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Qu'a coûté la crise aux citoyens ?

Soumis par Anonyme le

Depuis bientôt trois ans qu'a éclaté la crise, les chiffres les plus fous et les plus divers circulent quant à son coût. Entre quantification exacte et effets de manche destinés à rassurer ou à faire peur au citoyen, il devient très difficile de faire le tri dans cette spirale des chiffres.

Illusoire...

Disons-le tout d'emblée, il est impossible d'objectiver ce qu'a exactement coûté la crise, car la réponse varie en fonction de ce qu'on inclut dans le calcul. Les différents montants communiqués dans la presse montrent bien que la notion est floue. La crise que l'on traverse est en effet multifactorielle et les conséquences se retrouvent à tous les étages, le feu se communiquant de l'un à l'autre. À parcourir les articles de journaux parus depuis 2008, il apparaît que le « coût de la crise » englobe des notions variées : coût de la faillite de certaines banques, coût de la dévalorisation des capitalisations boursières, coûts liés à la diminution du crédit, à l'essoufflement de la croissance, à l'augmentation du chômage, des dépenses sociales, coût des plans de sauvetage des banques, des États... On le voit, la notion est large.

Une autre variable d’importance est le laps de temps que l'on prend en compte pour faire ce calcul. Car, on l'a appris, les marchés commencent à se relever et une partie des pertes bancaires et institutionnelles liées à la crise commencent à s'effacer ; ce qui n'est pas forcément le cas pour les personnes qui, par suite de cette crise, ont perdu leur travail, leur maison... Ce qui complique encore le calcul c’est que, dans certains secteurs, les effets de la crise arrivent à retardement. Ainsi, le FMI a estimé en 2008 que la crise des subprimes s'élevait à 1000 milliards de dollars ; en 2009, il la chiffrait à 2220 milliards ; et en avril 2010, l’estimation était passée à 4000 milliards de dollars. Ce coût est celui que les institutions financières ont dû supporter et vont devoir supporter en raison notamment de la baisse de la valeur des actifs qui garantissent leurs crédits, comme l'immobilier.

En Belgique, la Cour des comptes a publié en janvier dernier les chiffres concernant le coût de la crise pour l'État belge : le sauvetage du système financier lui a coûté 15 milliards d'euros. Depuis 2008, la Belgique a déboursé 21,08 milliards d'euros sur lesquels elle a déjà récupéré quelque 6 milliards. Ce déboursement a été utilisé pour le sauvetage des banques belges (Fortis, Dexia, KBC, Ethias principalement) et pour l'aide à la Grèce.

Pour le citoyen ?

Calculer l'impact financier de la crise sur le citoyen est tout aussi difficile et les chiffres avancés s'avèrent tout aussi fluctuants. En novembre dernier, le Tijd annonçait que la crise avait coûté 600 milliards d’euros, soit 1200 euros par habitant de l’Union européenne. Le calcul se basait sur les montants de l’aide accordée à la Grèce et à l'Irlande, ainsi que sur le montant des intérêts que l'Europe devrait rembourser sur l'emprunt. En octobre 2008, Jean-Marc Nollet, en se basant sur le coût du plan de sauvetage des banques, annonçait que la crise coûterait 732 euros par Belge moyen. L'Écho, quelques jours plus tard, se basant sur la dévalorisation des avoirs boursiers des familles belges, parlait d'une perte de 7300 euros par Belge moyen. À ces déclarations s'ajoutent celles des politiciens qui annonçaient que le sauvetage des banques ou des États ne coûtait... rien aux citoyens.

Bref, personne ne niera que le coût de la crise, global ou par citoyen, dépend des lunettes que l'on porte. Entre coût réel, coût fantasmé et coût potentiel, revenons, pour y voir plus clair, sur les différentes solutions que les États ont mises en place pour sauver le système financier et éviter le risque systémique (voir plus loin).

Commençons par le commencement. La crise mondiale dont nous entendons parler depuis trois ans maintenant a débuté aux États-Unis avec les fameux subprimes et s'est ensuite propagée comme une trainée de poudre. Pour rappel, des banques peu scrupuleuses ont prêté à haut risque (subprime) de l'argent à des gens qui n'avaient pas les moyens de rembourser. Pour se prémunir, elles ont revendu le risque sur les marchés sous forme de titres que d'autres banques ont ensuite achetés, car ils promettaient d’être très rentables. Au final, lorsque, des millions d'Américains n'ont plus pu rembourser leur crédit hypothécaire, les banques prêteuses se sont trouvées en difficulté et n'ont plus pu payer les banques qui avaient acheté (souvent sans vraiment comprendre de quoi il s'agissait) ces produits dérivés. Celles-ci, prises dans l'engrenage ont alors fortement diminué la quantité de crédits qu'elles accordaient aux entreprises pour financer leurs activités. Ainsi est née une crise systémique annonçant un risque général d'effondrement de l'économie : à partir d'un élément et par un effet de dominos, c'est tout le système financier sur lequel repose notre économie qui a failli s'écrouler. Dès lors, les États n'ont eu d'autre solution que de sauver les banques, démentant l'expression anglaise « too big to fail ».

Les solutions de sauvetage

Quatre solutions ont donc été imaginées pour sauver les banques et les États de la faillite.

Tout d'abord, la prise de participation : l'État devient actionnaire d'une banque. C'est ce que l'État belge a fait au moment de la chute de Fortis. Normalement, il s’agit là d’une opération, sinon rentable, à tout le moins « blanche », puisque l'État entend revendre ses parts une fois que la tourmente aura cessé. Dans la saga Fortis, la Belgique est devenue actionnaire à 99,93 % du groupe. Elle a ensuite transféré la propriété de la banque contre 11,6 % du capital de BNP Paribas. Dans le cadre du sauvetage des institutions financières, l'État belge a emprunté 6,7 milliards pour renflouer les banques et racheter des actions dont le prix était si bas que tout le monde voulait s'en débarrasser. Depuis octobre 2009, la Belgique paie des intérêts sur cet emprunt. Mais elle compte bien récupérer des dividendes sur son investissement et revendre ses parts dès que les banques seront revenues à flot et que les cours seront meilleurs. Si le calcul est correct, l'État pourra rembourser son emprunt et récupérer les intérêts qu'il a payés (estimé à 300 millions par an environ). Ramené à l'échelle de l'habitant, le coût ne dépassera pas 28,27 euros par an.

Ensuite, le prêt et la garantie bancaire. Certains États ou l'Union européenne ont aussi consenti des prêts. En 2009, la Belgique a prêté 160 millions d'euros à la banque Kaupthing. Au plus fort de la crise irlandaise, l'Europe a créé le Fonds européen de stabilisation financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilisation financière (qui permet à la Commission d'emprunter 60 milliards d'euros). Ces prêts peuvent aussi prendre la forme de garantie bancaire. L'argent n'est pas utilisé, mais garantit au prêteur qu'il retrouvera son argent en cas de défaut de paiement du débiteur. Le prêteur peut être le simple épargnant qui, au plus fort de la crise, aurait pu être tenté de retirer toute son épargne de sa banque, décision qui aurait mis à mal le système financier. Il peut également être une banque, qui n'ayant pas confiance en son débiteur (une autre banque ou un État) refuse de lui prêter de l'argent ou n’y consent qu’à un taux d'intérêt extrêmement élevé. Pour créer ces garanties ou prêter de l'argent, les États ou l'Europe ont dû eux-mêmes emprunter de l'argent sur les marchés, quoiqu’à un taux nettement inférieur à celui qui aurait été proposé aux banques ou aux États en difficulté. D'une part, les taux des emprunts publics sont nettement inférieurs aux taux interbancaires et, d'autre part, plus on apparait comme un emprunteur à risque, plus le taux d'intérêt qu'on devra payer pour emprunter sera élevé. Que coûtent de tels prêts ? Rien en principe, puisque, pour autant qu'ils soient remboursés, le prêteur peut même s’attendre à des bénéfices sur le paiement des intérêts. Il en va de même pour la garantie bancaire qui, tant qu'elle n'est pas utilisée, ne coûte pas un sou et peut même rapporter de l'argent puisque les banques et les États qui reçoivent cette garantie doivent également payer des intérêts. Néanmoins, un risque subsiste tant que le remboursement n'est pas échu.

Enfin, le rachat des titres toxiques (appelé aussi « structure de défaisance »). La Belgique a injecté 141 millions d'euros dans un véhicule rassemblant les produits structurés de l'ex-Fortis. Elle a ainsi agi à l'image du plan Paulson du Trésor américain qui, aux États-Unis, a permis de créer un fonds de 700 milliards de dollars destiné à racheter les actifs toxiques détenus dans les bilans des banques. Le coût pour le contribuable américain sera en réalité moindre puisque l'État compte bien revendre ses actifs une fois que les cours de la Bourse seront repartis à la hausse. Il compte en plus sur les effets positifs d'une telle solution, censée favoriser la confiance dans le marché. Ce plan a été prolongé d'un an en 2010. Pour se financer, l'État américain a acheté des bons du Trésor. En d'autres termes, il a emprunté, créant ainsi un déficit gigantesque de 1500 milliards de dollars (12 % du PIB aux USA).

Coût = 0 ?

À la lecture de ce qui précède, on serait tenté de croire que le coût de la crise pour le contribuable sera totalement nul. Ce serait évidemment sans compter les dégâts collatéraux de telles stratégies. Qu'un État ou que l'l'Union européenne emprunte, même à faible taux, pour sauver une banque ou un autre État et ce sont autant de millions de remboursement d'intérêts qui devront chaque année être portés au budget. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes estime que la Belgique paiera 904 millions d'euros d'intérêts sur les emprunts nécessaires au sauvetage du système financier contractés entre septembre 2008 et août 2010. Son endettement, qui était descendu à un seuil historique de 87 % du PIB en 2007, a dépassé les 100 % aujourd'hui, la rendant vulnérable sur les marchés internationaux.

Faire appel au FMI, comme récemment a dû le faire l'Irlande, c'est être obligé de mettre en œuvre toute une série de mesures d'austérité (augmentation de l'âge de la retraite, gel des salaires des fonctionnaires, suppression d'emplois publics, coupes dans les allocations de chômage et familiales, réduction du salaire minimum). Une autre solution pour faire face au déficit public est d'augmenter les recettes fiscales, mais la mesure est difficile à prendre, surtout en période baissière.

Dire que le plan de sauvetage est totalement à charge du citoyen est faux, mais affirmer qu'il ne coûtera rien, voire qu'il rapportera de l'argent, n'est pas exact non plus. Certes, les États ont été pratiquement obligés de sauver les banques et d’autres États en difficulté pour éviter des catastrophes économiques plus grandes encore, mais l'urgence dans laquelle ces plans de sauvetage ont été bâtis n'a pas permis une remise en question du fonctionnement de l'économie et de sa financiarisation. Aujourd'hui, les Bourses ont relevé la tête, la croissance redémarre, mais des millions de personnes à travers le monde sont restées sur le carreau et rien n'indique que cela ne se reproduira plus d'ici quelque temps.

                                                                                                                                                                             nbsp;                                               Laurence Roland,
                         s                                                                                                                        février 2011

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2011
Date d'édition
03/2011
Mois d'édition
Mars

Inclusion bancaire en Belgique : les apports de l'enquête européenne

Soumis par Anonyme le

La situation belge en matière de bancarisation est relativement bien documentée. La législation garantissant un droit à un service bancaire de base et deux études du dispositif sont à la base de cette connaissance. L'enquête européenne SILC 2008 nous apporte toutefois des données à jour représentatives. Alors, quoi de neuf ?

Introduction

La possibilité d'accéder à un compte bancaire est généralement considérée comme le premier pas vers une inclusion financière objective. En Europe, c'est en tout cas à garantir cette première condition que de nombreuses associations1 travaillent. Et les responsables de la régulation du marché intérieur semblent progressivement manifester une volonté d'y parvenir eux aussi.

En Belgique, où le droit d’accès à un compte existe depuis 20032, la situation devrait être exemplaire. Est-ce réellement le cas ? Reste-t-il des marges de progression ? Les données européennes nous livrent certaines pistes de réflexion.

Enquête européenne SILC 2008 : de quoi s'agit-il?

SILC est l’acronyme de Survey on Income and Living Conditions, soit « enquête sur le revenu et les conditions de vie ».

En deux mots :

« L’instrument EU-SILC est la source de référence européenne en matière de statistiques comparées sur la répartition des revenus et l’inclusion sociale au niveau européen. Il fournit deux types de données annuelles pour les pays de l’Union européenne, l’Islande et la Norvège :

  • des données transversales concernant un moment donné ou une période donnée, avec des variables relatives au revenu, à la pauvreté, à l’exclusion sociale et à d’autres conditions de vie ;
  • des données longitudinales concernant des évolutions dans le temps au niveau individuel, observées régulièrement sur une période de quatre ans.

L’EU-SILC se fonde sur l’idée d’un cadre commun et non plus d’une enquête commune. Le cadre commun définit les listes harmonisées de variables cibles primaires (annuelles) et secondaires (tous les quatre ans ou moins) à transmettre à Eurostat ; des lignes directrices et des procédures communes ; des concepts communs (p. ex. : ménage et revenu) ; et des classifications visant à assurer la plus grande comparabilité de l’information produite. »3

SILC se compose d'un tronc de questions commun à toute l'Europe, source principale de comparaisons, et d'une partie laissée à la discrétion de chaque institut national – celui-ci pouvant juger utile d’enquêter sur des éléments identifiés comme pertinents dans le contexte particulier de son pays.

Outre cette base de questions annuellement mise en œuvre, SILC développe aussi des modules ad hoc, partagés par l'ensemble des États membres. Ces focus permettent d'approfondir des dimensions particulièrement sensibles. Au nombre des thèmes déjà traités :

  • La transmission intergénérationnelle de la pauvreté (2005) ;
  • La participation sociale (2006) ;
  • Les conditions de logement (2007) ;
  • Le surendettement et l'exclusion financière (2008).

Notre analyse se concentrera sur l'étude des résultats de ce dernier module, et plus particulièrement sur la dimension « inclusion bancaire ».

L'inclusion bancaire selon SILC

Le questionnaire du module SILC 2008 a été construit pour collecter de l’information sur 38 variables, censées permettre une mesure du surendettement et de l'exclusion financière à travers l’Europe.

Eurostat a focalisé son étude sur les dimensions suivantes :

  1. l'accès à et l'usage d'un compte bancaire, y compris le découvert ;
  2. l'accès à et l'usage des cartes de crédit et des magasins ;
  3. le type d'usage des crédits et prêts ;
  4. les arriérés (estimation des volumes) ;
  5. les pertes de revenus et les évolutions prévues des revenus ;
  6. les raisons du non-usage d'un compte bancaire ;
  7. les raisons de non-usage du crédit (hors prêt hypothécaire).

Dans cette analyse dédiée à l'inclusion bancaire, nous nous concentrerons sur les dimensions 1 et 6. Nous passerons en revue et analyserons les variables qui y sont attachées. Dans une prochaine nous procéderons de même pour les dimensions relatives au crédit et au surendettement.

Avant d'entamer l'analyse des variables collectées, rappelons à toutes fins utiles que l'unité d'étude est le ménage. Ce n'est qu'à titre exceptionnel que, dans certains pays, il en a été autrement (p. ex. : au Royaume-Uni où, vu les pratiques significatives de colocation, un filtre supplémentaire a dû être aménagé).

SILC 2008 : un défi de taille

Compte tenu de la technicité du thème abordé et des différences observables sur les marchés nationaux en termes d'offre de produits et de services financiers, la mise en place d'une étude de variables comparables à grande échelle est véritablement un défi. Cette première collecte de données à l'échelon européen fait donc l'objet d'une importante évaluation (processus en cours). Les données sont-elles comparables ? Ont-elles donné lieu à des difficultés particulières dans certains pays ? Quelles sont les pistes de correction ? Les réponses à toutes ces questions sont encore en partie pendantes, et notre regard sur les données belges contribuera modestement à avancer de premiers éléments de réponse.

Les résultats SILC par variables

Accès à et usage d'un compte bancaire et des découverts en compte
1. le ménage dispose d'un compte courant en banque

Ce compte est défini comme un compte de dépôt qui permet une gestion quotidienne via des modes variés de paiement, qui permettent la « distribution » d'argent à d'autres. Parmi les éléments standards offerts, on trouve notamment les chèques, la possibilité de mettre en œuvre des ordres permanents, de faire des débits directs et des paiements par carte de débit.
Au niveau européen, la réponse la plus fréquente est « oui ». La moyenne EU est de 84 %.

La Belgique se situe au-dessus de cette moyenne européenne, avec un résultat de 99,11 % de « oui ». À titre de comparaison, on notera que seuls trois pays enregistrent « non » comme réponse majoritaire : la Bulgarie (84 %), la Grèce (73 %) et la Roumanie (77 %). On soulignera aussi le fait que, dans deux pays, le taux de « oui » est de 100 %: au Danemark et en Finlande.

Les résultats belges de SILC concordent avec les données publiées dans deux études4 mises en œuvre en vue, d'une part, de mesurer le niveau de l'exclusion bancaire en Belgique (RFA, 2001) et, d'autre part, d'évaluer une première fois l'impact de la loi instaurant un droit à un service bancaire de base (RFA, 2003). L'évaluation a été réalisée au travers d'une enquête menée auprès des CPAS quant à leur connaissance de personnes non bancarisées. Le niveau mesuré dans cette évaluation était estimé à moins de 1 % des personnes de plus de 18 ans.
2.Avez-vous ou toute autre personne de votre ménage a-t-elle un découvert sur un compte bancaire ?
Le ménage est en « négatif » sur un de ses comptes bancaires en raison de difficultés financières (et des charges d'intérêt y sont attachées). Ici, on ne vise donc pas les plans de paiement relatifs à un crédit, mais on a bien affaire à un découvert « non prévu ».

Au niveau européen, la réponse la plus fréquente est « non ». La moyenne est de 92 %.
La Belgique se situe légèrement en dessous de la moyenne européenne, avec un résultat de 90,4 % de « non ».
Deux pays se démarquent par un taux de « oui » très significatif : l'Allemagne (23 %) et la Slovaquie (26 %). Pour les autres pays, Belgique comprise, le taux de « oui » est partout inférieur à 17 %.

Il ne nous est pas possible de réaliser un test de cohérence de cette variable avec d'autres sources de données, car la seule donnée approchante n'est pas une donnée publique. Il s'agit en effet des dépassements non autorisés en compte courant qui sont enregistrés dans le fichier des « enregistrements non régis » tenu par la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) de la Banque nationale belge (BNB), et alimenté et consultable par les seuls organismes membres.

3.Le montant total estimé en découvert sur les comptes courants des ménages, classé par intervalles.

Les découverts ont été regroupés en quatre intervalles, en proportion du revenu mensuel disponible des ménages. Les quatre tranches sont : « moins de 10 % », « entre 10 et 33 % », « entre 33 et 100 % », et « plus de 100 % du revenu disponible mensuel ».

Au niveau européen, la tranche la plus présente est « entre 10 et 33 % ». La moyenne y est de 30 %.

En revanche, en Belgique, la tranche la plus importante est celle des pourcentages inférieurs : 37 % ont un découvert de moins de 10 % du revenu disponible mensuel. Vient ensuite la seconde tranche, avec 32 %, puis la troisième, avec 23 % et enfin la quatrième, avec 7%.

Deux exemples contrastés, la Norvège, d'une part, qui force le trait de la situation belge, à savoir que les découverts en compte courant sont moins nombreux au fur et à mesure que les montants sont importants : tranche 1=52 %, tranche 2=27 %, tranche 3=11 %, tranche 4= 10 %. La situation la plus éloignée s'observe quant à elle en Italie, où l’on enregistre d'autant plus de découverts que les montants du revenu mensuel disponible sont élevés : tranche 1=8 %, tranche 2=16 %, tranche 3=28 %, tranche 4=47 %.

Les découverts non autorisés en compte courant ont toujours été un écran de fumée en Belgique du fait de la non-publicité des données traitées dans le « fichier des enregistrements non régis ». Les données collectées dans SILC 2008 lèvent un premier voile sur les proportions de ce phénomène et sur la profondeur de l'endettement qui en résulte. Si l'on compare la situation belge à celle observée en Italie, les problèmes semblent sous contrôle. En effet, dans 69 % des cas, l'endettement représente moins de 33 % du revenu disponible par mois. Il n'empêche que, pour un pays volontaire comme la Belgique en matière de prévention du surendettement, on peut s'étonner de ne pas figurer en tête des meilleurs de la classe européenne.

En outre, il n'est plus possible, sur la base de ces résultats, de considérer que ces découverts ne sont pas significatifs d'un endettement problématique, à tout le moins pour les 31 % de situations dans lesquelles l'endettement dépasse 33 % du revenu mensuel disponible.

Conclusion intermédiaire

L'inclusion bancaire est d'un excellent niveau en Belgique. Notre pays se fait toutefois voler la première place par d'autres pays, et ce malgré les dispositifs juridico-légaux mis en œuvre et leur relativement bonne évaluation. Les variables quant au non-usage d'un compte bancaire nous seront très utiles pour déterminer si les personnes qui ne détiennent pas de compte en banque en Belgique le vivent comme un choix personnel ou comme une situation subie.

En matière de découvert bancaire non régularisé, bien que la situation belge soit globalement satisfaisante, comparée à celle observée dans d'autres pays, il n'en demeure pas moins vrai que cette forme d'endettement est tout de même significative et lourde dans plus de 30 % des situations. C'est pourquoi nous soutenons l'idée de généraliser la collecte de cette information auprès de l'ensemble des opérateurs et d'intégrer cette dernière dans le fichier de la CCP.

Explications relatives à l'absence de compte bancaire

Il est heureux que le module SILC 2008 se soit intéressé aux raisons qui expliquent le non-usage d'un compte bancaire. Choix délibéré ou situation subie, le type de réponse est essentiel tant dans l'évaluation de la situation et des carences du marché, que dans d'évaluation de l'efficacité des dispositifs mis en place (à l'instar de la situation belge).

4. Le ménage n'a pas besoin d'un compte et préfère gérer en cash
Parmi les ménages sans compte en banque, la réponse la plus fréquente en Europe est « oui ». La moyenne est de 73 %.
Le « oui » est majoritaire dans tous les pays (dont la Belgique, avec 72,3 %), à l'exception de la France (14 %), de la République de Malte (34 %) et des Pays-Bas (40 %).
Un peu moins de trois quarts des personnes ne disposant pas de compte en Belgique déclarent avoir une préférence pour l'argent comptant. Cette donnée est encourageante dans la mesure où elle ne laisse pas transparaitre directement de « frustration ». S'il devait demeurer des questions, elles porteraient sur les raisons qui font qu'en effet on préfère gérer en cash. Est-ce vraiment plus pratique ? Plus discret ? Est-ce parce que le compte en banque nécessite des connaissances en lecture/écriture, en maîtrise d'une langue nationale ? Ce second niveau d'investigation pourrait être réservé à une enquête qualitative.

5. Car les charges sont trop élevées
Pour les ménages dont la non-détention de compte bancaire est subie, la réponse la plus fréquente en Europe est « non », avec une moyenne de 62 %.
En Belgique, le « non » atteint 69 %, alors qu'il est de 100 % en France, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Norvège.
Le « non » est minoritaire dans quelque pays : en Tchéquie (30 %), en Grèce (13 %), en Italie (21 %), à Chypre (44 %), en Hongrie (31 %) et en Slovaquie (14 %).

Le fait qu'en Belgique plus de 30 % des répondants qui déclarent désirer ouvrir un compte en banque le considèrent comme trop coûteux pour passer à l’acte pose question. Le service bancaire de base (SBB), qui est censé être proposé et disponible dans toutes les banques, peut difficilement être considéré comme affichant un coût dissuasif. Ceci nous conduit à postuler que, soit ce service n'est pas connu ni demandé en agence par ces personnes, qui dès lors se heurtent aux coûts habituels des comptes bancaires « traditionnels », soit ce coût, bien que modeste, est encore dissuasif pour une minorité. Les solutions iraient dès lors dans deux directions : d'un côté améliorer la publicité autour du SBB auprès du public en risque d'exclusion bancaire, et, de l'autre côté, tendre vers la gratuité totale du SBB.

6. ll n'y a pas d'agences bancaires là où vit ou habite le ménage
Pour les ménages dont la non-détention de compte bancaire est subie, la réponse la plus fréquente en Europe est « non », avec une moyenne de 86 %.
En Belgique, le « non » est supérieur à la moyenne européenne et atteint 93 %. S'il n'est pas tout à fait surprenant que 100 % de « non » aient été observés dans certains pays, on s'étonnera sans doute de la présence de certains d'entre eux dans la liste des États concernés: France, Chypre, Luxembourg, Pays-Bas, Islande et Norvège. La France et la Norvège comptent en effet sur leur territoire de vastes zones rurales susceptibles de poser des problèmes d'accès géographique, ce qui ne ressort pas des réponses obtenues. La question de la répartition géographique de l'échantillon est donc essentielle à ce stade pour pouvoir évaluer avec précision la qualité des résultats de cette variable. Le fait que la difficulté d'accès à une agence ait été dissuasive pour certains répondants dans leur volonté d'être bancarisé soulève plus de questions en Belgique qu'il n'apporte de pistes de solution. Un travail plus en profondeur serait en effet nécessaire, car, là encore, la question de la dissémination géographique de l'échantillon se pose.

7. Le ménage a souhaité ouvrir un compte et il se l'est vu refusé.

Pour les ménages dont la non-détention de compte bancaire est subie, la réponse la plus fréquente en Europe est « non », avec une moyenne de 89 %.
Le « non » atteint 100 % des réponses en Belgique, ainsi qu’en Estonie, à Chypre, en Islande ; et on est proche de 100 % en Tchéquie, en Lettonie et en Hongrie.
Le « oui » est véritablement significatif aux Pays-Bas (40 %), en Autriche (31 %) et en Norvège (24 %).
Les réponses belges corroborent l'idée que la législation en matière de SBB a été efficace. Si, au vu du point 5 relatif au coût, on peut douter que les banques présentent toutes à leurs nouveaux clients la possibilité d'ouvrir un SBB (dont précisément le coût est réduit), en revanche, elles ne semblent plus pratiquer de refus quand un client se présente.

8. La banque refuserait le client
Pour les ménages dont la non-détention de compte bancaire est subie, la réponse la plus fréquente en Europe est « non », avec une moyenne de 76 %.
Le « non » est majoritaire dans tous les pays à l'exception notable de la Belgique (37 %), de Chypre (40 %) et de la Lituanie (13 %). Trois pays atteignent 100 % de « non » : l'Estonie, l’Islande et la Norvège.
Cette variable est sans doute une des plus surprenantes, en tout cas pour la Belgique, compte tenu du dispositif légal existant. Elle amène à penser qu'il reste encore un effort significatif de publicité à faire autour du SBB, car ce dernier protège précisément les consommateurs d'un tel refus.

Conclusion

La mesure de l'inclusion bancaire, telle qu'elle a été mise en œuvre dans SILC 2008, au vu des variables qui ont été choisies et collectées, nous paraît extrêmement utile et pertinente pour mesurer la bancarisation en Europe.

Les zones d'ombre laissées en suspens à la suite des réponses obtenues sont globalement assez réduites. Elles permettent par ailleurs d'identifier avec précision les points qui mériteraient une investigation qualitative complémentaire dans l'un ou l'autre pays.

Si des questions techniques restent en suspens – choix des termes/concepts, comparabilité – et que la solidité peut encore être améliorée, il ne fait aucun doute que le module SILC 2008 occupe une place de choix dans l'évaluation des politiques publiques en matière d'inclusion bancaire.

Au niveau des données belges, les données collectées montrent une bonne cohérence. Elles invitent avant tout les autorités à améliorer la publicité du SBB auprès des publics les plus susceptibles d'y recourir et d'intégrer les découverts bancaires non autorisés dans la CCP. Ce dernier point est d'ailleurs en train d'être mis en place.

 

Olivier Jérusalmy
Février 2010

 

1BEUC-European Consumer Network (The)www.beuc.eu, EFIN – European Financial Inclusion Networkwww.fininc.eu, ECDN – European Consumer Debt Networkwww.ecdn.eu

2Loi du 24 mars 2003 (AR du 7 septembre 2003)

4Étude relative au service bancaire universel, réalisée en 2001 par le RÉSEAU FINANCEMENT ALTERNATIF à la demande de Monsieur le Ministre de l’Économie, qui avait permis de mettre en évidence que l’exclusion bancaire touchait en Belgique une population que l’on pouvait raisonnablement estimer à plusieurs dizaines de milliers de personnes, avec un seuil minimum de 40 000 personnes.
Évaluation de la loi du 24 mars 2003 (instaurant le service bancaire de base ainsi que son arrêté royal d’exécution du 7 septembre 2003 et qui visent à garantir, à toute personne qui a sa résidence principale en Belgique, le bénéfice de services bancaires déterminés grâce à l’ouverture d’un compte à vue.), le 1er septembre 2003, commanditée au RÉSEAU FINANCEMENT ALTERNATIF par Madame Freya Van den Bossche, Ministre en charge de la protection de la consommation.

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Nées au XXe siècle, les agences de notation financière font maintenant partie intégrante du système économique. Elles accordent une notation – rating en anglais – aux produits financiers. Nous aborderons, dans cette leur rôle, leur origine, les produits et services qu'elles offrent, les principales critiques formulées à leur égard et les pistes de solutions d’amélioration par rapport à la situation actuelle.

Rôles et origines des agences de notation financière

Une agence de notation est un organisme privé spécialisé dans l'analyse des comptes d'une société, d'un État ou d'une opération financière1. Elle publie des notes sur la capacité de ces entités à respecter leurs engagements. Il existe deux groupes principaux d'agences de notation : celles, historiquement plus anciennes, s'occupant de critères financiers et celles, plus récentes, analysant le volet extrafinancier, soit les aspects sociaux, environnementaux, éthiques et/ou de bonne gouvernance, de ces entités.

Les agences de notation financière voient le jour au début du XXe siècle aux États-Unis afin de fournir aux investisseurs intéressés une information plus accessible sur les émissions obligataires des collectivités publiques2. À l'époque, ces investisseurs paient les agences de notation pour obtenir une note afin de construire leur stratégie d'investissement. Ce n'est que dans les années 1970 que cette manière de faire change : ce sont désormais les émetteurs de produits soumis à notation qui paient les agences pour obtenir une note.

Le rôle des agences de notation financière est crucial : elles tentent de « mesurer le risque de non-remboursement des dettes que présente l'emprunteur »3. La note décernée est un élément clef dans la décision d'engagement des investisseurs. Si elle est haute, c'est que le risque est faible. Les investisseurs auront davantage confiance et voudront investir. Si elle est basse, moins d'investisseurs seront intéressés.

Comme illustré dans le tableau ci-dessous, l'activité des agences de notation financière est très concentrée : trois organismes, tous américains, se partagent, selon les sources, entre 85 et 90 % du marché. Les 10 à 15 % restant se divisent entre près de 70 agences de notation financière à travers le monde4. Toutefois, seules dix d'entre elles sont reconnues par la Securities and Exchange Commission américaine comme des « Nationally Recognized Statistical Rating Organizations », soit des agences de notation statistique reconnues nationalement5.

Pays Organisme
États-Unis Standard & Poor's (1860)
États-Unis Moody's (1909)
États-Unis Fitch Ratings (1913)

Bien que chaque agence ait son propre système de notation, le schéma général est de noter un titre sur une échelle de A à D, A regroupant les meilleures notes et D signifiant que l'entité, entreprise ou État, est en faillite. Des nuances s'expriment dans chaque groupe de lettre par la répétition de cette même lettre ou l'adjonction de chiffres ou de signes + ou -. Vu la complexité des produits financiers actuellement disponibles sur le marché, ces notations sont devenues essentielles pour donner une information simplifiée à l'investisseur souhaitant évaluer son risque d'investissement.

Voyons maintenant de plus près quels produits et services offrent ces agences de notation financière.

Produits et services offerts

Un tour sur les sites internet des trois plus importantes agences de notation financière nous renseigne sur les produits et services offerts (voir tableau ci-dessous). Les agences sont contactées par les émetteurs pour fournir des notations sur une très vaste gamme d'instruments et produits financiers allant des dettes souveraines aux obligations d'entreprises en passant par les organismes de placement collectif à valeurs mobilières et les produits structurés. De par leur expertise, certaines assurent aussi des formations pour les professionnels faisant affaire avec le monde financier, mais ceci reste marginal dans leur activité.

Standard & Poor's Moody's Fitch Ratings

Évaluation des risques et stratégies

Portail mondial du crédit

Base de données globale

Solutions sur le risque

Services d'évaluation

Recherches sur les produits financiers divers

Cotes de gestion des fonds

Risques de gouvernance d'entreprises

Recherche quantitative et solutions d'analyse

Base de données d'informations financières sur des compagnies

Base de données sur les titres et capitalisation boursière

Fonction de veille

Analyse d'entreprises, d'assurance, d'états souverains et de collectivités locales, des émetteurs sur l’Euromarché

Analyse de financements structurés/titrisation

Analyse globale de crédit, de prêts bancaires, de crédit corporate

Analyse bancaire : Asie, Amérique, Europe/Moyen-Orient/Afrique, marchés des capitaux

Analyse de crédit assurance-vie et santé

Analyse de crédit des collectivités locales/régionales et Etats souverains

Services de recherche
Recherche sur le crédit, évaluations et outils d'analyse

Analyse du risque et du rendement
Classement et informations financières des compagnies
Outil d'analyse et de recherche de surveillanceSolutions pour produits financiers structurés
Surveillance, données de performance, modèles et analyses pour gérer des portefeuilles de produits financiers structurés

Services de tarification et évaluation
Prix indépendants et données d'évaluation pour les produits financiers structurés et les produits dérivés à revenu fixe

Analyses quantitatives
Recherche de qualité académique et analyses

Formation
Formations sur le crédit et la finance pour les banquiers et les régulateurs

Source : sites internet de Standard & Poor's, Moody's et Fitch Ratings

Critiques

Bien qu’elles facilitent les prises de décision d'investissements des acteurs du système financier, les agences de notation financière essuient diverses critiques6. Trois reproches sont le plus souvent formulés à leur encontre.

Le premier tient à la nature même de leur source de revenus : les agences de notation financière sont accusées d'être à la fois juge et partie. En effet, de nos jours, elles sont rétribuées par les émetteurs de produits financiers, ce qui met en cause leur indépendance : qu’est-ce qui les empêche d’accorder, contre rémunération, de meilleures notes que ce que devrait dicter la réalité ? Les agences de notation réfutent l’accusation en arguant du fait que leur bonne réputation est capitale pour l’exercice de leur activité et qu’il serait suicidaire pour elles de prendre le risque de se laisser influencer.

La capacité des agences de notation financière à noter des produits financiers de plus en plus complexes est également remise en cause. Par exemple, les agences de notation ont sous-estimé la situation financière d'Enron et n'ont revu à la baisse leur notation que quatre jours avant la faillite du géant de l'énergie. Il en va de même pour les institutions financières telles que Lehman Brothers, à laquelle une bonne note avait été accordée tout juste avant la déclaration de faillite7. De même, les méthodes d'évaluation du risque de crédit et du risque de liquidité ont été jugées peu adaptées et trop simplistes dans la crise des subprimes.

Enfin, les agences de notation financière sont accusées d'avoir un effet « procyclique ». Ainsi, leur notation aurait tendance à accentuer la situation financière de l’émetteur concerné : si elles accordent une note élevée (à tort ou à raison), elles l’aident à obtenir des financements plus facilement. Inversement, si elles lui attribuent une mauvaise note, l'émetteur aura plus de mal à trouver des financements peu onéreux.

Quelques pistes pour améliorer la situation…

Comment améliorer le système actuel ? Différentes solutions sont avancées pour parer aux principaux reproches qui viennent d’être évoqués.

Pour corriger – ou à tout le moins amoindrir – le problème du conflit d'intérêts, il conviendrait de renforcer la régulation publique. Cette première idée, actuellement débattue des deux côtés de l'Atlantique, repose sur une meilleure réglementation des agences de notation. En effet, à la suite de la crise des subprimes, la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine et la Commission européenne – parmi d'autres organes régulateurs – ont toutes deux entamé des démarches en vue de superviser les actions des agences de notation. Ainsi, du côté européen, il est prévu que, dans le futur, l'autorité européenne des marchés financiers « sera dotée de pouvoirs de supervision directe des agences de notation du crédit enregistrées dans l’UE et pourra demander des informations, ouvrir des enquêtes et procéder à des inspections sur place. » 8

Une seconde idée serait de se doter d’une ou de plusieurs agences de notation publiques. C'est ce que prônent certains chercheurs américains9, convaincus qu'une telle initiative garantirait un contre-pouvoir aux agences de notation privées. Cette solution ne fait toutefois pas l'unanimité : ses détracteurs estimant que la lourdeur administrative – hélas souvent caractéristique des organisations publiques – risquerait de limiter l'innovation financière.

Finalement, une troisième voie serait de retourner au système de l’« investisseur-payeur », autrement dit à la situation dans laquelle c’est l’investisseur, et non l’émetteur, qui rémunère les agences. Cette manière de faire les choses pourrait limiter les conflits d'intérêts mais elle pose d'autres problèmes. D'une part, elle semble moins transparente, du fait que seuls les investisseurs auraient accès aux notations et, d'autre part, il semble plus difficile à faire accepter aux investisseurs de payer la note10.

Concernant l’amélioration de l’aptitude des agences de notation financière ou sociétale à analyser correctement les instruments financiers, les États ou les entreprises, les solutions restent peu nombreuses. Il serait quand même possible – et capital – de veiller à ce que les analystes soient mieux formés aux risques de crédit et de liquidité, ou encore d’encourager des partenariats entre secteur public et secteur privé afin d’améliorer la connaissance des particularités des dettes souveraines par exemple.

Enfin, pour ce qui est de l'effet procyclique des notations des agences, il faut se rappeler que, comme elles le font d'ailleurs très bien quand elles s’assoient au banc des accusés, les agences de notation ne font qu'émettre des avis. Tous les acteurs du système financier doivent prendre leurs responsabilités. Ainsi, les banques qui prêtent ont aussi une part de responsabilité dans la non-vérification des données, tout comme le régulateur pour la non-supervision de ces agences de notation. Sans oublier les investisseurs qui délèguent l'évaluation des risques aux agences de notation et ne prennent pas la précaution de recouper l’information en se renseignant auprès d’autres sources. Si beaucoup en sont arrivés à penser que les agences de ntoation ont acquis un « super-pouvoir », c’est en effet parce que, trop souvent, des investissements sont faits sans autre mesure du risque.

Conclusion

Nous l'avons vu, le rôle des agences de notation financière est très important dans les jeux de l'offre et de la demande du système financier. Les dernières crises montrent toutefois que cette super-puissance est parfois hors de contrôle et que certains intérêts peuvent rendre les jugements trop subjectifs.

Ainsi, il serait nécessaire que les acteurs concernés réfléchissent aux garde-fous à mettre en place. Du côté des pouvoirs publics, il conviendrait de travailler à une meilleure régulation, ce qui implique de s’assurer une certaine expertise et d’y consacrer des financements conséquents. Les banques, quant à elles, devraient vérifier un minimum les données communiquées par les agences. Enfin, les investisseurs aussi devraient tenter de varier leurs sources de renseignements avant de s’engager financièrement. Cependant, dans le monde du « tout, tout de suite », il paraît sans doute plus simple et plus rapide de se référer à l'avis – gratuit de surcroît pour les investisseurs – des sacro-saintes agences de notation. Mais gare aux conséquences !

Annika Cayrol,
novembre 2010

 

1 Agence de notation, dans « L'économie de A à Z », Alternatives Économiques, hors-série poche n° 40, septembre 2009 et DEMONCHY, Anne-Sophie, Qu’est-ce qu’une agence de notation ?, 1er juillet 2010, disponible sur internet : http://www.politique.net/2010070102-qu-est-ce-qu-une-agence-de-notation.htm

2 Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises et Agence de l’Environnement et de la Maitrise d’Energie, Guide des organismes d'analyse sociale et environnementale, disponible sur Internet : http://www.orse.org/site2/maj/phototheque/photos/docs_notion_ent/guide_notation.pdf, décembre 2007

3 La finance pour tous, Les agences de notation, Comment ça marche ?, disponible sur internet : http://www.lafinancepourtous.com/Les-agences-de-notation.html

4 Liste des agences de notation, compilée par Defaultrisk.com, disponible sur internet : http://www.defaultrisk.com/rating_agencies.htm

5 Liste des agences de notation financière reconnues par la SEC, "Credit Rating Agencies—NRSROs", disponible sur internet : http://www.sec.gov/answers/nrsro.htm, 25/08/2009

6 Arguments avancés dans l'article « Les agences de notations », La Finance pour tous, disponible sur internet : http://www.lafinancepourtous.com/Agence-de-notation-financiere.html

7 FONS, Jerome, PARTNOY, Frank, "Rated F for failure", The New York Times, disponible sur internet: http://www.nytimes.com/2009/03/16/opinion/16partnoy.html?_r=1, 16/03/2009

8 Réforme de la supervision financière : questions fréquentes, 4. Comment fonctionneront les nouvelles autorités européennes de supervision ?, disponible sur internet : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/10/434&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr, 22/09/2010

9 DIOMANDE, Ahmed, HEINTZ, James et POLLIN, Robert, “Why U.S. Financial Markets Need a Public Credit Rating Agency," The Economists' Voice: Vol. 6 : Iss., Article 6, 2009

10 INCHAUSPE, Irène, Agences de notation, le cercle vicieux, Challenges.fr, disponible sur internet : http://www.challenges.fr/magazine/document/0221.031659/le_cercle_vicieux.html, 26/08/2010

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Novembre

Les agences de notation sociétales

Soumis par Anonyme le

Apparues à la fin des années 1980, les agences de notation sociétale se sont imposées comme des acteurs incontournables du système économique. Elles recherchent et évaluent le profil environnemental, social et de gouvernance des entreprises. Complémentairement à l’analyse précédente sur les agences de notation financière1, nous tenterons de définir ici le rôle des agences de notation sociétale, de remonter à leurs origines, et d’analyser les produits et services qu’elles offrent ainsi que ce qui leur est reproché.

Origines et rôle des agences de notations sociétales

Une agence de notation est une organisation privée, spécialisée dans l'analyse des comptes d'une société, d'un État ou d'une opération financière2. Elle publie des notes sur la capacité de ces entités à respecter leurs engagements. Il en existe deux groupes principaux : celles, plus anciennes, s'occupant de critères financiers et celles, plus récentes, analysant les aspects extrafinanciers, soit les aspects sociaux, environnementaux, éthiques et/ou de bonne gouvernance, de ces entités.

Les premières agences de notation extrafinancière (ou sociétale) datent de la fin des années 1980 : EIRIS au Royaumi-Uni et Ethibel en Belgique. Elles sont alors animées par des convictions militantes et utilisent surtout des critères d'exclusion comme, à l'époque, la question de l'apartheid : les entreprises actives ou faisant commerce avec l'Afrique du Sud sont exclues du registre d'investissement. Les années 1990 voient arriver dans différents pays de nouveaux acteurs de notation sociétale, animés plutôt par une logique de marché. L’approche de ces nouvelles agences se base sur des critères positifs : elles sélectionnent les entreprises présentant les meilleures politiques de développement durable dans leur secteur3.

Les agences de notation extrafinancière sont dès lors mises en place pour évaluer la responsabilité sociétale des entreprises afin de conseiller des univers d'investissement adéquats pour l'investissement socialement responsable. En effet, le but de ces agences est d'aider les investisseurs à choisir les entreprises les plus responsables au regard des aspects environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG).

Comparativement au secteur des agences de notation financière, celui des agences de notation extrafinancière est moins concentré, même s’il a connu aussi de récentes fusions et acquisitions4. Ainsi, on recense un peu moins d’une trentaine d’agences de notation sociétale en 2010.

Pays Organisme Pays Organisme
Allemagne IMUG   Proxinvest
  OEKOM Research Italie ECPI
Australie Caer – lié Eiris Japon The Good Bankers
  Siris Pays-Bas Sustainalytics,(Jantzi Research Inc.-CA, Scoris-DE)
Belgique Deminor Ratings Royaume-Uni Eiris
  Forum Ethibel   Ethical Screening
Corée du Sud Eco Frontier Co   Trucost
Espagne FED   Thomas Reuter (Asset4-CH)
États-Unis Calvert   Pensions Investment Research Consultants
  Riskmetrics (Innovest, KLD) Suède GES Investment Services
  Governance Metrics International   Ethix SRI Advisors
France BMJ Ratings Suisse Inrate (Centre Info)
  Ethifinance   Covalence
  Vigeo (FR, BE, IT, MA)   SAM Research

Source : Guide des organismes d'analyse sociale et environnementale5 mise à jour et sites internet des agences en question

Ces agences de notation offrent une vaste gamme de produits et de services.

Produits et services offerts

Comme précisé précédemment, le rôle principal d'une agence de notation sociétale est d'évaluer et de noter la politique de responsabilité sociale et environnementale ainsi que de bonne gouvernance des entreprises. Pour ce faire, elle fournit trois catégories principales de produits et services : la notation déclarative (ou classique), qui est l'analyse du degré de responsabilité sociale d’une entreprise sur la base de documents publics ; la notation sollicitée, même concept mais l'analyse est plus approfondie et est menée à la demande expresse de l'entreprise concernée ; enfin, un indice boursier de responsabilité sociétale, qui regroupe, en général, les entreprises les mieux notées selon la notation déclarative.

Complémentairement à ces trois catégories de produits et services, on a également recensé l'offre suivante :

Analyse et notation déclarative Screening de portefeuilles
Analyse et notation sollicitée Services d'alerte
Indice boursier de responsabilité sociétale Certification
Base de données en ligne Services de résolution en assemblée générale
Benchmarks sectoriels Audit
Conseil et recherche en investissement Formation
Études thématiques et sectorielles Contribution à des conférences
Analyse de scénario Communication
Informations (revue de presse, etc.) Contribution à des rapports d'entreprise
Profil d'entreprises Dialogue avec l'entreprise et les parties prenantes

Source : Guide des organismes d’analyse sociétale et environnementale6

En somme, les agences de notation extrafinancière aident, par leurs notations, à mieux appréhender la politique ESG des entreprises. Néanmoins, les notations fournies par ces premières ne sont pas toujours sans failles. Récemment, elles ont connu leur première grande critique publique…

Critiques

En effet, bien que les informations données par les agences de notation sociétale soient généralement considérées comme essentielles par leurs utilisateurs, certaines parties prenantes émettent des réserves quant à la méthodologie adoptée.

Ainsi, dans son rapport L'investissement socialement responsable : l'heure du tri, l’ONG les Amis de la Terre reproche aux agences de notation extrafinancière le manque d'analyse poussée sur le terrain7 et l’utilisation exclusive de données publiques pour les notations déclaratives. Ceci amène un biais non négligeable, car seules les plus grandes compagnies peuvent se permettre de consacrer un budget plus élevé à l'élaboration de publications plus « convaincantes » sur le développement durable. De plus, l'obligation des entreprises de publier des données sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance varie selon les pays. Dès lors, une notation exclusivement menée sur les publications officielles peut difficilement être considérée comme complète.

Une autre critique qui est avancée est que, vu que les méthodologies utilisées par les agences de notation sociétales varient, elles peuvent mener à des notations divergentes, voire opposées, pour une même entreprise. Il est entendu que chaque agence de notation extrafinancière possède ses propres méthodologies, critères et indicateurs mais il peut être parfois interpellant que les résultats soient si éloignés.

Comment dépasser les critiques ?

Concernant la notation déclarative, certains pourraient souhaiter une méthodologie plus robuste qui comprendrait non seulement une synthèse des documents officiels et un questionnaire adressé à l'entreprise à coter mais également une récolte de données auprès des parties prenantes, et des visites sur le terrain pour vérifier les dires des entreprises. Compte tenu du fait que ces démarches additionnelles ont un coût en temps, en argent et en expertise, une telle solution est-elle réellement envisageable ? On sait que la notation sollicitée se rapproche de cette manière de faire, alors pourquoi pas la notation déclarative ? Reste donc à voir qui peut ou est prêt à supporter ces surcoûts.

En amont, les informations extrafinancières ne sont déjà pas homogènes. Si l’on ajoute à cela des méthodologies et des interprétations différentes, il est prévisible qu’on obtienne parfois des notations très différentes pour une même entreprise.
Bien entendu, le fait que les méthodologies soient différentes peut en fait être positif ou négatif. Si les résultats qui en découlent varient fortement, cela peut agir comme une sonnette d'alarme : il faut vérifier à nouveau les données et critères dans les deux camps. Par contre, de grandes divergences autour d’une même entreprise risquent d'entamer la crédibilité des agences de notation sociétales.
Comment faire pour réduire ces écarts ? Une première mesure pourrait être que les autorités publiques exigent une transparence sur l’information extrafinancière que les entreprises fournissent, de manière à réduire les différences au niveau de l'information brute. Une autre idée serait de créer un réseau ou une coupole qui fédérerait toutes les agences de notation sociétales pour comprendre où résident les grandes divergences de méthodologie. Ces efforts permettraient peut-être d’arriver à une sorte d'harmonisation plus proche de la réalité dans la majorité des cas.

Conclusions

Bien que le rôle des agences de notation sociétale soit essentiel dans le jeu de l'offre et de la demande du système financier, leurs notations peuvent parfois se révéler réductrices par rapport à la complexité des aspects extrafinanciers d'une entreprise ou d'un État. Cela peut être dû aux méthodologies suivies pour arriver à ces notations. Par ailleurs, ces méthodologies étant propres à chaque agence de notation, elles peuvent, dans certains cas, mener à des résultats très différents.

Toutefois, les agences de notations sociétales ont réussi le pari de transformer en notations intelligibles des concepts jusqu’alors théoriques. Les aspects environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance des entreprises ou des États sont « capturés » et notés par les agences de notation extrafinancière. Et ce travail, faut-il l’écrire, facilite grandement la tâche des investisseurs responsables.

Annika Cayrol,
novembre 2011

 

1 CAYROL, Annika, Les agences de notation financière, Réseau Financement Alternatif, novembre 2010.

2 "Agence de notation", dans « L'économie de A à Z », Alternatives économiques, hors-série poche nº 40, septembre 2009 et DEMONCHY, Anne-Sophie, « Qu’est-ce qu’une agence de notation ? », 1er juillet 2010, disponible sur internet : http://www.politique.net/2010070102-qu-est-ce-qu-une-agence-de-notation.htm

3 TRIOMPHE, Claude Emmanuel, « Les agences de notation sociétales : entre vertus et rachats par les géants de la finance », disponible sur internet : http://www.metiseurope.eu/les-agences-de-notation-soci-tales-entre-vertus-et-rachats-par-les-g-ants-de-la-finance_fr_70_art_28769.html, 19/04/2010

4 GARNIER, Lionel, le blog de l'investisseur responsable, « Les agences de notation extrafinancière en pleine concentration », 04/02/2010, disponible sur internet : http://blog.lerevenu.com/lionel.garnier/index.php/post/2010/02/04/Les-agences-de-notation-extrafinanci%C3%A8re-en-pleine-concentration

5 ORSE, ADEME, Guide des organismes d'analyse sociale et environnementale, décembre 2007, disponible sur internet : http://www.orse.org/site2/maj/phototheque/photos/docs_notion_ent/4_pages_notation.pdf

6 ORSE, Guide des organismes d’analyse sociétale et environnementale, juin 2005, disponible sur internet : http://www.orse.org/site2/maj/phototheque/photos/docs_notion_ent/guide_notation.pdf

7 LOUVEL, Yann et SOISIC, Rivoalan, L'investissement socialement responsable : l'heure du tri, Les Amis de la Terre, disponible sur internet : http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/RAPPORT_ISR.pdf, septembre 2010.

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Novembre

Centrale des crédits aux particuliers 2010 : plus de défauts, plus de surendettés, quelle surprise !

Soumis par Anonyme le
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Chaque année, la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) publie certaines des données statistiques dont elle dispose. Cette année est marquée par les conséquences de la crise financière sur le plan des défaillances, en hausse, et par un accroissement du nombre de crédits par emprunteurs. Comme en 2009, les prêteurs prêtent-ils toujours plus aux emprunteurs? Est-ce bien une approche du crédit responsable?

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20
Date d'édition
20/01/2011
Mois d'édition
Janvier

Banques et concurrence : « comment ça marche pas »

Soumis par Anonyme le

Les tenants de la pensée néoclassique, libérale, placent le libre marché comme l'unique approche possible pour qu'offre et demande se rencontrent et fixent un prix juste pour la clientèle solvable. Alors que l'on s'intéresse depuis plusieurs années à la question de l'inclusion bancaire, comment se fait-il que la concurrence ne permette pas que tout un chacun accède aux services dont il a besoin ?

Introduction

Certains mythes ont la peau dure... Il n'est pas rare d'entendre des décideurs politiques, de simples citoyens, des entrepreneurs ou des chercheurs s'étonner de l'inefficacité du marché et de la concurrence lorsqu’il s’agit de faire se rencontrer adéquatement l'offre et la demande.

Comment se fait-il qu'il faille intervenir ? Que certains publics soient délaissés ? Que la régulation mène parfois à un marché plus fluide ?

Afin d'ouvrir un peu plus grand les yeux sur ce qui garantit en théorie un bon fonctionnement du marché et de mesurer la distance qui sépare la théorie... du marché bancaire réel, voici une présentation synthétique des fondements du marché concurrentiel... Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur « la loi du marché » appliquée au secteur de la banque et du crédit.

Les conditions d'un marché parfait... et à quoi elles sont censées servir

Pour que le marché puisse avoir les vertus qu'on lui prête – c'est-à-dire qu'il permette une affectation efficace des ressources et, surtout, la fixation d'un prix qui soit le plus bas possible tout en permettant la rentabilité –, une série de conditions doivent être réunies.

- L’atomicité des acteurs : le nombre d’acheteurs et de vendeurs sont tous de taille relative infinitésimale. Ils sont suffisamment nombreux pour que, leurs ventes ou leurs achats individuels ne puissent pas provoquer de changement perceptible sur l'offre ou la demande globale. En d'autres termes, cela signifie qu'aucun acteur n'a le pouvoir, à lui seul, d'influencer le prix du marché dans un sens ou dans l'autre.
Or, dans son vade-mecum du secteur bancaire(1), l'Association belge des banques nous apprend que, fin 2005, la Belgique comptait 104 banques. Parmi ces dernières, quatre représentaient 84,3 % du total de bilan de l'ensemble (soit 946,7 milliards d’euros sur les 1123,4 milliards d'euros du total).
Inutile d'insister sur le fait que cette première condition n'est dès lors pas du tout garantie en ce qui concerne l'offre. Quatre des opérateurs sont de taille totalement disproportionnée par rapport aux autres, et dominent très largement le marché et les tendances qu'on y observe.

- L’homogénéité des produits :pour chacun des marchés considérés, les biens échangés doivent être identiques en qualité et en caractéristiques – consommer l'un ou l'autre bien ou service est donc indifférent pour le consommateur. En revanche, dès que les qualités du produit changent suffisamment pour introduire un changement dans le choix des consommateurs, il est nécessaire de considérer qu'il s'agit d'un autre marché.
Le caractère « interchangeable » du produit ou du service est nécessaire pour que la moindre modification du prix offert entraîne un changement dans le choix du consommateur, qui donne toujours la priorité à la meilleure offre du marché. Sans cette caractéristique, la rationalité du consommateur n'est pas censée pouvoir s'exprimer à plein.

  • Compte bancaire : compte à vue et compte d'épargne

Ces produits, assez simples en apparence, sont toutefois, à l’intérieur de leur catégorie, déjà suffisamment différenciés pour qu’une comparaison objective des produits proposés – prestations offertes au regard des coûts – soit loin d'être évidente pour le consommateur.
Pour les comptes à vue, les coûts peuvent inclure des prestations limitées ou illimitées en fonction des supports utilisés (guichet classique, guichet électronique, phone ou internet banking…), mais aussi en fonction de l’usage que l’on en fait.

Avec les comptes d'épargne, dont le point principal de comparaison se concentre plus directement sur la rémunération des montants placés, la tâche est à peine plus simple. Les comparaisons sont compliquées par un mécanisme, proposé par nos banquiers, qui distingue un taux, qualifié « de base », et une prime « d'accroissement » ou « de fidélité », laquelle, dans certains cas, et après un laps de temps variable, vient s’ajouter à la rémunération garantie au taux de base. Ceci rend de facto beaucoup plus complexe le travail de comparaison... puisqu'il dépend de l'horizon temporel envisagé, et que ce dernier est, pour nombre d'épargnants, une inconnue.

  • Crédit :

En matière de crédit, les choses se passent autrement, puisqu'il en existe de différents types, avec des fonctions différentes, et dont l'accès prend également en compte des paramètres propres aux consommateurs. Ces derniers n'obtenant du reste pas forcément le crédit qu'ils auraient souhaité.

Certains produits (carte de crédit, ouverture de crédit/crédit revolving) sont relativement standardisés et il est aisé d’en connaître les conditions dès que l’on souhaite « faire son marché », à tout le moins en théorie. Encore faut-il qu'une fois identifié le crédit le plus intéressant, le prêteur vous l'accorde ! Mais force est de constater que ces crédits, lorsqu'ils sont vendus par des intermédiaires, sont rarement refusés.

Pour les prêts personnels (prêts à tempérament), l'approche la plus pragmatique est de solliciter des simulations auprès d'un panel de prêteurs pour pouvoir choisir le crédit le plus favorable. Une telle démarche prend cependant du temps et nécessite un minimum de connaissances pour pouvoir discerner les meilleures conditions.

En ce qui concerne les prêts hypothécaires, les critères de choix (taux, durée, niveau de garantie, assurance…) sont assez nombreux et rendent par conséquent une comparaison stricte difficile, voire impossible, et ce, malgré la mise en place du TAEG, le taux annuel effectif global, qui inclut en théorie tous les coûts liés au crédit (taux d'intérêt, frais de dossier, assurance quand elle est obligatoirement prise chez le prêteur...).
En effet, il reste, dans de nombreux cas, difficile de savoir si le TAEG comprend ou non les assurances, car sans que ces dernières soient présentées comme obligatoires, il est parfois clairement conseillé de les souscrire chez le prêteur afin d'obtenir de meilleures conditions de crédit... Dans ce cas, le plus souvent, le TAEG comprenant l'assurance « non obligatoire » n'est donc pas calculé, ce qui, CQFD, rend le TAEG nettement moins efficace comme outil de comparaison.

La transparence de l'information : l’information parfaite de tous les participants (acheteurs et vendeurs) sur tous les autres acteurs et sur le bien échangé suppose une information gratuite et immédiate.
La transparenced e l'information est une condition en miroir, complémentaire à la rationalité économique des acteurs. Ces derniers doivent pouvoir recevoir la même information (pas de délit d'initié – qui en est le parfait contre-exemple) pour que cette rationalité opère dans le sens d'un ajustement vers un équilibre efficace.

On a compris, plus haut, en abordant la question de l’homogénéité théorique des produits, que le secteur de la banque et du crédit pousse le plus possible la différenciation de ses produits et services, ce qui rend d'autant plus laborieuse la recherche de l'information indispensable à un choix économiquement rationnel. La recherche de l'information n'est pas gratuite, car, à tout le moins, la collecte auprès des vendeurs et l'analyse des informations reçues demandent du temps. Inutile de revenir sur le niveau de compétence requis pour comprendre les informations ainsi collectées et en dégager le choix le plus avantageux... On est donc loin de la prémisse d'origine.

Ce qui s'en rapprocherait le plus serait la mise en ligne d'un « comparateur » qui intégrerait l'information relative aux crédits proposés sur le marché et à leurs conditions et qui permettrait d'identifier, selon le profil de consommateur encodé, d'identifier les produits les plus avantageux.

À cheval tant sur l'homogénéité des produits que sur la transparence de l'information viennent se greffer des pratiques de commerce qui rendent toujours plus difficile un choix objectivé. Parmi celles qui se développent en ce moment, pointons en particulier l'offre conjointe de produits et services. En donnant droit à des avantages ou conditions plus favorables, mais dans le cadre d’une offre globale, elle complique d'autant la comparaison au moment du choix.

La libre entrée sur le marché et la libre sortie du marché, tant du côté des acteurs de l'offre que du côté des acteurs de la demande.

Côté offre

La libre entrée sur le marché n’est pas applicable aux organismes bancaires. Il existe des conditions à la création d'une banque. Celles-ci sont relativement exigeantes et contrôlées par la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). La situation est beaucoup plus souple en matière d'octroi de crédit : les prêteurs et les intermédiaires de crédit doivent certes réunir des conditions pour être autorisés à démarrer leur activité, mais ces conditions sont bien moins sévères que celles qui sont imposées au secteur bancaire et leur contrôle est assuré par le SPF Économie.

Côté demande

Changer de banque, pour un consommateur, peut demander pas mal de démarches, qui sont autant de freins à mettre une telle décision en oeuvre : ouverture d'un autre compte, résiliation puis renouvellement des ordres permanents et domiciliations, information des tiers du changement de compte...
En matière de crédit, changer de contrat implique la clôture du contrat en cours, qui est rendue possible par un remboursement anticipé, lequel entraîne le paiement d'une indemnité. La loi encadre le montant maximal de l'indemnité à verser au prêteur dans ce cas(2) afin de limiter le frein que cette dernière génère en termes de mobilité du consommateur.

Lorsqu'un emprunt hypothécaire est en cours, la possibilité de changer de prêteur est rendue plus difficile encore. D'une part, parce qu'il est souvent contractuellement obligatoire de maintenir le versement du revenu sur le compte en banque que le consommateur avait ouvert chez son prêteur. D’autre part, et il s’agit là du frein qui demeure le plus important à ce jour, parce que l'inscription hypothécaire n'est pas attachée au contrat de crédit, mais au prêteur. Changer de prêteur pour profiter de meilleures conditions implique donc une nouvelle inscription hypothécaire, et c'est une opération coûteuse. Dès lors, le consommateur doit y réfléchir à deux fois et ne fera le pas que lorsque le différentiel d'intérêt sera suffisamment important pour compenser les frais générés par le changement.

La libre circulation des facteurs de production (le capital et le travail) : la main-d’œuvre et les capitaux se dirigent spontanément vers les marchés où la demande est supérieure à l’offre, car dans ce cas, la rareté provoque une hausse de son prix et donc... de sa valeur d'échange.

Ce qui se cache derrière cette condition est assez abstrait : l'idée est que l'économie se compose de l'ensemble des marchés. Ces derniers se composent de clients, qui constituent la demande, et de fournisseurs, qui représentent l'offre. Tant que l'offre est supérieure à la demande, un prix relativement élevé est fixé qui rend l'activité plus rentable que d'autres. Cela doit avoir comme conséquence un attrait pour que de nouveaux fournisseurs se lancent sur ce marché... ce mouvement se poursuivra jusqu'à ce que, au prix atteint sur le marché, tout nouveau fournisseur ne puisse plus vendre sans porter atteinte à sa rentabilité (car l'offre devenant plus importante que la demande, les prix vont diminuer en deçà du seuil de rentabilité).

L'économie doit donc permettre une libre circulation des capitaux et des travailleurs pour permettre à chacun d’être actif dans les secteurs où les rentabilités sont les plus élevées. Chacun cherchant son profit maximum, la fluidité des capitaux et du travail implique que chacun arbitre en permanence pour se diriger vers les marchés les plus rentables. Ce mouvement entraîne une réduction progressive de la marge bénéficiaire (l'offre augmentant en volume, le point d'équilibre avec la demande pousse le prix à la baisse). Une fois que le prix atteint sur le marché ne permet plus de dégager de marge, on considère que l'équilibre est atteint. Les capitaux iront donc chercher d'autres opportunités... sur d'autres marchés.

Ceci est bien entendu une pure vue de l'esprit... L'information n'étant pas parfaite, nul ne connait réellement les marges bénéficiaires de l'ensemble des marchés et nul n’est donc en mesure de savoir avec certitude où placer ses capitaux pour en obtenir la meilleure rentabilité. Si les Bourses nationales offrent des espaces d'échange de l'information, on sait depuis longtemps que la valeur d'échange en Bourse ne se base pas uniquement sur les potentiels de marges bénéficiaires restant à dégager. On a malheureusement dû observer que la spéculation biaise cette valeur d'échange et entraîne des mouvements de capitaux déconnectés de cette réalité productive. L'affectation des capitaux ne se comporte dès lors pas comme dans la théorie. À cela s'ajoute le fait qu'un volume important de capitaux ne transite pas par la Bourse et que les arbitrages relatifs aux entreprises non cotées reposent sur des niveaux d'information encore plus limités que lorsqu'ils sont faits en Bourse.

La fluidité du travail est tout aussi théorique : le marché parfait ne tient pas compte des compétences et des préférences professionnelles individuelles qui limitent d'autant la mobilité professionnelle inter-sectorielle. Selon le modèle, les gens ne chercheraient qu'à gagner au plus selon leur niveau de compétences, en faisant fi de toute dimension qualitative ou affective. Les principes de spécialisation, de carrière, d'inertie dans un domaine sont donc perçus comme autant d'obstacles au bon fonctionnement du marché.

Tous les acteurs sont rationnels économiquement : ils cherchent la satisfaction maximale de leur consommation (ou de leur investissement) pour un coût (ou un risque) minimum.
C'est tout le génie du modèle, sa pierre angulaire. En effet, la main invisible, c'est précisément cette force égoïste qui pousse tous les acteurs à chercher leur enrichissement économique maximum... et qui, par miracle et pour le bonheur de tous, fait que les marchés s'équilibrent, que les positions dominantes sont amenées à disparaître au profit d’une répartition harmonieuse des ressources.
La concurrence parfaite était donc un mythe

Si l'on se rapporte à la première définition disponible, à savoir celle que l'on trouve en ligne sur Wikipédia, le mythe se définit ainsi :
« Un mythe est un récit qui se veut explicatif et fondateur d'une pratique sociale. Il est porté à l'origine par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui véhicule ces mythes :

  • la création du monde ;
  • les phénomènes naturels ;
  • le statut de l'être humain, et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature, avec les autres individus (d'un autre sexe, d'un autre groupe), etc. ;
  • la genèse d'une société humaine et ses relations avec les autres sociétés.

Le terme mythe est souvent employé pour désigner une croyance manifestement erronée au premier abord, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique et partagée par un nombre significatif de personnes. »

Ainsi en est-il du marché parfait, censé nous assurer l'efficacité économique et réconcilier les égoïsmes individuels en un bien commun : il n'est pas de ce monde. Son pouvoir d'attraction tient sans doute dans cette résolution quelque peu contradictoire et magique : nos égoïsmes servent le bien commun... Oui, ça marche, en effet… dans les conditions du mythe.

Dans le monde réel, force est de constater qu'il est nécessaire de compenser la distance qui sépare la réalité du mythe par divers dispositifs, dont la régulation n'est pas la moindre. Et faut-il éprouver de la nostalgie à abandonner un mythe qui conçoit l'altruisme, la gratuité économique comme source de perturbation des lois économiques naturelles ?

Conclusions

Le secteur bancaire et le secteur du crédit sont très loin, tant au niveau des acteurs de l'offre que ceux de la demande, de ce qui permettrait au marché de fonctionner de manière fluide, harmonieuse, sans besoin d'intervention extérieure.

On peut également constater, et de manière d'autant plus marquée depuis la crise financière de 2008, que ce sont les marchés les moins régulés (marchés anglo-saxons) et les secteurs les moins contrôlés (subprime) qui ont été les plus touchés par la crise. Les vertus qui naîtraient des égoïsmes individuels cumulés ne doivent plus être attendues, la responsabilité d'un marché harmonieux revient, non plus à la main invisible, mais à la société tout entière, qui doit, par ses structures politiques, déterminer les limites dans lesquelles il est acceptable de poser des actes économiques.

Olivier Jérusalmy
décembre 2010

 

1 Vade-mecum statistique du secteur bancaire 2005 », ASPECTS ET DOCUMENTS 227, page 30 http://www.febelfin.be/export/sites/default/febelfin/pdf/fr/publications...

2 SPF Economie, PME, Classes moyennes et énergie,« LOI DU 12 JUIN 1991 RELATIVE AU CRÉDIT À LA CONSOMMATION »; texte administratif coordonné jusqu'au 1décembre 2010, p. 38 - http://statbel.fgov.be/fr/binaries/Loi_Wet_13_jun_2010_quater_coord_tcm3...

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Booster les agences immobilières sociales : un rôle pour des outils financiers ?

Soumis par Anonyme le
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Les agences immobilières sociales (AIS) jouent un rôle grandissant dans la mise à disposition locative de logements à des conditions sociales sur le marché immobilier. Dispositif séduisant, complémentaire du logement social public, il connait, à Bruxelles, une réelle croissance depuis quelques années. Compte tenu de la pénurie en logements sociaux que connait la Région de Bruxelles-Capitale, n'y a-t-il pas lieu d'imaginer des outils financiers supplémentaires qui permettraient de passer à la vitesse supérieure ?

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Faut-il supprimer l'intérêt ?

Soumis par Anonyme le

Qu'est-ce que l'intérêt ?

En finance, l'intérêt est la rémunération d'un prêt, sous forme, généralement, d'un versement périodique de l'emprunteur au prêteur.

Pour le prêteur, cela représente le prix de sa renonciation temporaire à une consommation : il ne peut utiliser son argent puisqu'il l'a prêté. Pour l'emprunteur, c'est un coût correspondant à une consommation anticipée : il peut faire usage d'une somme d'argent, par exemple pour payer l'achat d'un bien ou d’un service, avant d'avoir acquis les ressources nécessaires pour se l’offrir.

Une épargne rémunérée par un intérêt est assimilable à un prêt, l'emprunteur étant la banque ou l'organisme bénéficiaire de cette épargne. En d'autres termes, le client qui dépose de l'argent sur un compte à la banque prête en réalité cette somme à celle-ci et reçoit donc un intérêt correspondant à ce prêt.

Comment se calcule l'intérêt ?

L'intérêt est proportionnel au capital et au temps couru. Il est calculé par application d'un pourcentage annuel, appelé le taux d'intérêt. Si quelqu'un prête pour un an une somme de 100 € avec un taux d'intérêt de 10 % l'an, il récupérera à l'issue de cette année les 100 € augmentés de 10 € d'intérêt.

Celui-ci est fixé en tenant compte, comme déjà précisé ci-dessus, de la renonciation temporaire à faire usage de la somme prêtée, mais également du risque que prend le prêteur. Ce risque est de deux ordres. D'abord le risque d'inflation, à savoir une perte du pouvoir d'achat de la monnaie, qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. En d'autres termes, en cas d'inflation, la somme que j'ai prêtée ne me permet plus obtenir, entre le moment du prêt et celui du remboursement, qu'une quantité moindre de biens et de services. L'autre risque est lié à la probabilité de ne pas être remboursé, en tout ou en partie, par l'emprunteur.

Ces risques sont plus ou moins intégrés dans le calcul du taux d'intérêt selon que celui-ci est fixe ou ajusté d'une période à l'autre selon une formule d'indexation. Dans ce cas, il peut être révisable (fixé en début de chaque période) ou variable (déterminé à la fin de chaque période). Ce choix entre un taux fixe et un taux ajusté est souvent d'application en matière de prêts hypothécaires, qui sont conclus à long terme. C'est que, bien entendu, plus le délai de remboursement est long, plus les risques augmentent.

Qui fixe l'intérêt ?

Si, en théorie, c'est le marché qui fixe le taux de l'intérêt, c'est-à-dire le jeu de l'offre et de la demande, en pratique, les banques centrales jouent un rôle déterminant, en l'occurrence la Banque centrale européenne (BCE) pour la zone euro. Celle-ci fixe un « taux de refinancement » qui est son principal « taux directeur », celui auquel elle-même prête aux banques et institutions financières. Ce taux, qui est un des principaux instruments de politique monétaire, est à 1 % depuis le mois de mai 2009.

La fixation de ce taux directeur est évidemment déterminante dans la dynamique économique : lorsque les taux d'intérêt sont élevés, les entreprises et les ménages hésitent à emprunter pour investir ou consommer, tendance qui s'inverse lorsque les taux sont bas.

Quelle différence y a-t-il entre l'intérêt et l'usure ?

On connaît l'usure d'un tissu, par exemple, qui est la détérioration de celui-ci par suite du long usage qu’on en fait. Par extension, en matière financière, l'usure correspondait au prix de l'usage de la monnaie, c'est-à-dire à « toute espèce d'intérêt que produit l'argent ». Ce n'est que, par extension, qu’on en est venu à utiliser l'usure dans son acception actuelle, à savoir un « profit qu'on retire d'un prêt au-dessus du taux légal ou habituel »1.

Comment expliquer le glissement sémantique de cette notion d'usure qui, initialement, désignait tout intérêt indépendamment du taux avant de viser l'intérêt d'un prêt consenti à un taux abusif ? Sans doute par les débats âpres et difficiles sur la justification de l'intérêt, dans son principe, et, à supposer cette justification de l’intérêt acquise, par les débats sur la fixation d’un taux convenable.

Critique morale de l'intérêt

Déjà le Deutéronome, écrit vers 630 av. J.-C., condamnait le prêt à intérêt : « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, intérêt d'argent ou intérêt de nourriture, de toute chose qui se prête à intérêt »2. Platon (428-427 av. J.-C., 347-346 av. J.-C.) condamnait, lui aussi, le goût du profit et l'accumulation de richesses.

C'est ensuite Aristote (vers 384-322 av. J.-C.) qui a fait une distinction, qu'il jugeait fondamentale, entre l'économique et la chrématistique. Si l'économie (de oïkos, la maison, donc la communauté au sens élargi, et nomia, la règle, la norme) désigne la norme de conduite du bien-être de la communauté, ou maison au sens très élargi du terme, la chrématistique est quant à elle l'art de s'enrichir, d’acquérir des richesses. S'il admettait une chrématistique « naturelle » ou « nécessaire », liée à la nécessité de l'approvisionnement de l'oïkos, il condamnait fermement la chrématistique proprement dite ou « commerciale » qui consiste à « placer la richesse dans la possession de monnaie en abondance ». La chrématistique est, pour lui, une activité « contre nature » qui déshumanise ceux qui s'y livrent puisque, selon lui toujours, l'homme est par nature un zoon politikon, littéralement un « animal politique » (politikos, citoyen, homme public). Pour Aristote, la chrématistique commerciale substitue l’argent aux biens ; l’usure crée de l’argent à partir de l’argent ; les marchands ne produisent rien : en l'absence de règles strictes visant leurs activités et sans un contrôle de la communauté dans son ensemble, tous sont condamnables d'un point de vue politique, éthique et philosophique.

Les rabbins ont réagi à l'interdiction biblique en codifiant les choses dans le Talmud de Jérusalem au IVe siècle, et dans le Talmud de Babylone au VIe siècle. Avec, pour conséquence, de grandes innovations sur l'organisation sociale, en particulier les taux d'intérêt, l'usage des lettres de change, et les limites du profit par l’introduction de la notion de « juste prix ».

De son côté, l'Église catholique, tout au long du Moyen Âge, reprend la critique aristotélicienne contre cette pratique économique et la déclare contraire à la religion. Thomas d'Aquin (1224 ou 1225-1274), dans sa Somme théologique, affirme ainsi : « Le négoce consiste à échanger des biens. Or Aristote distingue deux sortes d'échanges. L'une est comme naturelle et nécessaire, et consiste à échanger [...] pour les nécessités de la vie ». L'autre forme, au contraire, « consiste à échanger [...] non plus pour subvenir aux nécessités de la vie, mais pour le gain. [...] Voilà pourquoi le négoce, envisagé en lui-même, a quelque chose de honteux, car il ne se rapporte pas, de soi, à une fin honnête et nécessaire. »

La Réforme protestante, par la voix de Jean Calvin en particulier, a contribué à la levée progressive de l'interdit du prêt à intérêt dans les pays européens. Sous la plume de Calvin, dans sa lettre sur l’usure, en 1545, le protestantisme justifie la légitimité de l’intérêt : le capital a un « caractère de bien immédiatement productif » et l’intérêt acquiert ainsi un caractère licite.

De son côté, le Coran prohibe également l’intérêt : « Dieu a rendu licite le commerce et illicite l’intérêt »3.

Critique politique de l'intérêt 

Karl Marx, dans des pages fameuses du Capital reprend l'analyse des conséquences sur les personnes de ce qu'il nomme, après Virgile (Énéide, III, 57), auri sacra fames (maudite soif de l’or), du nom latin donné à cette passion dévorante de l'argent pour l'argent, c'est-à-dire de la chrématistique commerciale instaurée par ceux qu'il appelle « les économistes ». En élaborant une analyse de la « métamorphose » du capital, Marx montre que le capitalisme est un système permettant avant tout de faire de l'argent pour de l'argent.

Pour Pierre-Joseph Proudhon, ce n'est parce que l'usure est immorale qu'elle doit être interdite, comme le prétend l'argumentation théologique. Loin de voir l'intérêt comme la manifestation du vice de l'usurier, il considère dans un premier temps l'intérêt comme une rémunération légitime du service rendu, des risques et de la privation qu'il implique.

Cette légitimité est toutefois limitée, dans son esprit, au crédit négocié sur le marché entre deux agents car, dans ce cas, la réalisation des promesses de paiement est incertaine et varie selon la garantie que présente le signataire. C'est donc à ces circonstances qu'il faut s'attaquer pour rendre l'intérêt du crédit illégitime. Car ce modèle n'est pas celui de Proudhon qui propose un programme de coopération financière mutuelle entre travailleurs en vue de transférer le contrôle des relations économiques depuis les capitalistes et les financiers vers les travailleurs.

C'est dans ce cadre que Proudhon entend « prouver que la gratuité du crédit est possible, facile, pratique » et que, par voie de conséquence, « l'intérêt est désormais chose nuisible et illégitime »4. Pour y arriver, il préconise l'intervention d'une banque centrale qui offrirait toute garantie quant à ses promesses de paiement et ferait circuler la monnaie par des mécanismes essentiellement non marchands, rendant inutile, voire impossible, l'existence d'un marché monétaire5.

Loin de condamner le crédit et l'intérêt, il entendait les traiter comme ce que nous appellerions aujourd'hui un « service public ». Son projet s'appuyait sur l'établissement d'une « banque d'échange» qui accorderait des crédits à un très faible taux d’intérêt (le taux n’étant pas nul en raison des coûts de fonctionnement), ainsi que sur la distribution de billets d’échange qui devaient circuler à la place de la monnaie basée sur l'or, qui devait être supprimée. Il créa à cet effet une banque populaire (la Banque du Peuple) au début de l'année 1849 qui, malgré l'inscription de plus de 13 000 personnes, prit fin rapidement en raison notamment de l'incarcération de Proudhon pendant trois ans pour le délit de presse d'« offense au Président de la République ».

Même si elle n'est pas exclusivement basée sur l'intérêt, force est de constater que la croissance financière de ces dernières années a été construite sur l’écrasement des coûts salariaux et des dépenses sociales. Dans tous les pays européens, la part des revenus du travail dans le produit intérieur brut (PIB) a diminué significativement depuis le début des années 806. À l’exception de la Belgique, le niveau actuel de la part des revenus du travail dans le PIB est inférieur à celui du début des années 60. Cette évolution négative résulte notamment d’une progression des salaires inférieure à celle de la productivité. Même un pays comme l’Irlande qui a connu un taux de croissance économique soutenu pendant plus de dix ans a vu la part de la rémunération du travail chuter et la plus forte diminution du salaire réel. Si on se limite à la rémunération des salariés, c'est-à-dire sans prendre en compte les revenus du travail des indépendants et professions libérales, la part de la rémunération des salariés dans le PIB belge a fortement chuté depuis 1981, passant de 57 % à 51 % 7.

Critique économique de l'intérêt

À côté de critiques de nature morale ou politique, s'en élèvent d'autres, qui tiennent davantage aux conséquences économiques de l'intérêt. Cette question est étroitement liée à celle de la monnaie, qu'a longuement étudiée Silvio Gesell (1862-1930), l’inventeur de la monnaie franche, une monnaie dite « fondante » car sa valeur diminue à intervalle fixe (tous les mois par exemple). Silvio Gesell développa des théories qu’il a résumées dans son livre L’Ordre économique naturel.

Ses théories se fondent sur diverses observations. Tout d’abord, la quantité de monnaie gagée par l’or ne suit pas le rythme de l’accroissement de la production et de la richesse. Et cette disproportion est la cause principale des désastres économiques. D’autre part, la monnaie est détournée de son véritable emploi pour servir surtout à la thésaurisation, ce qui provoque un ralentissement des échanges et, la quantité de denrées restant identique, cela cause la chute des prix. Contrairement aux marchandises, l’argent ne perd pas de sa valeur. Le détenteur d’argent peut alors attendre que le commerçant baisse ses prix. Quant à ce dernier, il se voit obligé de couvrir ses frais par des crédits, sur lesquels il doit payer des intérêts. Celui qui reçoit ces intérêts peut à nouveau les prêter à un autre. On se retrouve donc face à une quantité de plus en plus grande de monnaie qui est extraite du circuit économique.

Pour casser ce cercle « vertueux », Gesell propose que l’argent perde périodiquement de sa valeur, de sorte qu’il devienne inintéressant de le garder et de telle manière qu’il perde ainsi sa position dominante par rapport au travail humain.

En Suède, la banque coopérative JAK pratique, depuis 1970, un système de prêts et d’épargne sans taux d’intérêt. Elle avance trois arguments pour justifier ce choix. Un argument moral : il n'est pas légitime de gagner de l’argent avec de l’argent lorsqu'il n'y a ni travail presté, ni prise de risques. Un argument d'équité : dans une économie basée sur l’intérêt, l’argent est transféré de ceux qui en ont le moins à ceux qui en ont le plus et, de cette façon, les actifs se concentrent entre les mains de quelques-uns. Enfin un argument économique : depuis que notre système monétaire moderne se base sur des dettes et que pratiquement tout l’argent est sous forme de dettes qui doivent être remboursées avec des intérêts, nous avons un système d’argent qui croît exponentiellement et qui va forcément un jour atteindre son point de rupture.

Pour éviter l'intérêt, JAK pratique le « prêt-épargne équilibré » : le montant mensuel à rembourser pour le prêt doit s'accompagner d'un montant identique d’épargne. Cette épargne peut être constituée avant de solliciter le prêt ou concomitamment à celui-ci et devra être maintenue aussi longtemps que le prêt n'aura pas été totalement remboursé, dans certains cas trois mois plus tard. À noter toutefois que l’administration et les coûts de développement sont couverts par les cotisations d’adhésion annuelle et les frais des prêts (environ 2,5 %).

Conclusions

Est-il juste de créer de l’argent à partir de l’argent et d'attiser de la sorte l'appât du gain ? Quels transferts financiers des travailleurs aux capitalistes sont-ils induits par l'intérêt ? La croissance induite par l'intérêt ne va-t-elle pas mener le système à son point de rupture ?

Autant de questions qui suscitent réflexion et débat autour de ce qui constitue pourtant un axe central de la finance contemporaine. Pour autant doivent-elles être évacuées au nom du réalisme économique ou d'une sorte de fatalité ? La récente crise économique nous a assez montré le risque que présentent l'un et l'autre pour que nous soyons vigilants. Et que nous vérifiions si intérêt s’accorde bien avec intérêt général.

Bernard Bayot
Novembre 2010

 

1 Littré, 1863.

2 Deutéronome (23-19). Le verset suivant (23-20) ajoute cependant une restriction importante : « Tu pourras tirer un intérêt de l'étranger, mais tu n'en tireras point de ton frère, afin que l'Éternel, ton Dieu, te bénisse dans tout ce que tu entreprendras au pays dont tu vas entrer en possession. » L'interdiction du prêt à intérêt figure également dans l'Exode (22-24), le Lévitique (25,35-37) et dans le Livre d’Ezéchiel (18,8 ; 13,7 ; 22,12).

3 Verset 275 de la deuxième sourate.

4 P.-J. Proudhon, Intérêt et principal, Paris, Garnier, 1850, p. 69.

5 « Le Crédit, quel intérêt ? », dans Actes des colloques de la Société P.-J. Proudhon, Paris, 1er décembre 2001. — Paris : Société Pierre-Joseph Proudhon, 2002. — 180 p. : ill. ; 21 cm. — (Les Cahiers de la Société P.-J. Proudhon).

6 Direction Générale de l’Emploi et des Affaires sociales de la Commission européenne, L'Emploi en Europe 2007, COM(2007) 733 final, 23.10.2007.

7 Robert Plasman, Michael Rusinek, François Rycx et, Ilan Tojerow, La structure des salaires en Belgique, document de travail, n° 08-01.RR, Dulbea, février 2008.

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Mon toit et mes finances

Soumis par Anonyme le
La crise financière de 2007-2008 a trouvé son origine dans les crédits immobiliers « subprime » aux États-Unis. De quoi s'agit-il ? Les banques et assurances classent leurs clients en non-prime, prime et subprime selon les risques estimés de défaillance de l’emprunteur, les subprimes étant les plus potentiellement défaillants : petits salariés, voire chômeurs. Des institutions financières, de moins en moins regardantes sur le profil de l’emprunteur, leur ont donc proposé des crédits avec un taux d’intérêt très élevé, de 4 à 5 points supérieur au taux normal. Ces prêts ont connu un grand succès, en particulier lorsque les taux d’intérêt de base étaient très faibles (inférieurs à 2 %, de 2002 à 2004).

Mais, à partir de 2005, ces taux de base sont rapidement montés, pour atteindre 5,25 % à la mi-2006, et de nombreux ménages emprunteurs ont alors connu des difficultés à rembourser leurs mensualités en hausse : près de 1,2 million de prêts immobiliers ont fait défaut en 2006, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2005, avec, bien sûr, pour conséquence immédiate et dramatique, la mise en vente des logements, mais aussi la perte de valeur des obligations émises sur base de ces crédits, entraînant la crise financière que l'on a connue1.

Depuis l'éclatement de la bulle des titres subprime, 3,3 millions de logements ont fait l'objet d'une saisie en 2008, et 3,9 en 2009. Cette année, le chiffre devrait dépasser les 4 millions, malgré les mesures de l'Administration Obama, qui ont permis à 500 000 propriétaires de renégocier leur emprunt. Après un délai de 22 mois en moyenne, à la demande de l'organisme de crédit qui n'est plus remboursé, le shérif du comté procède à l'expulsion des membres du foyer concerné. En 2008-2009, 2,2 millions de personnes se sont retrouvées à la rue ; 1,2 million de personnes supplémentaires pourraient venir gonfler encore les statistiques d'ici à la fin de cette année 2.

L'exemple des subprimes pose évidemment la question de la qualité de l'activité de crédit: d'une part, celle-ci peut générer des revenus très élevés grâce à des taux d'intérêt usuraires, car les pauvres n'ont souvent pas d'autre solution et, d'autre part, les marchés de capitaux s’intéressent très sérieusement à ce marché des crédits aux pauvres, au moins pour spéculer sur la période durant laquelle ceux-ci sont encore en capacité de rembourser 3. Mais il pose aussi la question de l'opportunité d'accéder à la propriété immobilière.

Tous proprios ?

Aux États-Unis, ils étaient propriétaires à 70 % à la veille de l’explosion de la crise. Ils ne sont plus que 67 % en juin 2010 !4 Certes, les nouveaux propriétaires ont été victimes des pratiques de prêteurs peu scrupuleux, mais, par ailleurs, était-ce opportun qu'ils se lancent dans l’achat de leur logement ?

La question peut paraître saugrenue tant les gouvernements favorisent le fait d'être propriétaire avec des exemptions de taxes ou des aides à l'emprunt afin de faciliter l'accession à la propriété. Que l'on pense au projet de « société de propriétaires » porté par le président républicain George W. Bush (2001-2009) et dont les graines avaient été semées par son prédécesseur, le démocrate Bill Clinton, avec sa Stratégie nationale pour la propriété, lancée en 1994. Le but était alors de porter à 67,5 % le taux des ménages propriétaires de leur logement en 2000. L'objectif sera atteint et M. Bush voudra aller encore plus loin et « faire accéder tous les Américains à la propriété », y voyant l'achèvement du rêve américain. Plus près de chez nous, en France, la réforme des aides à l'accession à la propriété, annoncée en septembre dernier par Nicolas Sarkozy, vise à augmenter le taux de propriétaires de 58 % à 70 %, grâce, principalement, au nouveau prêt à taux zéro qui sera « ciblé sur les nouveaux primo-accédants », « universel » c'est-à-dire « accordé sans condition de revenu » et « plus favorable pour les familles avec enfants »5.

Depuis l'enfance, on nous assène qu'il est malin d'être propriétaire. Le Belge n'a-t-il d'ailleurs pas une brique dans le ventre ? Et ne dit-on pas que plus on possède, plus on gagne d'argent ? Un des meilleurs vecteurs de cette vérité universellement admise est le Monopoly, où en jouant on peut rêver d'acheter des rues entières. Ce que l'on sait moins, c'est que ce jeu a été inventé en 1903 par Elizabeth « Lizzie » Philips, une idéaliste de gauche qui prétendait stigmatiser, avec son jeu, la petite minorité de propriétaires qui vit de la sueur des locataires. Une trentaine d’années plus tard, le jeu sera perfectionné par Charles Darrow, chômeur, qui colorie le plateau, y dessine les rues d’Atlantic City et sculpte lui-même les maisons miniatures en bois, avant que le jeu ne soit finalement racheté en 1935 par un fabricant de jeux de plateau et ne connaisse le succès mondial que l'on sait6.

Pour autant, la question de l'opportunité de devenir propriétaire doit être posée. Car une augmentation du taux de propriétaires, c'est-à-dire de la proportion des ménages qui sont propriétaires de leur logement, peut avoir plusieurs origines. Il peut s'agir d'une augmentation des revenus qui favorise cet accès à la propriété, auquel cas, sauf baisse ultérieure de ceux-ci, l'acquisition peut être justifiée. Mais il arrive, comme cela a été le cas aux États-Unis, que la hausse du taux de propriétaires soit due au fait qu'un certain nombre d'acheteurs ont tenu à bénéficier de taux d'intérêt bas, susceptibles de remonter en flèche par la suite.

De ce fait, un taux élevé de propriétaires couplé à une augmentation du taux de prêts à risques peut signaler une bulle gonflée par l'endettement. On observe, à cet égard, que les pays où la crise immobilière a été la plus violente sont ceux qui connaissent un taux de propriétaires élevé : États-Unis (67 %), Royaume-Uni (71 %), Espagne (84 %), Irlande (77 %), contre 45 % seulement en Allemagne ou 37 % en Suisse, deux pays à l'abri de la tempête7. À noter qu'en Flandre et en Wallonie le taux de propriétaires n'a cessé d'augmenter depuis la Deuxième Guerre mondiale pour atteindre 70 % environ aujourd'hui. À Bruxelles, il plafonne à 40 % depuis le début des années nonante8.

Le mirage espagnol

Parmi les crises immobilières les plus importantes, celle qu'a connue l'Espagne. C'est que l’économie espagnole s’est construite autour du bâtiment. À l'époque franquiste, le secteur du logement et celui du tourisme dominaient l'économie espagnole. Une panoplie d'avantages fiscaux conséquents fabriquait des générations de propriétaires. Cette politique pèse encore lourdement sur le secteur immobilier qui représente 21 % du produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire de l'ensemble des richesses créées pendant une année en Espagne. Depuis 2000, l'Espagne a construit 700 000 habitations chaque année. Autant que la France, l'Allemagne et l'Angleterre réunies !

Investir dans la brique étant considéré comme un investissement sûr, nombre de personnes se sont portées acquéreuses d’un logement, tablant sur une plus-value à la revente. Les mesures mises en place à l’époque ont accentué la crise : allongement de crédit sur 50 ans et particuliers autorisés à acquérir un logement sans apport personnel initial. Beaucoup ont alors contracté des crédits à taux variables (monnaie courante en Espagne) mais aujourd’hui leur taux de remboursement atteint des sommets et ils se trouvent dans l’impossibilité de rembourser.9

La spéculation immobilière allait bon train mais, avec la crise, la bulle a explosé, entrainant avec elle le secteur immobilier, mais aussi tous ceux qui lui sont liés. Or les ménages espagnols étaient parmi les plus endettés de l’OCDE : entre 2000 et 2006, le ratio dette/revenu disponible net est passé de 85 % à plus de 100 % dans la zone euro, mais a atteint 150 % en Espagne10. Surendettés, ces ménages doivent à présent se résoudre à vendre ou hypothéquer leurs biens.

Conclusion

Le surendettement lié à la charge de remboursement d'un crédit peut avoir deux origines qui peuvent, le cas échéant, se cumuler. Ces caractéristiques se retrouvent dans le crédit immobilier avec d'autant plus d'acuité que ce dernier porte sur des montants importants. La première tient à la qualité du crédit, la seconde à son existence même.

Commençons par cette dernière : on ne devrait pas accorder pas de crédit si la charge de celui-ci est disproportionnée par rapport à la faculté de remboursement de l'emprunteur ! Cet examen préalable paraît une évidence et pourtant on en a largement fait l'économie aux États-Unis, avec les conséquences que l'on sait, tandis que Nicolas Sarkozy annonce que son prêt à taux zéro sera accordé sans condition de revenu...

Si la situation économique de l'emprunteur est jugée suffisante au jour de l'octroi du crédit, rien ne permet évidemment de garantir que cela va durer, ni que des événements qui lui sont personnels – comme une perte d'emploi – ou qui lui sont extérieurs – comme l'évolution des taux d'intérêt – ne viendront pas modifier profondément la donne. Il est donc indispensable que le crédit proposé soit de qualité pour prévenir, autant que faire se peut, de telles éventualités. Et cette qualité s'apprécie évidemment en fonction de la personne à laquelle il est proposé ; en d'autres termes, un crédit doit être adapté à la situation de l'emprunteur. Par exemple, si celle-ci ne permet pas d'absorber de grosses variations dans la charge de remboursement, il faudra veiller à ce que le taux d'intérêt soit le moins variable possible pour éviter toute mauvaise surprise.

Certes, le crédit immobilier semble plus rassurant qu'un autre car, en cas de coup dur, l'immeuble hypothéqué sert de garantie. Mais, il ne faut pas oublier qu'une vente forcée sera toujours ressentie comme un échec et aura une répercussion sur l'estime de soi, mais qu'en outre elle peut être génératrice de coûts financiers importants qui viendront obérer encore la situation de l'emprunteur malheureux. Par ailleurs, la qualité de cette garantie peut se réduire considérablement lorsque le marché de l’immobilier baisse, comme on l'a vu par exemple aux États-Unis.

Même si le crédit porte sur la brique, la prudence reste donc de mise !

Bernard Bayot
Novembre 2010

1 Bernard Bayot, « La bulle des pauvres », dans FINANcité Magazine, n° 7, septembre 2007.

2 Sylvain Cypel, « Une affaire saisissante », dans Le Monde, 13 octobre 2010.

3 Bernard Bayot, op. cit.

4 Emmanuel Lévy, « Au secours, les subprimes reviennent en Amérique ! », dans Marianne, 26 octobre 2010.

5 Dépêche AFP, 14 septembre 2010.

6 Niall Ferguson et Pascale-Marie Deschamps, L'irrésistible ascension de l'argent : De Babylone à Wall Street, Saint-Simon, 2099.

7 Pierre-Antoine Delhommais, « Locataires de tous les pays, unissez-vous ! », dans Le Monde, 3 octobre 2010.

8 Alice Romainville, « À qui profitent les politiques d'aide à l'acquisition de logements à Bruxelles ? », dans Brussels studies, n° 34, 25 janvier 2010.

9 Élodie Carcolse, « Logement. Espagne: quand le ‘Tous proprios !’ prend l’eau... », dans Marianne, 22 octobre 2010.

10 Études économiques de l’OCDE 2008 : Espagne.

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Les alternatives financières dans le secteur de la distribution

Soumis par Anonyme le

Le secteur de la distribution est largement aux mains de grands groupes qui développent leurs activités dans des zones géographiques de plus en plus vastes, avec pour conséquence un éloignement des préoccupations de ses parties prenantes, que sont ses travailleurs et ses clients. À l'occasion de l'annonce d'une vague de licenciements par la direction de Carrefour, en février dernier, s'est ainsi posée la question de l'existence d'une stratégie adéquate de développement commercial durable et respectueuse des travailleurs. Des alternatives sont possibles, basées sur les échanges de proximité.

Les accorderies

Quand on évoque les échanges de proximité, on pense aux systèmes d’échange local (SEL), dont le premier a été créé à Vancouver en 1983. Les SEL sont des réseaux dont les membres, une personneisolée ou une famille complète, sont mis en contact les uns avec les autres et s’échangent des services non professionnels ou des biens et du savoir(-faire). Le grand principe des SEL est que les échanges qu’on y fait ne sont pas payés en monnaie sonnante et trébuchante. Ils sont comptabilisés en unités dont les noms varient d’un SEL à l’autre.

Proximité n'est pas synonyme d'égalité et des interrogations se sont fait jour sur le point de savoir si les SEL sont aussi nettement favorables aux démunis qu’on le prétend généralement et s'ils ne pourraient avoir au contraire pour effet pervers de creuser les inégalités, étant plus favorables aux classes moyennes1.

La volonté d’éviter cet écueil est en tout cas clairement au cœur du projet de l'Accorderie de Québec qui a été fondée en 2002 par la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation St-Roch de Québec. Ces deux organismes souhaitaient en effet répondre aux besoins des ersonnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale tout en favorisant l’organisation de nouvelles formes de solidarité. Il s'agit d'un système d’échange de services qui regroupe toutes les personnes intéressées à échanger entre elles différents services tels que du dépannage informatique, de la traduction de texte, du transport, des formations, de l’aide pour remplir une déclaration d’impôts, etc. Outre à Québec, des accorderies se sont aujourd'hui développées à Montréal et Trois-Rivières et on attend pour bientôt celle de Shawinigan.

Les membres d’une accorderie, les accordeurs, ont accès aux services des membres de « leur » accorderie locale, ainsi qu’aux services offerts dans n’importe quelle accorderie implantée ailleurs au Québec. De plus, en devenant accordeur, une personne a accès aux activités collectives d’échange offertes par son accorderie locale, soit à des services d’intérêt général qui s’adressent à l’ensemble des accordeurs. Ces activités peuvent prendre différentes formes. À Québec, par exemple, un service d’achat regroupé de produits alimentaires et un système de crédit solidaire ont été mis en place.

Chaque accordeur met à la disposition des autres ses compétences et savoir-faire sous la forme d’offres de services. À peu près n’importe quel service peut être offert : des conseils pour cuisiner, la restauration de meubles, l’apprentissage d’un sport, la garde d’animaux, etc. Chaque offre apparaît sur la page web de l’accorderie locale dont la personne est devenue membre et dans un bottin imprimé pour les accordeurs qui n’ont pas accès à Internet. Dans l’Espace membre du site Internet et dans le bottin, les accordeurs ont accès aux coordonnées des personnes qui offrent les services. Ils peuvent donc entrer en contact directement avec celles-ci pour s’entendre sur le service désiré et le moment de l’échange. Chaque échange de services est comptabilisé dans une banque de temps sur la base des heures échangées, selon le principe qu’« une heure de service rendu égale une heure de service reçu ». Tous les services sont ainsi mis sur un pied d’égalité.

Dans la banque de temps, chaque accordeur dispose d’un compte Temps où sont inscrites les heures données et reçues, comme dans un « vrai » compte. La comptabilité se fait à partir de chèques temps que les accordeurs reçoivent lorsque des services sont rendus. Lorsqu’une personne devient accordeur, 15 heures sont déposées sur son compte, ce qui lui permet d’échanger des services immédiatement.

Le système d’échange s'opère donc à trois niveaux. Tout d’abord, le niveau d’échange individuel qui comprend les échanges de temps entre accordeurs. Ces échanges s’apparentent fortement à ceux des SEL. Ensuite, le niveau d’échange collectif qui correspond aux activités du groupement d’achat et du crédit solidaire. Ces deux services collectifs font la singularité de l’accorderie. En effet, le couplage microcrédit-monnaie sociale n’apparaît que rarement dans les autres dispositifs, sauf dans le cas particulier de Fortaleza au Brésil. L’objectif de ces services collectifs est double : donner un accès au crédit à des personnes qui ne peuvent y accéder par ailleurs et offrir un accès à des produits de qualité (biologiques, équitables ou locaux) qui deviennent accessibles grâce à un coût plus faible compte tenu de l’achat groupé.

Enfin, troisième niveau, le niveau d’échange associatif c'est-à-dire les services qui vont être achetés par l’accorderie aux accordeurs pour les besoins de son organisation et son fonctionnement. En effet, à l’accorderie, il n’y a pas de bénévolat, toute heure effectuée au service de l’association, ou dans le cadre des services collectifs donne droit à un crédit en temps. Il peut s’agir d’accueillir les nouveaux membres, de distribuer le courrier ou d’organiser les activités collectives. Par exemple, dans le cadre du groupement d’achat, les accordeurs sont chargés de l’animation du « souper mensuel », de la commande aux fournisseurs, de la réception et du partage de la commande et de la comptabilité. Pour le crédit solidaire, les accordeurs doivent rencontrer l’accordeur demandant un prêt, participer au comité de prêt, faire signer le contrat de prêt et s’assurer du suivi. Ainsi, l’accorderie sert d’intermédiaire : elle verse aux accordeurs chargés des activités collectives des heures et elle les facture en contrepartie aux accordeurs qui ont bénéficié du service collectif. L’accorderie pose aussi un strict principe d’équité, c'est-à-dire qu’une heure est égale à une heure quelle que soit l’activité fournie et le statut social de la personne2.

Les SEL sont donc, à proprement parler, des réseaux de troc de crédits permettant de confronter l’offre et la demande de biens et de services. Ils se situent à mi-chemin entre le simple troc bilatéral et une économie monétaire complète et autonome. En toute hypothèse, une des limites des SEL consiste dans le fait que les « crédits de service » ne circulent pas librement, car l’offre et la demande doivent y être confrontées. Pour contourner cette difficulté, ont été imaginées les monnaies locales qui sont, par leur structure et leur mode de fonctionnement, plus proches d’un véritable système monétaire que les SEL. La notion d’étalon de valeur de substitution n'est pas nouvelle, elle est évoquée depuis longtemps par les auteurs socialistes égalitaristes, mais on doit la version moderne des « time dollars » à Edgar Cahn, professeur de droit à Washington, qui se prit à l’imaginer dès 19863.

Les « Ithaca Hours »

Les « Ithaca Hours », lancées en 1991 dans la ville d’Ithaca (30 000 habitants) dans l’État de New York, constitue l’un des exemples les plus connus de monnaie locale.

Le système a été organisé par un groupe d’activistes locaux, qui visent à défendre les intérêts des petits commerces locaux contre ceux des grandes enseignes nationales, comme Wal Mart. En 1991, Paul Glover, ancien publicitaire et journaliste, diplômé en gestion municipale, observe les mouvements de l'argent dans sa ville et constate les dégâts classiques du capitalisme : de grandes sociétés multinationales et des chaînes de magasins envahissent le marché, pompent l'argent local et le réinvestissent ailleurs, menaçant ainsi la production et les emplois locaux. Paul Glover, tenant d'un nouvel ordre économique basé sur les échanges de proximité, et écologiste jusqu'au bout des doigts, se rend compte alors que le seul moyen de permettre à l'économie locale de bénéficier de l'argent local est de créer une unité monétaire que l'on ne pourrait gagner et dépenser que dans la ville. Il passe alors de la réflexion à l'action et imprime lui-même des billets dont la valeur unitaire est l'Ithaca Hour. « Le billet de base, l’Ithaca Hour, vaut 10 dollars, ce qui représente en gros le salaire moyen horaire payé dans cette ville, explique Paul Glover. Prenons maintenant un fermier qui vend pour 20 dollars de fromage. À la place de la monnaie nationale, il reçoit donc deux heures de travail gratuit. Avec ce petit capital, il achète par exemple les services d’un menuisier, qui lui-même fait appel au savoir-faire d’un mécanicien, lequel utilise ces heures pour payer son chiropraticien, qui se sert de ces billets pour s’offrir quatre places de cinéma, et ainsi de suite. C’est un système sans fin qui grandit de lui-même, une économie écologique, en vase clos, qui s’écarte du dollar et où le temps de travail réel remplace les liquidités abstraites. »4

Dans sa forme originale – et respectant l’idée de monnaie à taux zéro –, elle permet aux commerçants de se préfinancer. Ils achètent des biens ou des services avec la monnaie locale et remboursent ensuite leurs achats en acceptant cette monnaie locale dans leur propre établissement. Plus de 900 participants acceptent publiquement les Ithaca Hours pour les biens et services dans un périmètre de 50 miles (80 kilomètres). Certains employeurs locaux et leurs employés acceptent de payer et de recevoir une partie du salaire en Ithaca Hours. Celles-ci sont acceptées en outre par l'hôpital de la ville ainsi que par une Community Development Financial Institution (CDFI) appelée Alternatives Federal Credit Union, qui offre des comptes courants à taux zéro en Ithaca Hours5. En 1996, elle avait déjà servi à financer des transactions pour de 1,5 milliard de dollars6.

Ce modèle favorise en effet la proximité. Mais il ne reproduit pas les inégalités observées dans l’économie officielle « dans la mesure où toutes les heures travaillées... ont la même valeur ». Il faut, pour qu’il en soit ainsi, qu’une autorité ait créé un espace monétaire en y imposant une monnaie de compte et un étalon de valeur égalitariste et non marchand, soit en vertu d’un consensus, soit par la force ou grâce aux deux moyens à la fois. Ce n'est pas le cas des Ithaca Hours où chaque unité a une valeur de 10 dollars. Comme on le voit à Montpelier (capitale de l’État du Vermont, aux États-Unis), les avocats facturent cinq « Ithaca Hours » l’heure travaillée et les baby-sitters, une demie7.

Conclusions

Comme on le voit, des alternatives à la grande distribution existent. Mais les modalités de leur mise en œuvre déterminent le bonheur avec lequel elles atteignent les objectifs qu'elles se sont fixés. Ainsi, celui de remplacer les « liquidités abstraites » par du temps de travail n'a pas été concrétisé par les Ithaca Hours. Certes cette monnaie a perdu un peu de son abstraction de par le fait qu'elle n'a de valeur que dans une zone limitée, favorisant en cela, de manière mécanique, les échanges au niveau local. En revanche, elle demeure suffisamment abstraite pour permettre à ses détenteurs de facturer une heure de travail entre une demie et cinq fois l'unité monétaire. Aucune autorité extérieure aux parties prenantes à l'échange, ni aucun sentiment suffisamment fort de solidarité ne pousse ceux-ci à respecter l'égalité de valeur entre les heures de travail.

Pour atteindre un tel objectif égalitaire, sans doute est-il nécessaire de restreindre la libre circulation des crédits de service, à l'instar de ce qui se pratique dans un SEL. C'est ce que l'on fait dans les accorderies, dont la version québécoise développe en outre des services collectifs qui permettent une réelle mixité sociale au sein des participants, évitant de la sorte l'écueil auquel se heurtent bien des SEL et qui consiste à ne finalement générer de l'égalité qu'au sein d'une même caste, souvent bien nantie. Le sentiment d'appartenance à un club, aux règles claires et précises, fondées sur l'égalité et l'entraide, et l'offre de services collectifs pour les moins favorisés, semble être la double condition pour le développement d'échanges égalitaires et solidaires.

Quoi qu'il en soit, ces mécanismes citoyens permettent d'éviter les travers de la grande distribution et de développer les échanges locaux, voire de leur donner en outre un tour égalitaire et solidaire.

 

Bernard Bayot
mai 2010

 

1 Boyle, D., Funny Money: In search of Alternative Cash, Harper Collins, London, 1999; Geoffrey Ingham, “De nouveaux espaces monétaires ?”, in L’Avenir de l’argent, OCDE, 2002.

2Marie Fare, L’Accorderie, un dispositif québécois de monnaie sociale basé sur le temps, 7 avril 2010, http://www.alpesolidaires.org/l-accorderie-un-dispositif-quebecois-de-mo....

3 Boyle, D., op. cit.; Geoffrey Ingham, op. cit.

4 Jean-Paul Dubois, « Le dollar est mort à Ithaca », dans Le Nouvel Observateur, 5 décembre 1996; Frédéric Hontschoote, Les monnaies locales : Création et rentabilité d’un capital social. Analyse comparative de l’Ithaca Hour et du SEL de Paris, Université de Paris VII Jussieu, juin 2000.

5 Http://www.alternatives.org/ithacahours.html ; les CDFI sont des institutions financières dont l'objectif principal est de fournir (directement ou indirectement) des financements (prêts ou investissements), accompagnés ou non d’une activité de conseil, aux entreprises engagées dans les communautés défavorisées.

6 Wall Street Journal, 27 juin 1996; Geoffrey Ingham, op. cit.

7 Bowring F., « LETS : An Eco-Socialist Alternative ? », dans New Left Review, 232, 1998, pp. 91-111 ; The Economist, 28 juin 1997, p. 65 ; Geoffrey Ingham, op. cit.

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