homme qui est au centre du jeu financier et qu'il est responsable des actes qu'il pose et qui ont un impact immédiat, positif ou négatif, sur la vie sociale et les écosystèmes. Cette conception est évidemment aux antipodes de celle de la main invisible d'Adam Smith qui veut que des actions guidées par notre seul intérêt puissent contribuer à la richesse et au bien-être commun.

Elle s'oppose également à la conception, largement répandue dans un passé encore très récent, où l'on vantait le mythe d’une finance désincarnée, qui semblait flotter, indifférente à la pesanteur, se moquant de l’activité des hommes et de leurs préoccupations. On affirmait même, sans rire, que cette finance créait de la richesse par elle-même. Une sorte de pierre philosophale des temps modernes ! La réalité est évidemment différente et la crise financière en a fourni une affligeante démonstration1.

Promouvoir un investissement responsable, c'est donc d'abord affirmer que la finance n'est pas une fin en soi, mais qu'elle est un outil au service de l'homme et de son environnement, donc aussi de l'économie, avec laquelle elle se trouve en situation d'interaction totale, pour le meilleur et pour le pire. C'est ensuite reconnaître la responsabilité pleine et entière des acteurs financiers, au rang desquels figure également le citoyen qui gère son épargne.

Même si cette double conception peut sans doute être largement partagée, elle ne prouve pas pour autant la capacité de l'ISR à changer effectivement l'économie. Tout dépend du contenu que l'on donne à cette responsabilité. Elle peut être morale, politique et sociale.

Ainsi, des investisseurs religieux, notamment de confession juive, chrétienne et islamique, ont au, cours des siècles, mêlé argent et morale et continuent du reste aujourd'hui à le faire, prenant en considération les conséquences de leurs actions économiques et refusant les investissements ou les mécanismes, comme l'intérêt, qui entrent en contradiction avec leurs convictions profondes.

Ainsi, un fonds destiné aux investisseurs institutionnels, créé voici quelques années en Belgique, visait en particulier la clientèle des congrégations religieuses. Sa gestion était fondée notamment sur l'évitement de certains secteurs d'activité jugés non éthiques, par exemple celui de la production et de la distribution de moyens contraceptifs et abortifs. À cette conception de la morale s'oppose évidemment une autre qui, au nom du droit de la femme de contrôler sa maternité et de considérations strictement médicales et sanitaires, considérera qu'il est profondément contraire à l'éthique de refuser d’investir dans de tels secteurs.

Comme on le voit, cette forme d'ISR, pour honorable qu'elle soit, se limite le plus souvent à mettre nos actes financiers en harmonie avec nos conceptions morales qui, par définition, sont personnelles. Elle n'a donc pas, en principe, de visée collective et transformatrice. Si je m'interdis d'investir dans la contraception, l'alcool, le tabac ou la pornographie, cela n'implique pas nécessairement que je milite pour l'interdiction de ces secteurs ; j'exprime seulement un choix moral, pas un choix politique.

Il en va autrement si je canalise mon épargne en bannissant les entreprises qui occupent de la main-d'œuvre infantile ou qui produisent des OGM. Il s'agit dans ce cas de l'expression d'une responsabilité politique. C'est-à-dire qu'elle ne concerne pas exclusivement des choix moraux individuels mais qu’elle a trait au collectif, c'est-à-dire au cadre général d'une société organisée et développée.

Cette expression politique peut évidemment être plus ou moins partagée. L'interdiction du travail des enfants, l’interdiction de la discrimination entre hommes et femmes ou encore de la production d'armements controversés comme les mines antipersonnel, pour ne prendre que ces quelques exemples, font l'objet de conventions internationales ratifiées par de nombreux pays et sont ainsi devenues des standards à propos desquels s'exprime un large consensus. Il n'en va évidemment pas de même de questions plus controversées comme la production d'énergie nucléaire ou d'OGM.

De même, cette responsabilité peut s'exprimer de diverses manières. Cela peut être l'évitement, dans les portefeuilles d'investissement ou de crédit, d'entreprises ou d'États qui agissent dans un sens contraire à ces conceptions politiques. Mais cette responsabilité peut aussi s'exprimer par une sélection positive qui consiste à ne retenir dans ces portefeuilles que les entreprises et les États dont il est établi qu'ils sont le plus en pointe sur tel ou tel aspect de leur gestion. C'est ce que l'on désigne communément par l'analyse best-in-class, où, par exemple, on ne va conserver dans son portefeuille que les entreprises qui figurent parmi les 20 pour cent des plus performantes dans leur gestion environnementale. Souvent cette méthode s'appliquera de manière différenciée pour chaque secteur d'activité, en fonction des contraintes de chacun de ceux-ci, étant entendu que la gestion environnementale du secteur du transport et de celui des nouvelles technologies sont difficilement comparables.

Quoi qu'il en soit, conception largement partagée ou non, évitement ou best-in-class, cette responsabilité financière exprime davantage un choix politique, même si la frontière entre morale et politique n'est pas toujours nette.

Ce choix concerne divers secteurs parmi lesquels celui des droits sociaux, que ce soit au sein de l'entreprise ou dans la chaine de production. Il est en effet peu probable qu'une entreprise française ou belge qui distribue des vêtements viole elle-même les principes de base de l'Organisation internationale du travail, comme l'interdiction du travail forcé, puisque ces principes sont consacrés par les lois françaises et belges et que leur violation donnerait lieu à des poursuites. Par contre, il n'est pas exclu qu'elle s'approvisionne auprès de producteurs qui sont établis dans d'autres parties de la planète et qui se rendent, eux, coupables de telles violations.

La protection des droits sociaux fait donc certainement partie de la responsabilité politique évoquée ci-dessus et, dès lors, des politiques de gestion généralement adoptées pour les produits qui revendiquent l'appellation ISR. Il n'en reste pas moins qu'il existe également une responsabilité sociale qui s'exprime au travers de cette forme plus engagée d'ISR que l'on désigne sous le vocable d'« épargne solidaire ». Celle se définit comme toute forme d’épargne et d’investissement socialement responsables qui vise à favoriser la cohésion sociale par le financement, grâce à un mécanisme de solidarité, d’activités de l’économie sociale et solidaire, et ce, dans une transparence totale à l’égard des souscripteurs. En ce sens, les produits d’épargne labellisés financent des projets et des entreprises qui présentent une valeur ajoutée pour l’homme, la culture et/ou l’environnement...2

L'investissement responsable, outil au service de l'homme et de son environnement et expression d'une responsabilité pleine et entière des acteurs financiers, a vocation à transformer l'économie dans la mesure de l'engagement qu'elle recouvre. Vocation nulle à modérée, s'agissant de l'exercice d'une simple responsabilité morale ; renforcée dans le cas d'une responsabilité politique ; et la plus importante lorsqu'il est question de responsabilité sociale et d'épargne solidaire.

Cette vocation ne démontre évidemment pas à elle seule la capacité de l'ISR à changer effectivement l'économie. Il convient pour cela qu'il recouvre une réalité quantitative suffisamment importante pour que la poche ISR soit significative, qu'elle ait un effet d'entrainement sur le reste de la finance ainsi que sur le cadre légal.

Le premier objectif est donc d'augmenter la part d'investissement responsable et solidaire sur le marché et de tendre ainsi vers le fait que l’ISR devienne, dans les faits, une norme de marché et que sa forme la plus engagée – que constitue l'épargne solidaire – sorte de sa relative confidentialité. Cette évolution quantitative doit toutefois aller de pair avec la préservation d'une qualité minimale sur les volets extrafinanciers, qui garantisse à l'épargnant ou à l'investisseur la qualité sociétale des produits financiers qui lui sont proposés. Ceci justifie bien sûr l'existence de labels comme Finansol pour l'épargne solidaire en France ou Ethibel pour l'ISR best-in-class. Selon l'état du marché, le recours à un label public peut d'ailleurs s'avérer indispensable pour assurer la qualité de celui-ci3.

À côté de cette évolution quantitative des ISR en tant que tels, on observe une intéressante contamination des préoccupations sociétales auprès de certaines institutions bancaires et d'assurance qui soumettent l'ensemble de leur portefeuille de crédit et d'investissement à des critères extrafinanciers tels que le respect des principes de base de l'Organisation internationale du travail (OIT) ou l'exclusion du secteur de l'armement.

Un autre levier qui favorise le fait que la préoccupation sociétale accompagne non seulement les ISR mais aussi l'ensemble des transactions financières est évidemment un cadre normatif contraignant pour l'ensemble du marché en vue de bannir les formes d'investissement les plus négatives pour l'homme et son environnement. C'est le cas en Belgique où, le 20 mars 2007, le parlement fédéral a adopté à l'unanimité une loi interdisant l'investissement dans les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions. La Belgique devenait alors le premier pays au monde à intégrer une telle loi. Cette interdiction a, depuis, été étendue aux armes à uranium appauvri.

Comme on le voit, l'ISR peut, progressivement, soumettre l'économie à de nouvelles contraintes, de nature sociétale, dont l'importance variera en fonction de l'intensité et de la qualité des critères utilisés, mais aussi de la faculté à en faire une large promotion qui permette d'en partager l'usage avec le plus grand nombre.

Bernard Bayot,
septembre 2010

 

1 Bernard Bayot, Finance : l'éthique et la solidarité en prime, Réseau Financement Alternatif, décembre 2009.

2 Finansol; Réseau Financement Alternatif, Febea, Fineurosol, 2006.

3 C'est le cas en Belgique où un projet de norme légale minimale pour l'ISR est en discussion ; voir Bernard Bayot, Steven Coeckelbergh, Alexandra Demoustiez, Étude portant sur une proposition de définition d'une norme légale d'investissement socialement responsable, Réseau Financement Alternatif, 2008.

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-BAYO2010-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
09/2010
Mois d'édition
Septembre

Evaluatie van de wet van 24 maart 2003 tot instelling van de basis bankdienst

Soumis par Anonyme le
Type de support
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
OC-RADE2005-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2005
Date d'édition
2005

Le rôle des Pouvoirs Publics en matière d'investissement socialement responsable

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
MO-NETW2007-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2007
Date d'édition
04/2007
Mois d'édition
Avril

Cahier FINANcité n°18: Indicateurs de responsabilité sociétale des établissements de crédit et des dispensateurs de crédit aux particuliers

Soumis par Anonyme le
Type de support
Type de document
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Sommaire

La présente étude a donc pour objectif de définir les contours d'une RSE propre aux institutions financières et axée sur les enjeux de l'inclusion financière, d'une part, et de la responsabilité et solidarité adoptées dans la politique de gestion des actifs et l'offre des produits d'investissement, d'autre part. Elle vise également à développer les moyens de la mesurer. Son objet est donc de fournir un outil d'évaluation de la RSE.

Code de classement
OC-CAHI-1
Indice du code de classement
26
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
OC-CAHI-1/26
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2010
Date d'édition
06/2010
Mois d'édition
Juin

Friedrich Wilhelm Raiffeisen

Soumis par Anonyme le

Jeune bourgmestre du district communal de Flammersfeld, en Rhénanie, Frédéric-Guillaume Raiffeisen (1818-1888) est confronté aux méfaits de l'usure et à la gravité de l'endettement des paysans. Pour lutter contre ce fléau, il crée le 1er décembre 1849 la première véritable société de crédit aux agriculteurs, la « Société de secours aux agriculteurs impécunieux de Flammersfeld ». Prémisse du crédit mutuel.

D'origine modeste, Frédéric-Guillaume Raiffeisen doit, dès l'âge de 15 ans, s'engager comme journalier pour aider sa mère demeurée veuve. Cette expérience lui permettra de mesurer les ravages provoqués par l'usure. L’émancipation paysanne du 19ème siècle eut en effet pour conséquence une liberté et une autonomie économiques telles qu’elles n’avaient encore jamais existé, en particulier pour la population rurale. Comme celle-ci était totalement inexpérimentée en matière économique, elle tomba très vite aux mains d’usuriers sans scrupules, s’endetta immodérément, perdit ainsi ses propriétés et sombra dans la misère.

Plus de charité, mais l'auto-assistance

A 17 ans, Raiffeisen entre dans une école militaire d'artillerie et, ensuite, dans le corps civil des fonctionnaires du gouvernement royal prussien à Coblence. C'est ainsi qu'en 1845, à 27 ans, il est nommé bourgmestre du district de Weyerbusch, région isolée et pauvre, comptant une population essentiellement paysanne, aux conditions de vie très rudes. Motivé par la détresse de celle-ci, il fonde l’association pour l’approvisionnement en pain et en céréales pendant l’hiver de famine 1846-1847. Cette association construit un fournil coopératif communal et procède à des achats de semences pour les paysans grâce à un emprunt réalisé par la commune en hypothéquant ses forêts.

Son intuition était en effet que la charité ne permettrait pas d'améliorer durablement le sort des gens mais qu’il fallait apprendre aux pauvres à se prendre en mains. Point de charité, mais l'auto-assistance.

L'action de Raiffeisen lui vaut une certaine popularité et s’est précédée d’une réelle réputation qu’il arrive en avril 1848 à Flammersfeld, au sud de Weyerbusch. Nommé bourgmestre de ce district communal plus important, qui compte 33 communes, il constate une fois de plus les méfaits de l'usure et la gravité de l'endettement des paysans. Ceux-ci louent leur bétail à de gros propriétaires et il suffit que l'année soit mauvaise ou que la maladie frappe le bétail pour qu’ils ne puissent payer le prix de cette location à leur créancier. Ils sont alors forcés de vendre leurs biens pour se libérer de leurs dettes et, privés de leur propriété, de devenir journalier et donc se prolétariser.

La Société de secours

Raiffeisen, indigné par cette situation, va chercher des remèdes. Il voit que les paysans s'engagent dans ce dangereux processus à partir du moment où ils acceptent de prendre du bétail en location. Raiffeisen a donc l'idée de créer une association qui achèterait le bétail nécessaire et qui pourrait ensuite le céder aux exploitants sur plusieurs années et à un taux modéré. C’est la « Société de secours aux agriculteurs impécunieux de Flammersfeld », qu’il fonde le 1er décembre 1849.

Raiffeisen s'adresse aux personnes les plus aisées de Flammersfeld, en faisant appel à leurs sentiments de charité chrétienne, pour leur demander de se porter caution de la société. Fort de la caution de soixante personnes, Raiffeisen trouve de l'argent à Cologne, auprès d'un banquier et l'association peut, dès 1850, acheter plus de 70 vaches. Dans une deuxième phase, la Société de secours offre une rémunération sur les dépôts, ce qui provoque rapidement un afflux de ressources. Enfin, dans une troisième phase, la Société n'achète plus elle-même le bétail, mais prête l'argent aux paysans qui achètent directement sur les marchés.

En 1852, Raiffeisen est muté à Heddersdorf près de Neuwied dans la vallée rhénane, région de manufactures, fort différente du milieu rural qu’il a connu jusqu'alors. Sitôt arrivé, Raiffeisen crée l' «Association charitable » d'Heddesdorf avec une soixantaine d'habitants aisés. Il reprend les idées qu'il avait mises en application à Flammersfeld, mais l'objectif poursuivi est plus vaste puisque l'association se propose de promouvoir l'amélioration de la condition matérielle par tous les moyens appropriés, tels que l'assistance aux enfants abandonnés et leur éducation, l'emploi de chômeurs et de délinquants libérés, la fourniture à crédit de bétail aux cultivateurs sans ressources, et enfin la constitution d'un caisse de crédit à l'intention des classes modestes.

Après plusieurs années de fonctionnement de l’association, Raiffeisen a l'idée de demander aux débiteurs de devenir membres de l'association, et donc de lier les débiteurs et les créanciers. Désormais, les uns et les autres ont intérêt à ce que l'association soit prospère. D'autre part, pour une question de dignité morale, il lui paraît nécessaire que les plus démunis n'attendent pas passivement l'aide d'autrui. Il est donc conduit, en 1862, à modifier les statuts de ce qui devient l’ «Association-caisse de prêts de Heddersdorf ». Désormais, tout emprunteur doit également adhérer à l'association et tout emprunt doit être garanti par un cautionnaire solvable.

Déjà d'autres associations de crédit mutuel se fondent dans des communes voisines et en 1869, à Neuwied, il prend la décision de fonder une caisse du second degré pour exercer la compensation et la gestion des excédents de dépôts entre les associations. Au même moment, d'autres caisses du second degré se créent pour la Hesse et la Westphalie. Quelques années plus tard, en 1874, il a enfin l'idée de créer un troisième degré financier : une Caisse Centrale de prêt à l'agriculture, qui est fondée à Neuwied, cette année-là. A cette date, existent déjà plus de cent caisses de crédit mutuel en Allemagne.

Ces caisses Raiffeisen sont fondées sur les quatre principes suivants : opérer dans une région limitée telle une commune ou une paroisse, redistribuer l’épargne locale sur place, octroyer des crédits à moyen terme (plusieurs années) et à faible taux d’intérêt et se baser sur la responsabilité individuelle, solidaire et illimitée de tous les membres de la caisse.

C’est sur ce modèle qu’en 1892 sera créée la première caisse Raiffeisen en Belgique. Le monde bancaire belge, avec à sa tête la Société Générale, était alors entièrement engagé dans le financement de l’appareil industriel en plein essor, essentiellement en Wallonie, autour des pôles de croissance Liège-Verviers et Mons-Charleroi. En Flandre, seul le secteur de l’industrie textile gantoise prenait part à ce processus de modernisation. Le financement de l’activité agricole était quant à lui délaissé : pour les crédits à long terme, il n’existait pas de caisse publique de crédit foncier et les seules sociétés hypothécaires privées existantes avaient une activité très limitée ; pour les crédits à court et moyen terme, la loi du 15 avril 1884 autorisait la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite (C.G.E.R.) à drainer une partie de ses moyens financiers vers le secteur primaire par l’intermédiaire de « comptoirs agricoles » mais ceux-ci n’ont toutefois connu qu’un succès très limité puisqu’il n’y a jamais eu plus de quatre comptoirs, tous établis en Wallonie, à avoir fonctionné concomitamment de 1887 à 1895. Les besoins de crédit dans l’agriculture, singulièrement en Flandre, n’étaient donc pas rencontrés et expliquent l’éclosion des caisses Raiffeisen.

Ce succès s’explique également par le contexte de l’époque, caractérisé par la lutte clérico-libérale, d’une part, et par la crainte d’une percée socialiste à la fin du XIXème siècle, d’autre part. Dans ce contexte, les catholiques ont choisi la voie de la « liberté surveillée », à savoir la liberté de mettre en place, avec la signature idéologique voulue, des structures sociales intermédiaires reconnues entre l’Etat et l’individu. Ce choix s’est traduit notamment sur le plan politique par l’adoption de la loi sur les coopératives en 1873. Il s’est traduit de manière éclatante dans le domaine du crédit agricole en Flandre. Raiffeisen lui-même avait insisté sur le fait que ses caisses devaient diffuser le message chrétien, notamment par l’engagement du curé ou du pasteur local dans leur comité. Cette idée sera reprise en Flandre. L’article 6 des modèles de statuts des gildes d’épargne et de crédit prévoyait en effet que l’affiliation à celles-ci était limitée aux « seules personnes qui reconnaissaient la religion, la famille et le droit de propriété comme les fondements de la société et agissent en fonction de ces valeurs ».

Frédéric-Guillaume Raiffeisen, le père du crédit mutuel a aussi contribué à l’émergence de cette idée de regrouper les gens pour qu'ils s'entraident et peut également, à ce titre, être considéré comme un précurseur de la coopérative.

Bernard Bayot

Sources :

Braumann Franz, Frédéric-Guillaume Raiffeisen, 1888-1988: Car j'ai eu faim
CERA 1892-1998, La force de la solidarité coopérative.
Crédit Mutuel, http://www.cmma.creditmutuel.fr/
Fondation Raiffeisen belge, http://www.cera.be/brs/fr/
L'Union Internationale Raiffeisen (IRU) http://www.iru.de/

Type de support
Type de document
Auteur(s)
Editeur
Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
Lieux
Sommaire
Thématiques liées
Numéro de classement dans la bibliothèque ou code de rangement
DE-BAYO2006-1
Cocher cette case pour générer un nouveau code lors de l'enregistrement de ce contenu
Désactivé
Année d'édition
2005
Date d'édition
02/2005
Mois d'édition
Février