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Le changement climatique : protocole de Kyoto et échange de permis d'émission

Soumis par Anonyme le

Mécanismes de flexibilité

Les scientifiques sont formels, nous sommes en grande partie responsables des changements climatiques actuels! La principale cause : les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), principalement dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d'azote, que nous rejetons dans l'atmosphère en quantité exponentielle depuis la révolution industrielle. Mais comment faire pour endiguer cette tendance ? Le protocole de Kyoto, adopté en 1997 et entré en vigueur en février 2005 suite à sa ratification par la Russie, tente d'y remédier en contraignant les pays industrialisés signataires de réduire le total de leurs émissions de GES de 5,2 % par rapport à 1990, pour la période 2008-2012.

Pratiquement, le protocole de Kyoto alloue des quotas d'émission aux pays signataires. Pour faire simple, un quota représente un droit d'émettre 1 tonne d'équivalent CO2, soit une quantité fixe de gaz à effet de serre qui peut être rejetée annuellement par le pays en question dans la période 2008-2012.

La Belgique par exemple devra réduire pour 2008-2012 ses émissions de GES de 7,5 % par rapport à 1990, c'est-à-dire qu'elle aura le droit durant cette période d'émettre annuellement 92,5 % de ses émissions au niveau de 1990. Comme la Belgique émettait 146 millions de tonnes de CO2 en 1990 (transports aérien et maritime exclus), elle recevra 146*0,925= 135 millions de quotas chaque année entre 2008-2012.

Pour réaliser leur engagement, les pays ont le choix des instruments : soit via des "actions domestiques", soit en recourant aux puits de carbone, soit en utilisant les mécanismes de flexibilité prévus dans le protocole de Kyoto (PK). Car l'un des objectifs du protocole est de réduire les concentrations de GES, tout en permettant que le développement économique puisse se poursuivre de manière durable.

Toutefois, il est clairement stipulé que les actions domestiques doivent constituer une part significative de l'effort fourni. Le recours aux mécanismes flexibles vient donc en complément.

Attardons-nous sur les trois mécanismes de flexibilité proposés: la Mise en Oeuvre Conjointe – Joint Implementation Mechanism, le Mécanisme de Développement Propre – Clean Development Mechanism et les droits d'émission négociables – Emission Trading.

La Mise en Œuvre Conjointe et le Mécanisme de Développement Propre consistent à mettre en œuvre des mesures de réduction d'émission dans un autre pays que le sien. Soit dans un pays développé (repris à l'annexe I du protocole), on parlera, dans ce cas, d'un projet de mise en œuvre conjointe; soit dans un pays dit en voie de développement et l'on parlera, alors, d'un projet de développement propre.

L'objectif est double. D'une part, stimuler le transfert de technologies respectueuses du climat ainsi que les connaissances y afférentes et de contribuer ainsi à la lutte contre le changement climatique tout en soutenant le développement des pays les moins favorisés. Et, d'autre part, réaliser les réductions d'émissions là où elles coûtent le moins cher, c'est-à-dire là où, par exemple, se trouvent les installations industrielles les moins performantes sur le plan énergétique.

Ces deux mécanismes permettent au pays initiateur et investisseur du projet d'obtenir des crédits d'émission.

Un exemple : la firme anglaise Rolls Royce qui a conçu un projet permettant de produire de l'électricité à partir de cosses de riz en Thaïlande. L'électricité produite au moyen de cette biomasse permet d'éviter le rejet de 83 000 tonnes de CO2 en moyenne par an. Rolls Royce recevra un crédit d'émission équivalent aux réductions d'émission engendrées par le projet. Intérêt pour Rolls Royce ? Réaliser une réduction équivalente chez elle aurait été plus onéreux, de plus cela permettra à Rolls Royce de compenser l'éventuel dépassement de son quota d'émission sur le territoire national. Intérêt pour la Thaïlande ? Bénéficier d'un transfert de technologie et d’un impact environnemental positif[1].

Bien entendu, ces mécanismes de projet sont réglementés, encadrés et contrôlés par des entités indépendantes et par un organe de contrôle de la Convention climat. Néanmoins, si l'intégrité environnementale du projet est scrupuleusement garantie par le Comité exécutif des Nations Unies, l'objectif de contribuer au développement durable du pays hôte ne fait pas à ce stade l'objet d'un contrôle ou d'une vérification à proprement parler. Elle est laissée à l'initiative de l'autorité nationale du pays hôte. Une simple attestation de sa part suffit.

Le troisième mécanisme concerne, quant à lui, l'échange des droits d'émission négociables. Le protocole de Kyoto prévoit dans son article 17 la mise en place d'un marché international de droits d'émission de gaz à effet de serre qui doit débuter à partir de 2008. Ce marché, qui fonctionnera comme n'importe quelle bourse aux matières premières, permettra l'achat/vente des permis d'émission entre les pays visés à l'Annexe B aux fins de remplir leurs engagements Kyoto.

Le protocole de Kyoto autorise donc les pays à échanger entre eux leurs quotas d'émission en spécifiant toutefois que cette mesure vient en complément des mesures prises au niveau national.

Système européen d’échange de quotas d’émission

Pour s'y préparer l’Union européenne (UE) a ouvert, au 1er janvier 2005, au sein de l'Europe des 25 son propre marché domestique de quotas d'émission (EU ETS – European Union Emissions Trading Scheme- système d'échange de quotas d'émission). L'objectif de l’UE par ce projet interne est clairement de respecter ses engagements Kyoto tout en nuisant le moins possible au développement économique et à l'emploi des Etats membres.

Ce système organise, en effet, l'échange des émissions entre les entreprises[2] issues des cinq secteurs industriels les plus polluants de l'Union européenne (électricité, fer et acier, verre, ciment, papier). Il vise à aider les entreprises à atteindre leurs normes d'émissions de la façon la plus souple et la moins chère qui soit. Ces dernières ont le choix entre réduire leurs propres rejets en investissant dans l'innovation et les technologies plus propres ou en achetant des "droits de polluer" à d'autres entreprises de l'UE ou de pays en voie de développement. Les entreprises devront donc optimiser leur choix en comparant la proportion entre les frais d'investissements et le prix du marché des droits d'émission établi en fonction de l'offre et de la demande.

Que penser de ce marché européen d'échange de droits d'émission ?

Dans son principe, ce système offre aux industriels un maximum de flexibilité et leur permet de réduire leurs émissions à un moindre coût, ce qui, en soi, est favorable et incite à la mise en œuvre d’un comportement climatique responsable, bénéfique pour tous et à tout point de vue à long terme.

Néanmoins ce système d'échange a déjà montré certaines limites et certaines actions ont déjà été envisagées afin de le rendre efficace.

Citons comme préoccupation principale l'allocation des quotas d'émission aux entreprises. En effet, les entreprises se sont vues allouer un surplus de quotas d'émission de CO2 pour la période 2005-2007, ce qui a entraîné la chute des prix du carbone mettant ainsi en péril la crédibilité et l'efficacité du système. Les prix sont passés de 11 à 14 €/t en février 2004 à 7 €/t deux mois plus tard, suite à l'annonce des plans nationaux d'allocation des quotas. Aujourd'hui, le prix oscille autour de 6 €/t. Cette chute de prix n'incite en rien les entreprises à s'orienter davantage vers l'innovation et l'investissement en nouvelles technologies propres. Il faut donc impérativement que le marché donne un prix significatif au carbone. Pour cela une limitation de l'offre en allouant des quotas d'émission plus exigeants s'impose.

Autre préoccupation, les quotas d'émission ont été alloués gratuitement aux entreprises. Ce système d'allocation leur a permis d'accumuler des bénéfices considérables, grâce d'une part à la vente de leur surplus de crédit mais grâce également au fait que les entreprises répercutent le coût de la pollution sur le consommateur final, empochant ainsi un double pactole. Exemple en Allemagne, où l'électricité, en grande partie produite à partir du charbon, a vu ses prix d'électricité durant les heures creuses doublés en deux ans.

Troisièmement, il faudrait inclure dans ce système d'échange d'autres secteurs d'activités économiques, tel que le secteur de la chimie ou celui des transports par exemple, qui est l’un des plus grands responsables des rejets de CO2 dans l'atmosphère.

Terminons en soulignant la problématique de l'échéancier court terme de Kyoto 2008-2012. En effet, de par cet échéancier, à l'heure actuelle ce sont les projets à court terme et les plus rentables qui rencontrent l'intérêt des spéculateurs, et ce au détriment de projets aux perspectives à plus long terme tel l'investissement dans les énergies renouvelables.

Néanmoins, ce système a le mérite d'apporter un début de solution à la problématique extrêmement vaste, complexe et mondiale qu'est le changement climatique. Malgré certaines lacunes, il permet des avancées intéressantes par le biais d'investissement dans la recherche de technologies plus propres, par le transfert de technologies et d'aides à la réduction d'émissions de CO2 dans les pays en voie de développement et en pleine phase de croissance économique. Ce n'est peut-être encore qu'une faible part mais c'est un début! Il faudra néanmoins garder bien à l'œil que ces mécanismes de flexibilité de Kyoto ne peuvent être qu'une aide complémentaire pour atteindre des engagements et ne peuvent en aucun cas supplanter les actions domestiques à mettre en œuvre, dans le cas contraire il faudrait revoir drastiquement les mécanismes de flexibilité dans leur ensemble.

Alexandra Demoustiez,février 2007

Références

§        Mechanisms, Emissions Trading – Kyoto Portocol, http://unfccc.int

§        Le Système Européen d’Echange de quotas d’émission, février 2007, http://www.euractiv.com/fr/developpement-durable/systeme-europeen-echange-quotas-emissions-ets/article-133881

§        Directive 2003/87/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 Octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.

§        Emissions Trading directive a significant step forward, says, NGO’s, CAN, WWF, Greenpeace, RSPB, Friends of the Earth, juillet 2006

§        « Analyse du RAC-F sur le fonctionnement du marché européen de quotas d’émission. L’exemple du laxiste Plan National d’Allocation de Quotas français et propositions de réformes pour l’avenir », RAC-F, septembre 2005

§        « Les économistes européens et le WWF exigent un système d’échange de droits d’émissions plus rigoureux, climat », WWF, novembre 2006

§        « Action 24 : une meilleure solidarité : recourir aux mécanismes flexibles », plan fédéral de développement durable 2004-2008

§        « La grande foire des permis de polluer », extraits the Economist, Courrier International hors-série, octobre, novembre, décembre 2006 

 


 

[1] IRES- « Le mécanisme pour un développement propre, ou comment faire d’une pierre deux coups », Regards Economiques, janvier 2005, numéro 27. 

[2]Pour rappel, Kyoto concerne les pays.

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Le protocole de Kyoto prévoit différents mécanismes dits ‘flexibles' afin de permettre aux pays signataires de réaliser leurs engagements à moindre coût économique. Que penser des marchés de permis de polluer ?

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Pourquoi et comment faire du microcrédit en Europe occidentale

Soumis par Anonyme le

Pourquoi ?

Dans sa définition internationale, le microcrédit correspond à des prêts de faible montant destinés à des personnes à bas revenu, généralement exclues des banques parce que leur solvabilité est considérée comme insuffisante et/ou parce que les coûts de gestion de tels prêts sont jugés trop élevés[2]. Le grand succès du microcrédit au Sud s'explique principalement par l’importance de la population pauvre, exclue en tant que telle du système financier. Ces prêts permettent aux personnes issues de cette population de créer ou de développer des micro-entreprises afin d'accroître leurs revenus, de se constituer un capital et de sortir de la précarité? Mais, pourquoi faire du microcrédit au Nord, et en particulier en Europe ? Qui sont les pauvres, les marginaux, les exclus auxquels l’offre de microcrédit peut être adressée ?

En Europe, le taux de chômage est évalué à 8,2 % de la population active et les personnes en risque de pauvreté à 15 % (des personnes âgées de plus de 18 ans). Environ 90 % des entreprises en Europe sont des micro-entreprises (entre 1 et 9 personnes employées), elles représentent 20,2 % de la valeur ajoutée totale et 29,5 % de l'emploi total[3]. Ces chiffres sont appelés à augmenter à la suite du processus de désindustrialisation, de l'augmentation du secteur des services (aujourd'hui 75 % du produit intérieur brut) et du développement des nouvelles technologies[4]. Environ 2 millions de start-ups sont créées chaque année, dont un tiers par des chômeurs[5]. Beaucoup d’entre elles n'ont pas accès au crédit, quand celui-ci est proposé par le secteur financier « classique », soit parce qu’il est trop coûteux pour la micro-entreprise, soit que l'activité est jugée trop risquée par l'organisme de prêt[6]. C’est dans ce contexte, où coexistent chômage et exclusion financière, que l’offre de microcrédit se justifie en Europe.

À la différence du Sud, où le microcrédit est un outil de lutte contre la pauvreté, en Europe, il est conçu comme un instrument pour combattre le chômage et l’exclusion sociale[7]. Dans une optique plus large, il s'insère dans le cadre de la stratégie de Lisbonne en faveur de la croissance économique et de la cohésion sociale.

Définition :

La définition de microcrédit généralement acceptée en Europe est : un crédit de 25.000 euros au plus, proposé aux micro-entreprises (ayant de 1 à 9 travailleurs)[8]. Le microcrédit se distingue de l’offre de crédit commercial au niveau du montant, mais pas seulement. D'autres caractéristiques sont prises en compte, comme les modalités d'accès, le type d'analyse de solvabilité mis en place ou la politique de couverture des risques (garantie/caution). En outre, lorsque l'on parle de microcrédit, on y intègre également une mission d'inclusion sociale, de création d’emploi, de développement des micro-entreprises et de développement local[9]. Les définitions de l’exclusion sociale et financière, ainsi que les liens qu'elles tissent avec la réalité du chômage, ont été largement analysés dans le projet « From exclusion to inclusion through microfinance » qui, en résumé, considère le chômage comme le facteur majeur contribuant à l’exclusion sociale, elle-même cause ou conséquence de l’exclusion financière[10].

Conçu de cette façon, le microcrédit en Europe s’adresse aux personnes en risque de pauvreté, principalement les chômeurs et les bénéficiaires de prestations sociales, afin qu'ils puissent démarrer une activité indépendante ou développer des activités qui n'accèdent pas au crédit bancaire classique. Les activités financées sont principalement celles de service, de commerce et d'artisanat, dont la plupart se trouvent dans le secteur formel ou en passe de le devenir. À cause du niveau élevé de concurrence et d'un cadre législatif complexe, la réussite de l'activité est généralement difficile. Pour augmenter les chances de réussite de l'activité, outre les produits financiers, les institutions de microfinance proposent différents services d'accompagnement (business support services) aux micro-entrepreneurs pré- et post- création, consistant soit en formation, soit en assistance professionnelle.

La demande potentielle de microcrédit en Europe est difficile à évaluer parce qu'elle est en grande partie cachée. Globalement, la clientèle n'est pas très nombreuse et elle est difficile à identifier puis à atteindre. Selon le European Microfinance Network (EMN), le marché actuel en Europe représente au moins 11 millions de clients, dont 4 millions de micro-entreprises (20 % du nombre total de micro-entreprises) et 7 millions d'activités informelles en cours de régularisation (un quart de la population active en dessous du seuil de pauvreté).

Sur le plan de la performance financière, aujourd'hui en Europe, la plupart des institutions de microfinance ne sont pas viables sans apports extérieurs. L'accent est mis sur les objectifs sociaux (inclusion sociale et création d'emploi) plutôt que sur la rentabilité. « Les contraintes sont encore trop fortes entre des taux d'intérêt faibles, des coûts de structure élevés — liés notamment aux coûts d'accompagnement —, une efficacité réduite et un volume de clients faible. Les aides publiques restent encore la principale source de financement de ces structures, qui dès lors, à défaut de devoir prouver leur rentabilité financière, se doivent de démontrer leur rentabilité sociale. »[11] « Même si la rentabilité financière des opérations peut être assez longtemps inférieure à celle des autres activités bancaires, la rentabilité économique d'un telle politique est évidente. Elle s'inscrit dans le cadre de la stratégie de Lisbonne tant en matière de croissance que de cohésion sociale. Fondée sur une philosophie d'initiative et de développement des petites entreprises, elle a un impact considérable sur l'emploi. »[12]

Une telle approche nécessite, à tout le moins, de démontrer que le soutien public se justifie par les retombées socio-économiques que le microcrédit génère. Les institutions de microfinance doivent dès lors « prouver que sortir une personne de l'aide sociale revient, grâce au micro-crédit, moins cher que de l'y maintenir »[13]. Mais encore, le coût d'opportunité des programmes de microfinance implique de se demander si subventionner ces programmes génère plus de bénéfices sociaux qu'une autre utilisation des fonds publics. Dans les pays industrialisés, l'utilisation alternative de fonds publics consiste en d'autres politiques, de création d'emploi ou de réinsertion[14].

Une étude menée par le Bureau international du travail[15] portant sur cinq pays européens (Allemagne, France, Irlande, Pays-Bas et Royaume-Uni), les États-Unis et le Canada a évalué le coût de la microfinance par entreprise créée : celui-ci évolue, selon l'organisme considéré, entre 3.000 et 6.000 euros. L'étude conclut que ce coût est tout à fait comparable à celui d’autres politiques publiques : « Même si ces montants sont sous-évalués, même s’ils sont difficilement comparables d’un organisme à l’autre, ils permettent toutefois de donner des ordres de grandeur et ils montrent que ces initiatives méritent d’être plus largement soutenues ». On souligne toutefois deux risques fondamentaux. Premièrement, le risque d’accorder une importance exagérée à la microfinance, en la présentant comme une solution miracle à l’assistanat. Deuxièmement, le risque d’affranchir les établissements bancaires de toute responsabilité dans la production d’exclusion bancaire et de créer, comme palliatif à celle-ci, des « banques des pauvres ». Pris isolément, le microcrédit n’est pas la solution aux problèmes de chômage et d’exclusion sociale. Il s’inscrit dans une perspective de partage des compétences et des responsabilités entre lui-même, le système financier et les pouvoirs publics. La microfinance n’est pas un substitut de l’État providence ou des établissements bancaires, elle leur est « complémentaire ». 

Comment ?

Ceci nous amène à la deuxième question : comment faire du microcrédit en Europe ? Ou, plus précisément, quelles sont les conditions à réunir pour le bon développement du microcrédit en Europe ? Quelles sont les responsabilités de chaque partie prenante : institutions de microfinance (IMF), pouvoirs publics et secteur bancaire ? L’étude du Bureau international du travail (BIT, 2002) souligne deux éléments décisifs : le couplage entre les microcrédits en tant que tels (services financiers) et l'accompagnement. On y traite également de l’harmonisation et de la coordination du microcrédit avec l’ensemble des acteurs impliqués dans la création d’entreprises, c’est-à-dire, les pouvoirs publics et le secteur bancaire. Une étude menée par FACET et al. (2004) développe ce dernier point en proposant des mesures politiques pour créer un environnement favorable au travail indépendant et au développement du microcrédit. Evers & Yung (2007) et Adie (2008) y ajoutent le besoin de stimuler la demande en développant une offre appropriée. Nous nous proposons de synthétiser, ci-après, les principales recommandations formulées par plusieurs auteurs, pour assurer le développement du microcrédit en Europe[16].

  • Dans un contexte de déficit de l'offre par rapport à la demande potentielle, c'est l'offre qui crée elle-même la demande.[17] Il est donc nécessaire d'aller au-devant de la clientèle, en comprenant ses besoins et en développant des produits ad hoc. Une approche « client-led » doit être adoptée en passant d'une offre globale et standardisée à une stratégie de segmentation clients et produits. En outre, un effort de communication est nécessaire pour mieux faire connaître le microcrédit auprès du grand public et mieux informer les différents publics cibles.
  • Les services de formation, de conseil, et d'appui aux clients sont nécessaires en complément du microcrédit, compte tenu de la complexité de l'environnement. Pendant la phase de pré-création, l’accompagnement doit servir principalement à sélectionner les candidats : du côté de l’IMF, afin d'évaluer la demande et les motivations du candidat ; dans le chef du candidat, afin de vérifier ses propres intentions et capacités à s’aventurer dans les risques inhérents à une activité indépendante. Post création, le micro-entrepreneur aura besoin d'un support à la gestion, principalement administratif/financier, de marketing, de commercialisation du produit et de communication. L'accompagnement, qu'il soit pré- ou post-création, a pour but de maximiser les chances de réussite de l'activité et éviter d'aggraver la situation socio-économique et psychologique du micro-entrepreneur.
  • Le développement du microcrédit exige une adaptation de l'environnement institutionnel – social, culturel, politique et réglementaire – qui aujourd'hui est une des principales contraintes. À ce propos, l’étude menée par FACET et al. (2004), à laquelle nous renvoyons pour une analyse plus approfondie, identifie plusieurs mesures politiques pour faciliter le développement du microcrédit en Europe. En général, les facteurs les plus favorables sont [18] :
    • l'évolution de la mentalité, en donnant plus d'importance au travail indépendant comme alternative au travail salarié ;
    • un État providence qui aide les allocataires sociaux à passer progressivement d'une position passive de dépendance à celle, active, de travailleur indépendant ;
    • un régime de taxation qui soit plus favorable aux travailleurs indépendants ;
    • une réglementation bancaire qui autorise: les institutions de microcrédit non bancaires à "emprunter pour prêter", le déplafonnement des taux d'intérêt aux prêts accordés aux entreprises et l’adaptation de Basel II en ce qui concerne les obligations en matière de fonds propres.
  • Vu la prédominance du système financier « classique », l'appui financier aux banques commerciales est important. Elles peuvent, par ce biais, fournir des lignes de crédit aux IMF en partageant les risques. Le partenariat entre IMF et banques commerciales s'insère dans une logique plus réciproque. En effet, d’un côté, la vocation des IMF est de conduire progressivement ses clients à s'insérer dans le circuit financier classique ; d’un autre côté, les banques s'intéressent au microcrédit, car cela renforce leur engagement socialement responsable et elles peuvent ainsi capter une nouvelle clientèle de micro-entreprises.
  • Lier performance sociale et financière est l’innovation la plus intéressante apportée par la microfinance dans le Sud. Un certain degré de pérennité financière reste aussi la condition nécessaire pour le développement de la microfinance en Europe, et c'est sans doute là le principal challenge du secteur.

Par qui ? Tour d'horizon des institutions de microfinance en Europe

Les formes institutionnelles des IMF en Europe sont très diversifiées. La plupart des IMF sont des organisations non gouvernementales (ONG) et des fondations[19]. Une autre part importante est composée d'institutions gouvernementales. On recense aussi les caisses d’épargne, les banques, les « credit-unions » et, enfin, les institutions financières non bancaires. La majorité d'entre elles sont à but non lucratif. Le choix du modèle institutionnel est lié au cadre réglementaire de chaque pays. Par exemple, il est lié au fait que l’activité de prêt soit autorisée seulement sous un statut bancaire/gouvernemental ou pas, comme dans le cas de la Grande-Bretagne, où il existe un statut légal spécifique, « Community Development Financial Institution », pour les institutions non gouvernementales qui veulent se lancer dans une activité de prêt [20].

Les modèles « business » des IMF ne sont pas encore très clairs. Les quatre modèles présentés par Evers & Yung (2007) sont les suivants :

Organisations non gouvernementales (ONG) avec une approche de « microfinance »

Il s’agit d’organisations qui se créent spécifiquement pour faire de la microfinance, et dont l’activité consiste à offrir les produits financiers. Elles offrent aussi de l’accompagnement aux clients (business support services - BSS), mais là n’est pas leur mission principale. Le BSS est le complément nécessaire à l’offre de microcrédit afin d'en augmenter le taux de remboursement. Les exemples en Europe sont : l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) en France, Street UK au Royaume-Uni, Aspire au Royaume-Uni et en Irlande du Nord, et l’Associação Nacional de Direito ao Crédito (ANDC) au Portugal.

Organisations non gouvernementales (ONG) avec une approche « groupe cible »

Il s’agit d’organisations qui visent des groupes spécifiques – les sans-emplois, les bénéficiaires des allocations de chômage, les immigrants, etc. – et qui incluent, dans leurs mesures d'accompagnement, l'offre de produits financiers (MC). Elles se distinguent des ONG privilégiant une « approche microfinance », car l’offre des produits financiers n'est pas importante en soi, mais apparaît davantage comme une réponse au fait que la clientèle cible a des problèmes à accéder au crédit bancaire classique. Leur activité est fortement focalisée sur les services d’accompagnement et moins dans la mise à disposition de produits financiers. Les exemples en Europe sont : le Micro loan fund of the city of Hamburg en Allemagne, Weetu au Royaume-Uni, IQ/Enterprise en Allemagne et Hordaland Network Credit en Norvège.

Programmes de microfinance initiés par les institutions ou banques de développement existantes

Souvent motivées par l’intérêt du grand public, des institutions gouvernementales et des banques de développement européennes incluent, dans leurs activités, des programmes de microcrédit en soutien aux petites et moyennes entreprises (PME). Les exemples sont : KfW Bankengruppe en Allemagne, Finvera en Finlande, Oséo en France, l'Instituto de Crédito Oficial (ICO) en Espagne et le Fonds de participation en Belgique. L’avantage de ce modèle de business est que les institutions ont des infrastructures et des réseaux de distribution préexistants qui peuvent être utilisés pour atteindre rapidement un grand nombre des clients. En revanche, l'inconvénient est que leur image de « banque publique » donne aux clients moins de motivation au remboursement des prêts. C'est pour cette raison que KfW en Allemagne et ICO en Espagne distribuent les microprêts via des banques commerciales partenaires.

Unités spéciales des banques commerciales 

Les exemples les plus connus et appréciés sont, en Espagne : la Fundación Un Sol Mon ainsi que les autres Cajas. La Fundación Un Sol Mon est une unité externe de la Caixa Catalunya spécialisée dans l’offre de produits de microfinance. Dès lors, les clients « microcrédit » de la Caixa y sont naturellement redirigés. Les autres Cajas d'Espagne utilisent des méthodes différentes : elles proposent leurs produits de microfinance directement et disposent d’une administration interne spécialisée dans l'approbation, le monitoring et l'implémentation des microprêts. L’expérience de ce modèle de business n’est pas longue, mais la forte croissance du nombre de prêts octroyés montre un important potentiel. En outre, ce modèle a réussi à couvrir les coûts de l’activité de microcrédit[21].

En guise de conclusion

La microfinance en Europe de l'Ouest ne connaît pas qu'un seul mode opératoire. L'expérience dans le Sud nous a enseigné que les institutions de microfinance sont soit des organisations non gouvernementales, soit des banques commerciales. La palette des motivations va de la maximisation du profit à la volonté de servir les plus pauvres des pauvres en accroissant la portée des programmes. L'approche des IMF peut être minimaliste ou maximaliste, selon que l’offre de ces institutions se réduit à un ou plusieurs produits financiers ou qu’elle inclut également des services non financiers (accompagnement). Il existe toujours une importante marge pour innover, créer, inventer et expérimenter, tout en gardant bien en mémoire la raison d'être de la microfinance : élargir les frontières de la finance traditionnelle aux personnes pauvres, marginalisées ou exclues. Cette raison d'être en dessine aussi la limite, qui est d'être de la finance, et qu'en tant que telle, la microfinance ne peut prétendre être la solution aux problèmes sociaux que sont la pauvreté, la marginalisation et l'exclusion.

Repères bibliographiques

Adie (2008), 20 ans de microcrédit en France: les enseignements de l'expérience de l'Adie. Août, Paris.

Bureau International du travail (2002), La microfinance et la création d’entreprises par les chômeurs. La situation dans quelques pays européens et en Amérique du Nord.

Cefip (2008), Enquête CeFip Financement des PME 2008, by Eddy Laveren et Kristien Sweevelt, Novembre, Bruxelles.

European Microfinance Network (2008), Overview of the Microcredit Sector in the European Union 2006-2007, EMN Working Paper n°5, by Bárbara Jayo, Silvia Rico, Maricruz Lacalle (Fundación Nantik Lum), Juillet, Paris.

European Microfinance Network (EMN), Microfinance Centre (MFC) et Community Development Finance Association (cdfa), “Report 1: Social and financial exclusion map”, From Exclusion to Inclusion through Microfinance.

European Commission (ed.) (2003), Microcredit for small businesses and business creation: bridging a market gap.

Eurostat (2008), L'Europe en ciffre, Annuare Eurostat 2008.

Evers&Jung (2007), Status of microfinance in Western Europe - An academic review, EMN Issue Paper, by Jan Evers, Stefanie Lahn et Martin Jung, Mars.

FACET, Nef et Evers&Jung (2006), Policy measures to promote the use of microcredit for social inclusion. Étudie mené pour le compte de la Commission Européenne (DG Employment, Social Affairs and Equal Oppoertunities).

Guichandut (2006), Europe occidentale et reste du monde: parle-t-on des mêmes pratiques?, Finance et Bien Commun n°25, pp. 54-60, Paris.

Maystadt, J-F. (2004), Microfinance au Nord : un effet de mode importé du Sud ?, Monde en développement, vol. 2, n°126, p.69-82.

Nowak (2006), Croissance et cohésion sociale. Le microcrédit et l'Union européenne, Finance et Bien Commun n° 25, pp. 37-143, Paris.

 

Carolina Laureti, décembre 2008. 


 

[1] La notion d’ « Europe occidentale » recouvre globalement, dans ce texte, l'Union européenne des 15. En effet, la réalité du microcrédit est très différente dans les nouveaux États membres, et en particulier dans les pays ayant eu un passé communiste.

[2] Nowak (2006).

[3] Eurostat (2008).

[4] Nowak (2006).

[5] Guichandut (2006).

[6] Selon le Centre de connaissance du financement des PME (CeFip, 2008), en Belgique, 13,9 % des micro-entreprises rencontrent de "nombreux problèmes" pour obtenir un financement bancaire.

[7] Dans le Sud l’offre des services financiers aux pauvres englobe le crédit, l'épargne, l'assurance, le transfert d'argent, etc., aussi parle-t-on aujourd’hui de microfinance. En Europe le secteur reste toutefois dominé par les prêts aux micro-entreprises (European Microfinance Network (EMP), 2008, p. 43).

[8] Définition donnée par le EU Multiannual Programme (European Commission, 2003, p. 11). Cette définition, bien que claire et généralement acceptée, pose cependant des difficultés d’application dans la pratique. D'un côté, il existe des programmes qui fixent des maxima de prêt supérieurs à 25.000 euros et qui sont, néanmoins, considérés comme des programmes de microcrédit parce que la finalité et/ou le montant moyen concédé rentrent dans le concept de microcrédit. D’un autre côté, il y a des prêts de 25.000 euros ou moins proposés par les banques commerciales aux micro-entrepreneurs. Ces prêts, étant difficiles à identifier au sein de l'offre globale, ne sont pas inclus dans l'offre officielle de microcrédit.

[9] Evers&Yung (2007).

[10] EMN, MFC et cdfa.

[11] Guichandut (2006).

[12] Nowak (2006).

[13] Guichandut (2006).

[14] Maystadt (2004), pp. 69-82.

[15] BIT (2002).

[16] L’ordre de la liste n’est pas un ordre d’importance, mais simplement d’exposition.

[17] Adie (2008).

[18] FACET et al. (2004), Nowak (2006), Guichandut (2006), Evers et al. (2006), Evers & Yung (2007) et Adie (2008).

[19] ONG 28 %, fondations 26 %, organisations gouvernementales 17 %. Voir EMP (2008).

[20] EMP (2008).

[21] Voir Microcredit in Europe: the experience of the Saving Banks, 2006.

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Le microcrédit en Europe s'adresse aux personnes intéressées à développer une activité indépendante, mais qui n'ont pas accès au secteur bancaire "classique". Les façons de faire du microcrédit en Europe sont nombreuses et les types de structures actives variés. Il est à présent possible de formuler des recommandations adaptées aux pays européens afin d'y améliorer l'offre... Petit tour d'horizon.

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Développement et professionnalisation du microcrédit en Belgique

Soumis par Anonyme le
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Une analyse du microcrédit en Belgique nous révèle le rôle important que jouent les pouvoirs publics dans le développement de ce secteur, et ce, malgré un environnement législatif plutôt frileux. Les banques commerciales belges, de leur côté, ne semblent pas intéressées par la microfinance et délaissent ce secteur qui aurait pourtant beaucoup à gagner de partenariats actifs avec elles. Quelles améliorations envisager pour le développement du microcrédit en Belgique ? Petit tour de réponses possibles.  

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Références budgétaires : un outil multifonction à découvrir

Soumis par Anonyme le

Bref rappel

Les références budgétaires sont des descriptions de budgets (revenus et dépenses) de ménages adaptées à leur situation familiale – c'est-à-dire en prenant en compte le nombre d'adultes et d'enfants présents et aussi le niveau de bien-être envisagé (minimum, intermédiaire ou élevé). Ces références peuvent servir à de nombreuses applications qui, pour nombre d'entre elles, participent activement à la lutte contre l'exclusion financière.

 

A côté de l'application qui permet d'établir un standard minimum de vie[1] (seuil de dignité/seuil de pauvreté) détaillée dans une précédente il est utile d'approfondir les applications que nous n'avions pu traiter.

 

Parmi ces dernières, nous présenterons, dans cette analyse :

  • l'usage fait en matière de traitement du surendettement (médiation de dettes) ;
  • l'usage éducatif (guidance et éducation budgétaire) ;
  • l'usage par les prêteurs dans l'octroi de crédit et l'estimation des capacités de remboursement des demandeurs.

 

Références budgétaires : des principes d'élaboration plus souples

Si les bases méthodologiques des références budgétaires doivent impérativement reposer sur la détermination d'un panier de biens et services précis et sur l'estimation de son coût d'acquisition quand on élabore un standard de vie minimum, les applications qui seront présentées dans cet article sont, en général, moins exigeantes. En effet, pour la plupart d'entre elles, il est possible de travailler à partir de moyennes et de données statistiques issues notamment de l'enquête sur le budget des ménages (menée par le SPF Economie / Direction générale Statistique et Information économique). Ceci est d'autant plus vrai que, pour élaborer les références budgétaires qui concernent des ménages plus aisés, il n'existe pas d'autres sources.

Dans d'autres cas, les données utilisées par les services sociaux, les pratiques générales qui peuvent se dégager sont autant d'informations potentiellement utiles. Mais, dans ce cas, la prudence reste de mise, puisque le but recherché par la mise au point de ces outils est d'identifier des structures de « dépenses » à l'équilibre, afin de servir de grille de comparaison, d'estimation, ou d'objectif pour des ménages en difficulté.

Traitement du surendettement

C'est sans conteste cette application qui est à l'origine de la mise en oeuvre d'une des pratiques de références budgétaires les plus poussées en Europe, à savoir celle développée par le Nibud[2]. En effet, le traitement du surendettement des particuliers par des services spécialisés (médiation de dettes, qu'elle soit amiable ou judiciaire) implique l'élaboration de budgets de ménages qui doivent permettre à la fois de déterminer une éventuelle capacité contributive tout en garantissant une vie digne.

 

Cette notion de dignité humaine, présente en particulier dans la législation belge, est difficile et relative :

l       en termes de minima : lorsqu'il s'agit de ménages pauvres ou précaires, le législateur belge a d'ores et déjà fixé des minima stricts : il s'agit des montants insaisissables ou incessibles lorsqu'ils sont versés sur un compte bancaire. Pour pouvoir aller en dessous de ces minima protégés au travers d'une médiation de dettes, il faut impérativement obtenir l'accord explicite des débiteurs. Il existe toutefois une limite inférieure en dessous de laquelle il ne sera plus possible de descendre (même avec le consentement du débiteur) définie, quant à elle, par le revenu d'intégration sociale ;

l       dans les autres cas : la question est plus délicate, puisque pour des ménages plus aisés, il est beaucoup plus difficile d'élaborer de manière claire les déprivations à mettre en place en vue de permettre un remboursement acceptable des créanciers. Ici, plus encore que dans des situations de précarité, l'arbitraire et la subjectivité des acteurs détermineront de manières très diverses ce qui sera ou non consacré au remboursement des dettes. Et les acteurs en place ne sont pas tous, loin de là, des spécialistes en gestion budgétaire (avocats, notaires, juges...).

 

L'absence de références budgétaires entraîne une série de désavantages :

l       disparité des pratiques : en fonction du profil des intervenants dans un dossier de médiation, la fixation des capacités contributives variera, toutes choses égales par ailleurs, de manière importante ; ce qui crée de fortes disparités sur la manière dont le droit est appliqué (les références utilisées par les avocats, juges et travailleurs sociaux peuvent être très éloignées les unes des autres) ;

l       inconfort des parties prenantes : dans la majeure partie des cas, des données et méthodes claires d'estimation sont clairement souhaitées par une grande majorité d'intervenants ;

l       subjectivité des références : la dignité humaine est soumise à des appréciations qui laissent de la place à l'arbitraire.

 

Au-delà de l'inconfort des professionnels, ce sont donc, avant tout, les particuliers surendettés qui voient leur sort traité différemment selon qu'ils ont eu affaire à tel ou tel médiateur de dettes. La notion de dignité humaine s'applique dès lors de manière très variable.

 

Première conclusion : lorsque des références budgétaires sont développées pour différents niveaux de revenus, ils peuvent devenir d'excellents outils pratiques pour l'ensemble des professionnels de la médiation. Quand il s'agit de préserver la dignité des plus précaires, il est bien sûr évident que les références budgétaires peuvent se révéler plus appropriées, car elles peuvent mieux s'adapter aux réalités particulières des ménages et intégrer des changements de manière souple (impact budgétaire de mesures sociales ou politiques, nouvelles obligations en termes d'assurance, de taxes, d'exonération...) que les montants définis par la loi sur l'insaisissabilité. Quand il s'agit de ménages plus aisés, les minima légaux ne sont plus du tout opérants : il est difficile d'imaginer imposer à des ménages surendettés, ayant toutefois des revenus de niveaux moyens, voire supérieurs, de calibrer leur mode de vie sur celui des plus précaires, sans porter sans doute également atteinte à leur dignité. Ceci étant dit, quelle comparaison prendre ? L'existence de références budgétaires à différents niveaux de revenus fournit des points de comparaison, permet une adaptation « poste budgétaire » par « poste budgétaire », et rend tangibles les efforts fournis.

Éducation budgétaire

Les avantages de l'usage de tels outils, pour tout pédagogue, sont notamment :

l     l'objectivation des éléments de comparaison présentés aux personnes recourant à ses services ;

l     l'identification précise des postes sur lesquels des marges de progrès sont possibles, ce qui ouvre de réelles opportunités d'ajustements ;

l     de pouvoir proposer des améliorations budgétaires qui ont peu d'impact sur le confort : lorsque des informations précises existent sur les produits et services, sur leurs coûts et sur les lieux possibles d'achat (telles qu'elles sont utilisées pour élaborer des références budgétaires), des conseils très concrets peuvent être offerts par les professionnels, qui apportent une plus-value substantielle en allant plus loin que des conseils de bon sens ;

 

Ces éléments influencent directement la qualité relationnelle que les professionnels tissent avec les usagers et poussent vers le haut la qualité de leurs prestations.

Analyse de la solvabilité et octroi de crédit

Le saviez-vous ? Les références budgétaires développées par le Nibud, aux Pays-Bas, ont été validées par les prêteurs hypothécaires depuis de nombreuses années dans le cadre de l'analyse de la solvabilité qu'ils réalisent dans la phase pré-contractuelle.

 

Ceci représente un énorme pas vers une définition objective d'une analyse de solvabilité responsable. Pour rappel, seule la consultation de la Centrale des crédits aux particuliers fait partie des éléments « objectifs » dans notre droit belge. Le reste est toujours sujet à interprétation et seuls les cas les plus abusifs aboutissent à une action positive pour le consommateur.

 

Compte tenu de l'importance d'une telle pratique en termes de « crédit responsable », nous présentons, ci-après, la manière dont cette mesure est mise en oeuvre, la manière dont elle intègre les références budgétaires.

 

Le principe de base est d'identifier le degré de nécessité des dépenses courantes du ménage, et on distingue :

  • les dépenses relatives à l'achat du panier de base (le panier minimum) ;
  • les dépenses « inévitables » du ménage étudié en particulier (type de logement, type de charges au niveau de la santé, de l'éducation, des déplacements professionnels, pour n'en citer que quelques-unes...), qui, ainsi, permettent de définir, sur le graphique suivant, ce que nous appelons la « norme minimale » ;

La différence entre les revenus nets et cette norme minimale donne le montant disponible pour les dépenses courantes non affectées, qui peut notamment être consacré au remboursement de crédit.

 

Ce qui est le plus intéressant ici, c'est de constater que le Nibud recommande de ne consacrer que la moitié de ce montant « non affecté » au remboursement du crédit hypothécaire, car l'expérience montre que des montants « libres » doivent absolument pouvoir être disponibles pour faire face à toutes sortes d'imprévus (accident, maladie, remplacement, augmentation de charges...).

 

Grâce à l'usage des références budgétaires, l'estimation de la solvabilité peut être beaucoup plus poussée tout en en maintenant un coût raisonnable, puisque ce ne sont plus que les dépenses « inévitables » du ménage qui doivent être identifiées par les prêteurs, dans la construction des dossiers de demande de crédit.

Une approche qui n'aurait que des avantages ?

Fondamentalement, les références budgétaires sont des outils à même de fournir à leurs usagers des informations objectivées et de qualité tant sur les habitudes de consommation que sur les diverses manières d'équilibrer un budget et sur les marges budgétaires qui sont envisageables de manière réaliste.

 

Ces outils, bien entendu, pour être efficaces, doivent être construits rigoureusement, en toute transparence méthodologique, et, bien sûr, doivent être mis à jour régulièrement, sans quoi ils peuvent très vite perdre leur pertinence.

 

Il nous semble que de tels outils, lorsqu'ils sont appliqués à l'analyse de solvabilité (traitement du surendettement / octroi de crédit) de manière adéquate, peuvent à la fois réduire le risque de surendettement (ou aider à le résoudre en préservant la dignité humaine) et également limiter le risque d'exclusion au crédit.

 

Ce dernier point appelle toutefois un commentaire : pour que ces avantages soient tangibles, il faut évidemment que les prêteurs n'employant que le “credit-scoring” comme analyse de risque évoluent vers une approche faisant la part belle à l'analyse de la capacité de remboursement.

 

Ceci nous parait toutefois souhaitable dans la mesure où cette analyse permet de réduire significativement le risque d'insolvabilité des clients, ce qui est, bien entendu, une approche beaucoup plus durable de l'activité de crédit et fait reposer les refus éventuels sur des éléments objectifs de solvabilité plutôt que sur une probabilité d'insolvabilité basée sur le domicile, le sexe, l'âge ou l'état civil.

 

Olivier Jérusalmy,

ovembre 2008.

 


 

[1] Voir analyse intitulée : « Indicateur de pauvreté et budgets minima : une avancée pour une définition absolue du phénomène ? »

[2] NIBUD : Nationaal Instituut voor Budgetvoorlichting – www.nibud.nl

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Les références budgétaires (standards budgétaires) sont utiles dans de très nombreuses applications qui peuvent fortement servir l'inclusion financière. Cette analyse vous permettra de les découvrir. Elle complète ainsi une autre analyse présentant exclusivement son utilisation dans la mesure absolue de la pauvreté.

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Créer et développer des partenariats entre acteurs publics et privés en vue de favoriser les droits fondamentaux dans l'Union européenne (EUFIN II)

Soumis par Anonyme le
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Afin de resituer le contexte, il est important d'évoquer la structure du projet Eufin.

Celui-ci se divise en deux phases, décrites ci-dessous. Un premier projet dit Eufin 2004-05 ou Eufin I, consacré aux partenariats entre acteurs publics, privés et ONG, mené par le Réseau Financement Alternatif. En décembre 2004, le Réseau Financement Alternatif a initié le programme « Développer des outils communs aux pouvoirs publics et aux institutions financières en vue de promouvoir les droits fondamentaux dans l'Union européenne », financé par la Commission européenne, DG Emploi, Affaires sociales et Égalité des chances. Le Réseau Financement Alternatif a analysé 17 partenariats entre les pouvoirs publics, les institutions financières et, le cas échéant, les organisations de l'économie sociale et solidaire, en vue de la promotion des droits fondamentaux. Ces 17 expériences étaient issues de 11 pays de l'Union européenne ou candidats à l'adhésion à l'époque : Allemagne, Belgique, Espagne, France, Irlande du Nord, Italie, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie et Suède. Le programme 2004-05 visait à analyser les caractéristiques essentielles desdits partenariats, susceptibles de permettre une transposition dans d'autres régions de l'Union européenne afin d'augmenter le taux de réussite des initiatives futures. Ainsi, le programme 2004-05 a permis de présenter les bonnes pratiques sélectionnées, sous forme d'un catalogue. Chaque bonne pratique a été résumée sur une fiche signalétique reprenant les éléments essentiels du partenariat en vue de la promotion des droits fondamentaux : matière (soit le type de droit fondamental défendu par le partenariat) ; cible (soit le groupe de personnes auquel s'adresse l'action soutenue par le partenariat) ; objectif de l'action soutenue par le partenariat ; ressources allouées au partenariat ; partenaires ; durée du partenariat ; contribution des partenaires ; points innovants ; impact durable. Ensuite, le Réseau Financement Alternatif s'est attaché à examiner le mécanisme partenarial des 17 expériences sélectionnées. Pour ce faire, il a développé un questionnaire d'analyse suffisamment uniforme pour permettre l'étude de chaque partenariat sur une base commune, et cependant suffisamment précis pour tenir compte des particularités de chaque partenariat. Ce questionnaire envisageait chaque étape du développement des partenariats entre pouvoirs publics, institutions financières et organisations de l'économie sociale et solidaire. Table des matières : Comment le projet a-t-il été réalisé ? Dans quelle mesure l'action a-t-elle atteint les objectifs de la ligne budgétaire ? Quelle est la dimension transnationale de l'action ? Comment les parties prenantes ont-elles participé à l'action ? Quelle a été la contribution des partenaires ? Quelle a été la valeur ajoutée du projet ? Comment l'action a-t-elle été présentée au public et comment les résultats ont-ils été diffusés ? Quels autres efforts ont-ils été consentis pour garantir au projet un impact durable ? Quels enseignements ont-ils été tirés de cette expérience ? Un suivi du projet est-il prévu et, si oui, comment sera-t-il organisé ?

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Centrale des crédits aux particuliers : les données 2006 sous la loupe ?

Soumis par Anonyme le
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Chaque année, la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) publie certaines des données statistiques dont elle dispose. Comment évoluent le crédit à la consommation et le crédit hypothécaire en Belgique ? État des lieux des données clés.

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Financial Services Provision and Prevention of Financial Exclusion

Soumis par Anonyme le
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Introduction What is financial exclusion? Levels of financial exclusion Who is most likely to be financially excluded? The causes and consequences of financial exclusion Extent of the financial exclusion debate in Europe Market policy approaches to financial exclusion Voluntary charters and codes of practice for financial exclusion Government intervention to promote financial inclusion Recommendations and conclusions Bibliography Annexes

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De Ace à Grameen Bank

Soumis par Anonyme le

Au début du mois d’octobre l’Ace Bank s’est ouverte en Belgique. Pour son administrateur délégué, Monsieur Hayes, elle a l’ambition de devenir le Ryanair du monde financier. « De nombreuses banques ne sont encore nulle part en matière de réduction interne des coûts. Le client paie la facture de prestigieux projets de construction, de la façade affichée en matière de durabilité ou des salaires élevés dans le secteur financier. Chez ACE bank, nous faisons le choix d'une réduction draconienne des coûts. Nous sous-traitons la majeure partie de nos services et notre personnel est payé en fonction du rendement qu'ils génèrent pour les clients. Nous voulons devenir le Ryanair du monde bancaire. »

En matière d’investissement, ACE bank privilégie la rentabilité à tout prix. Elle propose plusieurs fonds et promet un rendement élevé grâce à une stratégie dépourvue de toute considération sociale ou environnementale. Free Labour Found investit uniquement dans les sociétés qui maximalisent leur marge en profitant de coûts salariaux plancher au Bangladesh ou en Chine, Global Change Fund investit dans les sociétés spécialisées dans les activités telles que l'extraction de pétrole dans les zones de conflit, Enduring Freedom Fund propose quant à lui un portefeuille d'actions de fabricants d'armes,... 

Quelques jours plus tard, la baudruche s’est dégonflée. ACE bank n’était autre qu’un canular de nos complices de Netwerk Vlaanderen qui entendaient ainsi stigmatiser, par l’absurde, les investissements non éthiques des banques.

Il n’empêche, l’offre d’investissements non éthiques d’ACE bank et son discours dépourvu du moindre scrupule semblent avoir si peu dénoté dans le monde bancaire belge que celui-ci n’y a manifestement vu que du feu… Jusqu’à la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) qui a déposé plainte contre ACE bank pour avoir opéré sur le marché belge sans être en possession des autorisations nécessaires ! Et que dire de La fédération financière belge, Febelfin, qui, interrogée sur la politique éthique des banques, a soutenu la liberté de chacune d'entre elles à décider de leur propre stratégie afin de répondre à la demande de leurs clients. Et de renforcer cet argument en citant une étude de Het Nieuwsblad, selon laquelle 80 % de la population ne se préoccupent de toute façon pas de l'utilisation que les banques font de leur argent.  Preuve s'il en est que le service à la clientèle doit avant tout primer sur la responsabilité éthique des banques!

Netwerk Vlaanderen a ainsi eu beau jeu de relever qu’une telle offre non éthique existe bel et bien dans la réalité, même si c’est de façon plus diluée. Et de rappeler qu’un rapport établi en novembre 2005 chiffrait à 8 milliards de dollars les investissements des grands groupes bancaires belges (Axa, Dexia, Fortis, ING et KBC) dans des sociétés qui ne respectent pas les droits de l'homme. 

Le banquier des pauvres

Pendant ce temps, le 13 octobre 2006, le prix Nobel de la paix 2006 était décerné conjointement au Bangladais Muhammad Yunus et à une établissement bancaire, la Grameen Bank, les deux fondateurs du micro-crédit. L'homme et l'institution, qui partageront ce prix attribué depuis 1901, sont récompensés pour leurs efforts pour promouvoir le développement économique et social dans leur pays en favorisant des programmes économiques innovants tels que les micro-emprunts.

L'activité de micro-crédit consiste en l'attribution de prêts de faible montant à des entrepreneurs ou des artisans qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques. Dans le Bangladesh rural, pour sortir de la pauvreté et échapper aux usuriers et intermédiaires, les paysans sans terre ont besoin d’un accès au crédit, sans lequel ils ne peuvent lancer leurs propres entreprises, aussi petites soient-elles. Cet accès au crédit leur était refusé dans le monde rural traditionnel, en l’absence de garantie (dans ce cas-ci, le défaut de terre). L’offre bancaire et financière marchande était donc inadéquate et la nécessité d’accéder au crédit a fait naître le projet de la Grameen Bank1 dans le village de Jobra en 1976. Ce projet a renversé la pratique bancaire habituelle en enlevant le besoin de garantie et a créé un système bancaire basé sur la confiance, la responsabilité, la participation et la créativité mutuelle.

La pauvreté, explique Yunus, découle souvent de l’incapacité des travailleurs à bénéficier des fruits de leur labeur, parce qu’ils n’ont pas le contrôle du capital. Les pauvres servent, en fait, ceux qui détiennent ce capital. Non seulement ils n’en sont pas les héritiers, mais ils ne peuvent rien faire puisqu’on leur refuse l’accès au crédit. Au fil des années, on a fini par admettre comme une évidence l’idée selon laquelle on ne peut pas faire confiance aux pauvres en matière d’argent. Mais s’est-on jamais posé la question opposée, et bien plus fondamentale : les banques, elles, sont-elles dignes de confiance, à l’échelle humaine ? 2

La « banque des pauvres » a quant à elle rapidement progressé puisqu’en juillet 2004, la Grameen Bank comptait 3,7 millions de clients au Bangladesh. Avec 1.267 succursales, la banque offre ses services à 46.000 villages, couvrant plus de 68 % des villages du pays. Elle affiche en outre un taux de remboursement plus élevé – 99,06 % en décembre 2003 – que dans les cas de crédits classiques !

Parmi les clients de la banque, 96 % sont des femmes. Ce rôle prépondérant joué par les femmes dans le micro-crédit est une volonté de ses concepteurs : au lieu de prêter au chef de foyer (un homme dans la plupart des cas), ils ont en effet focalisé leur action sur les femmes, explique Yunus. Etre pauvre au Bangladesh est dur pour tout le monde, et l’est davantage encore quand on est une femme. Mais, lorsque les mères de famille se voient offrir une possibilité de s’en sortir, si modeste soit-elle, elles se révèlent plus combatives que les hommes... L’expérience le prouve : le crédit, lorsqu’il passe par les femmes, amène des changements plus rapides que lorsqu’il passe par des hommes. Il ne s’agissait donc pas seulement de leur donner la place qui leur revenait, mais bien davantage de les considérer comme des acteurs privilégiés du développement. Et les femmes ont été, en effet, notre arme la plus efficace contre la pauvreté.3

Télescopage

Ente ces deux événements, l’ouverture de l’Ace Bank et l’attribution du Nobel à Yunus, le calendrier a placé quelques jours seulement ; là où des années-lumière les séparent !

La finance, obtenir des ressources monétaires et les allouer, peut être une fin en soi ou avoir d’autres visées. Soit constituer une pratique volontairement déconnectée de la réalité, qui se suffit à elle-même et qui, pour tout dire, a des tendances schizophréniques. Soit prendre en considération les relations sociales dans lesquelles elle s’inscrit et pour lesquelles elle a été créée.

D’un côté, elle est et se revendique irresponsable, dans le sens premier du terme, car hors de la réalité dont elle ne doit par conséquent pas tenir compte, ni répondre. Elle demeure imperturbablement étrangère au moindre scrupule, dépourvue de toute considération sociale ou environnementale. Sa seule visée et sa seule raison d’être est le profit, envers et contre tout. Qu’importe l’exploitation des travailleurs, rémunérés à des conditions dérisoires, amenés à travailler dans des conditions inacceptables et privés des droits sociaux les plus élémentaires. Qu’importe les démocrates oppressés par des dictatures sanguinaires. Qu’importe les gosses qui tombent sous les bombes à sous-munitions. Qu’importe le réchauffement climatique.

De l’autre, la finance est consciente de sa responsabilité sociale et environnementale. Créée par les hommes, elle est guidée par l’intérêt collectif ou, à tout le moins, celui-ci en constitue un garde-fou.

La finance irresponsable est également inhumaine dans le sens où elle ne place plus l’homme au centre de ses préoccupations et lui retire toujours davantage sa confiance. En n’acceptant pas - ou de moins en moins - des garanties comme la valeur de l’entrepreneur qui sollicite le financement, la validité intrinsèque et les potentialités de développement du projet qu’il soumet ou encore la solidarité d’un groupe dans le remboursement d’un crédit. Ces garanties « humaines » sont délaissées au profit de garanties patrimoniales dont seules les franges plus riches de la population peuvent justifier.

L’autre finance, responsable, met l’homme au centre de ses préoccupations et développe les outils nécessaires, notamment pour l’évaluation du risque, qui permettent de remplir adéquatement sa fonction d’allocation des ressources monétaires.

Il est donc temps, comme le propose Yunus, de retourner la question de la confiance aux banques : sont-elles, elles, dignes de confiance, à l’échelle humaine ? Entre les deux modèles, ACE et Grameen, une infinité de nuances existe sans doute. Mais, après le télescopage de ces deux actualités, qui pourra encore prétendre qu’épargner cent balles, c’est-à-dire choisir l’endroit et la façon de placer son argent, n’est pas, fondamentalement, poser un choix de société ?

Bernard Bayot, novembre 2006

 

1 Muhammad Yunus, Une banque pour les pauvres, Manière de voir, n° 41, septembre-octobre 1998, page 67 ; voir aussi http://www.grameen-info.org/.

2 Muhammad Yunus, Transgresser les préjugés économiques, Le Monde diplomatique,  décembre 1997, pages 14 et 15.

3 Muhammad Yunus, Transgresser les préjugés économiques, op.cit.

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L'actualité du mois d'octobre dernier a fait se télescoper deux images bancaires pour le moins contrastées. D'un côté, l'Ace Bank qui, le 11 octobre, a ouvert un bureau à Bruxelles en promettant un rendement élevé grâce à une stratégie dépourvue de toute considération sociale ou environnementale. De l'autre, la Grameen Bank qui, deux jours plus tard, a reçu le prix Nobel de la paix 2006, après avoir permis à des millions d'exclus du système bancaire traditionnel de développer une activité indépendante et d'échapper ainsi à la misère.

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L'Europe réglemente l'activité des banques

Soumis par Anonyme le

Le 14 juin 2006, deux directives ont été adoptées par le Conseil et le Parlement européen : celle concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice1, d’une part, et celle sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissement de crédit2, d’autre part. Même si elles sont intimement liées et posent des questions complémentaires, nous n’évoquerons que la première d’entre elles dans le cadre de la présente analyse.

C’est à partir de la fin des années ’70 qu’a été initiée l’intégration ou la libéralisation du marché bancaire. Les deux premières directives bancaires européennes ont été adoptées respectivement le 12 décembre 19773 et le 15 décembre 19894. Pour regrouper et codifier ces deux directives et d’autres adoptées depuis lors, une nouvelle directive a été adoptée le 20 mars 20005, qui a été elle-même modifiée de façon substantielle à plusieurs reprises. Le 14 juin 2006 enfin, à l'occasion de nouvelles modifications de ladite directive, le législateur européen a, dans un souci de clarté, procédé à une refonte de celle-ci.

Les deux premières directives bancaires répondaient à l'un des principaux axes d'action de l’Union européenne, à savoir mettre en place un environnement réglementaire permettant de fournir des services bancaires sur une base transfrontalière. Pour y parvenir, elle ont prévu que les mesures qu’elles contiennent au sujet des établissements de crédit s’appliquent le plus largement possible, c’est-à-dire à toute entreprise dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte. Par ailleurs, ces entreprises se sont vu imposer des conditions souvent difficiles pour accéder à ce statut bancaire.

Moyennant la réunion de ces conditions, tout établissement bancaire ou de crédit qui a été autorisé à opérer comme tel selon ses propres lois et réglementations nationales est désormais libre d'offrir des services bancaires à travers l'ensemble de l’Union, sans avoir à établir une filiale ou un bureau de quelque type que ce soit dans le ou les pays où résident ses clients, et d'établir, sur la base de sa licence bancaire nationale, une succursale dans tout autre Etat Membre afin d'y offrir des services bancaires agréés, et cela sans avoir à obtenir de licence ou d'autorisation délivrée par les autorités bancaires de cet Etat. La liste des services bancaires agréés comprend tous les services bancaires habituels ainsi que certaines activités d'investissements et de conseils en investissements.

Relevons deux difficultés majeures que présente cette législation européenne pour les organisations financières de l’économie sociale et solidaire : l’uniformisation et la monopolisation du statut bancaire.

Les directives bancaires ont gommé autant que possible les différences entre les banques commerciales et les banques de développement. Toutes les particularités qu’avaient ces dernières, comme des facilités fiscales, des garanties publiques, …, qui leur permettaient de remplir leurs fonctions de développement local, ont en grande partie disparu. Une série de banques avaient droit à une exemption dans la première directive bancaire, surtout des organismes publics. La liste nominative de ces banques s’est réduite au fil du temps, l’objectif de la Commission européenne étant de faire disparaître toute distorsion de concurrence entre les différents types de banques. Cette liste est à présent fermée puisque vient d’être supprimée la faculté, qui était encore prévue dans la directive de 2000, que le Conseil, sur proposition de la Commission, modifie cette liste d’exemptions.

Cette uniformisation du statut bancaire s’est ressentie dans divers secteurs. Au sein des caisses d’épargne, par exemple, cette politique favorise celles qui sont les plus importantes et qui ont envie de rentrer dans la concurrence avec les banques commerciales et de grandir au détriment des petites caisses d’épargne qui veulent rester locales et engagées.

On peut dès lors s’interroger sur l’objectif de favoriser la concurrence entre les banques. Si la compétition a sans doute augmenté, l’éventail des services offerts et des publics visés a diminué, obligeant certains gouvernements à forcer les institutions de crédit à offrir des services bancaires de base aux consommateurs. Peut-on encore parler de concurrence lorsqu’on constate une absence de produit ou de service ou des franges de population délaissées par l’offre bancaire ? La raréfaction du crédit professionnel, par exemple, a progressé dans des zones tant urbaines que rurales d’Europe.

Une réponse adéquate à cette situation peut résider dans les organisations financières de l’économie sociale et solidaire qui offrent du crédit à des projets sociaux qui n'ont pas accès au crédit bancaire ainsi qu’à des initiatives touchant les plus démunis et les exclus. Encore faut-il qu’elles puissent soit accéder au statut bancaire, soit exercer leurs activités sans devoir se soumettre aux conditions imposées par ce statut.

Se pose ici une deuxième difficulté majeure de la législation européenne, la monopolisation du statut bancaire : il faut être banque pour pouvoir collecter de l’épargne. En outre, ce statut a été rendu beaucoup plus difficile d’accès et il est donc beaucoup plus malaisé pour une communauté locale de créer sa structure si elle se sent négligée par les structures existantes. Or, les petites banques financent les petits clients. En coupant toute possibilité de créer de nouvelles petites banques, on coupe en même temps la possibilité de créer des instruments qui financent la « petite économie ».

Il faut être banque pour pouvoir collecter de l’épargne, sauf à bénéficier de l’exemption dont nous avons parlé plus haut. Figurent, par exemple, sur la liste des institutions exemptées et ne se voient par conséquent pas appliquer le statut bancaire les Credit Unions d’Irlande, du Royaume-Uni et de Lituanie ou encore leur équivalent en Lettonie, les "krājaizdevu sabiedrības", entreprises qui sont reconnues par le "Krājaizdevu sabiedrību likums" en tant que coopératives fournissant des services financiers uniquement à leurs membres. Ces institutions sont des mutuelles d’épargne et de crédit qui fonctionnent selon le principe du pot commun : les épargnants sont en même temps actionnaires (l’épargne constitue le capital social de la coopérative) et bénéficiaires (ils sont les seuls à pouvoir obtenir du crédit de la structure).

Mais de telles exemptions, sauf à modifier la directive, ne sont plus envisageables pour des institutions similaires, qui existent ou viendraient à se créer dans d’autres Etats de l’Union. On peut par ailleurs craindre que se posera également le problème de la compatibilité au droit européen des lois qui régissent l’activité de micro-crédit en Bulgarie et en Roumanie, qui ont signé, en avril 2005, un traité d'adhésion à l’Union européenne devant entrer en vigueur en 2007.

Sans doute faudra-t-il revenir dans le futur sur la perspective d’introduire une exemption générale pour les organisations financières de l’économie sociale et solidaire, en les autorisant à opérer, sous certaines conditions, sans acquérir le statut bancaire et s’astreindre aux contraintes qu’il suppose.

D’autant que les conditions d’accès au statut bancaire suppose notamment la réunion d’un capital initial minimum de 5 000 000 d’euros. L’article 9 de la directive retient toutefois l’option pour les Etats membres d’accorder l’agrément à des catégories particulières d’établissements de crédit pour autant que le capital initial ne soit pas inférieur à 1 000 000 d’euros et stipule qu’ils doivent notifier à la Commission les raisons pour lesquelles ils font usage de cette faculté. Celle-ci peut donc permettre aux Etats d’appuyer la création ou le développement d’institutions de crédit de l’économie sociale et solidaire dont l’objectif est d’investir pour le bien commun, à charge pour elle de restreindre leurs activités tout en développant leurs compétences dans leur secteur particulier. Encore faut-il que ces institutions puissent faire face aux autres obligations imposées aux banques en matière notamment d’adéquation des fonds propres.

Exemption générale au niveau de l’Union européenne pour les organisations financières de l’économie sociale et solidaire et, au niveau des Etats membres, assouplissement des conditions d’accès au statut bancaire pour les organisations qui souhaitent recourir à ce statut sont certainement deux pistes à creuser pour favoriser un meilleur accès au crédit bancaire.

 

Bernard Bayot, juillet 2006

Sources :

Bernard Bayot, Elaboration d’un service bancaire universel - Deuxième partie - L’accès au crédit et l’exemple du Community Reinvestment Act, Namur, 2003.

Malcolm Lynch, La régulation des banques d’économie sociale au sein de la communauté européenne, Interface n°22, septembre 2004.

 

1 Directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, JO L 177 du 30.6.2006, p. 1–200.

2 Directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit, JO L 177 du 30.6.2006, p. 201–255.

3 Première directive 77/780/CEE du Conseil, du 12 décembre 1977, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, JO L 322 du 17.12.1977, p. 30–37.

4 Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil du 15 décembre 1989 visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE, JO L 386 du 30.12.1989.

5 Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, JO L 126 du 26.5.2000, p. 1–59.

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Les contraintes européennes pèsent lourdement sur les banques et influencent leurs pratiques, notamment celles des organisations financières de l'économie sociale et solidaire, qui offrent aux collectivités et aux particuliers une forme d'épargne alternative dont le rendement n'est pas d'abord financier, mais avant tout social et humain et qui offrent du crédit à des projets sociaux qui n'ont pas accès au crédit bancaire ainsi qu'à des initiatives touchant les plus démunis et les exclus.

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2006
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07/2006
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Juillet

L'Europe réglemente les fonds propres des banques

Soumis par Anonyme le

Le législateur européen a toujours considéré que le consommateur risque fort de se montrer réticent à l'idée de placer son argent ou de traiter sur un sujet quelconque avec une banque étrangère située dans un autre Etat Membre, à moins qu'il n'ait l'assurance que la banque en question se trouve soumise à des normes de prudence et à des contrôles appropriés. L'action menée par l’Union européenne pour offrir cette assurance nécessaire a inclus l'adoption d'une législation imposant des exigences minimales communes en matière de "fonds propres" ou de capital (ce qui garantit par conséquent que les banques disposent toujours d'un capital de base adéquat), des ratios minimaux de solvabilité définis sur une base commune (qui assurent donc que les banques maintiennent des ratios leur permettant de faire face à leurs pertes en cas de faillite), ainsi que des mesures destinées à garantir une surveillance adéquate et effective des banques sur une base consolidée.

La directive sur l’adéquation des fonds propres introduit dans l’Union européenne un dispositif de surveillance actualisé qui prend en compte les règles de l’accord de Bâle II sur les normes de fonds propres convenues au niveau du G-10.

Le rôle moteur en matière de régulation bancaire revient en effet à la Banque des Règlements Internationaux (BRI) qui est une organisation internationale qui regroupe les banques centrales ou autorités monétaires de cinquante pays ou territoires et qui a pour mission de stimuler la coopération des banques centrales et d'autres agences dans la poursuite de la stabilité monétaire et financière. Au sein de la BRI s’est créé le G 10, qui est né de la décision de dix pays membres du Fonds monétaire international (FMI), plus la Suisse, de mettre des ressources à la disposition du Fonds au-delà des quotes-parts qui leur avaient été fixées aux termes des Accords généraux d’emprunt (AGE). Depuis 1963, les gouverneurs des banques centrales du G 10 se retrouvent lors des réunions de la BRI et ont institué en leur sein plusieurs comités permanents qui leur font rapport.

Parmi ceux-ci, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, instauré en décembre 1974 et chargé d’améliorer la coopération entre autorités de contrôle des banques. Il coordonne le partage des responsabilités prudentielles entre autorités nationales, dans le but d’assurer une surveillance efficace de l’activité bancaire à l’échelle mondiale. Le Comité a fait paraître en 1983 un rapport sur cette question – le Concordat de Bâle - et, en 1992, a renforcé ces dispositifs en approuvant des normes minimales pour le contrôle des groupes bancaires internationaux et de leurs établissements à l’étranger. Le Comité cherche également à renforcer les normes de surveillance, notamment en matière de solvabilité, afin de contribuer à accroître la solidité et la stabilité de l’activité bancaire internationale. Son rapport le plus connu est l’accord de Bâle sur les fonds propres de 1988, qui a pour but de parvenir à une convergence internationale de la mesure des fonds propres des banques et de fixer des exigences minimales.

Le pivot de l’accord de Bâle est la mise en place d'un ratio minimal de fonds propres par rapport à l'ensemble des crédits accordés, le ratio Cooke, qui prévoit que le rapport des deux valeurs ne doit pas être inférieur à 8 %. Les accords de Bâle sont actuellement appliqués dans plus d'une centaine de pays. La grande limite du ratio Cooke, et donc des réglementations issues des premiers accords de Bâle, est liée à la définition des engagements de crédit. La principale variable prise en compte était le montant du crédit distribué. A la lumière de la théorie financière moderne, il apparaît qu'est négligée la dimension essentielle de la qualité de l'emprunteur, et donc du risque de crédit qu'il représente réellement.

Le Comité de Bâle a donc publié le 15 juillet 2004 la recommandation « Bâle II »3 dans laquelle est définie une mesure plus pertinente du risque de crédit, avec en particulier la prise en compte de la qualité de l'emprunteur, y compris par l'intermédiaire d'un système de notation interne propre à chaque établissement (dénommé IRB, Internal Rating Based). Le nouveau ratio de solvabilité est le ratio McDonough.

En fait, les recommandations de Bâle II s'appuient sur trois piliers (terme employé explicitement dans le texte des accords) :

  • l'exigence de fonds propres (ratio de solvabilité McDonough) ;
  • la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres;
  • la discipline du marché (transparence dans la communication des établissements).

Le premier pilier, l'exigence de fonds propres, affine l'accord de 1988 et cherche à rendre les fonds propres cohérents avec les risques réellement encourus par les établissements financiers. Parmi les nouveautés, signalons la prise en compte des risques opérationnels (fraude et pannes de système) et des risques de marché, en complément du risque de crédit ou de contrepartie. Pour le risque de crédit les banques peuvent employer différents mécanismes d'évaluation. La méthode dite standard consiste à utiliser des systèmes de notation fournis par des organismes externes. Les méthodes plus sophistiquées (méthodes IRB) impliquent des méthodologies internes et propres à l'établissement financier d'évaluation de cotes ou de notes, afin de peser le risque relatif du crédit. Les différentes mesures ont une incidence directe sur la capitalisation requise.

Pour ce qui est du deuxième pilier, la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres, comme les stratégies des banques peuvent varier quant à la composition de l'actif et la prise de risques, les banques centrales auront plus de liberté dans l'établissement de normes face aux banques, pouvant hausser les exigences de capital là où elles le jugeront nécessaires... Enfin, dans le troisième pilier, la discipline de marché, des règles de transparence sont établies quant à l'information mise à la disposition du public sur l'actif, les risques et leur gestion.

Au niveau de l’Union européenne, l'élaboration du nouveau dispositif d'adéquation des fonds propres est inscrite dans le plan d'action pour les services financiers de la Commission européenne. Ce plan, adopté en mai 1999, décrit dans les grandes lignes les mesures à prendre par l'Union européenne pour achever l'intégration des marchés financiers. Les Conseils européens de Lisbonne et de Stockholm ont approuvé le plan d'action et exigé que cette intégration soit effective en 2005 pour l'ensemble des marchés financiers et en 2003 pour les marchés des valeurs mobilières. Comme les règles du comité de Bâle, les nouvelles normes européennes viseront à aligner plus étroitement les exigences de fonds propres sur les risques sous-jacents et à encourager les institutions à améliorer leur gestion des risques. Le nouveau dispositif s'appliquera à tous les établissements de crédit et à toutes les entreprises d'investissement de l'Union européenne. Selon la Commission européenne, il doit être aussi clair et flexible que possible, afin de répondre aux besoins de ce large éventail de destinataires. Il doit pouvoir s'adapter rapidement à l'évolution des marchés et des réglementations, afin de promouvoir l'efficacité et la compétitivité des entreprises du secteur européen des services financiers.

Les nouvelles propositions de règles prudentielles adoptées dans le cadre du comité de Bâle II vont donc obliger les banques à modifier leur système actuel de rating. Actuellement, tous les types de crédits sont pondérés de manière uniforme. Les nouvelles règles introduiront une pondération du risque en fonction de son niveau. Les banques seront amenées à revoir complètement leur perception du risque de leur portefeuille de crédits et donc de leur politique d’octroi de prêts. La mise en œuvre de la nouvelle réglementation aura une incidence sur les réserves que doivent constituer les banques et donc également sur le volume des crédits octroyés aux différentes catégories d’emprunteurs. Pour certaines catégories d’entre eux, l’accroissement des fonds propres nécessaires pour octroyer un même volume de crédit va en effet réduire le retour relatif sur fonds propres, sauf à augmenter corrélativement la marge bénéficiaire et donc le taux d’intérêt sur ces crédits, ce qui va inciter les établissements de crédit à orienter celui-ci vers les catégories d’emprunteurs pour lesquels le ratio fonds propres/volume de crédit est moins élevé.

Les associations représentatives des PME ont réagi en relevant différents problèmes d’accès aux financements bancaires rencontrés par celles-ci : les coûts engendrés par un exercice de notation, jugés prohibitifs pour une PME ou par rapport au montant total du crédit demandé, l’exigence de garanties trop importantes, le coût du crédit, la lenteur et la bureaucratie du processus décisionnel, le manque de transparence des conditions d’octroi de crédit et le manque de connaissance des banques à l’égard du système des PME.

En ce qui concerne plus spécifiquement les banques de l’économie sociale et solidaire, on relèvera qu’elles sont nées d’une inadéquation des services offerts par les institutions de crédit existantes et du développement corrélatif de techniques de crédit en rupture avec le modèle dominant. Par conséquent, les normes qui se justifient pour ce dernier ne sont pas nécessairement adéquates pour ces banques différentes.

Pour ce qui est de l’évaluation du risque, les plus grandes banques seront avantagées dans l’utilisation de l’évaluation interne ou externe des crédits pour désigner les taux de risque à appliquer. Les plus petites banques recourant à une approche standardisée sur la base de la structure de risque existant devront utiliser l’évaluation de risque proposée dans la directive ou avoir recours à des agences d’évaluation des risques de crédit. Celles-ci sont toutefois coûteuses et, en outre, il leur est difficile de comprendre l’économie bancaire sociale sans analyser les transactions financières sur plusieurs années. Il est par conséquent fort peu probable que les banques d'économie sociale soient capables d’évoluer de l’approche standardisée des risques avant plusieurs années.

En ce qui concerne la détermination des catégories de domaines des risques opérationnels, un changement significatif pour les microcrédits est néanmoins intervenu avec la proposition de directive : les prêts destinés aux petites et moyennes entreprises peuvent désormais être comptabilisés comme des prêts destinés à des particuliers pour autant que le crédit soit inférieur à 1 000 000 d’euros. Cela signifie qu’une estimation à risque moindre pourra être placée dans cette catégorie et non dans celle des prêts destinés aux sociétés. Il s’agit là d’un changement salutaire.

Par contre, la directive ne vise pas la technique d’allégement du crédit qui consiste à présenter un groupe de personnes garantes liées à l’emprunteur. Néanmoins, la directive offre suffisamment de flexibilité pour permettre aux autorités de tutelle de reconnaître la validité de cette technique d’allégement des risques de crédit si les banques d’économie sociale peuvent prouver son efficacité. En dépit de ce qui précède, le risque de voir standardiser les garanties acceptées et d’en voir réduire la liste est toutefois réel : on est très loin de ce qui était accepté par les banques de proximité, par exemple la notoriété.

S’agissant enfin de la transparence bancaire, il n’existe par contre aucun problème pour les banques de l’économie sociale et solidaire dont la transparence entraîne souvent la fourniture d’informations sur l’ensemble des prêts réalisés et dont les investisseurs sont en outre plus patients que ceux d’autres institutions, liés à des institutions financières par des soutiens vis-à-vis des objectifs sociaux en faveur desquels ils sont engagés.

Bernard Bayot, juillet 2006

Sources :

Bernard Bayot, Elaboration d’un service bancaire universel - Deuxième partie - L’accès au crédit et l’exemple du Community Reinvestment Act, Namur, 2003.

Malcolm Lynch, La régulation des banques d’économie sociale au sein de la communauté européenne, Interface n°22, septembre 2004.

 

1 Directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, JO L 177 du 30.6.2006, p. 1–200.

2 Directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit, JO L 177 du 30.6.2006, p. 201–255.

3 Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres, dispositif révisé, juin 2004, http://www.bis.org/publ/bcbs107fre.pdf.

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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)
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Le 14 juin 2006, deux directives ont été adoptées par le Conseil et le Parlement européens : celle concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice1, d'une part, et celle sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissement de crédit2. Nous verrons dans le cadre de la présente analyse comment la seconde d'entre elles est susceptible d'influencer les pratiques des organisations financières de l'économie sociale et solidaire, qui offrent aux collectivités et aux particuliers une forme d'épargne alternative dont le rendement n'est pas d'abord financier, mais avant tout social et humain et qui offrent du crédit à des projets sociaux qui n'ont pas accès au crédit bancaire ainsi qu'à des initiatives touchant les plus démunis et les exclus.

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